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Voir la version complète : Algerie :Professionnalisme : Quand les clubs tournent le dos aux jeunes



Lako
24/06/2016, 23h26
Jadis faisant la fierté de la majorité des formations, la promotion des jeunes ne fait désormais plus partie de la politique des clubs de football. Recruter est devenu le mot d’ordre de tous les présidents de club, sans exception aucune.

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Débourser plusieurs milliards pour un seul joueur n’est plus un tabou. Chacun veut recruter les meilleurs, même s’il y a de moins en moins de bons joueurs sur le marché et que ces derniers coûtent les yeux de la tête. L’option de lancer les jeunes du club est laissée de côté, bien que tous les présidents louent souvent leurs performances et évoquent sans cesse leur mérite d’évoluer au sein de l’équipe première.
Aujourd’hui, rares sont les jeunes qui parviennent à décrocher une place de titulaire parmi les seniors. Cela n’a pas toujours été ainsi, que ce soit dans les années 60’, 70’ ou 80’ où il y avait toujours de la place pour les jeunes éléments qui émergeaient. Rachid Debbah a réussi à se faire une place dans la grande formation de l’USM Alger à l’âge de 18 ans.
Il avait disputé son premier match au stade de Bologhine devant la formation de Tiaret. Pour son second match sous les couleurs des Rouge et Noir, il a même offert la victoire à son équipe en marquant le seul but au grand gardien du Chabab, Abrouk. La saison 1976/1977, le NA Hussein Dey parvient à s’imposer au stade du 5 Juillet devant le MC Alger, auteur du triplé la saison d’avant (coupe d’Afrique, championnat et coupe d’Algérie).
Dans les rangs nahdistes, Chaâbane Merzekane a joué tout le match alors qu’il était encore cadet. En 1987, Hakim Meddane avait permis à l’USM El Harrach de décrocher son second trophée de coupe d’Algérie en marquant le seul but face à la JSM Bordj Menaïel, alors qu’il avait tout juste de 21 ans. Son premier match avec les seniors, il l’avait disputé bien auparavant alors qu’il avait seulement seize ans, et c’était contre l’ASM Oran.
Avant
«C’est l’entraîneur Mokhtar Belabed, Allah Yarrahmou, qui m’a lancé en équipe senior alors que j’avais 16 ans lors d’un certain match face à l’ASMO. Le regretté coach assistait à tous les entraînements des cadets. C’est dire que les gens de l’époque croyaient en la formation», précise Hakim Meddane. Ce sont là les quelques exemples de joueurs ayant réussi à s’imposer en équipe senior. «A notre époque, un jeune espérait toujours jouer en équipe première parce qu’il a été bien formé. Si on lui donnait une chance de jouer un match, il était capable de s’installer définitivement à son poste. Mais à l’époque, il y avait une véritable formation.
Au NAHD, en minimes déjà, on partait en France en vacances prendre part à des tournois un peu partout. Il y avait une réelle prise en charge à l’époque. Avant, même les plus pauvres pouvaient espérer jouer dans un club de football grâce à leurs qualités. Ce n’est plus le cas maintenant, l’enfant doit à présent payer jusqu’au 15 000 DA pour pouvoir intégrer une école de football», précise Chaâbane Merzekane.
L’ancien Usmiste Rachid Debbah abonde dans le même sens et de préciser : «Avant, les joueurs étaient pratiquement tous formés dans les terrains vagues. Les jeunes de l’époque travaillaient également très dur à l’entraînement. Je me rappelle encore les courses dans les gradins avec le médecine-ball. On avait aussi des éducateurs qui forçaient le respect. Quand ils nous parlaient, on avait toujours la tête baissée et les mains derrière le dos.» Hakim Meddane ajoute qu’en ce temps-là les choses étaient différentes : «C’était l’époque des sociétés nationales.
Les années de la réforme où l’équipe première n’avait pas le droit d’avoir plus de seize joueurs seniors et juste après il y avait les juniors. Quand un joueur senior était malade ou blessé, l’entraîneur des seniors puisait directement dans la catégorie des juniors. Les entraîneurs croyaient vraiment en la formation et aussi en la qualité de leurs joueurs.» L’entraîneur Hocine Zekri ajoute qu’avant les responsables de club avaient aussi les mêmes égards, que ce soit pour les seniors ou les plus jeunes.
Changement de cap
Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui on voit de moins en moins de jeunes éléments que l’on peut intégrer dans l’équipe première ? Les responsables semblent aujourd’hui changer de cap. Ils veulent tous des joueurs confirmés sans prendre la peine de former ceux qui sont sous leur coupe.
Hocine Zekri dira à ce propos : «Aujourd’hui, le produit n’est plus de bonne qualité, car la plupart des gestionnaires de club n’en font plus un choix, soit parce qu’ils ignorent l’importance de la formation pour la pérennisation du club, ou bien ils n’ont pas les moyens de le faire et qu’ils ne veulent tout simplement pas le faire. Quand aucun club ne fait l’effort d’améliorer ses infrastructures, ne prend pas en charge convenablement ses jeunes, qu’il n’engage pas de bons techniciens pour les jeunes catégories et que ces mêmes entraîneurs ne sont même pas payés, on ne pourra jamais avoir une formation de qualité.
La responsabilité des clubs, mais aussi celle des responsables du football algérien sont engagées, car on ne peut pas laisser un club faire ce qu’il veut. Celui-ci a également des obligations quand il s’agit de la représentativité du football du pays dans les catégories des jeunes avec les U17, U19, U20, U23.» Hakim Meddane relève aussi que l’entraîneur d’aujourd’hui est face à sacré défi : «Avec 25 joueurs seniors, 20 espoirs et aussi peut-être 20 joueurs juniors, c’est très difficile pour qu’un jeune puisse se faire une place afin de pouvoir jouer avec l’équipe première.
Déjà que l’entraîneur trouve toutes les peines du monde pour choisir ses 18 éléments, puis son onze. Même nous dans ces mêmes conditions on aurait peut-être pas pu jouer.» Beaucoup de choses ont changé dans le football algérien. Tous les supporters des clubs exigent chaque année le recrutement des meilleurs joueurs afin qu’ils puissent voir leur club favori jouer les premiers rôles, et pour cela ils n’hésitent pas à monter au créneau.
La rue
«Les dirigeants ont perdu leur autorité. Ils ne sont plus libres de faire ce qu’ils veulent. Ils n’ont plus aucun projet, aucune politique. Ils fonctionnent au jour le jour et de match en match. Aucun des dirigeants de clubs, bien que j’aie du respect pour des formations comme le Paradou AC, l’ASM Oran et un peu l’ES Sétif pour le travail qu’ils effectuent, ne croit en la formation. Un jeune a besoin de confiance pour s’affirmer. Son intégration doit se faire doucement.
Les responsables des clubs ont aujourd’hui peur des supporters et ne veulent pas entendre parler de défaite. Du coup, ils ne permettent même plus à l’entraîneur de faire jouer un jeune quand ils engagent des éléments à coups de centaines de millions. Ils n’accepteront jamais que leur entraîneur fasse jouer des jeunes alors qu’ils payent des joueurs ramenés d’autres clubs pour rien», explique le coach Zekri.
Le même constat est mis en exergue par Hakim Meddane : «Beaucoup de choses ont changé. On a vraiment évolué dans le mauvais sens. Si on avait continué dans la même politique envers les jeunes, on aurait pu avoir une bien meilleure image du football que celle d’aujourd’hui. Malheureusement, il y a un phénomène qui n’existait pas à notre époque et qui a fait son apparition, c’est la rue. Maintenant, un joueur qui a deux ou trois amis dans son quartier va faire du grabuge pour être pris ou qu’il joue», regrette-t-il. Si tout le monde s’accorde à dire que l’argent de l’Etat coule à flots dans le football algérien, beaucoup estiment qu’il est mal utilisé.
Avenir
«Dans le financement du professionnalisme, il faut savoir qu’il y a une part qui devrait être octroyée à la formation ; malheureusement, seule l’équipe première est avantagée Moi, je pense non seulement que l’Etat doit continuer à donner de l’argent, mais doit aussi fournir aux clubs des gestionnaires pour gérer cet argent-là afin qu’il puisse être dépensé de la meilleure des manières, avec une part pour la formation, pour le transport ainsi que l’hébergement», préconise Hakim Meddane. De son côté, Chaâbane Merzekane reconnaît qu’avant, il n’y avait pas autant d’argent, mais il y avait de la stabilité.
Les joueurs de l’époque se contentaient d’un salaire et des primes de matches. «A notre époque, on ne pouvait pas changer de club. La réglementation ne le permettait pas. Cela offrait par contre la possibilité aux joueurs de s’adapter et progresser. On voyait souvent des joueurs évoluer de la catégorie minime jusqu’à la catégorie senior dans le même club. Moi, j’ai joué dix ans en seniors après être passé par toutes les catégories du club.
C’est même plus facile pour l’entraîneur qui travaille sur le long terme et aussi dans la continuité. Par contre, quand on ramène douze joueurs, ces derniers ont besoin de temps d’adaptation. Regardez par combien de clubs passent nos meilleurs joueurs pour gagner plus d’argent. C’est ce qui explique aussi que le championnat ne progresse pas. Pire, il régresse d’année en année», conclut l’ex-international algérien.
Source El Watan