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zadhand
20/03/2016, 16h23
A la une/Histoire Secrète de l'Algérie Indépendante
le 20.03.16 | 10h00


Chafika Meslem l’intrépide
Première femme diplomate de l’Algérie indépendante (1re partie)


Décédée en juillet 2000 à Zurich (Suisse), enterrée en France à Divonne-les-Bains,
Chafika Meslem fut la première femme diplomate de l’Algérie indépendante,
avec rang de ministre plénipotentiaire, bien qu’elle n’ait pas occupé
de poste d’ambassadrice (fort heureusement depuis les choses ont bien changé !).

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Elle assurera pourtant ses fonctions avec diligence et gravira tous les échelons de
la diplomatie algérienne jusqu’aux plus hautes responsabilités au sein de l’ONU.
Diplomate chevronnée, elle puisera son énergie dans son vécu de l’Algérie coloniale.
Brillante oratrice, elle va retenir l’attention des journalistes au procès dit
des «Progressistes» ou encore «Chrétiens libéraux», qui défraya la chronique de
l’année 1957. Elle en fut l’un des principaux inculpés aux côtés de ses amies
et amis français qui avaient franchi le Rubicon pour défendre la cause des Algériens
en se rangeant à leurs côtés.
L’Echo d’Alger, le journal qui leur était le plus hostile, l’affuble alors du titre
de «Public-Relation du FLN». Prémonition ! Mais Chafika avait des prédispositions,
forgées dans son enfance et son adolescence, à travers le bénévolat, le scoutisme,
l’action sociale au sein d’ONG comme le Service Civil International (SCI), ou encore
le Service des Centres Sociaux qui intervenait dans les bidonvilles d’Alger. Ces activités
vont lui permettre de nouer des amitiés indéfectibles. Sans compter sa fréquentation
des «cours subversifs» d’André Mandouze à la faculté d’Alger qui vont parfaire
sa formation politique, et de la mythique «Robertseau», foyer d’hébergement pour
les étudiants algériens, dirigé alors par le libéral Robert Malan, ami d’André Mandouze,
et d’où Amara Rachid, alors lui-même jeune étudiant, s’affairait à enrôler des étudiants
et étudiantes. Chafika n’était pas en reste. Suivons les traces de
ce parcours hors pair de femme engagée.
Une enfance et une jeunesse au temps colonial
Chafika Meslem est née en 1934 à Belcourt dans une famille de condition très modeste,
avec la volonté de s’en sortir coûte que coûte même si, en ces temps coloniaux, les possibilités
étaient moindres pour les Algériens. Les revenus du père, docker, ne suffisaient pas,
il revenait à la maman, Khedouja, couturière et brodeuse, femme à poigne aux goûts raffinés,
de pourvoir au reste. Echappant ainsi aux bidonvilles, la famille vivait dans le quartier
de Belcourt, dans un immeuble de la rue Villebois Mareuil (rue Fraoucène Boualem)
où vivaient aussi des Français de condition modeste.
Chafika et ses cinq frères et sœurs vont partager avec les enfants de leurs voisins, l’école,
les jeux mais aussi les loisirs : scoutisme, conservatoire municipal et colonie de vacances.
Ce qui participa à sa prise de conscience de la condition subalterne de sa société. Déjà,
du haut de ses 8 ans, au moment de la Seconde Guerre mondiale, elle affirma devant
son institutrice vichyste qui voulait la compter parmi ses camarades juifs, qu’elle n’était pas
une étrangère. «Je suis dans mon pays !» lui répondit-elle avec aplomb. Au collège,
puis au lycée Pasteur de l’Avenue Pasteur d’Alger-Centre, Chafika va suivre une scolarité
studieuse et riche en activités. En 1955, elle décroche avec brio son bac philo qui va
la mener à la faculté d’Alger pour préparer son brevet d’arabe.
Dans ses années de collégienne et de lycéenne, la jeune Chafika répondait présente à toutes
les activités que ses parents lui autorisaient à pratiquer, parfois en leur forçant la main.
Inscrite au mouvement scout féminin que présidait Rabia Lacheref, elle voyagea en Métropole,
ce que son père finit par approuver non sans difficulté. N’hésitant pas non plus à fréquenter
d’autres mouvements comme l’Association de jeunesse Algérienne pour l’action sociale
(AJAAS), présidée par Pierre Chaulet, qui organisait des rencontres en dehors d’Alger
et des campagnes de bénévolat dans les bidonvilles qui ceinturaient Alger et, en particulier,
ceux situés entre Hussein Dey et El Harrach, là où pas moins de 80 000 personnes vivaient
entassées dans des conditions inhumaines. Chafika n’hésita pas à se porter volontaire.
Rappelons que toutes les initiatives de bonne volonté pour porter une aide dans ces bidonvilles
ont été initiées par le Père Scotto qui ouvrit sa paroisse d’Hussein Dey à tous. Son successeur,
le père Moreau, avec son vicaire, l’Abbé Barthez, sous le regard bienveillant de Mgr Duval
qui acquiesçait malgré la pression des Ultras, apportèrent leur pierre de bonté à cet édifice.
Il encouragea Marie Renée Chené, assistante sociale venue de France, à s’installer
à Boubsila-Bérardi, en y installant son infirmerie. Les frères de Taizé et les sœurs
de Grandchamp firent de même à Oued Ouchaieh.
La famille Daclin dite des «beni daclinette», Georges et Juliette avec leur fille Ellen, s’installa
à Hussein Dey, ouvrant son appartement de la rue de Tripoli à tous. Chafika, vite adoptée,
va circuler entre ces lieux où elle va rencontrer des assistantes sociales, des bénévoles
étudiants algériens et français. Des amitiés vont alors naître, avec Nelly Forget,
Sœur Renée (voir article El Watan du 14 février 2015), Denise Walbert, Louisette
et sa fille Claudine Hélie, Thérèse Palomba, etc., ainsi qu’avec des étudiants algériens,
Mohamed Sahnoun, Hamid Charikhi, Mahmoud Messaoudi, Ali Tadjer, etc. Ils étaient
les hôtes qu’on aimait recevoir dans la maisonnée des Daclin.
Elle n’hésita point à fréquenter d’autres lieux où gravitaient ces assistantes et ces étudiants
et étudiantes : le Service des centres sociaux (SCS) que dirigeait Charles Aguesse
et le Service civil international (SCI) dirigée par Mohammed Sahnoun.
En 1954, lorsque le tremblement de terre frappa la ville d’El Asnam, c’est auprès de
Mohamed Sahnoun, originaire de cette ville sinistrée, qu’elle se porta volontaire.
Le SCS l’engagea alors. Et pour parfaire sa formation, on l’envoya effectuer un stage
en audiovisuel à l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud. Là, elle fera la connaissance
de Juliette Arieu, militante de la première heure dans les bidonvilles parisiens.
Forte de cette nouvelle expérience, Chafika est de retour à Alger.
C’est une nouvelle vie qui commence pour elle.
La face cachée de Chafika : ses activités clandestines
On est en 1956, la répression envers les Algériens a bel et bien commencé,
atteignant son paroxysme en 1957. En janvier, la Bataille d’Alger commence.
L’étau se resserre sur les Frères, qu’ils soient communistes ou FLN, intellectuels,
commerçants ou marchands ambulants, les frontières idéologiques et religieuses
et sociales n’ayant plus lieu d’être. Les Algériens sont tous suspects. C’est auprès
des amis français libéraux où «seul l’hébergement continue d’offrir des garanties
de sécurité», nous dit Benyoucef Benkhedda, qu’on va trouver refuge.
C’est ainsi que le libéral André Gallice, alors adjoint au maire de Jacques Chevallier,
hébergea Benkhedda pendant quelques mois.
Eliane, dite Ratoune, et Jacques Gautron, organisent dans leur appartement de la rue
Horace Vernet, (rue Cdt Mennani Nourredine) des rencontres entre Ben M’hidi,
Abane Ramdane et Ouamrane avec Robert Barrat, journaliste à L’Express.
Ils accueilleront également Mustapha Bouhired. Pierre Coudre est cet autre chrétien libéral,
économe de l’orphelinat du Haut du Mustapha, chez qui Amara Rachid aime à venir
avec Abane Ramdane et, parfois, avec Ben M’hidi, pour discuter, planifier
et prendre des décisions et bien d’autres initiatives…
Chafika est alors, par l’entremise d’Amara Rachid, engagée par les Frères dans diverses
activités clandestines. Elle s’active, assure la propagande pour la grève des étudiants du
19 mai 1956, distribue des tracts, les journaux nationalistes Combat et El Moudjahid,
récupère des fonds pour les mettre à disposition des familles dont les chefs sont emprisonnés,
et trouver des caches pour les compatriotes recherchés. Ici elle va devoir engager
dans son combat ses amis et amies français du SCS et du SCI.
Nelly Forget fut l’une des premières à accepter sans poser de questions. Dans sa 2CV,
combien de fois fut-elle sollicitée sans le savoir pour convoyer des fonds que Chafika
devait mettre à l’abri ! Et pour mémoire, elle assura par deux fois le transport d’Amara Rachid,
recherché.Une autre amie, Denise Walbert, assistante sociale, loua sous son nom
un appartement rue d’Ornans (rue Yousfi Mohamed) à Hussein Dey pour acheter
et installer une ronéo avec tout le matériel nécessaire à la frappe et à l’impression
des tracts et du journal El Moudjahid. Un vrai «centre de frappe» est organisé,
renchérit L’Echo d’Alger pour enfoncer l’accusation à l’endroit de Chafika.
Mais c’est pour trouver un refuge à une communiste, membre active du PCA,
qu’elle mit particulièrement à contribution ses amis et amies.
Au commencement, la traque de Raymonde Peschard (1927-1957)
Raymonde était cette Européenne, la «blonde recherchée», supposée être
la poseuse de bombes dans Alger. Elle aurait été la «blonde à la jupe grise
et à la 2CV», celle qui remit une bombe à Fernand Iveton, qui devait exploser
à la centrale de gaz de l’EGA du Hamma, le 14 février 1956. Elle aurait été
également l’auteure de l’attentat du 30 septembre 1956 contre le Milk Bar de
la rue d’Isly (rue Larbi Ben M’hidi, place l’Emir Abdelkader).
Un mandat d’arrêt daté du 13 février 1957 a été lancé contre cette dangereuse
«blonde» identifiée comme étant Raymonde Peschard.
Sa photo est alors placardée dans la presse algéroise.
Mais dès octobre 1956, Chafika est contactée par le Dr Janine Belkhodja,
membre du PCA, pour trouver un refuge à Raymonde, cachée chez
Madame Cervetti, une autre membre du PCA qui, suspectée, ne pouvait la garder.
C’est l’Abbé Barthez, de la paroisse d’Hussein Dey, qui conseilla à Chafika de
se rapprocher de Nelly Forget. Cette dernière alla retrouver Raymonde,
voilée à l’algéroise, devant un arrêt de bus.
Dans sa 2CV, elle la conduisit à Birmandreiss au couvent des Sœurs Blanches
pour une retraite de presque un mois. Sous la pression des journaux qui dévoilèrent
la photo de Raymonde, Nelly trouva une autre retraite à Raymonde au couvent
des Clarisses à Saint-Eugène. Sous le nom de Madame Louise,
Raymonde y séjourna six semaines.A nouveau il fallut la faire évacuer. Chafika,
en compagnie de Nelly, la plaça chez Collette Grégoire (connue sous
le pseudonyme d’Anna Greki), communiste et membre du PCA, qui logeait dans
une belle villa du boulevard Bru (Bd des Martyrs), une location des Frères.
Ensuite, elle est emmenée chez H. Fatima à Kouba. De là on va la retrouver à Oran
chez sa sœur, institutrice, qui doit la mettre à l’abri grâce à son amie et collègue,
L. M., qui l’emmène au quartier Al Hamri chez un certain Brahim, docker.
A partir de là, on perd sa trace.Quant à la «blonde recherchée», identifiée comme
étant Raymonde Peschard, Jacqueline Guerroudj, dans son ouvrage Des douars
et des prisons, affirme que cette «blonde recherchée» n’était autre qu’elle-même.
Fernand Iveton, arrêté le 14 novembre 1957, avait donné de fausses indications à
ses tortionnaires pour faire diversion. Jacqueline n’était pas blonde et sa voiture
était une Dyna-Panhard bleue immatriculée à Oran, confirme-t-elle.
Par contre, c’est bien elle qui remit l’une des deux fameuses bombes (dites Betty
et Jacqueline, fabriquées par Taleb Abderrahmane) à Fernand Iveton Zohra Drif,
pour sa part, dans son ouvrage Mémoire d’une combattante de l’ALN de
la Zone Autonome d’Alger, témoigne aujourd’hui que c’était bien elle qui était
l’auteure de l’attentat du 30 septembre contre le Milk Bar. Pour se fondre dans
la foule des jeunes Françaises de ce fameux bar, Zohra Drif était passée chez «Roques»
pour en sortir en blonde. Avec l’allure décontractée de celle qui, avant d’aller à la plage,
s’offre une bonne glace «pêche melba», elle posa discrètement son fameux
«sac de plage» sous le comptoir.On sait du reste que Raymonde Peschard militait dans
la même cellule du PCA que Fernand Iveton, Henri Duclerc, Yahia Briki, Boualem Makouf,
etc. Expulsée de Constantine depuis 1955, elle s’installa à Alger auprès de
ses camarades qui l’embauchèrent à l’EGA comme assistante sociale.


Par : Ferhati Barkahoum
Directrice de recherche, CNRPAH, Alger





A suivre


Ferhati Barkahoum

zadhand
23/03/2016, 18h52
A la une/Histoire Secrète de l'Algérie Indépendante
publié le le 21.03.16 | 10h00
Chafika Meslem l’intrépide
Première femme diplomate de l’Algérie indépendante (2è partie et fin)




A l’arrestation de Fernand Iveton, Chafika Meslem va mener une vie d’errante
d’autant plus que sa photo est apparue dans la presse.

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Quoi qu’il en soit, tout se passa donc comme convenu pour Raymonde Peschard, jusqu’au moment
où, par un malheureux concours de circonstances, une certaine personne vint à dire, sous la torture,
ce qu’elle avait vu et entendu dans les coulisses de la paroisse de l’Abbé Barthez. La filière est ainsi
remontée jusqu’à Raymonde. Mais, entre-temps, celle-ci avait rejoint le maquis des Bibans où
elle mourut le 26 novembre 1957. Danielle-Djamila Minne-Amrane témoigne dans l’ouvrage
d’Andrée Dore-Audibert Des Françaises d’Algérie dans la guerre de Libération, avoir rencontré Raymonde
en mars 1957 au maquis des Bibans près de Medjana (Bordj Bou Arréridj) où se trouvait également
le docteur Laliam et N’fissa Hamoud en partance vers la Tunisie. Mais le convoi des maquisards fut
intercepté lors d’un accrochage avec le 49e bataillon du général Buis. Danielle-Djamila, arrêtée lors de
cet accrochage, identifia le corps inerte de Raymonde dite Taoues. Le calvaire de Chafika commence alors.
La cavale de Chafika la fugitive
Chafika quitte la maison familiale pour se mettre à l’abri chez Nelly, à El Harrach. Mais cette dernière avait
une trop grande visibilité. C’est Gilberte Sans-Nahort, assistante sociale, qui l’accueille à la cité Mahieddine.
Puis l’Abbé Barthez lui trouve un autre refuge chez les parents d’une de ses paroissiennes, Claudine Hélie,
institutrice aux Attafs (commune d’El Attaf), sur le boulevard 8 Novembre (bd 1er Novembre),
dans un immeuble huppé. Respectables, les époux Hélie sont insoupçonnables : Georges, syndicaliste à
la CFDT, est secrétaire général de la Caisse d’aide sociale (Casida), ami d’Alexandre Chaulet, et son épouse,
Louisette, est institutrice à Bab El Oued tout comme son amie Eliane Gautron dite Ratoune.
Chez les Hélie, Chafika devient, pour les gens de passage, la gouvernante espagnole, Rosa. Dans la semaine
du mardi gras, en mars 1957, les Hélie reçoivent justement leur fille Claudine et ses amis avec leurs enfants.
Elle est installée dans l’appartement de leurs amis et voisins, Yvonne et Maurice Causse, professeurs
au lycée Bugeaud, partis en vacances. Dans la nuit du 4 au 5 mars, les paras du 1er Régiment étrangers de
parachutistes (REP) débusquent Chafika dans l’appartement des Causse. Le capitaine Faulques et son bataillon
n’attendent pas : la baignoire de l’appartement est toute désignée pour servir aux premiers «interrogatoires musclés»,
car elle doit tout dire et vite. L’errance de Chafika prend fin ! Examinons comment
ce «système de la torture» a procédé pour débusquer Chafika.
Des arrestations spectaculaires
Les paras sont rodés dans leur technique. On arrête un suspect trié sur le tas puis on tire sur le fil ténu sans le casser.
Les «bérets verts» des 1er et 2e régiments étrangers de paras commencent alors leur tâche abjecte. Bien sûr, dès
le début de février, les perquisitions commencent par la famille Meslem. La maman, Khedouja, a tout juste le temps de
brûler tous les documents laissés par sa fille Chafika. C’est en prenant un otage qu’on va peut-être les faire parler ?
Le plus jeune frère, Mehieddine, est tout désigné. Il est emmené dans la fameuse caserne d’El Biar dirigée par
le lieutenant Charbonnier. Après un interrogatoire «bien musclé», il est incarcéré dans le camp de Paul Cazelles.
Le 7 juin 1957, le jeune Mehieddine est admis à l’hôpital Mustapha pour des soins. Il est autorisé à rendre visite à
sa famille. Dans la nuit du 11 juin, les paras viennent le chercher. Et depuis, aucune trace de Mehieddine ! Khedouja
remue ciel et terre, frappant à toutes les portes. La Commission des droits et libertés individuels (CSDLI) s’empare
du dossier qu’elle instruira jusqu’en 1959 pour finalement se déclarer incompétente dans l’affaire. Et pour mettre fin
aux supposées recherches, le parquet rend un arrêt de non-lieu daté du 20 avril 1959. Disparu,
Mehieddine avait tout juste 16 ans !
Khedouja, entre son fils Mehieddine et sa fille Chafika en cavale, ne sait plus où donner de la tête ! Puis, ce sont les amis
et les amis des amis qui vont tomber dans la souricière des paras en béret vert. En fait, ce sont les milieux entre lesquels
circulait Chafika, facilement repérables d’autant plus qu’ils gravitaient autour de quelques pôles déjà dans le collimateur
de la 10e DP de Massu. Il y avait le groupe d’André Mandouze, celui d’Armand Aguesse, directeur des Services des
centres sociaux, celui des familles Daclin et Hélie, et enfin celui du curé Scotto de la paroisse de Hussein Dey.
Une première visite est rendue à Nelly Forget. A la deuxième visite, à 3h du matin, Nelly est arrêtée. Puis Denise Walbert,
née Pepiot, puis les Hélie, Georges et Louisette et même leur fils Damien (17 ans) et leurs amis de passage, puis c’est
le couple Gautron, Eliane dite Ratoune et Jacques, puis Maurice Causse, Jean Touilleux, professeur à la faculté d’Alger,
un proche d’André Mandouze et même Robert Malan, directeur de la Robersteau, un autre professeur à la faculté et,
enfin, Pierre Coudre, ce dernier s’étant présenté de lui-même au commissariat pour se plaindre des perquisitions
malveillantes dans son appartement.Justement on l’attendait. Il est immédiatement arrêté. Et enfin l’abbé Barthez,
déjà impliqué dans l’affaire dite les «bombes des communistes» notamment avec le Dr Timsit. Tout le monde est embarqué
en direction de la villa Sésini pour des interrogatoires aux méthodes bien connues. Ensuite ils sont dirigés vers les centres
de tri, qui vers El Biar, qui vers El Harrach, qui vers Beni Messous, qui vers Bouzaréah, etc. On ne peut imaginer
les dégâts collatéraux provoqués par ces arrestations !
Le 4 avril 1957, Alger se réveille incrédule ! La presse algéroise titre en gros «Des Européens complices du FLN et
des communistes», «Des prêtres inculpés», etc. Elle s’enorgueillit du travail de la 10e DP de Massu dans Alger.
Enfin, le «terrorisme» n’est plus uniquement l’affaire des Algériens ! Des Français et des Françaises à la tête
bien-pensante et même des ecclésiastiques étaient impliqués !
Les incarcérations successives de Chafika : de la Villa Sésini à la prison Barberousse-Serkadji
A la villa Sésini : la villa de la mort
La villa de sinistre réputation est le quartier général du colonel Jean Pierre avec sa fameuse équipe, les capitaines Faulques,
Bonnel, Brothier et Mathieu, ainsi que le redoutable bourreau, le sergent Feldmeyer. Chaque soir, c’est à chacun son tour
dans le fond du jardin de la villa dans un lieudit «au café», équipé comme il se doit pour les basses besognes. Rien à faire
pour les Français : on a beau évoquer son passé de résistant, de déporté ou être l’ami ou le frère de telle ou telle personnalité,
ou même la fille d’un officier, le traitement est le même. Les Algériens sont de toutes les façons tous coupables.
Puis vient l’heure des confrontations. Un vrai choc psychologique que de se donner à ce funeste spectacle devant des sadiques
qui s’en réjouissent. Chafika, quant à elle, est installée à l’étage dans une cellule à côté du bureau du patron, le colonel Jean Pierre.
C’est le sort réservé aux plus dangereux. Tandis que ses amis sont dans des cellules du rez-de-chaussée. Dans les couloirs de la villa,
on entend tout et on voit tout. Une mise en scène propre aux tortionnaires. A tout moment, on est encore interrogé pour les besoins
du renseignement, surtout lorsqu’on résiste. Les plus fragiles sont jetés quelque part en mer ou dans des fosses communes.
A la villa Sésini, on ne s’encombre pas ! Les séjours sont au minimum d’un mois en attendant d’être entendus par le juge d’instruction
devant le Tribunal permanent des forces armées. Mais, avant cet interrogatoire du juge, il faut les remettre d’aplomb, leur donner
l’air d’avoir été bien traités.On passe une semaine tout au plus dans la «villa Mireille» du boulevard Bru (bd des Martyrs) où une vie
un peu plus humaine les attend. Ils sont 35 inculpés, dont 11 Français ; présentés devant le juge d’instruction du Tribunal permanent
des forces armées d’Alger, le colonel Gardon, ils sont accusés «de recel de malfaiteurs et d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat».
27 d’entre eux, dont Chafika Meslem, Nelly Forget, Denise Walbert, Eliane Gautron, Mohamed Sahnoun, Mahmoud Messaoudi, etc.,
sont écroués direction la prison Barberousse, 8 autres accusés sont placés sous mandat de dépôt, c’est-à-dire mis en résidence surveillée
chez eux en attendant le procès prévu pour le 22 juillet.
Enfin délivrés de la villa Sésini, quel soulagement ! Le risque de disparaître était tellement plus probable ! Ironie du sort, on est heureux
de se retrouver à Barberousse-Serkadji, plus «clémente». Leurs familles et leurs avocats vont enfin pouvoir leur rendre visite.
C’est un bras de fer qui va commencer.
A Barberousse-Serkadji
En ce qui concerne les femmes, les Algériennes, plus nombreuses, occupent un dortoir dans lequel sont admises les quelques Françaises.
Mais, peu à peu, le nombre de celles-ci augmente. Un deuxième dortoir leur est affecté. Les rapports sont quelque peu agités entre elles,
jusqu’au moment où les Algériennes comprennent que ces Françaises défendent tout autant qu’elles la même cause. On partage alors tout.
Entre chrétiennes, juives, musulmanes et athées, l’entraide est de mise ! On se doute que les couffins chargés de denrées alimentaires
et autres qui arrivent de l’extérieur vont être partagés. Le Dr Janine Belkhodja, inculpée dans l’affaire des «bombes des communistes»,
va devoir exercer son métier. Elle organise les repas selon l’état de santé de chacune. Nelly instaure une discipline pour que chacune trouve
un équilibre alimentaire. Il faut noter qu’une organisation à l’extérieur a été installée dans la paroisse du curé Desrousseau, aumônier de
la prison Barberousse, située juste en face.Les ONG (SCI, Croix-Rouge, Mission de France, etc.), comptant sur la générosité des gens,
ont recueilli des dons. Ce sont des moments «heureux», mais on peut aussi se douter qu’il pouvait y avoir des frictions.
Titma et Fadhéla Dziraya, prisonnières également, étaient alors là pour détendre l’atmosphère avec leurs chants populaires et patriotiques.
Et lorsqu’arrive le moment du procès, donc un jour de sortie, il faut se mettre sur son trente et un : on s’échange les belles robes,
car il n’est pas question d’arriver en tenue dépenaillée.
Chafika Meslem au procès des «Chrétiens libéraux»
Fixé au 22 juillet, le procès va durer jusqu’au 24 juillet. 35 prévenus, dont 24 Algériens et 11 Français, comparaissent devant
le Tribunal permanent des forces armées, présidé par le cl G., installé pour l’occasion au palais de Justice d’Alger dans la salle
des Assises de la rue Colonna d’Ornano (rue Abane Ramdane). Leur défense est assurée par 20 avocats de renom d’Alger
et de Métropole, constituant le «collectif des avocats FLN», de libéraux et d’indépendants. Parmi les Algérois, on peut compter maîtres Popie,
Kalfleche, Morinaud, Albertini, Guarrigue, Serna, Zizine, Guaultier, Derrida, Ben M’liha, etc. Les Métropolitains sont maîtres Mercier,
Sarda, Mathieu, Becker, etc. Ils vont devoir plaider contre deux chefs d’accusation : «recel de malfaiteurs» et «atteinte à la sûreté extérieure
de l’Etat».La tâche s’avère ardue, devant une opinion publique «chauffée» par une presse algéroise, avec à sa tête L’Echo d’Alger,
qui va s’en prendre plus particulièrement aux ecclésiastiques qu’elle dénomme «Chrétiens progressistes», sous-entendant leur collusion
avec les communistes et les nationalistes. Elle dénonce aussi la «funeste imprudence» et l’«invraisemblable idéalisme» de ces Français naïfs.
Elle attend donc un verdict de condamnations exemplaires.
Comment faire fléchir cette opinion qui, sans aucun doute, sera également celle des juges militaires ?
A Paris, Germaine Tillion avec ses amis Vincent Monteil, Louis Massignon et Charles Blondel, sénateur, décident du choix d’un seul
avocat indépendant parisien pour les deux amies, Chafika et Nelly, afin de leur éviter un procès politique, choix d’ailleurs difficile
pour Chafika qui lui valut bien des remontrances de ses coreligionnaires ! Mais Germaine Tillion, l’ancienne déportée de Ravensbrück,
va plus loin. Elle s’attelle à sauver l’honneur de la France éclaboussé par non seulement la pratique de la torture mais également
les condamnations à mort. Elle met en branle la «Commission internationale contre le régime concentrationnaire» pour enquêter sur
la torture en Algérie. A la fin du mois de juin, la Commission est à Alger.
Elle entendra tous les accusés du procès, prendra note de leur témoignage sur les tortures subies. Elle rend son rapport dans lequel
elle fait remarquer prudemment les manquements dans les procédures de la justice en Algérie qu’il faudra améliorer !
Une autre institution parisienne se mobilise : le Service civil international. Rappelons qu’une grande partie des inculpés en sont membres,
les assistantes sociales comme Chafika, Sahnoun, Messaoudi, etc. Le Comité inter-mouvements auprès des évacués (Cimade) fait de même.
La Mission de France, qui s’est déjà fait entendre dans «l’affaire des prêtres de Souk Akhras» et à laquelle est rattaché l’Abbé Barthez,
ne manque pas non plus au rendez-vous. Sans oublier, l’association Vie Nouvelle d’éducation populaire issue du scoutisme catholique,
à laquelle est rattaché Pierre Coudre.Des lettres de soutien fusent pour témoigner de la moralité des accusés. Pierre Martin, fonctionnaire
à l’Unesco, souligne que les «faits qu’on leur reproche sont inspirés par une loi qui transcende nos lois écrites : la loi de l’hospitalité qui,
de toute éternité, s’est imposée dans toutes les sociétés civilisées, car sans la confiance innée de l’homme à l’homme qu’elle présuppose,
aucune communauté humaine n’est pensable».Quant à Mgr Duval, dans la discrétion la plus totale, il va user de toutes ses relations pour éviter
aux ecclésiastiques, et en particulier à l’abbé Barthez, de figurer sur la liste des prêtres à abattre par les Ultras. D’ailleurs, en attendant
le procès, il est mis à l’abri pour une retraite chez les Pères Blancs. Puis dans une retentissante déclaration publiée dans Le Monde,
il sort de ses gonds pour dénoncer la campagne menée par la presse d’Alger contre l’Eglise d’Algérie qu’elle veut faire tomber.
Il dit notamment : «L’Eglise a beaucoup fait jusqu’ici pour combler le fossé qui sépare les chrétiens et les musulmans.
Elle restera, dans l’avenir, fidèle avec le plus entier désintéressement, à sa mission irremplaçable qui consiste en la pacification des esprits
et des cœurs.» Cette déclaration va attirer sur lui les foudres des Ultras d’Alger.Dans cette ambiance de solidarité internationale,
les défenseurs s’emploient d’abord à récuser le premier chef d’accusation qui portait atteinte à l’honneur des accusés
ce ne sont pas des malfaiteurs ! Ils appartiennent à d’honorables familles au passé irréprochable, Certains sont d’anciens résistants et déportés.
Ils occupent des postes honorables dans la vie publique : assistantes sociales, fonctionnaires, professeurs, médecins, instituteurs, étudiants...
Quant au deuxième chef d’accusation, là les avocats vont se partager en deux camps. Il y a d’un côté ceux qui plaident la cause de
«l’action politique» pour aboutir à un procès purement politique. De toutes les façons, les accusés algériens n’ont rien à perdre.
Le procès devient, pour eux tout comme pour leurs avocats, notamment Pierre Popie, un prétoire pour de solennelles professions de foi FLN.
Et de l’autre, une défense qui entend simplement faire sortir ses clients de ce guêpier.On comptent bien éviter les questions politiques,
mettant l’accent sur «l’amitié née au cours de leur action sociale dans les bidonvilles, seul lien entre les nationalistes et la plupart des inculpés»,
conjure maître Mercier pour la défense de Chafika et Nelly. C’est au nom de leur «humanisme et de leur affection éprouvée dans la misère
et du don de soi» que les inculpées ont agi ainsi, soulignant qu’elles avaient le souci «de préserver la fraternité scellée».
N’ont-elles pas montré le «dévouement de l’une et de l’autre en exaltant leur œuvre commune» ? Ces accusés avaient le souci de «combler
le fossé creusé» par tant de différences entre les communautés. C’est au nom de la «charité chrétienne» qu’ils ont accompli des tâches
sans poser de questions. C’est ce lien, gage d’une «certaine fraternité», qui expliquerait seul les «imprudences commises par fidélité».
Mais le juge refuse de «confondre l’esprit de charité et l’action nationaliste». Il insiste sur le fait que les inculpés sont ici «par leur acte
et dans le cadre du FLN de tenter de soustraire de l’autorité de la France une partie de son territoire».
Quant à Chafika, avec «sa personnalité dure et franche», comme le souligne le journaliste Bertrand Poirot Delpech du Monde, dominant
le procès du haut de son 1m50, tous les regards sont tournés vers elle. Belle oratrice, maîtrisant la langue de Molière avec aisance,
elle est au cœur du procès. A la fin de l’audience, Chafika se lève pour remercier son avocat d’avoir mis en exergue l’amitié qui la lie à
ces femmes et à ces hommes qu’elle n’a jamais trahis ! Et dans une note presque ironique, dit qu’elle dénonce
«toute violence d’où qu’elle vienne» ! Un mot d’ordre FLN que les accusés algériens n’ont de cesse de répéter. Quant au juge militaire,
pour répondre aux attentes des Ultras, il met toute son énergie dans un réquisitoire visant à s’assurer des condamnations exemplaires
la condamnation à mort !Le ministre résident Robert Lacoste est acculé. Déjà son secrétaire général, Paul Teitgen, a, dans une note,
dénoncé les dépassements de la 10e DP de Massu. Tout comme le général Pâris de la Bollardière, qui révoque toute compromission
avec ses supérieurs et pointe du doigt le pouvoir abusif de Massu.Le procureur général, Jean Reliquet, fait également rapport à son ministre
de la Justice,François Mitterrand, sur la situation insupportable instaurée par cette armée. Pour montrer que la France
est un Etat de droit, le 7 mai 1957 est installée la «Commission des droits et libertés individuels» (CDLI), que présidera Beteille puis Patin.
Elle est dite «l’éteignoir». Sans pouvoir réel, elle sert de boîte à dépôt des plaintes. Saisie dans l’affaire du jeune Mehieddine, frère de Chafika,
elle se déclare incompétente. La Croix-Rouge fait de même. C’est peut-être la mobilisation des intellectuels, des syndicats
et de certains hommes politiques qui a réussi, dans ce procès, à faire fléchir la justice militaire d’Alger. La presse, avec à sa tête
Le Monde, L’Express, Témoignage chrétien, ne désarme pas malgré la censure à laquelle elle est soumise.
En tout cas, cette mobilisation porte ses fruits. La pression est telle que le verdict va s’en ressentir, malgré la pression des Ultras.
Chafika est condamnée à cinq ans avec sursis. Nelly, elle, est acquittée.
La presse algéroise est offusquée de ce verdict qu’elle trouve bien en deçà des chefs d’inculpation. On craint des représailles par les Ultras.
Chafika et Nelly doivent au plus vite quitter l’Algérie pour la Métropole ainsi que leurs amis acquittés qui sont, quant à eux, expulsés d’Algérie.
Les autres Algériens vont purger leur peine en Métropole pour échapper aux représailles des Ultras.
Le combat ne fait que commencer pour Chafika
Arrivée en Métropole dès fin juillet, elle prend le temps de remercier les amis qui l’ont soutenue, notamment Germaine Tillion
et Vincent Monteil, ses amis du SCI, son amie Marie Renée Chéné, déjà expulsée d’Algérie et surtout la mère de Nelly,
qui frappa à toutes les portes et usa de toutes ses relations pour faire sortir sa fille et son amie Chafika, laquelle faisait partie intégrante
de la famille.Elle reprend son souffle avec un repos bien mérité dans la communauté de Taizé, auprès du frère Eric,
un ancien des bidonvilles de Boubsila-Bérardi. Mais Chafika concocte déjà un départ pour rejoindre les «frères»
au Maroc. Armand Descout et son épouse Doudou, des libéraux, amis d’Alger, proches de la paroisse de Hussein Dey
et du Service des centres sociaux qui ont quitté l’Algérie en 1956, vont organiser son départ à partir de la Suisse pour Rabat,
via Madrid, où l’attend un jeune étudiant agent du FLN, Ahmed Sellami,chargé de l’acheminer vers le Maroc.Ce fut
une rencontre heureuse qui se conclura par un mariage ; loin des siens, il fut célébré par tout un village du Haut-Atlas marocain.
A Rabat, elle va rencontrer des amis d’Alger, la journaliste Marvinne Owe du New York Times,
qui a couvert le procès. Sur les recommandations de Descout, Chafika est prise en charge par la Marquise Geneviève de Chaponay,
proche du palais royal chérifien. Un travail l’attend là-bas. Elle assurera la direction de 20 centres de formation pour jeunes.
Mais l’Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema), qui prépare les cadres de l’Algérie de demain, propose au couple
de terminer ses études à Genève. Chafika opte pour des études d’interprétariat en arabe et espagnol tandis qu’Ahmed s’oriente vers
des études en économie. L’Algérie est sur le point de décrocher son indépendance. Il faut être prêt pour rentrer au pays.
De la première femme diplomate de l’Algérie indépendante à la Fonctionnaire Internationale
En 1962, le couple a vite fait de plier bagage pour rejoindre le GPRA à Rocher noir. Chafika va s’atteler à mettre au point et ficeler
l’un des plus gros dossiers sur les actions à mener pour l’Education nationale. Mohamed Khemisti, alors ministre des Affaires étrangères,
propose à Chafika un poste à Berne comme attachée culturelle à l’ambassade d’Algérie afin de s’occuper des étudiants. Ahmed Sellami
peut alors terminer ses études et obtenir son diplôme d’ingénieur. Une vie de diplomate commence donc. Elle est nommée
Troisième secrétaire à la Mission permanente de l’Algérie puis Deuxième secrétaire de l’ambassade près de l’Unesco à Genève.
En 1965, retour en Algérie au ministère des Affaires étrangères.En 1972, elle est promue au rang de Ministre plénipotentiaire,
responsable de la Division des institutions spécialisées, en charge de plus de cent projets en relation avec des institutions onusiennes
comme le PNUD, l’Unicef, l’Unesco, l’Alesco…Un des jeunes énarques, S. M., dans cette division se souvient d’abord de l’affection
qu’elle portait à ses collaborateurs mais aussi de son exigence et de son intransigeance. «On travaillait presque 24 heures sur 24.
Pas de répit avec elle», dit-il. Redoutée par ses partenaires onusiens, ses projets pour l’Algérie aboutissent quels que soient
les problèmes rencontrés. Elle avait à cœur les projets relatifs à l’enfance, à l’éducation et aux femmes. On l’appelait la «Dame de fer».
En 1981, Chafika est promue fonctionnaire internationale à l’ONU. Elle est nommée directrice de la Division pour l’avancement de
la femme et le développement, à New York, puis en 1982 à Vienne.En 1993, Chafika prend les rênes de la Division de la coopération entre
pays en développement à la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) à Genève. En plus de sa charge
de travail au sein de cette institution, en 1985, le secrétaire général de l’ONU, Javier Pérez de Cuéllar, lui confia la préparation de
la 3e Conférence sur les femmes de Nairobi (Kenya). Et en 1995, Butros Butros Ghali la nomme vice-présidente de
la 4e Conférence de Beijing (Chine).Elle est chargée d’élaborer le rapport sur les femmes à l’occasion du 50e anniversaire de la création de
l’ONU. Chafika dresse un bilan de deux décennies de luttes pour l’égalité, le développement et la paix.
Des objectifs atteints, dit-elle dans son rapport, puisque «ils ont été les catalyseurs d’une dynamique unique qui a permis aux femmes
de sortir de l’anonymat, de l’indifférence et de poser le problème de la discrimination atavique dont elles sont encore victimes comme
un problème mondial que les hommes et les femmes devaient ensemble résoudre».
Elle poursuit que «la stratégie prospectives de Nairobi avait fixé à l’an 2000 une égalité complète entre femme et homme».
Avec optimisme, Chafika ose espérer que «tous ses efforts ne seront pas vains pour les deuxième et troisième générations qui succéderont»,
complétant que «la plateforme de Pékin sera l’instrument du troisième millénaire pour réaliser l’égalité des chances entre hommes et femmes».
Toute une étude qui reste à faire sur le travail de Chafika Meslem à l’échelle onusienne sur les questions des femmes. Quoi qu’il en soit,
c’est dans cette institution que Chafika achève sa carrière de fonctionnaire internationale avant une retraite bien méritée en 1996.
Rubens Ricupero, secrétaire général de la Cnuced, ne manque pas de lui rendre hommage en mettant l’accent sur son «dynamisme»,
sa «polyvalence» et son «efficacité». Il insiste sur sa «quête pour l’amélioration de la condition des femmes dans le monde». Il note aussi
qu’en impulsant de nouvelles méthodes de travail, Chafika a projeté l’institution dans l’avenir. Elle va enfin se poser pour rester auprès de
ses filles qu’elle n’a pas eu le temps de voir grandir ni ses petits-enfants qu’elle n’a pas vu arriver. Un sacrifice souscrit par tant de femmes
qui ont fait avancer la cause des femmes.On n’oubliera pas que Chafika fut la militante de la première heure pour la cause de son peuple
tout entier. Malheureusement, Chafika ne goûtera pas longtemps aux joies de la vie de grande-mère apaisée. Elle décède brutalement
le 2 juillet 2000, loin de son pays qu’elle a servi avec dévouement, juste au moment où elle était sur le point de transmettre ses mémoires.
Quant à sa patrie, elle reconnut enfin en elle la diplomate dévouée qu’elle était en lui proposant, en 1999, un poste d’ambassadrice.
Mais cette proposition arrivait trop tard !


Ferhati Barkahoum :

Directrice de recherche au CNRPAH, Alger


Références bibliographiques

- Mes remerciements vont tout particulièrement à Nelly Forget, Souad Sellami, Ahmed Sellami, Maurice
et Yvonne Causse et Claudine Hélie, qui ont accepté de témoigner.
- Benyoucef Benkhedda, Vérité sur la mort de Larbi Ben M’hidi, 1982, Revue d’Histoire du CNEH, Alger.
Jacqueline Guerroudj, Des douars et des prisons, 1995, Editions Bouchène, Alger.
- Ferhati Barkahoum, De Gaulle et la commission Patin, in De Gaulle et l’Algérie, sous la direction
de Maurice Vaisse, 2012, Armand Collin, Paris.

Erratum


El Watan a reproduit dans l’édition de dimanche 20 mars 2016, pour illustrer l’article de
l’historienne Ferhati Barkahoum, une photo représentant des moudjahidine
et des moudjahidate au maquis.Chafika Meslem figure, par erreur, dans la légende de
cette photo, alors qu’elle n’a jamais été au maquis. Nous reproduisons la photo en question,
mais avec la légende appropriée. Toutes nos excuses à nos lecteurs.


Ferhati Barkahoum