zadhand
01/04/2016, 17h25
A la une/Médias_Télévision par Satellite en Algérie ( La parabole face à l'ENTV )
le 31.03.16 | 10h00
La sociologue Ratiba Hadj Moussa analyse quelques enjeux liés à la télévision
Petite histoire de l’arrivée de la parabole en Algérie
Au départ, par opposition aux télévisions nationales, ce sont d’abord les télévisions françaises
qui ont envahi le champ de la réception télévisuelle par satellite au Maghreb.
22688
Ensuite, dans une deuxième phase, vers le milieu des années 1990, entrent en scène
les chaînes d’expression arabe, en majorité moyen-orientales. Enfin, l’avènement du
numérique permet un accès plus facile, plus diversifié conjugué au développement
à l’intérieur de ces pays de chaines privées censées proposer d’autres contenus que
ceux des chaînes publiques.Ratiba Hadj Moussa souligne dès le départ la différence
de traitement (contrôle) de ce phénomène par les pouvoirs des trois pays pris en
considération dans son étude, qui s’est traduit par le «refus de payer les taxes au Maroc
et le rejet des paraboles collectives en Tunisie».
En Algérie, indique-t-elle, ce sont les islamistes qui ont essayé d’interdire la parabole.
Elle signale que le nouveau phénomène a d’abord connu une effervescence particulière
en Algérie avant de se propager aux deux pays voisins.
Cependant, si le pouvoir algérien ne s’est pas manifesté c’est que les première paraboles
importées l’ont été, au tout début, par certains cadres de l’Etat eux-mêmes, alors que
le marché extérieur n’était pas encore ouvert. Et les islamistes, même les plus modérés,
qui se sont manifestés plus tard, lorsque le phénomène a pris une ampleur populaire,
ont voulu interdire la parabole pour des raisons liées exclusivement à une certaine tradition
qui voit d’un mauvais œil la modernité occidentale et une «morale» bien établie qui interdit
les images érotiques et, pire encore, pornographiques diffusées par les chaines privées françaises,
dont «Canal blis !».Cette intrusion de la parabole dans l’espace familial s’est effectuée à un moment
où le «parc» TV n’était pas aussi important qu’aujourd’hui avec, dans la majorité des cas,
un seul poste pour toute la famille. Cette morale publique est bien illustrée par l’humoriste Fellag
dans la période charnière de la fin des années 1980-début des années 1990 dans son sketch sur
la censure.Le travail de Ratiba Hadj Moussa n’omet pas les aspects démographiques et économiques liés
à la configuration et l’évolution des familles. En tant que sociologue son analyse de la réception tient
compte de l’interaction entre la sphère publique et privé ou comment la télévision interagit avec l’espace
public qui, pour elle, ne se limite pas aux aspects spatiaux (les cafés, les quartiers, el houma),
importants mais pas suffisants pour définir la frontière entre les deux.
Son idée est que de manière générale, les chaînes satellitaires contribuent au débat public en modifiant
les rapports entre les sphères. Une manière de dire que «la télévision n’est pas uniquement de l’ordre
du privé car elle permet des débats publics autour des contenus et permet le développement d'espaces
critiques et de résistance».Elle pense par ailleurs que la population maghrébine ne considère pas les
télés arabes comme étrangères car elles sont acceptées dans la sphère familiale élargie, contrairement
à certains programmes des chaînes occidentales tolérés (elle revient à l’érotisme) mais uniquement dans
l’intimité du couple, donc de la «chambre» lorsque la famille élargie partage un même espace.
Une exception à la règle, mais d'où les filles sont en général exclues. «Comme si l’espace sacralisé de
la famille était suspendu», indique-t-elle.En réalité, ce n’est pas tant le fait d’être considérées comme
étrangères ou pas mais c’est le fait que, avec l’accessibilité de la langue, les chaines moyen-orientales
respectent les normes de cette morale publique des pays auxquels elles s’adressent.
Ce n’est pas le cas des chaînes françaises relativement accessibles linguistiquement dans cet espace
géographique, mais qui ne se soucient pas de cette morale-là. «La possibilité de choix existe toujours,
même si cela reste cantonné dans le domaine de l’intime», constate-t-elle à propos de la modernité occidentale.
Dans tous les cas de figure, la télévision exerce un pouvoir d’attraction pour tous et son étude lui permet
de dire que «d’un outil de divertissement, la télévision se mue en méthode de débat et enclenche des
processus de production de la critique face aux pouvoirs politiques» Ratiba Hadj Moussa touche du doigt,
sans développer assez, un problème extrêmement complexe concernant les premières chaines satellitaires
reçues, comme Al Jazeera et juste après El Arabia, qui sont apparues comme des «média-fiction» car se
plaçant au dessus du lot, comme si elles revendiquaient une identité qui n’est rattachée à aucun espace
géographique.Pas de frontière, pas d’Etat-nation contrairement au reste du monde où être allemand, chinois,
japonais ou canadien, américain, australien et néozélandais a un sens, même si on partage la même langue.
Et c’est ce qui très vite a abouti à la méfiance des gouvernements de la région à l’égard d’un média que
les téléspectateurs situaient dans un espace virtuel — Al Jazeera veut dire «île».
Derrière le mimétisme du débat contradictoire, pour faire comme les chaînes américaines, se cache un
soubassement idéologique. Ratiba Hadj Moussa évoque dans son intervention les remarques que lui ont faites
ses amis sur la promotion du capitalisme que véhiculent ces chaînes. Au delà du capitalisme, c’est surtout
du mensonge et de la manipulation de l’opinion dont il s’agit dans des pays qui ne disposent même pas
de mécanismes d’autocritique des professionnels des médias, contrairement aux pays occidentaux.
Le film documentaire américain Zeitgeist : Addendum réalisé par Peter Joseph en 2008 (en téléchargement
libre sur internet) inspiré de la vision futuriste de Venus Project démontre comment les gros médias américains
manipulent l’opinion (les mêmes experts qui reviennent souvent sur les plateaux) pour des intérêts bien précis.
Que dire alors des petites sœurs supranationales des pays du Golfe ? Le groupe MBC fait la promotion presque
exclusive du cinéma commercial américain.
Tardivement, les pays du Maghreb se sont également dotés de chaînes satellitaires privées qui ont réellement
suppléé les grandes audiences de ces télés moyen-orientales. L’intérêt réside dans le fait que ces médias, par
leur enracinement national, confrontent directement les soucis de la vie quotidienne des citoyens avec
les politiques et les décideurs même si là aussi le problème est complexe.
De manière générale, pour l’Algérie et la Tunisie, c’est le modèle égyptien qui est importé avec des chaînes
appartenant à des proches des dirigeants, quand ils ne sont tout simplement pas de la famille. Ratiba Hadj Moussa
donne l’exemple de la chaîne Hannibal qui a eu un grand succès auprès des téléspectateurs tunisiens en proposant
des contenus inédits.Ce type de chaînes donne l’impression d’une vie démocratique en accordant largement
la parole aux citoyens, mais quand il s’agit d’alternance au pouvoir les tons changent. Une relative ouverture,
mais qui n’a pas empêché les bouleversements de Tunisie ni d’Egypte, ce que la sociologue veut démontrer
en imputant en partie ce qu’on appelle les «révolutions arabes» à cette ouverture au débat et à la remise
en question des discours officiels.
Ratiba Hadj Moussa décortique également — puisqu’une partie de son travail est assimilable à une enquête
journalistique — les stratégies des islamistes dans le débat religieux et le rôle joué par ces chaines d’expression
arabe. Elle explique comment, sous Ben Ali, l’opposition islamiste développait des stratégies pour suivre
les contenus religieux (tarawih durant le Ramadhan par exemple) que le pouvoir tunisien ne tolérait pas.
Pour ce cas précis, la différence entre la Tunisie et l’Algérie est criarde car les considérations d’ordre économique
ne sont pas les mêmes. En Tunisie, avec le tourisme international, le régime n’avait pas intérêt à ce que cette
mouvance islamiste soit trop visible pour ne pas «effrayer» les étrangers, sources de revenus.
En Algérie, les islamistes jouissaient au départ d’une tolérance dans un pays qui n’a que faire de la manne touristique
et où traditionnellement le pouvoir se méfie plutôt des étrangers. La rupture ne s’est effectuée que lorsque
les islamistes se sont constitués en force politique pour, selon l’expression de la sociologue Leïla Boutaleb qui est
récemment intervenue au Crasc, «revendiquer le pouvoir».
«La télévision par satellite au Maghreb et ses publics» est l’intitulé de l’intervention de Ratiba Hadj Moussa
au CEMA d'Oran, une communication centrée sur l’ouvrage éponyme que
cette sociologue de l’université de York (Canada) vient de publier.
Djamel Benachour
le 31.03.16 | 10h00
La sociologue Ratiba Hadj Moussa analyse quelques enjeux liés à la télévision
Petite histoire de l’arrivée de la parabole en Algérie
Au départ, par opposition aux télévisions nationales, ce sont d’abord les télévisions françaises
qui ont envahi le champ de la réception télévisuelle par satellite au Maghreb.
22688
Ensuite, dans une deuxième phase, vers le milieu des années 1990, entrent en scène
les chaînes d’expression arabe, en majorité moyen-orientales. Enfin, l’avènement du
numérique permet un accès plus facile, plus diversifié conjugué au développement
à l’intérieur de ces pays de chaines privées censées proposer d’autres contenus que
ceux des chaînes publiques.Ratiba Hadj Moussa souligne dès le départ la différence
de traitement (contrôle) de ce phénomène par les pouvoirs des trois pays pris en
considération dans son étude, qui s’est traduit par le «refus de payer les taxes au Maroc
et le rejet des paraboles collectives en Tunisie».
En Algérie, indique-t-elle, ce sont les islamistes qui ont essayé d’interdire la parabole.
Elle signale que le nouveau phénomène a d’abord connu une effervescence particulière
en Algérie avant de se propager aux deux pays voisins.
Cependant, si le pouvoir algérien ne s’est pas manifesté c’est que les première paraboles
importées l’ont été, au tout début, par certains cadres de l’Etat eux-mêmes, alors que
le marché extérieur n’était pas encore ouvert. Et les islamistes, même les plus modérés,
qui se sont manifestés plus tard, lorsque le phénomène a pris une ampleur populaire,
ont voulu interdire la parabole pour des raisons liées exclusivement à une certaine tradition
qui voit d’un mauvais œil la modernité occidentale et une «morale» bien établie qui interdit
les images érotiques et, pire encore, pornographiques diffusées par les chaines privées françaises,
dont «Canal blis !».Cette intrusion de la parabole dans l’espace familial s’est effectuée à un moment
où le «parc» TV n’était pas aussi important qu’aujourd’hui avec, dans la majorité des cas,
un seul poste pour toute la famille. Cette morale publique est bien illustrée par l’humoriste Fellag
dans la période charnière de la fin des années 1980-début des années 1990 dans son sketch sur
la censure.Le travail de Ratiba Hadj Moussa n’omet pas les aspects démographiques et économiques liés
à la configuration et l’évolution des familles. En tant que sociologue son analyse de la réception tient
compte de l’interaction entre la sphère publique et privé ou comment la télévision interagit avec l’espace
public qui, pour elle, ne se limite pas aux aspects spatiaux (les cafés, les quartiers, el houma),
importants mais pas suffisants pour définir la frontière entre les deux.
Son idée est que de manière générale, les chaînes satellitaires contribuent au débat public en modifiant
les rapports entre les sphères. Une manière de dire que «la télévision n’est pas uniquement de l’ordre
du privé car elle permet des débats publics autour des contenus et permet le développement d'espaces
critiques et de résistance».Elle pense par ailleurs que la population maghrébine ne considère pas les
télés arabes comme étrangères car elles sont acceptées dans la sphère familiale élargie, contrairement
à certains programmes des chaînes occidentales tolérés (elle revient à l’érotisme) mais uniquement dans
l’intimité du couple, donc de la «chambre» lorsque la famille élargie partage un même espace.
Une exception à la règle, mais d'où les filles sont en général exclues. «Comme si l’espace sacralisé de
la famille était suspendu», indique-t-elle.En réalité, ce n’est pas tant le fait d’être considérées comme
étrangères ou pas mais c’est le fait que, avec l’accessibilité de la langue, les chaines moyen-orientales
respectent les normes de cette morale publique des pays auxquels elles s’adressent.
Ce n’est pas le cas des chaînes françaises relativement accessibles linguistiquement dans cet espace
géographique, mais qui ne se soucient pas de cette morale-là. «La possibilité de choix existe toujours,
même si cela reste cantonné dans le domaine de l’intime», constate-t-elle à propos de la modernité occidentale.
Dans tous les cas de figure, la télévision exerce un pouvoir d’attraction pour tous et son étude lui permet
de dire que «d’un outil de divertissement, la télévision se mue en méthode de débat et enclenche des
processus de production de la critique face aux pouvoirs politiques» Ratiba Hadj Moussa touche du doigt,
sans développer assez, un problème extrêmement complexe concernant les premières chaines satellitaires
reçues, comme Al Jazeera et juste après El Arabia, qui sont apparues comme des «média-fiction» car se
plaçant au dessus du lot, comme si elles revendiquaient une identité qui n’est rattachée à aucun espace
géographique.Pas de frontière, pas d’Etat-nation contrairement au reste du monde où être allemand, chinois,
japonais ou canadien, américain, australien et néozélandais a un sens, même si on partage la même langue.
Et c’est ce qui très vite a abouti à la méfiance des gouvernements de la région à l’égard d’un média que
les téléspectateurs situaient dans un espace virtuel — Al Jazeera veut dire «île».
Derrière le mimétisme du débat contradictoire, pour faire comme les chaînes américaines, se cache un
soubassement idéologique. Ratiba Hadj Moussa évoque dans son intervention les remarques que lui ont faites
ses amis sur la promotion du capitalisme que véhiculent ces chaînes. Au delà du capitalisme, c’est surtout
du mensonge et de la manipulation de l’opinion dont il s’agit dans des pays qui ne disposent même pas
de mécanismes d’autocritique des professionnels des médias, contrairement aux pays occidentaux.
Le film documentaire américain Zeitgeist : Addendum réalisé par Peter Joseph en 2008 (en téléchargement
libre sur internet) inspiré de la vision futuriste de Venus Project démontre comment les gros médias américains
manipulent l’opinion (les mêmes experts qui reviennent souvent sur les plateaux) pour des intérêts bien précis.
Que dire alors des petites sœurs supranationales des pays du Golfe ? Le groupe MBC fait la promotion presque
exclusive du cinéma commercial américain.
Tardivement, les pays du Maghreb se sont également dotés de chaînes satellitaires privées qui ont réellement
suppléé les grandes audiences de ces télés moyen-orientales. L’intérêt réside dans le fait que ces médias, par
leur enracinement national, confrontent directement les soucis de la vie quotidienne des citoyens avec
les politiques et les décideurs même si là aussi le problème est complexe.
De manière générale, pour l’Algérie et la Tunisie, c’est le modèle égyptien qui est importé avec des chaînes
appartenant à des proches des dirigeants, quand ils ne sont tout simplement pas de la famille. Ratiba Hadj Moussa
donne l’exemple de la chaîne Hannibal qui a eu un grand succès auprès des téléspectateurs tunisiens en proposant
des contenus inédits.Ce type de chaînes donne l’impression d’une vie démocratique en accordant largement
la parole aux citoyens, mais quand il s’agit d’alternance au pouvoir les tons changent. Une relative ouverture,
mais qui n’a pas empêché les bouleversements de Tunisie ni d’Egypte, ce que la sociologue veut démontrer
en imputant en partie ce qu’on appelle les «révolutions arabes» à cette ouverture au débat et à la remise
en question des discours officiels.
Ratiba Hadj Moussa décortique également — puisqu’une partie de son travail est assimilable à une enquête
journalistique — les stratégies des islamistes dans le débat religieux et le rôle joué par ces chaines d’expression
arabe. Elle explique comment, sous Ben Ali, l’opposition islamiste développait des stratégies pour suivre
les contenus religieux (tarawih durant le Ramadhan par exemple) que le pouvoir tunisien ne tolérait pas.
Pour ce cas précis, la différence entre la Tunisie et l’Algérie est criarde car les considérations d’ordre économique
ne sont pas les mêmes. En Tunisie, avec le tourisme international, le régime n’avait pas intérêt à ce que cette
mouvance islamiste soit trop visible pour ne pas «effrayer» les étrangers, sources de revenus.
En Algérie, les islamistes jouissaient au départ d’une tolérance dans un pays qui n’a que faire de la manne touristique
et où traditionnellement le pouvoir se méfie plutôt des étrangers. La rupture ne s’est effectuée que lorsque
les islamistes se sont constitués en force politique pour, selon l’expression de la sociologue Leïla Boutaleb qui est
récemment intervenue au Crasc, «revendiquer le pouvoir».
«La télévision par satellite au Maghreb et ses publics» est l’intitulé de l’intervention de Ratiba Hadj Moussa
au CEMA d'Oran, une communication centrée sur l’ouvrage éponyme que
cette sociologue de l’université de York (Canada) vient de publier.
Djamel Benachour