zadhand
09/08/2015, 14h24
A LA UNE/ACTUALITE_Contribution
09 Août 2015
Les tonneaux des Danaïdes, Beit El Hikma et les dépenses publiques à l’épreuve de la mentalité du beylik
Par Ouahlima Mustapha
[email protected]
J’ai vécu une drôle de mésaventure. Je suis allé chercher mon casier judiciaire, il y a de cela quelque temps, et à ma grande surprise je découvre que j’ai écopé d’une condamnation grave : paiement d’une forte amende pour destruction d’un bien public. J’avoue avoir été vachement secoué. Il y a de quoi ya ben aâmi ! Lorsque je me suis remis de mes émotions, j’ai fait un grand remue-ménage dans ma tête pour dénouer l’énigme. J’ai fini par trouver. Une voiture officielle a forcé le passage à hauteur d’un rond-point et la voiture qui avait la priorité s’est déportée sur mon véhicule pour éviter le choc. Il aurait commis un crime de lèse-majesté. La voyant arriver j’ai braqué sec vers le trottoir ! Pour subir des dégâts il en a subis, le trottoir. Mais je vous laisse juge ; ce n’était pas de ma faute, non ! Et pourtant c’est sur moi que ça tombe ! - Je suis allé au tribunal pour m’acquitter de l’amende et apurer, ainsi, mon casier judiciaire. Que nenni ! Il y a une erreur sur votre nom monsieur, pour vous acquitter de l’amende il faut d’abord casser le jugement pour rectifier l’erreur. Ce fut une petite galère. A l’audience j’ai écopé d’une amende de 5 000 DA avec sursis. Le juge a eu l’amabilité de me dire que je pouvais faire appel si je n’étais pas content du verdict. Moralité de l’histoire : un fait anodin peut avoir une conséquence des plus inattendues. Dans le temps, et c’est encore vivace dans l’esprit des personnes âgées, empiéter sur une ligne jaune relevait carrément du blasphème. Il serait de bon aloi que messieurs les officiels imposent à leurs chauffeurs le respect du code de la route. Il est fait pour être respecté. Mine de rien ça exaspère les citoyens.L’usage excessif du gyrophare, aussi, surtout lorsqu’il est manifeste que le convoi n’a rien d’officiel, comme le transport des enfants et des personnes âgées. D’ailleurs à ce propos, nous tenons ici, en cette période de disette, un premier filon à même de permettre quelques économies. C’est du menu fretin, mais je ne cracherais pas dessus ! Un sou est un sou. Dieu merci, nous avons encore des ressources. Nul besoin de pousser le bouchon très loin comme c’est déjà le cas dans certains pays pauvres qui ont pris un train de mesures des plus drastiques : réduction du nombre des collaborateurs des ministres, obligation de voyager en classe économique (la classe affaire est tolérée uniquement pour les voyages de plus de 3h30) et séjours dans des hôtels dont les chambres sont à un prix raisonnable (une moyenne de 13 600 DA au change parallèle). Ces pays pauvres, qui n’ont pas les moyens de se payer une Cour des comptes, ont contourné la contrainte budgétaire en faisant un meilleur usage des nouvelles technologies. Une application informatique donne accès aux notes de frais des ministres. Les informations sont publiques. On devrait prendre exemple sur un de ces pays au bord de la faillite, la Suède «hachakoum». Je ne pouvais pas vous mener en bateau plus loin, la filouterie n’aurait pas résisté à l’anecdote qui suit : - Figurez-vous que la ministre de la Culture de ce pays a été renvoyée pour avoir omis de déclarer au fisc qu’elle a fait appel aux services d’une nounou pour ses enfants. En Suède, l’argent public est aussi sacré que «amoual el yatama» chez nous.
Du bon usage de l’argent public
Il est d’usage qu’un gouvernement fonde son action sur une doctrine économique et s’appuie par la même occasion sur ce qui est communément désigné par le vocable d’«économiste officiel» qui n’a pas pour autant besoin d’occuper une position officielle. Il peut faire autorité grâce à ses travaux à partir de sa chaire à l’université. Le gouvernement fixe des objectifs et se donne les moyens de les atteindre à partir de cette doctrine qu’il fait sienne. Force est de reconnaître, qu’en la matière, il est difficile de s’y retrouver chez nous. L’économie algérienne est ballottée entre un secteur public fort mais bridé par son mode de gestion et une libéralisation mal assumée qui ne permet pas encore au secteur privé de donner la pleine mesure de ses capacités. Le secteur de l’énergie, complètement dominé par l’Etat, vit en vase clos. Il est sans effet d’entraînement sur le reste de l’économie et l’essentiel de sa demande est capté par des entreprises étrangères. Il génère une rente et une aisance financière qui a permis à l’Etat de développer une politique volontariste d’investissements dans les infrastructures comme si cette manne financière était éternelle. L’agriculture est exsangue. L’administration est tatillonne, elle étouffe l’économie au lieu d’être à son service. Circonstance aggravante, la décennie 1990 a été fatale à notre économie. La décision prise par le pouvoir politique de procéder à la privatisation du secteur public avait comme corollaire l’arrêt des investissements dans ce secteur productif. La privatisation n’ayant pas été menée à son terme, on arrive en bout de course, vingt ans après, à un arrêt sur image peu glorieux : des pans entiers du secteur public industriel se sont transformés en actifs dormants ou actifs résiduels pour consacrer la terminologie officielle. Depuis, l’aisance financière aidant des tentatives d’assainissement ont été menées. Les montants alloués pour l’assainissement des entreprises publiques sont tellement importants qu’ils donnent le tournis. On peut se dispenser de les citer. Ce n’est pas tant le principe qui gêne mais la démarche. En effet, tout porte à croire que la démarche n’est pas le résultat d’un choix de politique économique tranché mais le résultat des arbitrages et des choix des technocrates en poste au niveau des ministères. D’ailleurs les fameux ministères techniques n’ont jamais réussi à se départir, totalement, de leur casquette «ministère de tutelle » et ils ont gardé, sensiblement, l’organisation des années 1980. L’unique moment où le «politique» a pris le relais sur ce dossier c’est son inscription à l’ordre du jour de la Tripartie où siègent les représentants d’un gouvernement de technocrates, de la première force politique du pays l’UGTA et du patronat en rangs divisés. La ligne de défense du dossier «assainissement du secteur public», eu égard à la force politique autour de la table – Beit El Hikma —, n’est pas basée sur des critères économiques purs mais elle est, beaucoup plus, basée sur une démarche politique dont le moteur est le patriotisme. Il faut sauver les entreprises du secteur public. Présenté comme ça, qui oserait être contre ? Et c’est probablement la raison pour laquelle cet échec, pour autant qu’il soit considéré ainsi, n’aura pas de sanction politique, il continuera à être traduit en termes comptables au niveau du Trésor. Tout le monde s’accorde à dire que les entreprises du secteur public s’apparentent à de véritables tonneaux des Danaïdes. Est-ce une malédiction ? Pas forcément. Prenant trois exemples pour étayer nos propos.
De la gestion des entreprises publiques
L’hôtel El-Aurassi est le fleuron de l’industrie hôtelière du pays dont 80% du capital est détenu par l’Etat et 20% par des petits porteurs grâce à la magie de son introduction à la Bourse d’Alger. Figurez-vous que moi aussi je suis contre la privatisation de cet hôtel. Mieux encore, je veux des hôtels El- Aurassi partout, j’en veux même un à Paris. Pourquoi pas ? Mais pour que cela arrive, il faut avoir le courage de donner au staff de l’hôtel un pouvoir très simple : accrocher l’écriteau «Plus de crédit» ! Exactement comme les petits commerçants. Le staff doit gérer l’affaire en bon père de famille, tout le monde est d’accord, n’est-ce pas ? Je divague, me diriez-vous ! Non, c’est la réalité des chiffres qui est implacable et elle finira toujours par nous rattraper, y compris pour cette histoire de tonneaux des Danaïdes d’ailleurs. Pour cette entreprise l’exercice clos 2013 donne ceci : pour un chiffre d’affaires de 2 168,7 millions de DA, El-Aurassi a réalisé un bénéfice net de 313 millions de dinars. Petit bémol, le volume cumulé de ses créances sur client est de 452 millions de dinars. Le client c’est qui ? C’est l’Etat ! Le patron de Beit El Hikma est très influent, peut-être qu’il prendra de son temps pour aider les entreprises publiques qui tournent bien à faire du recouvrement. Juste pour qu’elles ne viennent pas grossir la liste de celles qu’il faut assainir un jour ! Autre exemple : la compagnie Air Algérie dont l’équation est encore plus compliquée. De prime abord, il est illusoire de vouloir faire de cette entreprise une société rentable. Cette réalité n’est pas imputable de manière intrinsèque à la compagnie mais elle est imputable à la nature de l’activité. Il est de notoriété publique que les compagnies aériennes, bien mieux gérées qu’Air Algérie, toutes membres de IATA cumulent depuis des années des pertes colossales. La raison fondamentale est que le retour sur investissement dans l’aérien est très faible. Chez Air Algérie le ratio nombre d’employés/ avion est démentiel. Il est à trois chiffres alors qu’il devrait l’être à deux. Qu’elle se rapproche de l’équilibre avant subvention de l’Etat serait déjà une grosse prouesse managériale. Encore faudrait-il conforter le management d’Air Algérie pour agir. Les carences sont pointées du doigt depuis longtemps et le plan d’action est prêt : délestage du réseau d’agences pléthorique (on parle de 150 agences), compression drastique des effectifs et filialisation pour les activités cargo, catering assistance et maintenance. Sans oublier que le secteur de l’aérien doit faire l’objet d’une réflexion globale pour juger, par exemple, de la pertinence de la création d’un troisième opérateur sur le modèle lowcost pour le réseau intérieur et éviter autant que faire se peut que Tassili Air Line ne sombre dans le syndrome Air Algérie en voulant en faire coûte que coûte une «compagnie legacy». Ne doit-on pas privilégier le développement de cette compagnie sur le modèle charter dont elle a la vocation depuis le départ pour répondre à le demande de son actionnaire unique Sonatrach et répondre par la même occasion à la demande touristique et au marché de la visite des Lieux saints? La question est posée. Paradoxalement, les clés de la réforme du secteur sont entre les mains des forces syndicales et dans l’aérien les conflits sociaux coûtent énormément cher. Je ferais une Tripartie rien que pour ça et refilerais le bébé aux gens de Beit El Hikma ! Juste pour le plaisir de mettre les gens en face de leurs propres contradictions. Dernier exemple, Sonatrach. De prime abord, j’avoue ignorer tout de l’entreprise, et de sa stratégie. Là n’est pas le but de mon propos. Tout ce que nous savons au jour d’aujourd’hui à travers une déclaration publique de son premier responsable, en réaction à la chute des prix, est que Sonatrach va continuer d’aller de l’avant dans son plan d’investissement. Rien d’autre ! Plus d’une année déjà que le prix du baril a plongé et pas un soupçon de réforme ou de plan de redéploiement ne pointe à l’horizon chez Sonatrach. Confondrait-on «coût marginal » et «le coût est marginal» chez Sonatrach ? Là, j’avoue y perdre mon latin. Pourtant je suis censé avoir fait des études en économie et finances. Moralité, que le prix du baril caracole à 100 dollars ou qu’il plonge à moins de 40, on ne fait rien. Eh ! On le produit à combien ce putain de baril ? Je veux savoir !
Juste pour ne pas mourir idiot, soyez sans crainte.
Sonatrach serait-elle ce type de société qu’on qualifie «d’Etat dans l’Etat» ?
Les grands majors pétroliers ont tous mis en place des plans d’économie et remettent en cause les projets qui ne sont plus rentables au regard de la conjoncture. Par quel miracle Sonatrach ferait-elle exception ? A moins que ce ne soient pas des critères économiques qui président aux destinées de cette grande entreprise publique ! Qu’on m’explique, c’est quoi l’histoire ? Nous voilà en face de trois sociétés publiques avec des problématiques différentes, en face desquelles l’Etat propriétaire semble ne pas avoir de stratégie. Le bon sens voudrait que ces sociétés soient gérées exactement comme des sociétés privées où l’Etat n’agirait qu’au niveau des décisions stratégiques à travers ses représentants qui siègent au conseil d’administration et qui se contenterait de prendre ses dividendes. Ce ne serait pas mieux ? Ce jour-là peut-être que les entreprises publiques cesseront d’être ces tonneaux des Danaïdes et qu’elles vont migrer de l’état de canards boiteux à celui de dragons. Elles iront à la conquête de grands marchés à l’étranger. Ce n’est pas sorcier, les Sud- Coréens c’est comme ça qu’ils ont fait, il y a de cela plusieurs décennies.
O. M.
09 Août 2015
Les tonneaux des Danaïdes, Beit El Hikma et les dépenses publiques à l’épreuve de la mentalité du beylik
Par Ouahlima Mustapha
[email protected]
J’ai vécu une drôle de mésaventure. Je suis allé chercher mon casier judiciaire, il y a de cela quelque temps, et à ma grande surprise je découvre que j’ai écopé d’une condamnation grave : paiement d’une forte amende pour destruction d’un bien public. J’avoue avoir été vachement secoué. Il y a de quoi ya ben aâmi ! Lorsque je me suis remis de mes émotions, j’ai fait un grand remue-ménage dans ma tête pour dénouer l’énigme. J’ai fini par trouver. Une voiture officielle a forcé le passage à hauteur d’un rond-point et la voiture qui avait la priorité s’est déportée sur mon véhicule pour éviter le choc. Il aurait commis un crime de lèse-majesté. La voyant arriver j’ai braqué sec vers le trottoir ! Pour subir des dégâts il en a subis, le trottoir. Mais je vous laisse juge ; ce n’était pas de ma faute, non ! Et pourtant c’est sur moi que ça tombe ! - Je suis allé au tribunal pour m’acquitter de l’amende et apurer, ainsi, mon casier judiciaire. Que nenni ! Il y a une erreur sur votre nom monsieur, pour vous acquitter de l’amende il faut d’abord casser le jugement pour rectifier l’erreur. Ce fut une petite galère. A l’audience j’ai écopé d’une amende de 5 000 DA avec sursis. Le juge a eu l’amabilité de me dire que je pouvais faire appel si je n’étais pas content du verdict. Moralité de l’histoire : un fait anodin peut avoir une conséquence des plus inattendues. Dans le temps, et c’est encore vivace dans l’esprit des personnes âgées, empiéter sur une ligne jaune relevait carrément du blasphème. Il serait de bon aloi que messieurs les officiels imposent à leurs chauffeurs le respect du code de la route. Il est fait pour être respecté. Mine de rien ça exaspère les citoyens.L’usage excessif du gyrophare, aussi, surtout lorsqu’il est manifeste que le convoi n’a rien d’officiel, comme le transport des enfants et des personnes âgées. D’ailleurs à ce propos, nous tenons ici, en cette période de disette, un premier filon à même de permettre quelques économies. C’est du menu fretin, mais je ne cracherais pas dessus ! Un sou est un sou. Dieu merci, nous avons encore des ressources. Nul besoin de pousser le bouchon très loin comme c’est déjà le cas dans certains pays pauvres qui ont pris un train de mesures des plus drastiques : réduction du nombre des collaborateurs des ministres, obligation de voyager en classe économique (la classe affaire est tolérée uniquement pour les voyages de plus de 3h30) et séjours dans des hôtels dont les chambres sont à un prix raisonnable (une moyenne de 13 600 DA au change parallèle). Ces pays pauvres, qui n’ont pas les moyens de se payer une Cour des comptes, ont contourné la contrainte budgétaire en faisant un meilleur usage des nouvelles technologies. Une application informatique donne accès aux notes de frais des ministres. Les informations sont publiques. On devrait prendre exemple sur un de ces pays au bord de la faillite, la Suède «hachakoum». Je ne pouvais pas vous mener en bateau plus loin, la filouterie n’aurait pas résisté à l’anecdote qui suit : - Figurez-vous que la ministre de la Culture de ce pays a été renvoyée pour avoir omis de déclarer au fisc qu’elle a fait appel aux services d’une nounou pour ses enfants. En Suède, l’argent public est aussi sacré que «amoual el yatama» chez nous.
Du bon usage de l’argent public
Il est d’usage qu’un gouvernement fonde son action sur une doctrine économique et s’appuie par la même occasion sur ce qui est communément désigné par le vocable d’«économiste officiel» qui n’a pas pour autant besoin d’occuper une position officielle. Il peut faire autorité grâce à ses travaux à partir de sa chaire à l’université. Le gouvernement fixe des objectifs et se donne les moyens de les atteindre à partir de cette doctrine qu’il fait sienne. Force est de reconnaître, qu’en la matière, il est difficile de s’y retrouver chez nous. L’économie algérienne est ballottée entre un secteur public fort mais bridé par son mode de gestion et une libéralisation mal assumée qui ne permet pas encore au secteur privé de donner la pleine mesure de ses capacités. Le secteur de l’énergie, complètement dominé par l’Etat, vit en vase clos. Il est sans effet d’entraînement sur le reste de l’économie et l’essentiel de sa demande est capté par des entreprises étrangères. Il génère une rente et une aisance financière qui a permis à l’Etat de développer une politique volontariste d’investissements dans les infrastructures comme si cette manne financière était éternelle. L’agriculture est exsangue. L’administration est tatillonne, elle étouffe l’économie au lieu d’être à son service. Circonstance aggravante, la décennie 1990 a été fatale à notre économie. La décision prise par le pouvoir politique de procéder à la privatisation du secteur public avait comme corollaire l’arrêt des investissements dans ce secteur productif. La privatisation n’ayant pas été menée à son terme, on arrive en bout de course, vingt ans après, à un arrêt sur image peu glorieux : des pans entiers du secteur public industriel se sont transformés en actifs dormants ou actifs résiduels pour consacrer la terminologie officielle. Depuis, l’aisance financière aidant des tentatives d’assainissement ont été menées. Les montants alloués pour l’assainissement des entreprises publiques sont tellement importants qu’ils donnent le tournis. On peut se dispenser de les citer. Ce n’est pas tant le principe qui gêne mais la démarche. En effet, tout porte à croire que la démarche n’est pas le résultat d’un choix de politique économique tranché mais le résultat des arbitrages et des choix des technocrates en poste au niveau des ministères. D’ailleurs les fameux ministères techniques n’ont jamais réussi à se départir, totalement, de leur casquette «ministère de tutelle » et ils ont gardé, sensiblement, l’organisation des années 1980. L’unique moment où le «politique» a pris le relais sur ce dossier c’est son inscription à l’ordre du jour de la Tripartie où siègent les représentants d’un gouvernement de technocrates, de la première force politique du pays l’UGTA et du patronat en rangs divisés. La ligne de défense du dossier «assainissement du secteur public», eu égard à la force politique autour de la table – Beit El Hikma —, n’est pas basée sur des critères économiques purs mais elle est, beaucoup plus, basée sur une démarche politique dont le moteur est le patriotisme. Il faut sauver les entreprises du secteur public. Présenté comme ça, qui oserait être contre ? Et c’est probablement la raison pour laquelle cet échec, pour autant qu’il soit considéré ainsi, n’aura pas de sanction politique, il continuera à être traduit en termes comptables au niveau du Trésor. Tout le monde s’accorde à dire que les entreprises du secteur public s’apparentent à de véritables tonneaux des Danaïdes. Est-ce une malédiction ? Pas forcément. Prenant trois exemples pour étayer nos propos.
De la gestion des entreprises publiques
L’hôtel El-Aurassi est le fleuron de l’industrie hôtelière du pays dont 80% du capital est détenu par l’Etat et 20% par des petits porteurs grâce à la magie de son introduction à la Bourse d’Alger. Figurez-vous que moi aussi je suis contre la privatisation de cet hôtel. Mieux encore, je veux des hôtels El- Aurassi partout, j’en veux même un à Paris. Pourquoi pas ? Mais pour que cela arrive, il faut avoir le courage de donner au staff de l’hôtel un pouvoir très simple : accrocher l’écriteau «Plus de crédit» ! Exactement comme les petits commerçants. Le staff doit gérer l’affaire en bon père de famille, tout le monde est d’accord, n’est-ce pas ? Je divague, me diriez-vous ! Non, c’est la réalité des chiffres qui est implacable et elle finira toujours par nous rattraper, y compris pour cette histoire de tonneaux des Danaïdes d’ailleurs. Pour cette entreprise l’exercice clos 2013 donne ceci : pour un chiffre d’affaires de 2 168,7 millions de DA, El-Aurassi a réalisé un bénéfice net de 313 millions de dinars. Petit bémol, le volume cumulé de ses créances sur client est de 452 millions de dinars. Le client c’est qui ? C’est l’Etat ! Le patron de Beit El Hikma est très influent, peut-être qu’il prendra de son temps pour aider les entreprises publiques qui tournent bien à faire du recouvrement. Juste pour qu’elles ne viennent pas grossir la liste de celles qu’il faut assainir un jour ! Autre exemple : la compagnie Air Algérie dont l’équation est encore plus compliquée. De prime abord, il est illusoire de vouloir faire de cette entreprise une société rentable. Cette réalité n’est pas imputable de manière intrinsèque à la compagnie mais elle est imputable à la nature de l’activité. Il est de notoriété publique que les compagnies aériennes, bien mieux gérées qu’Air Algérie, toutes membres de IATA cumulent depuis des années des pertes colossales. La raison fondamentale est que le retour sur investissement dans l’aérien est très faible. Chez Air Algérie le ratio nombre d’employés/ avion est démentiel. Il est à trois chiffres alors qu’il devrait l’être à deux. Qu’elle se rapproche de l’équilibre avant subvention de l’Etat serait déjà une grosse prouesse managériale. Encore faudrait-il conforter le management d’Air Algérie pour agir. Les carences sont pointées du doigt depuis longtemps et le plan d’action est prêt : délestage du réseau d’agences pléthorique (on parle de 150 agences), compression drastique des effectifs et filialisation pour les activités cargo, catering assistance et maintenance. Sans oublier que le secteur de l’aérien doit faire l’objet d’une réflexion globale pour juger, par exemple, de la pertinence de la création d’un troisième opérateur sur le modèle lowcost pour le réseau intérieur et éviter autant que faire se peut que Tassili Air Line ne sombre dans le syndrome Air Algérie en voulant en faire coûte que coûte une «compagnie legacy». Ne doit-on pas privilégier le développement de cette compagnie sur le modèle charter dont elle a la vocation depuis le départ pour répondre à le demande de son actionnaire unique Sonatrach et répondre par la même occasion à la demande touristique et au marché de la visite des Lieux saints? La question est posée. Paradoxalement, les clés de la réforme du secteur sont entre les mains des forces syndicales et dans l’aérien les conflits sociaux coûtent énormément cher. Je ferais une Tripartie rien que pour ça et refilerais le bébé aux gens de Beit El Hikma ! Juste pour le plaisir de mettre les gens en face de leurs propres contradictions. Dernier exemple, Sonatrach. De prime abord, j’avoue ignorer tout de l’entreprise, et de sa stratégie. Là n’est pas le but de mon propos. Tout ce que nous savons au jour d’aujourd’hui à travers une déclaration publique de son premier responsable, en réaction à la chute des prix, est que Sonatrach va continuer d’aller de l’avant dans son plan d’investissement. Rien d’autre ! Plus d’une année déjà que le prix du baril a plongé et pas un soupçon de réforme ou de plan de redéploiement ne pointe à l’horizon chez Sonatrach. Confondrait-on «coût marginal » et «le coût est marginal» chez Sonatrach ? Là, j’avoue y perdre mon latin. Pourtant je suis censé avoir fait des études en économie et finances. Moralité, que le prix du baril caracole à 100 dollars ou qu’il plonge à moins de 40, on ne fait rien. Eh ! On le produit à combien ce putain de baril ? Je veux savoir !
Juste pour ne pas mourir idiot, soyez sans crainte.
Sonatrach serait-elle ce type de société qu’on qualifie «d’Etat dans l’Etat» ?
Les grands majors pétroliers ont tous mis en place des plans d’économie et remettent en cause les projets qui ne sont plus rentables au regard de la conjoncture. Par quel miracle Sonatrach ferait-elle exception ? A moins que ce ne soient pas des critères économiques qui président aux destinées de cette grande entreprise publique ! Qu’on m’explique, c’est quoi l’histoire ? Nous voilà en face de trois sociétés publiques avec des problématiques différentes, en face desquelles l’Etat propriétaire semble ne pas avoir de stratégie. Le bon sens voudrait que ces sociétés soient gérées exactement comme des sociétés privées où l’Etat n’agirait qu’au niveau des décisions stratégiques à travers ses représentants qui siègent au conseil d’administration et qui se contenterait de prendre ses dividendes. Ce ne serait pas mieux ? Ce jour-là peut-être que les entreprises publiques cesseront d’être ces tonneaux des Danaïdes et qu’elles vont migrer de l’état de canards boiteux à celui de dragons. Elles iront à la conquête de grands marchés à l’étranger. Ce n’est pas sorcier, les Sud- Coréens c’est comme ça qu’ils ont fait, il y a de cela plusieurs décennies.
O. M.