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zadhand
14/03/2016, 22h01
A la une / Actualité_Benjamin Stora
14 Mars 2016

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“Il faut dépasser le discours abstrait de dénonciation du colonialisme”


Pour ce spécialiste reconnu de l’histoire coloniale, les demandes de repentance sont improductives. Selon lui, l’État algérien doit entrer en mouvement en réclamant à la France des réponses sur des faits précis et des compensations pour les victimes de toutes les exactions.

Liberté : Les États algérien et français viennent de convenir de la mise en place des commissions pour traiter de contentieux historiques précis, à savoir l’indemnisation des victimes des essais nucléaires dans le Sahara, l’ouverture et la restitution des archives de guerre et la question des disparus pendant la Révolution algérienne. Qu’en pensez-vous ? Des résultats sont-ils possibles ?
Benjamin Stora : Je suis favorable à tout ce qui permet d’avancer dans la recherche de la vérité. Il faut dépasser les discours très généraux et abstraits sur la dénonciation idéologique du système colonial et s’atteler aux choses pratiques et réelles, à des faits historiques avérés. Au cours de ces dernières années, j’ai plaidé sur la nécessité de constituer des dossiers à partir de faits précis. Il y a eu, par exemple, la question des mines qui ont été posées aux frontières et qui ont fait des milliers de victimes. Il y a également, en effet, la question sur les disparus algériens comme ceux de la bataille d’Alger. On sait qu’il y a eu 3 024 Algériens disparus, selon la déclaration faite à l’époque par le préfet de police Paul Teitgen sur la base d’une liste des personnes arrêtées et qui n’ont plus donné signe de vie. Concernant le dossier des essais nucléaires dans le Sahara, il faudra, évidemment, déterminer quelles ont été les conséquences sur les victimes civiles à partir de dossiers médicaux.
L’État français est-il prêt, selon vous, aujourd’hui, à indemniser les victimes algériennes comme c’est le cas pour les Polynésiens ?
Je ne sais pas. La question est d’avancer concrètement. Une fois que les faits sont précisés et la liste des victimes établie, les demandes de réparation deviendront plus efficaces. Il faut d’abord savoir si des dossiers d’indemnisation ont été constitués par des Algériens individuellement ou collectivement. Combien d’individus sont concernés ? Ont-ils déjà engagé des actions en vue d’une éventuelle réparation par le biais d’avocats, en présentant des pièces justificatives comme les certificats médicaux ? Les victimes ne doivent pas attendre un consentement de la France pour entamer des démarches, sinon, ils risqueraient de patienter très longtemps. Les Polynésiens ont agi assez rapidement en présentant des dossiers étayés par l’expertise de médecins. Il y a tout un travail à faire de recensement et de prise en charge des demandes d’indemnisations. Il faut, encore une fois, qu’il y ait des démarches pratiques
qui accompagnent le niveau de dénonciation du système colonial.
Il est donc, selon vous, improductif, aujourd’hui, de réclamer des excuses de la France. Lors de son voyage en Polynésie, le président Hollande s’est abstenu de les prononcer comme exigé par les victimes des essais ?
Il s’agit d’une question politique. Le président Hollande a reconnu, et c’est la première fois,
la gravité des dommages des essais nucléaires, y compris en Algérie.
Dès lors que cette reconnaissance a été faite, il appartient aux victimes de se mobiliser pour obtenir réparation. Personnellement, je n’ai jamais pensé qu’un discours où l’on prononcerait le mot excuses pour ensuite passer à autre chose, soit productif. Ce sont les faits qui m’intéressent, dans la durée. Combien de disparus algériens de la guerre d’indépendance sont recensés ? Quel est le nombre des personnes affectées par les expérimentations atomiques ? Un travail similaire a été fait par Serge Klarsfeld sur les juifs de France qui ont été déportés par le régime de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il a établi une liste de 76 000 noms de juifs qui ont été tués. Ce travail a nécessité 20 ans, mais il a été fait. Il faudrait aussi que du côté algérien, on arrive a entreprendre un travail en constituant des dossiers et en dressant des listes précises des victimes. Les demandes d’excuses doivent se traduire de manière concrète. Le président Hollande est allé en Algérie, Sarkosy aussi.
Ils ont prononcé des discours de condamnation du système colonial. Il faut passer maintenant à une autre étape, pour savoir ce qui s’est réellement passé et rétablir les faits. Des personnes ont été assassinées, déportées, mises dans des camps.
Qui et combien sont-elles ? Qui doit selon vous faire ce travail d’inventaire ?

C’est d’abord la responsabilité des historiens. Il y a tout un travail intellectuel à fournir. Mais il faut que ce travail soit aidé et libre. Aujourd’hui, les informations sont encore rares. Il n’existe pratiquement aucune donnée sur les victimes du napalm par exemple. Qui sont les 3 024 disparus de la bataille d’Alger dont on parle, alors que des familles sont directement touchées par ces drames. Il faut que des enquêtes soient menées. De son côté, l’État algérien doit dépasser le stade proclamatoire, laisser les historiens travailler et poursuivre la revendication d’accès aux archives de guerre françaises pour rétablir les faits avec exactitude.

Pensez-vous que ce travail de mémoire soit aujourd’hui encore mal fait en Algérie ?
Le travail de mémoire est très long. Il se fait à travers des faits, des noms et pas par des dénonciations abstraites. Il faut que des demandes soient déposées auprès de l’État français pour obtenir réparation sur des faits précis.
Le règlement des contentieux historiques va-t-il apaiser définitivement la relation entre l’Algérie et la France ?
La reconnaissance et la réparation aident. Mais il faut qu’il y ait aussi des projets d’avenir communs sur les plans économique et culturel. Il faut également penser à l’avenir et aux jeunes générations, et ne plus se contenter de regarder dans le rétroviseur.
Mais qui de la France et de l’Algérie regarde le plus dans le rétroviseur ?
Les deux, mais la France ne se construit pas sur la base de la séquence de la guerre d’Algérie. Elle se construit sur le déni de cette histoire tragique, alors que de son côté, l’Algérie repose sa légitimité sur la révolution. Il y a une différence de rapport au passé.
Les Français ne veulent pas assumer son (leur) passé algérien et accepter ce qui s’est passé. Ils ont voté des lois d’amnistie qui ont permis de ne pas juger l’État et d’effacer les exactions commises.
Pour leur part, les Algériens construisent leur nation sur la base de la guerre d’indépendance contre la France. Encore une fois, le rapport n’est pas de même type. Les Français doivent rentrer dans cette histoire et les Algériens essayent un peu d’en sortir.

Le renouvellement des générations au pouvoir permettra-t-il aux deux pays de sortir de la prison du passé ?
Cela sera difficile. Ce que j’ai appelé dans mon livre, Les mémoires dangereuses, les mémoires de revanche se transmettent.
La bataille sera difficile, mais il faudra la mener.

zadhand
12/12/2016, 11h58
Benjamin Stora à l’université 8 mai 1945 de Guelma
«L’Algérie est en première ligne face à l’immigration clandestine»


le 12.12.16|10h00


Les bouleversements de l’échiquier géopolitique et les guerres,
ces cinq dernières années, avec l’effacement des frontières,
notamment en Irak, en Syrie et en Lybie, ont jeté des millions
de personnes sur les route d’un exile forcé !»

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Benjamin Stora à l’université de Guelma
Telle est la première phrase introductive de Benjamin Stora,
à l’adresse des étudiants et enseignants de l’université 8 Mai 1945
de Guelma, des autorités civiles et militaires de la wilaya de Guelma,
ainsi que du consul général de France à Annaba et du directeur de
l’Institut français de Annaba venus, samedi dernier, assister à une conférence-débat de cet historien intitulée «Migration et histoire»,
organisée à l’occasion du 56e anniversaire des manifestations du 11 Décembre 1960.En effet, la situation du flux migratoire vers l’Europe
et les pays voisins de conflits, qu’a brossée Benjamin Stora, est plus qu’alarmante, à telle enseigne qu’elle a suscité la réouverture d’anciens camps et la construction de murs. Un flux migratoire «qui n’est pas seulement dû aux guerres, mais aussi à la famine et aux conditions climatiques. La Turquie accueille 1,5 million de réfugiés, 3 à 40 000 en Tunisie et 1,4 million au Liban et en Europe plus d’un million de migrants sont arrivés depuis 2015», dira l’orateur. Et de poursuivre «L’Algérie
possède la plus grande frontière au sud avec 1400 kilomètres et
1200 km au nord. Ce qui fait d’elle un pays en première ligne face à l’immigration clandestine et au trafic d’armes.» Ainsi «le fossé» tend à s’élargir entre les pays du Sud et ceux du Nord (Europe). L’historien
appuie son analyse sur un fait gravissime : «L’Europe se protège des migrants et renforce ses frontières même dans des poches, telle celle
de Melilla au Maroc, et assiste au démantèlement des pays-nations et l’effacement de leurs frontières en Syrie, Irak et Libye.» Un point que partagent de nombreux intervenants dans la salle, mais nuancé par la
suite par Benjamin Stora : «Je pense que le complot et la manipulation
pour mener ces pays au chaos, notamment au départ des révolutions,
ne soient pas vrais. Posons la question à ceux qui ont manifesté pour
plus de démocratie et de liberté à cette époque. Ils se retrouvent
aujourd’hui en pleine guerre !» Avec la colonisation de l’Algérie par la
France et la confiscation des terres des paysans algériens, accentués
par la Première Guerre mondiale,les premiers flux migratoires d’Algériens sont apparus en France. «Dès 1920, puis avec l’appel à la main-d’œuvre entre 1954 et 1962, le nombre de migrants algériens s’est multiplié par
deux et dépasse les deux millions, avec notamment 130 000 à 350 000 cotisants à la Fédération de France du FLN. En 1980, elle dépasse la communauté portugaise jusqu’à là majoritaire, devenant, depuis, la plus forte communauté étrangère en France», précise Benjamin Stora et de conclure : «Généralement, le premier objectif d’un migrant expulsé est
de revenir dans ce même pays, parce qu’il le connaît parfaitement.
Hélas ! Nous vivons dans un monde où les plus riches ont le droit de
circuler librement !»


Karim Dadci

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