A LA UNE/Réforme de l'Ecole
23 Août 2015
La langue maternelle, un tremplin pour l’apprentissage
Par M. Hadj-Moussa, maître-assistant, université de Tizi-Ouzou
Suite à la Conférence nationale sur l’évaluation de la mise en œuvre de la réforme du système éducatif, où était proposée, entre autres, l’utilisation de la langue maternelle durant les premières années de la scolarité de l’enfant, un flot d’interventions envahit les journaux et les réseaux sociaux, défendant des points de vue souvent diamétralement opposés, les uns usant d’arguments sincères, d’autres empreints de mauvaise foi et campés sur des positions politiques, le tout dans une cacophonie déroutante, inquiétante, notamment pour les parents d’élèves.
Or, s’agissant de l’avenir de nos enfants, il serait souhaitable que soit instauré un débat serein et responsable, afin de clarifier les problèmes et d’y apporter des solutions adéquates. Mon intervention ici s’inscrit dans cet objectif. Ancien enseignant, ayant exercé, entre autres, pendant une dizaine d’années comme IEEF (inspecteur de l’éducation et de l’enseignement fondamental) chargé de l’enseignement primaire, je crois pouvoir être utile aux lecteurs qui s’intéressent au sujet.
De quoi s’agit-il en fait dans la fameuse proposition ? Il y a lieu de préciser qu’il ne s’agit pas d’enseigner la langue maternelle, mais bien d’enseigner les savoirs et savoir-faire de base dans la langue de l’enfant durant les premières années, sans exclure l’enseignement des autres langues, ou formes de langues, nationales ou étrangères.
Ce sont des spécialistes du domaine qui en ont fait la proposition, sur la base d’une recommandation de l’Unesco, selon laquelle un enfant qui commence l’apprentissage scolaire dans sa langue maternelle est mieux épanoui et mieux armé pour la suite de ses études et pour son avenir d’une manière générale. Voyons comment les choses se passent ou devraient se passer sur le terrain. Je propose ici une réflexion à partir de ce dont nous avons tous fait l’expérience, laissant dans l’implicite les principes didactiques théoriques auxquels je me réfère.
Les générations scolarisées dans la années 1960 ou 1970 ont généralement fait l’expérience de blocages plus ou moins graves, quand la communication ne passait pas entre les enseignants coopérants, français ou égyptiens, et les élèves, qui ne pouvaient pas comprendre une notion nouvelle expliquée à l’aide de mots nouveaux. Actuellement, les enfants, qui pourtant savent compter très tôt (compter leur monnaie chez l’épicier) butent souvent sur de simples problèmes de mathématiques parce qu’ils n’en comprennent pas les énoncés. D’ailleurs, ils cherchent d’abord à traduire ceux-ci dans leur langue avant de chercher la solution. Parfois, c’est l’enseignant qui se charge de la traduction. En tout cas, il s’ensuit souvent une perte de temps, source d’ennui et de démotivation. Les enfants algériens, bien éveillés par ailleurs, n’obtiendraient-ils pas de meilleurs résultats scolaires en apprenant les savoirs fondamentaux dans la langue qui leur est la plus familière ? La langue maternelle ne pourrait-elle pas jouer le rôle de tremplin en assurant les apprentissages de base, aussi bien scientifiques que linguistiques ? N’a-t-elle pas d’influence positive sur le plan affectif et sur le plan psychologique ?
En effet, au niveau de l’expression, à l’oral comme à l’écrit, l’enfant se retrouve comme handicapé devant une langue différente de la sienne. Sa spontanéité est comme réprimée. Il ne manque pas d’idées, mais de moyens de les exprimer. Alors, au lieu de réfléchir, de faire preuve de créativité, il se rabat sur la récitation de discours qu’il a déjà entendus et mémorisés. Il apprend de manière passive la langue arabe classique.
Au niveau de la lecture également, les mécanismes s’acquièrent plus facilement, plus rapidement et avec plus de motivation dans sa langue maternelle que dans une langue différente.
En effet, il est prouvé par la recherche didactique que la compréhension de ce qu’on lit développe mieux la compétence globale de lecture.
Sur le plan affectif, tout le monde sait que le premier contact de l’enfant avec l’école est déterminant pour la suite de sa scolarité et, par conséquent, pour son avenir professionnel. Soit il est mis en confiance, motivé, abordant l’apprentissage scolaire avec succès, soit il est mal à l’aise, et par conséquent, peu entreprenant, facilement découragé, avec au bout plus de risques d’échec. Or, la confiance et l’aisance s’instaurent plus facilement avec un enseignant ou une enseignante parlant le langage des parents. Un environnement rassurant est très important pour le développement des facultés intellectuelles, surtout pour un enfant en bas âge. Sur le plan psychologique, le fait d’exclure de l’école les langues parlées avec les parents à la maison, considérées comme des sous-langues, et de survaloriser la langue de scolarisation crée chez l’enfant un sentiment d’infériorité, qui n’est pas sans incidence sur le développement de toute sa personnalité. Peut-on alors parler d’épanouissement ?
Mais, objectera-t-on immanquablement, quelle sera alors la place de la langue arabe classique dans l’école algérienne ? Ne sera-t-elle pas marginalisée, voire oubliée ? Je suis de ceux qui pensent qu’au contraire son apprentissage en sera amélioré. En effet, les sciences cognitives ont mis en évidence les phénomènes de transfert de connaissances, de compétences d’un domaine à un autre, d’une langue à une autre. Une fois les compétences bien acquises dans une langue — et elles le sont d’une manière plus efficace dans la langue maternelle – il devient aisé de les transposer dans d’autres langues. Et cela, non seulement pour les connaissances générales, scientifiques, mais aussi pour les connaissances portant sur les langues elles-mêmes.
En fait, mieux on connaît sa langue maternelle, plus facilement on en apprend d’autres. Et contrairement aux idées reçues, une langue ne prend pas la place d’une autre, mais s’y ajoute pour développer des compétences encore plus complexes (analyse par contraste, traduction, réflexion sur le lexique, etc.)
Donnons quelques exemples de savoirs et savoir-faire pouvant être mieux acquis en langue maternelle.
En mathématiques, nous avons le comptage, les relations fondamentales sur les ensembles (l’union, l’inclusion… les grandeurs : plus grand, plus petit…), le sens des quatre opérations arythmétiques, etc. En histoire-géographie (très important), l’enfant doit savoir petit à petit se situer dans l’espace et dans le temps : notion de passé/présent/futur, notions sur les grandes périodes historiques, sur ses origines, les grandes dates de l’histoire de son pays… ; il doit également savoir s’orienter (les quatre points cardinaux), lire un plan de ville, une carte routière, se situer dans sa ville, dans son pays, dans son continent et sur le globe terrestre… En langue, on peut citer les notions fondamentales de grammaire : les notions de nom, de verbe, de nombre (singulier/pluriel), de genre (masculin/féminin), les accords sujet-verbe, qualifiant-qualifié, etc. Les connaissances de base doivent être le plus tôt possible claires dans la tête de l’enfant car elles constituent les fondations sur lesquelles vont se construire les connaissances ultérieures (selon les recherches les plus modernes, l’apprentissage est une construction, et non un copié-collé de connaissances).
Par ailleurs, ce n’est pas le volume horaire qu’on y consacre qui détermine le niveau de maîtrise d’une langue.
Actuellement, l’emploi du temps hebdomadaire des élèves des 1res années du primaire comporte entre 12 et 14 heures de langue arabe, sans compter les matières scientifiques (en France entre 8 et 10 heures de français). Et pourtant, les performances des élèves à l’examen de fin du cycle primaire sont d’une médiocrité criante. En réalité, le niveau requis peut être facilement atteint en pas plus de deux ans, avec un horaire standard (le surdosage aussi est souvent contre-productif).
Cependant, toute méthode a ses exigences. Enseigner dans la langue maternelle de l’enfant c’est bien, mais encore faudrait-il lui enseigner quelque chose d’adéquat, qui réponde à ses besoins, dans la perspective de former les cadres de demain. Car le risque est grand de se limiter aux idées terre à terre et aux conceptions erronées véhiculées par la langue parlée ; on ne doit pas oublier que le but est d’élargir les connaissances, de développer des compétences en se référant aux standards internationaux. Il s’agit bien de faire acquérir une culture moderne.
Par conséquent, une bonne formation des enseignants est incontournable. Il est impératif de veiller à ce que des enfants ne soient pas confiés à des gens à peine lettrés, sous prétexte qu’ils ont la même langue maternelle, comme cela a été fait juste après l’indépendance pour l’arabe (où des personnes ayant appris par cœur le Coran dans les zaouïas, sans aucune culture moderne, étaient chargées d’enseigner des programmes qu’elles ne connaissaient pas elles-mêmes) ; ou comme plus récemment pour tamazight, où des militants de cette langue, sans aucune formation académique en la matière, revendiquaient le statut d’enseignant.
En somme, l’utilisation de la langue maternelle en début de scolarité apporterait sans aucun doute plus d’efficacité pour l’enseignement/apprentissage, mais à condition que cela soit fait de manière réfléchie, par des enseignants formés en conséquence.
H.-M.