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zadhand
13/01/2015, 19h37
Contribution : 13 Janvier 2015

Aâm aâm celui qui nous avait taxé de ghachis...


Au marché de la vie humaine

Par Nour-Eddine Boukrouh
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Grâce soit rendue aux chaînes de télévision satellitaires qui nous permettent de suivre en direct et en temps réel les grands évènements de notre temps au lieu d’en entendre parler, après qu’ils eurent perdu leur charge émotionnelle, symbolique et esthétique, par la tradition orale, les magazines ou les livres d’histoire. Ce qu’il nous a été donné de voir dimanche en France était inédit, beau, grand, inspirateur, instructif, poignant jusqu’à la pâmoison. C’était plus colossal que tout autre évènement connu par ce pays depuis la Libération : une nation multiraciale et multiconfessionnelle en fusion entourée de la sollicitude de 144 pays, la planète contractée en un Hexagone, l’humanité ramenée aux dimensions d’un peuple résolu à protéger ses valeurs citoyennes, démocratiques et républicaines contre l’extrémisme à n’importe quel prix, du plus bas au plus élevé. Seul le Front National a été écarté de ce nouveau contrat social français.
C’était aussi un miroir qui nous renvoyait l’image de ce que nous ne sommes pas, nous Algériens, de ce que nous ne sommes pas près de devenir à en juger d’après notre réalité, d’après la direction dans laquelle nous mènent notre esprit de douar, nos idées mortes, nos élites stériles et notre Etat errant, d’après la courbe torturée de notre histoire. Ce que nous avons vu était cruellement frustrant, douloureux même, car toujours nous avons été les spectateurs de la grandeur des autres, jamais les concepteurs et les acteurs de la nôtre. Ce spectacle-là, nous ne le connaîtrons pas de sitôt car rien en nous dans la situation actuelle, rien dans nos cerveaux et notre manière de penser, rien dans notre culture et nos habitudes de vie, rien dans nos relations entre nous et dans nos comportements quotidiens ne nous y prédispose, ne nous y prépare.
A moins que, à moins de… Mais en attendant, nous sommes bel et bien une communauté mal rassemblée, incertaine de son vouloir vivre-ensemble, collée avec de la salive, mal fagotée, partagée entre trois langues charriant des mentalités inconciliables, politiquement atomisée, dont une partie pousse fanatiquement vers l’arrière quand l’autre n’a plus assez de souffle pour pousser vers l’avant, dont la majorité des membres est faite de resquilleurs dans l’âme, de rentiers impénitents du sous-sol (hydrocarbures) et du ciel (religion).
Nous nous tenons le ventre de peur lors des brefs moments de lucidité que provoquent en nous des évènements du format de ceux dont il est question. Dans ces instants-là, notre esprit s’entrebâille pour saisir furtivement quelque chose de notre réalité insignifiante dans le concert des nations qui avancent tandis que nous reculons à grandes enjambées. Notre seul espoir alors, notre plus haute prière alors est que nous ne tombions pas plus bas que nous sommes, que nous ne connaissions pas le jour où notre pays serait dépecé, que nous ne sombrerions pas à moyen ou long terme dans une guerre civile aux plus grandes proportions que celle qui s’est inexplicablement installée à Ghardaïa ou celle à laquelle travaillent des agitateurs en Kabylie.
Nous ne savons être, nous n’avons jamais été dans la longue histoire de l’espèce humaine que des coupables ou des victimes. Notre part dans le spectacle grandiose donné avant-hier par la France, car nous en avons une, est précisément celle de deux coupables animés par des idées mortelles et de deux victimes collatérales ; deux Franco-Algériens parmi les terroristes abattant deux Franco-Algériens s’étant trouvés par hasard sur le théâtre des opérations. On meurt ici ou ailleurs par hasard, on est en vie par hasard, on trouve du gaz de schiste par hasard, on est gouvernés au petit bonheur la chance… Comment ne pas être condamné à la dispersion, à la dislocation, à la séparation, à la disparition ?
Il y avait aussi à Paris ce représentant d’un gouvernement qui n’a jamais témoigné sa compassion aux familles des deux cents mille victimes du terrorisme issu du génie de nos «da’iyas», ni aux victimes des affrontements incessants de Ghardaïa, autrement qu’en indemnisant les «ayants droit» des uns et des autres avec l’argent du pétrole, un argent trouvé par terre, par hasard, non gagné à la sueur du front d’un Etat absent et tenant par on ne sait quel hasard.
A qui, à quoi doivent les Français l’apothéose humaniste, la sublimation de la valeur de la vie humaine, le triomphe des valeurs citoyennes, démocratiques et républicaines qu’ils ont offert à la planète eux qui, il y a trois ans, ont failli faire pareil lorsque leur gouvernement avait envisagé d’exploiter les gisements de gaz de schiste découverts pour remettre à flots les comptes de la nation ?
A une trouvaille de génie de François Hollande au plus bas des sondages pour opérer une remontée ? A quelque action extraordinaire du gouvernement pour élever le rang de la France dans la hiérarchie des puissances mondiales ? A un coup médiatique sans égal ? Ces succès, le gouvernement français les a bel et bien engrangés mais sans l’avoir voulu, sans coup férir, par la grâce de l’effet papillon. C’était tout simplement la conséquence lointaine de la conversion en prison à l’islamisme bête et méchant de deux «Beurs» d’origine algérienne.
Ces frères qui pensaient de bonne foi venger le Prophète, puisqu’ils ont donné leur vie pour cela, savaient-ils quelles souffrances physiques et morales, combien de brimades et d’agressions le Prophète (QSSSL) a endurées de la part de ses frères arabo-païens de La Mecque et de Taïf ou lors des multiples guerres qu’ils lui ont livrées sans qu’il se vengeât d’aucun d’entre eux à l’heure du triomphe ? Il leur aurait sans doute préféré les caricatures outrancières d’un journal sans lectorat pour améliorer ses ventes sous couvert de liberté d’expression. Se doutaient-ils que le monde entier viendrait se recueillir à la mémoire de ceux qu’ils ont assassinés de sang froid ? Qu’une nouvelle ère nuisible aux intérêts de leurs coreligionnaires va bientôt s’ouvrir par suite de leur acte ? Qu’ils ont éloigné comme rarement auparavant l’humanité de l’islam ?
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, réagissant à l’attentat qui a fait quatre victimes juives dans un centre commercial casher, a voulu rappeler aux 700.000 juifs de France que leur foyer naturel était en Israël, entraînant immédiatement une riposte de la part de son homologue français en ces termes : «La France sans les juifs n’est plus la France!» Quel chef d’Etat d’un pays musulman comptant en France une populeuse communauté s’engagerait dans une telle offre? Et s’il s’en était trouvé, quelle réponse aurait-il reçue ? La France n’aurait-elle pas été tout heureuse de lui répondre ou de penser in petto : «Bon débarras !» ?
Pourquoi ? Parce que les hommes n’ont pas la même valeur sur le marché de la valeur humaine. La cotation de chacun diffère en fonction de son comportement et de son rendement dans l’Histoire, de son utilité à la société, à l’humanité, à la science, au progrès technologique ; en fonction des valeurs auxquelles il croit et des incidences de ces croyances sur les autres, sur le genre humain et la civilisation.
Il y a un marché de la vie humaine comme il y a un marché de l’or, du pétrole, de la monnaie et des titres financiers. Certaines vies humaines valent de l’or et se paient au prix fort, tandis que d’autres ne valent même pas aux yeux de ceux qui les prennent le prix de la lame qui les décapite ou de la balle qui les abat. Ceux-là sont le plus souvent des humanoïdes se réclamant, pour notre malheur, de l’islam. Il y a des vies qui s’achètent moyennant devises fortes (Européens rançonnés par les terroristes) et d’autres qui ne rapportent rien (Arabes et Musulmans accidentellement pris en otage). Sachant la nullité de la valeur de leur vie aux yeux de leurs dirigeants, les preneurs d’otages ne les monnayent même pas.
La rareté faisant la valeur, la vie la plus chère sur le marché de la vie humaine est incontestablement celle du Juif. Il y a moins de Juifs sur la planète que d’Algériens. C’est la civilisation la moins pléthorique de l’Histoire mais elle est aussi celle qui a fait le plus d’apports à la science, qui détient la part la plus importante du capital financier mondial, qui possède le plus de supports médiatiques en tous genres, qui exerce le plus d’influence sur la marche du monde… Ils n’ont pas usurpé le titre de «peuple élu», ils l’ont imposé.
L’Ancien Testament nous renseigne avec force chiffres sur les périodes baissières et haussières de la vie juive dans l’Antiquité : elle ne valait rien sous les dynasties égyptiennes d’avant l’Exode, mais s’élevait à un multiple de fois celle des autres à l’époque de Josué, David, Esther et d’autres. L’Histoire relèvera les mêmes fluctuations erratiques par la suite : baisse durable au Moyen-âge chrétien jusqu’à la Révolution française, hauts et bas du fait des fréquents pogroms en Europe jusqu’à la Première Guerre mondiale, effondrement effroyable sous le nazisme, et enfin hausse à des niveaux jamais atteints depuis la création de l’Etat d’Israël. Une vie juive se payait aux dernières séances de cotations contre cent vies palestiniennes et parfois plus. Le sergent Gilad Shalit a été libéré par Hamas en contrepartie de la libération de plus d’un millier de prisonniers palestiniens.
Puis vient dans l’ordre décroissant de la cotation boursière de la valeur de la vie humaine celle de l’homme occidental (Europe, Amérique du Nord, Australie, Nouvelle-Zélande). Il n’est pas nécessaire de remonter aux deux guerres mondiales pour prendre la mesure de la capacité de l’Occident à se solidariser des siens quand il le faut au prix de centaines de milliers de vies humaines sacrifiées et de centaines de milliards de dollars dépensés. Souvenez-vous du D Day. Les conséquences du 11 septembre 2001 sont connues et continuent de défrayer la chronique, tandis que celles des 17 victimes françaises se révéleront bientôt. On parle déjà d’un «Patriot Act» français et d’une conférence internationale devant se tenir le 17 février prochain à Washington sous la présidence de Barack Obama pour coordonner «la lutte contre l’extrémisme» au cours de laquelle sera probablement arrêtée une stratégie allant dans le sens de ce que je redoutais dans «Le réveil des vieux démons» (LSA du 11 janvier) : qu’on aille chercher dans les rangs touffus de l’islam tout ce qui peut être considéré comme favorisant l’extrémisme, l’Islamisme radical et son pendant terroriste.
Le vieux démon qui va se réveiller dans l’antre américain sera en l’occurrence infiniment plus redoutable que celui, artisanal et atomistique, de l’aventurisme islamiste. En tout cas, la facture finale sera présentée aux musulmans qui, de leur côté, peuvent s’estimer non concernés, innocents ou même victimes, ce en quoi ils ont tort. Ils sont responsables jusqu’au cou, du moins leurs Etats, ils sont complices par leur acquiescement au discours islamiste et sa propagation inconsciente, par leur complaisance envers l’idéologie islamiste qui fournit en motivations la minorité infinitésimale qui passe à l’action.
La valeur de la vie arabo-musulmane, elle, est passée d’un faible niveau au début de la Révélation à un niveau appréciable sous le Prophète, Abou Bakr, Omar et jusqu’à Uthman ; elle a chuté pendant les guerres du Chameau et de Siffin, connut une certaine stabilité durant les règnes omeyyade, abbasside, andalou et ottoman, puis ne valut plus rien pendant les siècles de la décadence jusqu’à la découverte du pétrole au XXe siècle où elle fit un moment illusion. Avec la mondialisation de l’islamisme, elle s’est de nouveau dépréciée allant en se dégradant jusqu’à ce que la vie arabo-musulmane ne valle plus rien puisqu’il ne passe pas un jour sans qu’il ne meure au moins deux cents personnes en moyenne entre l’Afghanistan, le Pakistan, la Syrie, l’Irak, le Yémen et la Libye, sans oublier bien sûr notre quota d’attentats contre les forces de l’ordre. Si on veut encore un exemple, je peux rappeler que les pertes humaines du colonialisme français en Afrique du Nord entre 1950 et 1962 ont été de 36.000 contre 1.500.000 pour notre seul pays.
La valeur de la vie humaine ne se mesure pas pour les Algériens à l’aune des valeurs terrestres mais célestes; elle ne s’estime pas au degré d’attachement aux valeurs citoyennes, démocratiques et républicaines, à l’intérêt collectif et au bien général, mais à la température extérieure de la foi individuelle; elle est évaluée en signes ostentatoires de religiosité, de «takwa» et de crainte feinte de Dieu. Elle l’est aussi, de manière plus générale, en capacité de nuisance personnelle, en ruses avec l’Etat et son prochain, en volume de décibels, en affirmation «énergumentale», (excusez le barbarisme, mais on se comprend mieux avec) de la virilité. Elle ne se pèse pas en mérites, en rendement économique et social, en position dans les classements internationaux, mais en durée pour venir au monde (les neuf mois de la gestation), en égalitarisme forcené et en populisme nihiliste.
Nous n’avons pas vu apparaître dans les pays musulmans, en dehors de l’expérience toute fraîche de la Tunisie, de phénomènes de solidarité massive, d’engagement militant et de disponibilité à donner sa vie pour défendre la Constitution, le régime démocratique ou les libertés publiques. Ces notions n’ont aucune résonance dans le psychisme des musulmans qui parlent plus que les autres de fraternité, de sacralité de la vie, de liberté, de miséricorde, de tolérance, mais ces mots ne sont que des arguments de discussion car c’est le contraire qui a réellement cours dans leur réalité. Ils citent force versets à longueur de journée mais n’en appliquent pas un seul allant dans ce sens. Ils sont prompts par contre à émettre des fetwas de takfir (apostasie) et de meurtre.
Les musulmans de France, d’Europe et d’Amérique commencent, bon gré mal gré, à intégrer à leur système de valeurs à l’origine exclusivement religieux les valeurs modernes de pragmatisme, de droits et de devoirs civiques, de respect des normes sociales et des règles juridiques. Qu’est-ce qui, finalement, donne ou enlève sa valeur à la vie humaine : les idéaux humains de liberté, de droits de l’Homme et de démocratie ou les directives religieuses et totalitaires ?
La vérité est que les convictions religieuses et idéologiques ont causé d’Adam au calife de Daesh plus de morts que n’ont causés les intérêts matériels et l’instinct possessif de l’Homme. Tout au long de l’histoire de l’humanité (statistiques à l’appui au besoin) les hommes ont tué un plus grand nombre de leurs congénères pour des raisons religieuses ou idéologiques que pour l’accaparement de territoires ou de richesses. Et en y regardant de plus près, on s’aperçoit que les conflits schismatiques à l’intérieur d’une même religion (Réforme au sein du christianisme, sunnites contre chiites depuis la bataille de Siffin aux affrontements actuels en Syrie, au Yémen, au Pakistan, à Bahreïn, au Liban, etc, en passant par la guerre irano-irakienne) ont été plus meurtriers que les guerres entre religions différentes (croyants contre païens, judaïsme contre christianisme, islam contre judaïsme ou islam contre christianisme). On apprend aussi que les idéologies totalitaires ont tué plus de nationaux (sous Staline, Mao, Pol Pot au Cambodge, Mengistu en Ethiopie, Corée du Nord sous Kim Il Sung et sa dynastie) que d’ennemis extérieurs. Et, enfin, que les guerres idéologiques (nazisme, communisme, islamisme) ont fait plus de victimes que les guerres de religion, les conquêtes coloniales et les luttes de libération additionnées.
N. B.

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