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zadhand
02/06/2015, 20h12
A LA UNE/ACTUALITÉ


02.06.2015|17h00



Hollande vient en Algérie pour intervenir dans
la question de la succession à Bouteflika


L’Algérie sombre dans la folie, estime Noureddine Boukrouh, l’ancien leader du PRA, ce mardi au forum du quotidien Liberté. Boukrouh a abordé plusieurs questions dont la révision de la Constitution, le Sahara occidentale et l’ingérence française dans les affaires algérienne.





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"Nous sommes les derniers des derniers".



« Nous ne sommes pas encore nés comme citoyens. Nous sommes justes des êtres humains. Nous sommes les derniers des derniers. Les burkinabais et les Burundais sont mieux que nous, a indiqué Boukrouh a propos du silence des Algériens quand Bouteflika a brigué un 4eme mandat à la tête du pays. La situation ne cesse de s’empirer depuis et le dernier congrès du FLN a fini par causer un « traumatisme » à l’ex leader du PRA qui a voulu livrer
ses « ultimes vérités avant d’entrer dans un asile de fous ».
Selon Boukrouh, le président français viendrait en visite à Alger pour intervenir dans la question de la succession. « Il y a quelques choses qui se trame contre l’Algérie », dit-il.
Boukrouh a invité les dirigeants algériens à changer de politique concernant la question du Sahara occidentale. Pour lui, « Le Maroc a pris la proie, l’Algérie paye pour l’ombre ».
Farouk Djouadi

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L’Algérie sombre dans la folie


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Hollande viendrait en Algérie pour intervenir dans la question de la succession

sentenza
03/06/2015, 12h18
Noureddine Boukrouh se dit «écœuré» par le congrès du Front de libération nationale (FLN) qu’il qualifie de «fait divers criminel.»


L’Algérie sombrera dans un autre bain de sang avant la fin de cette décennie, il y aura deux millions de morts, si les choses ne se corrigent pas dans les deux ans à venir», prédit Noureddine Boukrouh, ancien président du Parti du renouveau algérien (PRA) et ancien ministre du Commerce. Invité hier au forum hebdomadaire du quotidien Liberté, M. Boukrouh explique qu’il ne faut pas plus de 10 000 personnes pour déstabiliser un pays. Selon lui, les vulnérabilités existent, il ne manque que l’agression. Noureddine Boukrouh, qui a publié une série de contributions aussi bien sur la réforme de l’islam que sur la crise que traverse l’Algérie, se dit «écœuré» par le congrès du Front de libération nationale (FLN) qu’il qualifie de fait divers criminel.

«Ce n’est pas un moment de la vie politique nationale, mais une honte, une humiliation qui participe d’une logique de destruction, un Premier ministre qui fait parti du FLN, il y a une volonté de détruire l’esprit algérien», fulmine l’invité du forum de Liberté. Pour lui, ce qui se fait sous l’égide du régime actuel n’a rien de rationnel. «Il n’y a pas de stratégie ni de carte politique, le fait divers du FLN, l’annonce du retour d’Ahmed Ouyahia, ce n’est qu’un jeu de ‘ray ray’, un fait d’illusion», souligne Noureddine Boukrouh.

«C’est pour leurrer les gens», soutient-il avant de tonner : «Il y a quelqu’un derrière le rideau qui tire des ficelles vieilles et usées.» «Ce n’est pas de la politique, mais de la ruse de Djeha», appuie le conférencier, qui affirme que «ce quelqu’un n’est autre que Abdelaziz Bouteflika, le président de la République a fait un hold-up de la Constitution et on ne sait pas où elle est». Noureddine Boukrouh regrette, en effet, qu’on n’ait pas réagi à ce hold-up mais l’explique en disant qu’on «n’est pas encore né en tant que citoyen algérien.

On n’est pas le Burkina Faso, ni le Burundi où les citoyens refusent les dictateurs et le pouvoir à vie». En fait, peste l’invité du forum de Liberté, les Algériens sont en «parfaite» équation avec le régime. «Ont proliféré les crédules pour que vivent les malins», raille l’ancien président du PRA, avant de souligner qu’il «ne croit pas à la mythologie, c’est Bouteflika qui gère le pays, on le reconnaît à son style». «Nous sommes dans la folie, aussi bien les gens qui sont au pouvoir, que les Algériens, on a divorcé avec la raison, et Djeha qui nous dirige sait comment on est», indique M. Boukrouh avec un verbe corrosif, mais plein de dérision.

Pour lui, «l’Algérie n’a aucun avenir et le résultat à en attendre c’est la fin». Homme décidément désabusé, l’orateur appelle à réfléchir à la dialectique de notre histoire et soutient que c’est par la fonction que l’on devient citoyen qu’on n’est pas encore. L’ancien président du PRA développe une toute autre opinion par rapport à la question du Sahara occidental. Pour lui, «le Maroc a pris la proie et nous on paye l’ombre».

Combien nous coûtent cette cause et ce problème qui dure ? A-t-on les moyens de continuer à prendre en charge cette question ? «Ce n’est pas normal ce qui se passe dans le pays, c’est de la folie tout simplement», renchérit le conférencier qui reproche au pouvoir de vouloir continuer à berner le peuple pour perpétuer «l’encanaillement qui a atteint aussi les intellectuels». Sur les questions économiques, l’ancien ministre du Commerce dit qu’il ne reste plus de débats sur l’économie avec des gens comme Saadani, Sellal et Haddad. «Ce n’est pas normal que 90% des pays de la planète soient membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), même les plus pauvres.

Nous, nous n’avons pas encore adhéré», souligne-t-il avant de révéler que lorsqu’il ministre du Commerce, l’Algérie était à deux doigts de l’intégrer. La raison ? Il n’y a pas de volonté politique, et le pouvoir veut continuer dans sa gestion patrimoniale de l’économie. «En adhérant à l’OMC, les gens du pouvoir n’auront plus de leviers pour perpétuer leur règne», affirme Noureddine Boukrouh qui estime que le temps presse et que «s’il n’y a pas de correction, l’Algérie va sombrer».
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harroudiroi
03/06/2015, 15h52
Que Dieu nous en préserve

tracasse66
03/06/2015, 16h52
non c une réaction normale vu qu il ne fait plus parti des décideurs alors.......

zadhand
05/06/2015, 20h12
A LA UNE/ACTUALITÉ


05.06.2015|16h33



Boukrouh, version "Penseur"
Décryptage


La conférence-débat animée, lundi dernier, par Noureddine Boukrouh, au Forum de « Liberté »,
n’est pas passée inaperçue.
Ses déclarations fracassantes ont été relayées par plusieurs médias et ont suscité plusieurs réactions.

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Ce jour là, d’aucuns avaient remarqué que l’ex-chef de parti (PRA, de 1989 à 1997) essuyait d’un revers de main toute question relative à l’actualité politique et économique. Se voulant au dessus de la mêlée, Noureddine Boukrouh se présente actuellement avec la casquette de « penseur», ne se consacrant qu’aux débats d’idées. Liberte-algerie.com revient sur ses déclarations,
dont certaines sont passées presque inaperçues, pourtant elles sont loin d'être anecdotiques.

Le « ghachi » et Ferhat Abbas

Lors de son intervention, Noureddine Boukrouh, et après avoir longuement critiqué la situation dans laquelle se retrouve l’algérien lambda, a eu un temps d’arrêt pour revenir à une formule, la sienne. Celle qui le poursuit depuis 25 ans, quand il avait utilisé le terme de « ghachi » pour parler des algériens. Depuis, ce mot est souvent utilisé avec la mention « dixit Boukrouh ». Une « relation » qui déplaît à ex-candidat de l’élection présidentielle de 1995 « on m’a collé cette accusation alors que je n’avais insulté personne » affirma-t-il avec dépit (il s’en expliqua dans une contribution publiée sur les colonnes de quotidien « le Soir d’Algérie », datée du 18 mars 2014. Lire ici). Il compara cet exemple avec ce qu’avait « subi » le premier Président du GPRA, Ferhat Abbas ; suite à sa fameuse phrase concernant l’Algérie dans l’histoire. Boukrouh précisera que celui qu’on avait surnommait « le pharmacien de Sétif » avait été également mal compris. Le « crime » de Ferhat Abbas était un passage d’un article publié, en février 1936, dans le journal « L’Entente » où il indiquait que « l´Algérie en tant que patrie est un mythe. Je ne l´ai pas découverte. J´ai interrogé l´histoire; j´ai interrogé les morts et les vivants; j´ai visité les cimetières: personne ne m´en a parlé...».

La UNE du journal « l’Entente » du 27 février 1936/©D.R.

Des phrases interprétées comme une approbation de l’assimilation par Ferhat Abbas . Une accusation que semble réfuter Noureddine Boukrouh, qui, sans trop s’attarder sur le sujet, rappellera que l’article en question était une réponse de Ferhat Abbas à un autre, publié sur les colonnes du journal “Le Temps”, l’ancêtre du “Monde”. Un autre pan de l’Histoire algérienne encore flouté pour des considérations “historiques”.

Pour revenir au mot « Ghachi », il a fait son chemin et a été déjà inclus dans des mémoires de recherche universitaires. Il est lié en premier lieu au nom de Boukrouh .

Définition de « ghachi » incluse dans le mémoire d’une thèse de magistère au département de langue française de l’université de Constantine (2003)/©Salim KOUDIL

L’ijtihad Boukrouhien face aux réactionnaires !

Comme tout Bennabiste qui se respecte, Noureddine Boukrouh n’a pas omis d’aborder un sujet qui lui tient à cœur, celui de la réforme de l’Islam. « Une thématique que je porte en moi depuis des décennies » dira-t-il en répondant à une question d’un journaliste. Il mentionnera qu’il a déjà lancé une « première étape » avec ses dernières contributions, écrites et télévisuelles. Il en annonce d’autres, malgré « le grand bruit » suscité par ses sorties « surtout la presse arabophone ».

A propos de sa « présence multimédia » de ces derniers mois, il l’explique par l’opportunité « J’ai pensé que le moment était venu et que les algériens pourraient, peut-être, accepter quelques idées ». Des idées qu’il présente comme un « Ijtihad », le sien : « j’ai fais mes recherches, ce sont mes idées, je ne les ai volées de personne, et ce sont des idées qui, jusqu’à présent, n’ont jamais été soulevées dans l’histoire du monde musulman ».

Il est vrai que dernièrement, Noureddine Boukrouh avait été sévèrement critiqué dans une certaine presse arabophone. Il lui a été reproché d’avoir « osé » soulever des questions théologiques. La dernière en date, c’est sa demande de revoir le classement des sourates du Coran. Cependant, alors qu’il argumente avec des données précises, il avait en face lui des détracteurs plus proches des réactionnaires que des "dialogueurs" .

Toutefois, Boukrouh semble ne pas prendre en considération les critiques, et avoue vouloir aller de l’avant! Son action tous azimuts s’étale jusqu’aux librairies. Depuis quelques jours deux de ses livres, édités en 2013, réapparaissent sur les étals (voir image en dessous).


Voulant toucher le maximum de personnes, Boukrouh est également présent sur les réseaux sociaux. Il possède sa propre page Facebook (vraisemblablement géré par son fils) avec plus de 5000 fans et un compte Twitter avec 443 followers.

Les dirigeants algériens ne veulent pas adhérer à l’OMC!

Le nom de Noureddine Boukrouh est, entre autres, lié à l’OMC (Organisation mondiale du Commerce). C’est en référence à la période allant de 2002 à 2004. Deux années durant lesquelles, il a porté le « chapeau » de ministre du Commerce. Il chapeautait le dossier d’accession de l’Algérie à l’OMC. A son époque, il était au 7e round de négociations. Onze ans après, son successeur au poste, Amara Benyounes, a participé, en mars dernier, au…12é round et a promis que l’adhésion est « au dernier virage ». Une situation étrange sur laquelle est revenu Noureddine Boukrouh, lors du Forum de Liberté,avec une critique acerbe contre les gouvernements successifs (voir vidéo en dessous)

A la question de savoir pourquoi l’Algérie n’a pas encore rejoint l’OMC, il répond sans ambages « parce que l’économie qu’on utilise, on l’utilise a des fins politiques » avant d’ajouter que « pour que ceux qui gouvernent ici restent seuls au commandes. Pour que l’’Algérie demeure la leur, au sens patrimonial ».

« (...) même pas comme Don Quichotte »


Noureddine Boukrouh ne cessait pas de répéter lors de son intervention au Forum de Liberté qu’il ne tarderait pas à rejoindre l’asile psychiatrique. Ses écrits, depuis 45 ans, n’auraient finalement pas contribué à changer les choses ! A ce demander, s’il n’était pas finalement découragé et lassé de se battre contre des moulins à vent.

Alors, Boukrouh est-il un Don Quichotte algérien ? Liberte-algerie.com lui a posé la question en marge du Forum. Il refusa catégoriquement la comparaison, donnant même l’air d’avoir été offusqué. Toutefois l’ex-ministre « daignera » revenir à de meilleurs sentiments en affirmant « humblement » que c’était lui faire trop honneur. Il lâcha cette réponse « je ne me considère même pas comme Don Quichotte. Lui, au moins, il a été un héros d’un roman. »…

A espérer que la comparaison soit fausse. Le héros de Miguel Cervantès, en l’occurrence Don Quichotte, n'est-il pas devenu clairvoyant à la fin du roman! Une « qualité » que les algériens espèrent ne pas retrouver chez Boukrouh quand il affirme “Nous avons eu 200 000 morts durant la décennie noire et je m’engage devant l’histoire que nous aurons 2 millions de victimes pendant cette décennie »...


Salim KOUDIL


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zadhand
10/06/2015, 23h08
A LA UNE/ACTUALITÉ


10.06.2015


Ne serions-nous plus que des lâches ?




Nour-Eddine Boukrouh
noureddinboukrouh@yahoo/fr

Si Gaïd Salah n’avait été qu’un maréchal- ferrant veillant au bon état des sabots des mulets de son douar, personne ne se serait intéressé au message d’allégeance qu’il vient d’envoyer à Amar Saâdani qui est le dernier bounadem en Algérie à mériter d’être placé à la tête d’un FLN même avili et traîné dans la boue par des décennies de servilité car ce sigle reste quand même celui sous lequel sont tombés un million et demi de chouhada. Mais il se trouve que Gaïd Salah est général de corps d’armée, chef d’état-major de l’ANP et vice-ministre de la Défense nationale et qu’à ce triple titre, il n’avait pas le droit d’adresser ce message au chef imposé du FLN ou de tout autre parti. Le droit n’étant pas de son côté, il ne reste que le mépris du droit pour expliquer cet acte sans pareil depuis 1989, année où l’armée s’est retirée officiellement de la vie partisane. Auprès de qui peut-on se plaindre de cet attentat contre la morale publique, le droit, la démocratie et l’intérêt du pays ? Auprès de Dieu ? Il faudra attendre la fin du monde pour connaître sa décision. Auprès de l’armée ? C’est lui l’armée et elle est très disciplinée, assure-t-il. Auprès du «premier magistrat du pays» ? Il est, depuis le viol de la Constitution en 2008, le maître d’œuvre de tous les complots contre la morale publique, le droit, la démocratie et l’intérêt du pays, sans dire que le général en question est son adjoint préposé à la répression. S’il n’y a rien à attendre de Dieu dans l’immédiat, si l’armée reste muette devant les atteintes à la morale publique, au droit, à la démocratie et à l’intérêt du pays, si le «premier magistrat » n’est pas un recours mais la source de tous les problèmes, il reste l’ultime solution qui est nous-mêmes, le peuple qui, selon les termes mêmes de la Constitution en vigueur, est le détenteur de la souveraineté nationale et du droit constituant. On lit en effet à l’article 6 : «Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple» et à l’article 7 : «Le pouvoir constituant appartient au peuple. Le peuple exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne…» Le peuple, c’est l’ensemble des Algériens des deux sexes, de tout âge, de toute opinion et de toute appartenance professionnelle, y compris les militaires et les membres des services de sécurité. Lorsque les hommes investis des principales responsabilités constitutionnelles dans un pays sont défaillants, ont été neutralisés ou corrompus, le peuple souverain et constituant a le droit, a le devoir de les récuser et de les remplacer. Mais si cet ultime recours s’avère inopérant, si nous ne sommes plus que des lâches, alors il faut se préparer à faire comme l’émir Boadil après la perte de son royaume en Espagne, Grenade, en 1492 : «Pleurer comme une femme ce qu’il n’a pas défendu comme un homme.» Et les mots sont d’une femme, sa mère. Nous serons inconsolables mais les torrents de larmes de lâches que nous pourrions verser ne rendront pas aux générations qui nous suivront le coin de paradis terrestre que nous avons transformé en fourbi en à peine un demi-siècle de «souveraineté» sous la direction de dirigeants ignares ou sataniques. Exit la vantardise et la cocarde : «Vivre un seul jour en coq plutôt que mille ans en poule !» C’est le contraire que nous avons été, c’est l’inverse que nous avons fait tout au long de notre histoire : mille ans sous diverses colonisations et des décennies d’avilissement sous le règne de «frères» plus nuisibles à l’intérêt national et à la morale humaine qu’aucune occupation étrangère avant eux. Un historien, Salluste, qui fut aussi gouverneur de la Numidie à l’époque où notre pays était occupé par les Romains, a écrit il y a deux mille ans : «Les Numides ne peuvent être enchaînés ni par la crainte ni par les bienfaits.» Cet hommage rendu au sens de la dignité chez les Algériens se justifie-t-il de nos jours alors que la lâcheté (la crainte) et l’encanaillement (les bienfaits) nous submergent comme le déluge a englouti Sumer au temps de Noé ? Ces pensées maussades et démoralisantes me sont revenues cette semaine en lisant les «Mémoires» de Mohamed Saïd Mazouzi qui viennent de sortir. Je ne connaissais du personnage que son nom et l’image qu’il a laissée en quittant la scène politique au milieu des années 1980, celle d’un responsable politique discret. J’ai découvert l’homme qui se tenait derrière cette image d’Epinal et cette découverte m’a ému. Si de nos jours on ne sait plus ce qu’est l’Algérien dont parlait Salluste, si on ne sait plus en ces temps de pourrissement général à quoi il ressemblerait s’il existait, je crois que la réponse est dans les pages, les souvenirs et l’âme de ce patriote. Né en 1926, Mazouzi est dans les années 1940 un militant du PPA que la police coloniale arrête en 1945 pour son implication dans une affaire d’attentat contre un caïd de la région de Dellys. Il ne sera libéré qu’à l’indépendance. Si Mohamed n’a pas été à la Révolution, la Révolution est venue à Mohamed là où il était entre 1945 et 1962, c’est-à-dire en prison. Déplacé d’une prison à l’autre du pays et même de France, il relate dans ses «Mémoires» sa vie carcérale et témoigne depuis cet observatoire sinon du déroulement de la Révolution, du moins de son esprit, de ce qu’elle représentait pour les Algériens morts, torturés ou emprisonnés pour que l’Algérie vive un jour libre et digne. Elle est encore libre, en apparence du moins et pour on ne sait combien de temps encore, mais elle n’est d’ores et déjà plus digne. Il entendait parler des grands noms du mouvement, il fait leur connaissance en prison et relate les évènements auxquels il a été mêlé avec eux ou les paroles entendues de l’un ou de l’autre, nous présentant des personnages au nom connu mais qui n’ont pas eu les faveurs des projecteurs et rapportant ce que les historiens ou les autres mémorialistes n’ont pas rapporté. A certains moments de la lecture on oublie l’auteur pour se laisser bercer par une sorte de voix «off» comme dans les films où le réalisateur fait résonner la voix d’un patriarche ou de l’Histoire en accompagnement de certaines séquences. On a ainsi l’impression que ce n’est pas un homme qui parle mais une entité surnaturelle, en l’occurrence l’âme algérienne. Le livre, surtout dans sa première partie, déborde de candeur comme ce serment fait un jour par lui et un autre compatriote : quand ils seront indépendants, les Algériens ne construiront jamais de prison ! A elle seule cette pensée résume l’innocence des Algériens en même temps que leur irréalisme. Beaucoup en effet croyaient dur comme fer qu’à l’indépendance l’Algérie serait un paradis sur terre et ses dirigeants des anges, et que par conséquent il n’y aurait nul besoin de prisons. Malheureusement pour elle, des diables et des «aghiouls» sortis de ses entrailles ou venus de pays limitrophes en ont fait un camp de concentration puis une cour de miracles puis carrément la propriété d’une mafia ignare et impudente. Tous les Algériens connaissent la vieille incantation «Ah ! si les martyrs revenaient !», une litanie souvent répétée pour exprimer son dégoût devant le spectacle de ce que des dirigeants cyniques et immoraux ont volontairement fait de ce pays. M. Mazouzi ressuscite les martyrs, les fait penser et parler. Ces martyrs, d’une certaine façon, c’est lui ; il les incarne par sa double particularité : celle d’être mort avant eux et celle d’être revenu à la vie à l’indépendance pour témoigner en leur nom. Mohamed Saïd Mazouzi a réussi à témoigner de ce qu’il a vécu en prison, de ce qu’il n’a pas vu parce qu’il était en prison et de ce qu’il a vu une fois sorti de prison. Nous sommes justement au jour de sa sortie de «Maison-Carrée» (El- Harrach). Des combattants du FLN sont venus l’attendre pour le conduire à une maison de Clos-Salembier (El-Madania). Il écrit : «Ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu et ressenti ce jour-là à Alger, je ne pourrai jamais le décrire. C’est tellement fort que tous les mots de toutes les langues de la terre ne seront jamais en mesure de le rendre… Quelque chose que l’on ne peut imaginer aujourd’hui dans cette Algérie désarticulée, délabrée… La joie partagée, le bonheur commun, la fraternité spontanée et naturelle de tout un peuple. La lumière dans les yeux de tous les Algériens pour clore le cauchemar ; malgré le terrorisme de l’OAS et la mort qui rôdait encore çà et là. Ce bonheur-là, aucun Algérien d’aujourd’hui en cette Algérie de mensonge, d’imposture et de rapine ne peut l’imaginer ou le comprendre… » (p. 231). Le livre ne m’a rien appris sur l’histoire de la Révolution ou du mouvement national, l’auteur ayant d’entrée de jeu prévenu que tel n’était pas son but. Des centaines de livres ont été déjà été publiés sur le sujet que j’ai normalement tous lus, mais j’ai trouvé dans ces pages ce que je n’ai pas trouvé ailleurs : l’angle de vue unique et les accents simples, sincères et véridiques d’un patriote qui écrit : «Je ne fais que témoigner timidement de ma vie et un petit peu de l’Algérie» (p. 370). Ce qui m’a captivé, c’est l’homme lui-même, son ressenti des choses, sa manière de voir, sa droiture, qualités qui ont toujours été associées dans mon imaginaire à l’Algérien tel que je m’en suis toujours fait une idée. Comme lui je croyais en ces choses, en ce qu’a dit de nous Salluste, en la formule cocardière citée plus haut, mais j’ai perdu ces illusions alors que l’Algérie indépendante n’avait pas encore bouclé ses dix ans comme en témoignent mes écrits du début des années 1970. Bien avant M. Mazouzi qui me dépasse d’une génération et vibrait de foi en la politique algérienne jusqu’aux premières années du règne de Chadli.
En rendant ici hommage à ce grand patriote, je veux rendre hommage à l’Algérien d’hier qu’il incarne et à l’Algérien de demain qu’il aura peut-être contribué à inspirer car je souhaite de tout cœur que les nouvelles générations lisent ses «Mémoires» et prennent exemple sur lui, sur les valeurs qu’il a incarnées, portées et défendues au détriment de l’intérêt personnel, plutôt que sur la racaille qui nous a souvent dirigés. Reste un regret. J’aurais aimé que ces «Mémoires» aillent au-delà des années 1990 et que leur auteur nous parle de ce qu’il a vu, pensé et ressenti sous le règne de Bouteflika. Il décoche quelques piques à son régime mais on dirait qu’il ne veut même plus voir ou commenter, qu’après avoir été le témoin qui a vu sans être là, il veut devenir le «chahed ma chafch haga» du célèbre film égyptien. Ce n’est pas pour cette Algérie qu’il s’est sacrifié, ce n’est pas pour elle que sont tombés ses frères d’armes et ce n’est pas elle qu’il veut montrer même comme contre-exemple. Que peut-on tirer de ces «Mémoires» ? Leur lecture m’a remué mais elle a aussi stimulé ma réflexion sur nous-mêmes, mon sujet de toujours. Elle me pousse à aller plus en avant dans l’explication autour de laquelle je tourne depuis quarante ans sans vouloir la saisir en entier, sans vouloir me concentrer sur son visage qu’elle s’évertuait à dérober à ma vue pendant tout ce temps pour que je ne la regarde pas et lise sur ses traits la vérité que je devinais, que je soupçonnais. Il fallait juste que j’envisage une hypothèse que j’ai toujours refoulée. Au lieu de me demander pourquoi le peuple algérien, après une glorieuse lutte de libération, s’est laissé encanailler, j’aurais dû me demander : pourquoi en fait il s’est insurgé contre le colonialisme au prix de sacrifices illimités ? Autrement dit, notre libération du colonialisme s’explique-t-elle par une règle ou par une exception : celle d’être dirigés par des étrangers ou des aventuriers issus de nos rangs ? Etait-elle une exigence de l’âme algérienne ou une péripétie de l’Histoire internationale ? Cinquante-trois ans d’indépendance, c’est moins de la moitié de la durée de la colonisation française et sept fois la durée de la Révolution du 1er Novembre : 132+53 = 185 ans d’humiliation et d’encanaillement contre sept ans et demi de bravoure. Où se trouve notre vérité : dans la règle représentée par le chiffre 158 ou dans l’exception représentée par le chiffre 7? Dans notre comportement durant des millénaires ou dans notre comportement pendant les brèves périodes de soulèvement ? L’écart serait là encore plus frappant. Si on creuse davantage on tombe sur d’autres questions, des questions jamais posées parce qu’on croyait connaître la réponse depuis belle lurette alors que l’expérience montre que ce n’est pas le cas : les Algériens ont-ils fait la guerre contre le colonialisme pour leur pays ou pour l’Islam, car ce n’est pas la même chose ? Ils ont nommé leur guerre de libération «djihad», les combattants «moudjahidin » et leur mort «fi sabil Allah» (pour Dieu), la patrie ne venant qu’accessoirement. Ceux qui ont fait cette guerre l’ont-ils faite pour l’Algérie ou pour Dieu, car il y a une nuance ? Etaient-ils la majorité ou la minorité ceux qui sont morts pour le pays, la terre, le drapeau, l’hymne, l’Etat national ? Les soulèvements menés au XIXe siècle par l’émir Abdelkader, les cheikhs Al-Mokrani, Ahadad et Bouamama n’avaient-ils pas les mêmes mots d’ordre ? Ceci expliquant cela, on comprendrait mieux pourquoi trente ans après le cessez-le-feu avec les Français une autre guerre s’ouvrait entre Algériens non pas pour une Algérie meilleure mais au nom de l’Etat islamique. Il faut rouvrir l’enquête classée, s’interroger de nouveau sur notre passé, retourner à la scène de crime pour chercher d’autres indices et réinterpréter ceux qu’on avait déjà. On nous a éduqués dans l’idée qu’il n’y a pas pire que le colonialisme et qu’une fois indépendants, il fallait s’estimer heureux même si on n’a que de l’herbe à manger. En fait, on nous préparait au despotisme, on installait en nous le mythe des héros-libérateurs pour nous soumettre aux desiderata et aux lubies des planqués, des faux moudjahidine, des usurpateurs, des assassins, des assoiffés de pouvoir et de richesses matérielles qui sont encore à l’œuvre aujourd’hui pour achever de vider le pays de sa moelle. Le colonialisme n’a pas encanaillé l’Algérien. Il l’a certes opprimé, exploité, spolié, confiné dans un statut de paria, mais il ne lui a pas appris le mal, le satanisme, le mythe de la chèvre qui vole. Il a soutenu le maraboutisme mais il ne l’a pas inventé, il l’a trouvé sur place. Tout ce qu’il a fait c’était d’approfondir la tendance, d’enfoncer le clou, d’y maintenir les Algériens pour qu’ils demeurent des «msalmin m’kettfin», des êtres résignés au «mektoub», au fatalisme. Au temps du colonialisme, l’Algérie était dirigée par une puissance coloniale. Aujourd’hui elle l’est par une puissance satanique œuvrant par la corruption et le banditisme à vider le pays de ses valeurs morales, de ses ressources humaines et de ses richesses naturelles. Le satanisme a fait plus de mal au pays que le colonialisme car ce dernier n’a pas détruit moralement l’Algérien et était voué à partir un jour ou l’autre ; il a dépouillé le peuple algérien de ses richesses économiques mais pas de ses richesses morales, celles qui ont trouvé Ben Badis, Ferhat Abbas, Ali Al-Hammamy, Moufdi Zakaria, Bennabi et d’autres pour les incarner, les inculquer et les défendre. Aujourd’hui, il n’y a personne pour défendre le pays des pillards et des dispensateurs de mauvais exemples et de précédents mortels. C’est l’encanaillement, la soumission et la lâcheté dans tous les compartiments et à tous les étages de la vie nationale. L’encanaillement, c’est lorsqu’on ne croit pas en quelque chose mais qu’on fait semblant d’y croire par lâcheté ; lorsqu’on sait une chose anormale et que l’on se comporte avec elle comme si elle était tout à fait normale par calcul ; lorsque tout va de travers et qu’on persiste à soutenir que tout baigne dans l’huile parce qu’on y trouve son compte ; lorsqu’on cache la vérité parce qu’on a été soudoyé ou intimidé ; lorsqu’on piétine les lois sans redouter une sanction ; lorsqu’on falsifie les résultats des urnes pour favoriser ses partisans ; lorsqu’on met des personnes à des places qu’elles ne méritent pas ; lorsqu’on préfère les fripouilles aux hommes honnêtes ; lorsqu’on achète pour quatre sous les consciences et les allégeances des civils, des militaires et des assimilés. L’encanaillement a perdu les nations qui se sont laissé envahir par lui. Un peuple ne peut pas espérer devenir grand quand il est tombé aussi bas ; un Etat perd son honneur quand il couvre des pratiques irrégulières, quand sa justice est partiale, quand ses représentants abusent de leur position pour s’enrichir ; une administration perd sa raison d’être lorsqu’elle renonce à sa vocation de service public pour devenir un instrument entre les mains des intérêts économiques et politiques des puissants du moment. L’Algérie n’a jamais manqué de moyens, de bras ou de cerveaux. C’est de bons dirigeants et d’une morale publique qu’elle a toujours manqué. Tant de morts depuis Octobre 1988 pour rien ? Pour que des individus s’infiltrent dans les rouages de l’Etat pour piller ses richesses ? Pour qu’une bande de gangsters confisque les symboles de la Révolution à son profit ? Pour imposer de mauvaises lois et bafouer les bonnes ? Pour sacrifier tout un peuple afin d’épargner quelques individus pervers ?
Le pays est en train de se laisser prendre dans une immense toile d’araignée tissée par le clanisme et les intérêts personnels. Il faut la déchirer, s’en dépêtrer, proclamer son refus, son rejet, sa condamnation absolue de l’encanaillement et se libérer de la peur et de la lâcheté comme l’ont fait ceux qui ont libéré le pays entre 1954 et 1962 et dont ne peuvent absolument pas avoir fait partie ceux qui sont en train de couler l’Algérie, de préparer sa recolonisation. Pourquoi l’écrasante majorité d’entre nous sont pauvres alors que le pays regorge de richesses naturelles ? Pourquoi nous taisons-nous devant l’impunité dont bénéficient ceux qui ont pillé les dinars et les devises de la communauté et continuent de le faire en plein jour à partir de positions officielles ? Pourquoi sommes-nous dirigés par un homme cloué à un fauteuil roulant en nous faisant croire qu’il recèle des pouvoirs divins qu’aucun autre parmi les vivants ne possède ? Pourquoi lui et son entourage ont-ils le droit de violer toutes les lois à commencer par la Constitution, et nous l’obligation de respecter tout ce qui vient d’eux au nom du respect de la loi ? La loi de la ruse, de l’intérêt personnel, de l’humiliation, de l’indignité, de la destruction morale, politique et économique de cette nation. Pourquoi acceptons-nous que le sigle du FLN sous l’égide duquel la Révolution du million et demi de martyrs a été menée soit piétiné à ce point, foulé aux pieds d’individus ne méritant même pas le titre d’Algériens, que des ignorants, des corrompus et des valets soient mis à notre tête et que nous en ayons peur plus que de Dieu ? Réponse : parce que nous ne sommes plus que des lâches, tous tant que nous sommes !
A moins que tout ce que je dis soit pure invention de ma part.
N. B.

P. S. : Mme veuve Bennabi, née Khadidja Haouès, est décédée mardi 9 juin 2015 à 11h30 en son domicile à Alger des suites d’une longue maladie et a été mise en terre le jour même dans la discrétion selon les vœux de la famille. La défunte rejoint ainsi son éminent mari, mort le 31 octobre 1973, et achève une longue vie durant laquelle elle a veillé sur Malek Bennabi de son vivant et sur sa mémoire après. Que sa famille, qui est aussi la mienne, reçoive ici mes hommages attristés et ma reconnaissance éternelle.

N. B.

zadhand
14/06/2015, 14h25
14 Juin 2015|00h46

17156

MARECHAL NOUS VOILA !

Le maréchal Philippe Pétain était âge de quatre-vingt-quatre ans lorsque les Français l’ont mis à la tête du pays en 1940 pour les « sauver » car ils croyaient à l’époque aux miracles que peut réaliser un homme du seul fait d’être « ancien moudjahid ». Finalement il les a livrés à la puissance occupante au point que même l’hymne national, « La Marseillaise », composé en 1792, fut remplacé par un chant patriotique plus approprié aux nouvelles circonstances, « Maréchal nous voilà ! ». On trouve dans ce chant une petite phrase qui a du marquer Boutef, « Français, levons la tête !» qui, rendue en patois marocain, a donné « Arfâa raçak ya bâ ! ». Nous aussi nous assistons depuis le feuilleton du Val-de-Grâce à un réchauffement énigmatique entre l’ancien colonisé et l’ancienne puissance occupante, dont on ne nous dit rien bien sûr.

Abdelaziz Bouteflika, venu à l’histoire du pays dans le mystérieux sillage de Boumediene qui l’a gâté comme un enfant, tient entre ses mains, en vertu d’une succession d’aberrations, le sort d’une nation de quarante millions d’âmes non instruites des causes de la vie et de la mort des nations et s’amuse avec notre destin comme un enfant avec un hochet. Il n’y a pas que les enfants qui jouent avec des hochets, au sens figuré le mot est utilisé dans l’expression « le pouvoir et ses hochets ». Ce n’est pas tant à Boutef que je m’intéresse, c’est au hochet qui se trouve être non pas les hurluberlus, les corrompus, les valets et les malotrus qu’il agite sous nos yeux atteints de trachome mais notre pauvre pays, nos misérables vies, l’avenir de cette nation qui n’a jamais connu d’avenir mais seulement les abysses du passé, qui est restée coincée dans une aube éternelle, une « perpétuelle aurore ».

A l’âge où un vieil homme croyant pense à faire le maximum de bien pour compenser le mal fait volontairement ou non tout au long de son existence, cet homme multiplie envers le pays qui lui a tout donné en échange de rien les actes de mal, les complots et les putschs comme on vient de le voir une fois encore au FLN et au RND. Pour ne prendre que les faits saillants et notoires de la saison II de sa vie au pouvoir il a violé en 2008 la constitution pour rester au pouvoir par la ruse, l’intrigue et la fraude jusqu’à sa mort; il a postulé à un quatrième mandat alors qu’il se savait fortement handicapé, montrant ainsi qu’il n’a cure de l’intérêt du pays ; il a fait la chasse aux hommes compétents, honnêtes et patriotes dans les rouages de l’Etat et cherché à la bougie les profils d’hurluberlus, de corrompus, de valets et de malotrus qui conviennent à son style et à ses plans, leur confiant les structures de l’Etat et des partis dont il a besoin pour consolider son pouvoir jusqu’à ce que Dieu le rappelle,
échéance qu’il tient à reculer le plus longtemps possible.

Ce n’est pas une coïncidence, ce n’est pas par hasard ou par accident qu’il a placé les personnages qui sont aujourd’hui aux postes stratégiques du pays et dont le dénominateur commun est l’intérêt personnel en échange d’une fidélité animale. De nombreux indices montrent à tout le monde que le pays s’en va à vau-l’eau, qu’on ne cherche pas des solutions pour le long terme mais juste pour le temps qui reste, et pourtant on continue de se comporter comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des pays.

Sans parler de ce qu’on ne sait pas, de ce qu’on découvrira peut-être un jour et qui est probablement plus grave que ce qu’on a vu ou sait et qui donne sens aux manœuvres en cours. Les « affaires » sont expédiées au pas de charge par une justice encadrée au plus près pour que les corrompus, aux plus hauts postes de l’Etat, en retrait ou en fuite, ne soient pas inquiétés. C’est dans cette ambiance surréaliste qu’un Ouyahia, actionné comme un hochet, est sorti en pleine lumière pour nous assurer que tout va pour le mieux et qu’en guise de reconnaissance nous devrions entonner à haute voix, dirigés par sa baguette de maestro, « Maréchal nous voilà ! » : « Tous tes enfants qui t’aiment/ Et vénèrent tes ans/ A ton appel suprême ont répondu « présent »/ Maréchal nous voilà !.../ En nous donnant ta vie/ Ton génie et ta foi/ Tu sauves la patrie/ Une seconde fois/ Maréchal nous voilà !... ». N’avait-il pas raison le général de Gaulle de traiter les Français de « peuple de veaux » ?
Mais que devrions-nous dire de nous-mêmes ?

A peine lâché, Ouyahia accourt à perdre haleine pour révéler en toute urgence aux médias que les Algériens ne savent pas à quel malheur ils ont échappé si Boutef ne s’était pas sacrifié en se résignant à son corps défendant à un quatrième mandat. Retrouvant son souffle de commis de l’Etat comme il aime à se définir, il nous a appris dans la foulée un secret que seuls les proches de « Hulk al-adjib » connaissaient mais cachaient au peuple pour ne pas heurter sa légendaire modestie : Boutef a récupéré 150% de ses capacités intellectuelles ! Voilà qui va faire oublier Benyounes. On ne peut jamais récupérer que 100% de quoi que ce soit, ya Si Ahmed, car le verbe s’applique à ce qu’on avait déjà, sans dire qu’à partir d’un certain âge aucune récupération n’est possible et que la mort cellulaire poursuit son œuvre irréversible. Mais comme on est au pays de la « chèvre qui vole » où Ouyahia compte parmi les grands maîtres du culte, a beau mentir qui vient de… haut. Ce n’est pas vrai ?
Alors que Boutef parle au peuple, qu’il nous montre ces fameux 150% !

Emporté par son excès de zèle habituel, convaincu d’en savoir plus que les autres car se mesurant à l’aune des incultes qu’il fréquente, dupe ou voulant nous duper sur les vraies raisons pour lesquelles on lui a très tôt confié des responsabilités et confondant le parterre de journalistes qui l’interrogent avec le reste du pays, Ouyahia profère très souvent des bêtises, des faussetés et des inepties.
Il ne dit pratiquement que les unes ou les autres de son air le plus sérieux, donc à son insu,
et en est encore à croire qu’il suffit de dire quelque chose sous le sceau de l’officialité pour qu’elle soit vraie.

Ainsi par exemple de cette phrase lâchée par lui il y a longtemps et que personne n’a corrigée jusque-là : « L’élection présidentielle est la rencontre d’un homme avec son destin ». A l’origine elle était « Une élection présidentielle est une rencontre entre un homme et un peuple » et l’auteur en est le général de Gaulle. Ouyahia s’est emmêlé les pinceaux en voulant dissimuler le plagiat mais il reste que devenir président de l’Algérie n’a rien à voir ni avec le peuple ni avec le destin. On ne peut pas prétendre avoir un « destin » quand on a quitté le RND et qu’on y est revenu sans raisons, sans causes visibles, sans que la composante du conseil national qui l’a destitué et celle qui l’a réinvesti ait changé, diminué ou augmenté. C’est la même volonté extérieure au RND qui l’a déposé puis ramené sans que lui-même ne fasse ou dise quoi que ce soit. Idem pour Bensalah mais lui ne l’a pas caché ni menti, il s’est réfugié dans le mutisme et c’est plus digne que l’esbrouffe.

Ouyahia peut prétendre avoir une vie et même plusieurs mais pas un destin même en devenant président de la RADP. Le destin c’est « l’autre », ça a toujours été et sera « l’autre », la main invisible qui l’a enlevé puis remis au gouvernement, au RND et d’autres endroits ou postes, et qui pourrait bien sûr le mettre encore plus haut ou plus bas. Ouyahia n’est pas le seul dans ce cas, et très nombreux sont ceux qui doivent à l’encanaillement ce qu’ils font passer pour un fabuleux « destin » de surdoué, la bonne étoile d’un enfant béni ou un « rizk min indillah » quand on est un islamiste encanaillé comme il y en a tant.

Le « destin » de l’Algérie n’a jamais aimé les hommes intelligents, brillants, visionnaires, compétents, se suffisant à eux-mêmes, dignes et indépendants car ils sont son antithèse, sa négation, sa réfutation, son surmoi. Ils lui font perdre sa contenance et sa superbe quand il a affaire à eux, il ne peut les asservir ou les humilier et en est maladivement jaloux car l’intelligence ne s’achète pas, ne s’improvise pas, ne s’octroie pas, ne se retire pas et n’est ni un grade ni un uniforme ni une médaille. On l’a ou on ne l’a pas, et nos dirigeants actuels ne l’ont pas. Il faut ajouter que cette prévention contre l’intelligence est largement répandue dans l’inculture sociale qui nous tient lieu de culture et vient de loin dans notre histoire. En fait tous nos malheurs sont venus de cette prévention contre l’intelligence, la rationalité, la liberté de pensée, la distinction, la grandeur…

Les Algériens en vie actuellement n’étaient pas là il y a deux mille ans pour reprocher à Massinissa et Syphax de diverger sur l’attitude à adopter face aux guerres puniques, divergence qui allait entraîner notre colonisation par les Romains ; ni quand nos ancêtres firent appel aux frères Barberousse pour les défendre contre les Espagnols au XVIe siècle et qui finirent par s’installer à demeure jusqu’à ce que les Français les en délogent en 1830. Nous n’étions pas là non plus pour adjurer l’Emir Abdelkader, cheikh Boumaza et le bey Ahmed de coordonner leur résistance face à l’ennemi, ni pour conseiller aux cheikhs al-Mokrani et Ahaddad de placer leurs forces sous un commandement unique pour mieux résister à une armée coloniale affaiblie par la guerre franco-prussienne.

Mais aujourd’hui nous sommes là, en chair et en os, bien portants physiquement et mentalement, instruits pour la plupart, fiers de nos moustaches, rotant de gaz et de pétrole et normalement conscients que notre intérêt est de veiller à la sauvegarde notre pays, un pays que nous n’avons pour nous tout seuls que depuis un petit demi-siècle. Or nous assistons à sa liquidation morale, politique et économique en continuant de ruminer comme des vaches qui regardent le train passer en broutant paisiblement. Le règne de Bouteflika ne sera pas sans conséquence sur l’histoire de l’Algérie et nous le paierons très cher.

La situation que nous vivons n’est pas normale, naturelle, rationnelle. Cette période n’est pas une période comme une autre, elle est au plan interne le stade terminal d’une maladie chronique contractée à l’indépendance et jamais soignée, et au plan externe un encerclement effectif et complet de notre pays. Elle a été rendue possible par l’inconscience d’à peu près la moitié du peuple algérien, enfants et vieillards mis à part, mais surtout par la passivité d’une catégorie qu’on pourrait évaluer à quelques centaines d’individus, peut-être même moins.

Ceux-là avaient et ont toujours les moyens de faire quelque chose pour stopper la dérive suicidaire mais ils ne l’ont pas fait. Mais eux aussi, s’ils devaient parler, tiendraient des propos qui pourraient rappeler ceux de Chadli Bendjedid en septembre 1988, quinze jours avant l’explosion qui allait conduire aux 200.000 morts que nous avons déjà oubliés, passés par pertes et profits. Chadli s’était égosillé dans un discours officiel retransmis à une heure de grande écoute : « Pourquoi le peuple ne bouge-il pas ? Pourquoi accepte-t-il tout ?

Ils feraient valoir des arguments difficiles à récuser : à quoi servent ces dizaines de partis et de personnalités qui ne savent que bavarder, donner des interviews, signer des communiqués, étaler leur médiocrité et leurs ambitions sur les plateaux de télévision sans avoir une quelconque vision de ce qui devrait être fait pour construire une nation viable, ni un diagnostic convenable de la situation, ni même un programme économique ?

Les milieux « bien-pensants » (ce ne serait pas un abus de langage ?), les partis, les intellectuels, les universitaires, la presse, les classes moyennes, tout ce beau monde a pris l’habitude de compter sur la dialectique des « clans » et la pluralité des « décideurs » pour maintenir les équilibres et empêcher que la balance ne penche trop en faveur d’un côté. Or tout indique que le clan présidentiel est désormais en position dominante, faisant perdre le sommeil à ce beau monde qui a la désagréable sensation d’être livré pieds et poings liés à l’ennemi. Que ne se réveille-t-il ? Le moment n’est-il pas venu de se prendre en charge, de compter sur soi, de se battre pour empêcher que ce qui se trame et a pour nom le pire ne survienne?

Le feu est partout autour de nous mais on continue de se dorloter : « Il est encore loin ! » Si nous continuons de laisser faire, si chacun attend que les autres commencent, plongent en premier, soient tabassés, emprisonnés ou abattus, le pays s’écroulera et Daech qui n’est plus très loin de nos frontières et dont les bases morales sont déjà solidement installées en Algérie nous réduira à l’esclavage. On surveille peut-être du ciel, de terre et de mer les voies et pistes menant à notre territoire oubliant que Daech est déjà là, dans nos murs, sous l’aspect de dizaines de milliers de jeunes et de moins jeunes qui n’attendent que le moment de faiblesse propice pour s’habiller de noir et commencer à décapiter et à charcuter. Nos maréchaux peuvent continuer à nous endormir avec des mots et bomber le ventre, ils ne nous y prendront pas une deuxième fois. Ils n’ont pas prévenu la formation des GIA et de l’AIS avec qui ils ont été contraints de négocier à la fin, mais cette imprévoyance a couté 200.000 morts et des dizaines de milliards de dollars de destructions économiques. Et ce n’est pas fini…

Nous avons pris un exemple de l’histoire de France où un homme, le maréchal Pétain, appelé pour sauver son pays, l’a coulé par aveuglement, incompétence et mégalomanie. Il y a un autre exemple dont pourrait s’inspirer l’opposition si elle souhaite vraiment sauver l’Algérie. Il s’agit de l’épisode connu sous le nom des « Six bourgeois de Calais ». Au XIVe siècle, la Guerre de cent ans bat son plein entre la France et l’Angleterre. Le roi anglais Edouard III traverse la Manche en 1346 et attaque la ville de Calais qu’il assiège et affame sans parvenir à la prendre. Après une vaillante et longue résistance, assiégés et assiégeants s’entendent sur un compromis : les Français livreront six de leurs plus honorables personnalités qui seront pendues en échange de la vie sauve à la population. Cas de conscience digne d’une tragédie grecque, sujet de prédilection pour un Shakespeare, mais exemple qui ne risque pas de faire école dans l’Algérie des Djouha.

A l’intérieur de la ville encerclée où on mourait de faim par dizaines chaque jour, le plus en vue et le plus riche des notables, le sieur Eustache de Saint-Pierre, s’avance et dit au gouverneur de la ville, le seigneur Jean de vienne, au milieu d’une émotion sans pareille : « Seigneur, il serait grand malheur de laisser un tel peuple mourir ici de famine quand on peut trouver un autre moyen. J’ai si grande espérance de trouver grâce et pardon envers Dieu si je meurs pour sauver ce peuple, que je veux être le premier ; je me mettrai volontiers en chemise, nue tête, la corde au cou, à la merci du roi d’Angleterre ». Car on était fort croyant au Moyen âge et craignait de se damner en se « suicidant » même si c’est pour sauver autrui. Deux autres riches bourgeois, cousins du premier, se portent volontaires pour la mort et très vite le quorum est atteint.

Les six candidats au martyre sortent et se rendent auprès du roi Edouard III qui ordonne aussitôt qu’on leur tranche la tête. Mais voilà que la reine, son épouse, se jette en larmes à ses pieds et le supplie de les épargner, ce à quoi consent finalement le roi qui occupe Calais et oublie l’affaire qui rentre par contre dans l’Histoire de France comme un de ses moments les plus épiques et que Rodin fixera dans le bronze au XIXe siècle. La ville restera anglaise jusqu’en 1558, quand Henri II la reprendra à Marie Tudor.

Notre opposition qui adule le peuple, qui le trouve très « adhim » (grand) comme aime à le flatter le sieur Benflis ne recèle-t-elle pas dans ses rangs peuplés de visages barbus, imberbes et moitié-moitié quelque héroïque Moustache qui, à l’image d’Eustache le calaisien, voudrait donner de son propre chef l’exemple, un exemple qui serait suivi d’autres et délivrerait le peuple algérien du pouvoir honni ? Ou bien préfèrent-ils, en bon Djouhas, attendre patiemment l’ « élément déclencheur » comme aime à dire sire Benbitour, lequel provoquerait « l’explosion populaire » qui, selon le modèle mathématique élaboré sous une tente à Zéralda, ferait tomber le pouvoir au beau milieu de leur écuelle. Au prix de combien de vies humaines, de vies des autres, bien sûr ?
Contrairement à Edouard III, l’honorable CNLTD ne l’a pas encore fixé.

Il est faux de prétendre que les Algériens « n’étaient pas comme ça autrefois », sous-entendant que nous étions meilleurs, que nous étions pétris de qualités à ne savoir où en mettre et que nous les avons perdues par on ne sait quel mystère. Non, on se trompe ; c’était de fausses impressions, des illusions, on se mentait, on se gonflait la gandoura pour cacher combien nous étions chétifs sur ce plan. Nous n’avions que la peau et les os, le reste étant l’effet du pétrole et du gaz. Si nous avions été tels, valeureux et conscients, nous n’aurions pas eu pour dirigeants le grand nombre de Djouha, d’« aghiouls » et de bandits que nous avons eus à notre tête depuis 1962.
Notre « nif » était en fait le nez de Pinocchio,
un nez s’allongeant à chaque mensonge proféré comme dans le conte de Carlo Lorenzini.

Le mal est toujours venu de nous-mêmes, des plus mauvais d’entre nous, de nos innombrables Djouhas, de ceux qui n’ont en vue que leurs intérêts, des ignorants et des incompétents à l’affût des bonnes et lucratives occasions ou places à prendre. Lorsqu’eux osent, nous reculons ; tandis qu’eux se permettent ce qu’ils veulent, nous faisons semblant de protester du bout des lèvres ou de la plume ; pendant qu’eux agissent et avancent de moins en moins masqués, nous nous aplatissons de plus en plus jusqu’à ne plus être visibles pour ne pas entraver leur avancée ; quand eux piétinent les lois, nous nous ligotons avec son respect;
alors qu’ils nous assènent des gifles retentissantes, nous leur tendons l’autre joue…
Ils sont forts de notre faiblesse, audacieux de notre mollesse, impudiques de notre pudeur.

Eux forment un « Nous » parce que peu nombreux et disposant des moyens de l’Etat, de la collectivité, c’est-à-dire les nôtres. Nous, nous sommes des millions mais désaccordés, dispersés, non reliés par des liens nationaux de nature morale, culturelle et politique. Il y a un peu de « Nous » à In Salah, Ghardaïa et en Kabylie mais ailleurs il n’y a toujours que des « moi », des poussières de « moi ». J’ai déjà utilisé une image emprunté à la médecine : le corps est une nation biologique. Nous ne sommes pas un corps, un ensemble cohérent d’individus, mais des cellules non assemblées pour former des molécules, un tissu, des organes, un organisme et enfin une entité animée par une conscience… Mais nous pouvons devenir un corps social, une nation biologique.

Nous savons comment naissent les sociétés : par l’apparition en leur sein du « désir de vivre ensemble », par leur solidarité instinctive devant un péril global, par leur réaction commune à un mal venant de dirigeants inaptes ou corrompus comme ont fait les Tunisiens et les Burkinabés. L’impératif de bâtir notre nation sur des bases saines, rationnelles, modernes et démocratiques nous interpelle. Peu importe notre passé récent ou lointain, seul compte notre présent précaire et notre avenir menacé. L’Algérie a mal existé ? Il est temps de la stabiliser à jamais. Il y avait comme un doute sur notre passé ? Effaçons-le par un coup d’éclat psychologique digne du 1er novembre 1954. L’Algérie a été mal construite depuis l’indépendance ? Il faut la reconstruire de fond en comble. Maintenant, tant qu’il y a du pétrole et du gaz, plutôt que demain quand on sera sans ressources, réduits à l’impuissance. Maintenant plutôt que demain car le temps presse, le monde change et les Etats précaires s’effondrent
sous nos yeux et à nos portes comme des châteaux de sable.

Ce chantier sera celui où se formeront notre « Nous » et la société que nous serons devenus. L’œuvre entreprise en commun sera l’usine de transformation d’où, rentrés encanaillés, nous sortirons lavés de nos anciennes lâchetés, libérés de notre mauvaise conscience, de notre égoïsme, de notre « fhama » héritée des siècles de la décadence et de la mentalité de Djouha. Cette victoire sur nous-mêmes sera la défaite des ennemis de la société algérienne, ceux qui ont tout fait jusqu’ici pour empêcher son avènement, s’ingéniant à nous maintenir à l’état de populace, de masses populaires, de population à nourrir... La lutte est en nous, en chacun de nous, entre la volonté veule de garder les avantages que nous croyons tirer de notre soumission, de notre abdication, et la prise de conscience que nous perdrons ces avantages et le reste aussi quand la précarité sera devenue une banqueroute nationale,
une catastrophe générale.

Passés de la colonisabilité à l’encanaillement, il est temps d’inaugurer l’ère qui marquera notre passage de l’encanaillement à la renaissance, de l’assistanat à l’édification d’un nouveau pays sur des bases morales, culturelles, sociales, économiques et politiques nouvelles, un pays qui ressemblera aux autres, aux gagnants, à ceux qui avancent, aux nations fortes, homogènes, éternelles. Un pays où aucun individu ou clan ne pourra plus jamais nous subordonner à sa maladie mentale ou physique, à sa mégalomanie, ses ruses ou son satanisme.

Pendant la lutte de libération nationale il y avait un grand nombre d’Eustache, de Zabana, de Badji Mokhtar, de Larbi Ben M’hidi, de Hassiba Ben Bouali, de P’tit Omar, de Maillot et d’Audin dans les effectifs de la révolution. Quand ils l’ont engagée, nos aînés, pères ou grands-pères selon notre propre âge, étaient peu nombreux et n’avaient que leur détermination et leur acceptation du sacrifice pour la réalisation de l’idéal commun que les dirigeants actuels ont foulé aux pieds des hurluberlus, des corrompus, des valets, des malotrus et des oligarques comme dirait… Poutine. Plus jamais nous ne devrons chanter une version ou une autre de « Maréchal nous voilà ! »
mais uniquement « Algérie nous voilà ! »

zadhand
18/06/2015, 21h50
18 Juin 2015|10h00


17215

Hollande entre célérité et alacrité



Nour-Eddine Boukrouh
noureddinboukrouh@yahoo/fr


Il est venu, il a vu et il est reparti en nous laissant en proie à des interrogations : pourquoi est-il venu, qu’a-t-il vu et qu’a-t-il emporté en dehors de l’accord sur le gaz de schiste ? Comme si ces mystères ne suffisaient pas, François Hollande a ajouté à notre incompréhension un problème lexical avec cette histoire d’«alacrité» dont nous n’étions pas très nombreux ici et en France, hors les gens de l’Académie française, à connaître la signification. Célérité oui, plus ou moins, mais alacrité, c’est carrément du latin pour le commun des deux peuples. Le mot est venu dans la déclaration faite par le Président français après son entrevue avec son homologue algérien : «Le Président Bouteflika m’a donné une impression de grande maîtrise intellectuelle et même c’est rare de rencontrer un chef d’Etat qui a cette alacrité, cette capacité de jugement…» Les mots célérité (de «celeritas») et alacrité (de «alacritas») partagent la même origine, le latin effectivement, riment et comportent tous deux l’idée de vitesse, de mouvement. Célérité veut dire rapidité, promptitude, et alacrité «gaieté entraînante». Personnellement j’ai pris la seconde pour la première jusqu’à ce qu’il me soit venu la curiosité d’aller vérifier dans le dictionnaire et, là, je me suis demandé s’il n’est pas arrivé à Hollande ce qui m’est arrivé car en remplaçant «alacrité» par «gaieté entraînante» la phrase devient boiteuse : «un chef d’Etat qui a cette gaieté entraînante, cette capacité de jugement…» non, ça ne tient pas la route. Sauf s’il y a eu durant l’entretien un moment d’hilarité à l’initiative de notre Président qui n’ignore pas le penchant facétieux du chef d’Etat français. Mais si tel avait été le cas, Hollande aurait mis une conjonction de coordination, une liaison entre les mots alacrité et capacité. Or, il ne l’a pas fait d’après ce qu’en a rapporté la presse. Il se serait aussi gardé de commettre un impair sachant que s’il est malséant de parler de corde dans la maison d’un pendu, il est tout aussi malséant de parler d’entraînement à propos d’un homme qui n’est plus capable de mouvement. Laissons là les aspects de forme pour nous occuper maintenant du fond. A quels chefs d’Etat n’ayant pas la «capacité de jugement» de notre Président aurait pu penser Hollande si on lui avait posé la question à brûle-pourpoint ? A l’un d’entre ceux en fonction en Europe, en Amérique, en Asie, en Australie ou en Afrique noire ? Il n’y en a aucun qui soit dans son état. On peut songer à Castro que le Président français a visité à La Havane il y a quelques semaines mais il a renoncé à toute fonction officielle depuis plusieurs années. Je ne vois qu’un cas où Hollande aurait parlé juste en tenant les propos qu’il a tenus lors de sa conférence de presse à Alger : à la sortie d’une rencontre avec Stephen Hawking, l’astrophysicien britannique qui a prouvé l’existence des «trous noirs» et qui a été atteint d’une maladie rare dans sa jeunesse qui lui a fait perdre toutes ses fonctions physiologiques. Depuis, il vit sur un fauteuil roulant aménagé et branché à un ordinateur conçu pour lui. Stephen Hawking est un génie encore actif dans la communauté scientifique et peu d’êtres humains sur la planète peuvent rivaliser avec son intelligence, sa «maîtrise intellectuelle » et sa «capacité de jugement ». Pourquoi n’a-t-on des nouvelles de Bouteflika que par ouïe-dire, par messagers interposés, intéressés ou en service commandé ? Pourquoi trouve-t-il convenable de se montrer dans son état aux étrangers et honteux de se montrer aux siens autrement que de loin ou au moyen d’images traficotées ? Pourquoi ne nous parle-t-il pas à la télévision pour que nous nous soyons aussi rassurés que François Hollande sur sa célérité d’esprit ou même de son alacrité ? Nous n’avons pas plus de raisons de croire Hollande que nous n’avions de croire Ouyahia quand il nous apprenait la semaine dernière que le Président avait récupéré «150% de ses capacités». Le premier l’a fait pour les intérêts de son pays qui ne peuvent pas être mieux servis que par un président diminué au possible et tenant à pareil témoignage flatteur, et le second par simple intérêt personnel. Ça me rappelle des scènes de la vie coloniale que je préfère ne pas vous rappeler pour ne pas vous pousser au suicide.


N.-E. B.

zadhand
28/06/2015, 20h53
MAAMAR FARAH ET LAMARTINE


Dans notre pays malade de tout et de partout, on ne rend hommage à un homme (ou une femme) qu’une fois mort. On est haineux, jaloux, aigri, surtout si on n’est à peu près rien. Dans le domaine intellectuel par exemple, chacun est assuré d’être un génie jalousé. Que fait-on alors ? On jalouse les autres, on se tait devant leurs succès et médit d’eux discrètement. C’est ainsi que personne ne rend hommage à personne car, pensent ces malades, ce serait reconnaître qu’il y a mieux que soi et à cet aveu nul n’est disposé. Ce n’est qu’une fois mort qu’on consent en public à quelques éloges qui fleurent plus le « bon débarras !» que l’aveu « C’était un grand homme ! »Il y a des professions qui escamotent, floutent ou même détruisent des vocations. Celle de journaliste par exemple qui, dans le cas de certains, à force d’être publiés et lus peuvent écrire des choses comme ne le ferait pas le meilleur écrivain du moment mais ne seront jamais regardés que comme des tâcherons, des OS (ouvriers spécialisés), des salariés de l’écriture. Ainsi en est-il, selon moi, du journaliste Mâamar Farah dont la chronique parue jeudi dernier sous le titre anodin de « Le train de banlieue » m’a beaucoup plu et a imposé à mon esprit un parallèle avec le grand poète français Alphonse de Lamartine (1790-1869) dont je connais par cœur depuis ma tendre jeunesse certains poèmes. C’est pourquoi le rappel s’est automatiquement fait, sinon comment y aurais-je pensé ?Ce n’est pas la première fois que je suis touché par une chronique des « Choses de la vie » de Mâamar Farah paraissant le jeudi dans ce journal, et je le lui ai dit il y a quelque temps, mais celle-ci m’a obligé à cette intrusion dans un monde qui est surtout le sien, la poésie et la littérature. On sait qu’il touche à tout et qu’il s’est fixé ces dernières années dans le billet et l’analyse politique sur le vif (c’est ce qu’a fait aussi Lamartine dont l’engagement en politique a été plus loin comme on le verra ), mais moi je trouve qu’il excelle dans la littérature, sa propre littérature car plus personne chez nous ne sait dépeindre comme lui les états d’âme ou les paysages algériens.Qu’est-ce qui m’a séduit dans cette chronique que j’ai lue trois fois ? L’ensemble, du début à la fin, les images, les mots, le ton, la chute, la poésie générale qui s’en dégage et, par-dessus tout, l’âme derrière tout cela, l’âme de l’homme qui les trouvés, choisis et mixés pour composer un texte de cette facture. Lamartine a laissé à l’âme universelle des poèmes comme « Le Lac », « L’isolement », « Le Vallon » ou « Le Désespoir » pour ne citer que ceux-là parce que, justement, j’en ai trouvé des échos dans cette chronique.L’âme dont je parle, dois-je préciser en ce mois de ramadhan, est celle que portent les vrais poètes de tous les temps et de toutes les civilisations, les grands romanciers de toutes les cultures et les chanteurs de renom du monde entier, et non celle des « da’yas » et autres ulémas qui en parlent sans relâche du lever du soleil au coucher alors qu’ils l’ont asséchée et n’ont pour vocation que de l’assécher. En ces jours de jeûne, on ne voit et n’entend qu’eux sur les chaînes nationales et arabo-musulmanes nous parler d’âme avec leurs visages desséchés et ingrats, le regard plein de fatuité et sans aucune lueur de bien…Lamartine, lui, a su parler d’âme, de la sienne d’abord, tant éprouvée par la vie, mais aussi de celle de notre Prophète (QSSL) dont il a dit dans un texte célèbre que j’ai publié en 1971 dans « El-Moudjahid » : « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ? Les plus fameux n’ont remué que des armées, des lois, des empires ; ils n’ont fondé, quand ils ont fondé quelque chose, que des puissances matérielles, écroulées avant eux. Celui-là a remué des armées, des législations, des empires, des peuples, des dynasties, des millions d’hommes sur un tiers du globe habité ; mais il a remué, de plus, des idées, des croyances, des âmes… »Mâamar Farah écrivant en français et bien comme il faut, évoque aussi par certaines de ses descriptions des chansons françaises de Jacques Dutronc, Léo Ferré, Gilbert Bécaud, Jacques Brel… Je veux dire par là qu’il les rejoint, les égale et que le « train de banlieue » appartient à cette catégorie de textes dont on tire des poèmes et des chansons qui ne se démodent pas. Je crois qu’à part lui, il n’y a pas dans notre spectre humain qui soit capable de ces accents de l’âme et de ces pensées trop humaines comme dirait Nietzsche.Les gens qui n’écrivent pas ne savent pas combien il est difficile de composer une chronique sans accroche, à partir de rien, sans s’appuyer sur des faits, des situations, des idées ou des personnages. Quand on y parvient, c’est par une prouesse et le résultat est une véritable création au sens artistique du terme. C’est le cas de celle de jeudi 25 juin où Mâamar Farah parle sans qu’on sache si c’est en son nom ou à la place de quelqu’un d’autre dont on ne sait rien, ni ce qu’il fait, ni d’où il vient, ni où il va, ni dans quel pays ni à quelle période de l’histoire algérienne ou humaine. Le seul point de sûr c’est que l’histoire appartient à l’époque moderne puisque il y est question de trains et de téléphone portable. Enlevez ces deux éléments et vous vous croiriez, pourquoi pas, dans le décor du roman « Graziella » de Lamartine.Comme souvent avec Mâamar Farah, il est difficile de faire la part des choses entre le réel et la fiction, sa propre personne et un personnage de son invention, entre aujourd’hui et une autre époque, entre notre pays et un autre. Cette fois-ci plus que d’habitude, je crois. On n’est même pas sûr de la saison, hiver, automne ou une autre. On ne sait même pas s’il vient d’écrire ce texte ou s’il l’a exhumé de ses archives. Il est arrivé qu’il nous donne à lire des chroniques remontant à longtemps mais qu’on aurait prises pour des produits de la veille.Et cette « banlieue pitoyable », bon sang de bonsoir, où se trouve-t-elle ? A l’Est ? A l’Ouest ? En France ? Un moment j’ai parié pour la France car l’auteur parle de « loto » qu’à ma connaissance nous n’avons pas, mais il y a ces « vitres répugnantes de saleté », ces « wagons repoussants » et cette « longue traversée de misère » qui ne collent pas avec les trains ou les paysages français. J’ai pensé à une époque reculée, celle de Zola et de la « Bête humaine », mais je me suis ravisé car il n’y avait pas alors de « rame à grande vitesse »…Est-ce une confession de Mâamar Farah ? Le compte-rendu d’une journée de sa vie à Annaba ? Est-ce la narration blasée d’une journée de « métro-boulot-dodo » par un prolétaire des années 1960 travaillant à Boulogne-Billancourt et habitant à Trappes ou Mantes-la-Jolie » ? Impossible de trancher. En tout cas je n’y suis pas arrivé et espère qu’il aura la commisération de me soulager avec un petit email. Ce que j’en retiens, c’est que c’est le propre des écrivains de talent et non des journalistes de savoir se glisser dans toutes les peaux. Les grands écrivains se recrutent parmi les « intimistes », les introvertis, et c’est la touche de ce texte, tandis que les journalistes sont essentiellement extravertis, par nécessité de service pourrait-on dire.Que lit-on dans la chronique qui soit si émouvant que je l’affirme et qui justifie la comparaison avec Lamartine ? Voici quelques extraits pour s’en faire une idée mais on peut toujours retourner au texte complet pour former son propre jugement:1) Le personnage qui s’exprime à la première personne du singulier dit au début du texte : « A demi-somnolent, je laisse mes pensées vagabonder en espérant qu’elles m’emmèneront loin de cette banlieue pitoyable où j’ai passé toute ma vie entre deux trains, à errer sur les quais déserts des petits matins pluvieux, à somnoler dans des wagons repoussants, à lire un journal mal imprimé qui me noircit les doigts, à espérer qu’un évènement quelconque vienne me tirer de cette affligeante monotonie qui me bouffe petit à petit ». En langage ancien et châtié du XIXe siècle cette prose peut devenir sous la plume de Lamartine cette strophe du poème intitulé « Le Vallon » : « Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance/ N’ira plus de ses yeux importuner le sort/ Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance/ Un asile d’un jour pour attendre la mort ».2) Mâamar Farah poursuit: « Cela fait un demi-siècle que je fais le va-et-vient entre le dégoût et le désespoir, balloté par le balancement d’une rame à grande vitesse qui s’arrête toujours aux mêmes gares, sous les mêmes insolentes horloges qui s’amusent déjà de nos retards au travail. Cela fait un demi-siècle que je traîne ma gueule blafarde de raté congénital, de vitre en vitre, cherchant à repérer le vol d’un oiseau dans ce paysage fatigué et mangé par la fumée. Et quand, de temps à autre, le ciel se pare de sa belle couleur bleue, il m’arrive de ne pas le remarquer, pris que je suis par mes problèmes insolubles. Pour moi il est toujours gris. Cela fait un demi-siècle que j’attends le bonheur ».Lamartine a confié à «L’isolement » son désespoir : « De colline en colline en vain portant ma vue/ Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant/Je parcours tous les points de l’immense étendue/Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m’attend »/Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières/Vains objets dont pour moi le charme s’est envolé ?/Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères/Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé/ Que le tour du soleil ou commence ou s’achève/D’un œil indifférent je le suis dans son cours/En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève/Qu’importe le soleil ? Je n’attends rien des jours/ Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente/N’éprouve devant eux ni charme ni transports/Je contemple la terre ainsi qu’une ombre errante/Le soleil des vivants n’échauffe plus les mort/Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière/Mes yeux verraient partout le vide et les déserts/Je ne désire rien de tout ce qu’il éclaire/Je ne demande rien à l’immense univers/Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère/Lieux où le vrai soleil éclaire d’autres cieux/Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre/Ce que j’ai tant rêvé paraîtrai-il à mes yeux ? » 3) Mâamar Farah, lui ou on ne sait qui d’autre à sa place, est arrivé à destination on ne sait où, au « Terminus » comme il se contente de nous dire : « Comme un bateau ivre qui retrouve finalement la raison pour s’adosser tranquillement au débarcadère, le train de banlieue, lourd de tant de désespoirs, de désillusions, d’amitiés ratées, d’amours trompées, de mensonges et de paroles en l’air, s’arrête enfin, déversant cette somme de destins enchevêtrés sur les quais sans fin du Terminus… Emporté par la foule qui coule, impétueuse, sous les voûtes de cette gare d’un autre âge, j’avance machinalement. Dans ma main, un journal sale. Je le jette à la première poubelle. Que de choses jetons-nous chaque matin ; à l’heure où nous croyons entamer un autre cycle plus prometteur, lorsque, sous les rayons du doux soleil hivernal, l’illusion d’une renaissance nous pousse à redevenir optimistes ! ».Lamartine continue d’étaler son désenchantement dans « Le Vallon » : « J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie/Je viens chercher vivant le calme du Léthé/ Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l’on oublie/L’oubli seul désormais est ma félicité/D’ici je vois la vie, à travers un mirage/S’évanouir pour moi dans l’ombre du passé/L’amour seul est resté, comme une grande image/Survit seule au réveil dans un songe effacé/ Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile/Ainsi qu’un voyageur qui, le cœur plein d’espoir/S’assied, avant d’entrer, aux portes de la ville/Et respire un moment l’air embaumé du soir/ Tes jours, sombres et courts comme les jours d’automne/Déclinent comme l’ombre au penchant des coteaux/L’amitié te trahit, la piété t’abandonne/Et, seul, tu descends le sentier des tombeaux ».Salut le poète ! Il y a encore des âmes pour vibrer à la lecture de tes méditations poétiques. Au plan humain, tu ressembles aussi à Lamartine qui était un homme bon, un romantique et un révolutionnaire. C’est lui qui a proclamé la IIe République après la Révolution de 1848 où il avait pris le parti du peuple et a été pendant trois mois chef du gouvernement provisoire. Mais un Djouha, le futur Napoléon le Petit, s’étant présenté à l’élection présidentielle de 1848 contre lui, l’emporta et Lamartine se retira définitivement de la vie politique. Il avait obtenu 0,26% des voix. Trois ans après Napoléon le « républicain-démocrate » viola la constitution de 1848, supprima la limitation des mandats, changea l’état-major de l’armée, s’entoura de proches, dont un frère, et d’hommes d’affaires, et proclama le Second empire. Il n’a lâché le pouvoir que dans les circonstances dramatiques pour la France de la guerre franco-prussienne de 1870 où il fut fait prisonnier et l’alsace-lorraine annexée à la Prusse. NBLe Soir d'Algérie du dimanche 28/06/2015


17403

djafar1
29/06/2015, 10h24
attention aux indigestion politiques en ce mois de ramadhan
glissé de la charte nationale vers la tarte nationale risque de coûter:mad: beaucoup

zadhand
09/07/2015, 18h59
Par Nour-Eddine Boukrouh
[email protected]

Ce que nous réserve l’avenir

«Comme toute civilisation dépend, pour son organisation sociale et économique, de la vision du monde qui domine parmi ses membres, les changements de vision du monde sont
les évènements les plus importants de l’histoire humaine.»
Jean Staune (Les clefs du futur).
Héritiers d’une longue tradition d’oralité du fait d’une langue originelle qui a failli disparaître faute de s’écrire, le tamazight, d’une langue qui a longtemps été réduite à leurs besoins religieux, l’arabe, et d’une langue étrangère condamnée du fait des mauvais souvenirs auxquels elle est liée, le français, les Algériens lisent très peu les livres : très rarement en tamazight car il n’y en a presque pas, de moins en moins en français, et des ouvrages religieux en arabe en forte croissance. Peut-on, avec ces caractéristiques, prétendre à une place de choix parmi les sociétés du savoir de demain ?
Nous accordons peu d’importance au savoir contenu dans les livres, nous intéressant pour la plupart aux questions religieuses comme si l’islam venait d’être révélé, le Prophète de mourir et le Jugement dernier pour demain. «Plus tard», pour nous, ce n’est pas l’avenir, l’Histoire, la réalisation des buts terrestres et cosmiques pour lesquels l’être humain a été créé, mais l’«autre demeure» dans laquelle nous allons bientôt déménager pour un établissement définitif et une vie de félicité sans fin. Il n’y a plus que les musulmans sur la terre à avoir une vue aussi étriquée des choses et, plus grave encore, à mourir et à tuer pour des idées fausses qu’ils persistent à croire vraies. Quelle différence entre une idée fausse et une idée folle ? Entre fous n’est-on pas toujours sains d’esprit ? Cela étant, peut-on se considérer comme la «meilleure communauté sortie parmi les hommes» ?
L’ancien «îlm» (savoir religieux) nous dit en nous tapotant sur l’épaule, sur la conscience, qu’il n’est pas une créature sur la terre dont les besoins ne soient à la charge d’Allah («wa ma min dabbatin fil-ardh illa wa ‘âla llahi rizkouha», Coran) idée qu’il nous a présentée il y a quatorze siècles comme la garantie que nous n’avons pas à nous en faire pour notre subsistance alors que ce verset vise la notion de chaîne alimentaire, la nature ayant assigné à chaque organisme vivant, non seulement un système d’alimentation approprié, mais relié à celui d’autres êtres vivants pour que la vie puisse se dérouler comme elle le fait. Ces organismes vivants sont classés en producteurs (végétaux), consommateurs (herbivores et carnivores) et décomposeurs (bactéries et champignons). Dans quelle catégorie nous placerions-nous de notre propre chef ?
Nous nous trompons sur la religion, croyant à tort que nous n’avons été créés que pour «adorer» Dieu. C’est ce qui est effectivement répété plusieurs fois dans le Coran mais le problème n’a jamais été avec le Coran, surtout dans l’ordre où il a été révélé, mais avec les interprétations qui en ont été tirées à une époque où c’est tout ce qui pouvait en être tiré. Adorer Dieu à travers l’exercice de rites se comprend, encore que le rite est plus utile à l’homme qu’à Dieu, mais c’est l’adorer mieux en tendant vers Lui, en allant à Lui en assumant les tâches historiques et cosmiques pour lesquelles il nous a conçus. N’est-ce pas parce que nous portons un savoir obsolète que nous nous trouvons à contre-sens de l’évolution humaine ? Nous sommes hypnotisés par l’incompréhensible autodestruction de plusieurs pays musulmans, horrifiés par des bains de sang absurdes, abasourdis par le bruit des explosions détruisant la ville de Palmyre à qui aucun évènement, aucune folie humaine n’a fait subir un tel sort depuis son édification, son extension et son embellissement successivement par les juifs (Salomon, selon la Bible), les Grecs et les Arabes qui la conquirent deux ans après la mort du Prophète (Khaled ibn al-Walid). Ces derniers n’ont touché à aucun vestige de la ville prestigieuse et ajouté à ce qu’ils ont trouvé de grandioses constructions comme des palais, des voies de circulation et des établissements commerciaux. Même Tamerlan qui pilla ses richesses en 1401 a épargné son patrimoine architectural.
Le Coran demande à l’homme, vicaire de Dieu sur la terre (khalifatû allahi fi-l-ardh), de bâtir des civilisations, de conquérir l’espace, de protéger la nature, mais c’est à peine si l’ancien savoir religieux nous rappelle de ne pas oublier «nacibaka mina dounia» (notre part de ce monde). C’est différent de dire à quelqu’un «fais ceci» ou «n’oublie pas de faire cela», le premier visant quelque chose d’essentiel, le second quelque chose d’accessoire. Quelle sera notre attitude face aux révélations de l’avenir qui risquent d’engloutir par pans entiers nos représentations mentales et beaucoup de nos croyances ? Que ferons-nous lorsque nous les verrons s’écrouler les unes après les autres comme les pans de glace qui tombent de la banquise sous l’effet du changement climatique ? Le monde connaît des révolutions épistémologiques, scientifiques et technologiques d’une ampleur sans précédent, mais nous n’en avons pas conscience, attendant de trouver leurs produits sur le marché pour nous les payer avec l’argent du pétrole.
Au cours de ce siècle, les conditions de la vie humaine vont se transformer, dépassant tout ce qu’on savait et faisait. Tout va aller très vite et à très haut débit. Ces mutations ne sont pas prédites, elles sont déjà pensées, expérimentées et ne tarderont pas à être mises en application. Que ferons-nous dans ce nouveau monde avec nos mentalités réfractaires à toute remise en question de notre conception de l’univers, de Dieu, des autres et de notre raison d’être sur la terre arrêtée il y a bien longtemps ?
Nous recevons les transformations qui se succèdent à grande vitesse en consommateurs, sans qu’elles ébranlent nos convictions ou bouleversent notre vision archaïque des choses. Nous nous y faisons sans en parler ou y réfléchir, nous contentant d’en acquérir les codes nécessaires à leur mise en marche pour en tirer profit. C’est l’apprentissage par le marché et le mimétisme, non par les idées. Puis tout le mode s’y met, jusqu'à la prochaine technologie, le dernier cri ou le meilleur crû qui les remplacera. Quand on n’aura plus de quoi les payer, nous serons éjectés du monde et jetés dans ses caves parmi les peuples sous-classés. Un ami, Youssef Messaoudène, «chercheur isolé» qui en a remontré à des savants patentés en physique théorique, cosmologie et biologie, passionné par les points de convergence entre la science et la métaphysique, vient de me ramener de Paris le dernier livre de son ami le philosophe français des sciences Jean Staune, Les clés du futur, réinventer ensemble la société, l’économie et la science. C’est un ouvrage prospectiviste de sept cents pages paru aux éditions Plon avec une préface de Jacques Attali qui m’a (le livre) subjugué. Il m’a également apporté de sa part un autre ouvrage, Science et quête de sens, que l’auteur m’a dédicacé à la suite d’une conversation téléphonique que nous avons eue il y a quelques semaines.
J’ai connu Youssef Messaoudène lorsqu’il m’a écrit à mon adresse email publique en 2011 pour me proposer de l’aider à la révision de l’écriture de deux études qu’il venait d’achever et destinées à l’Université d’al-Azhar, l’une sur la «Théorie M», l’autre sur le «code génétique». Puis nous nous sommes rencontrés au mois de Ramadhan 2014, car il souhaitait m’entretenir d’un projet lui tenant à cœur : organiser, sous l’égide de l’Etat, un colloque international sur la thématique développée dans le livre qu’il vient de cosigner avec le professeur François Vanucci, professeur émérite de physique, chercheur au CERN de Genève et spécialiste mondial des neutrinos, sous le titre de Dialogue entre foi et science. J’ai eu, là aussi, le plaisir de contribuer à la mise en forme rédactionnelle de la partie échue à notre compatriote.
Youssef a soumis son idée de colloque aux autorités publiques (Présidence, ministère de l’Enseignement supérieur, ministère des Affaires religieuses, Conseil supérieur islamique), il a été reçu par le précédent ministre de l’Enseignement supérieur pour une éventuelle prise en charge de l’évènement, mais, cinq mois après, aucune suite concrète n’a été donnée à la proposition dont le but est de faire profiter le public algérien spécialisé et profane d’une information sur les dernières découvertes scientifiques. Sans parler de l’impact culturel et médiatique d’un tel regroupement de scientifiques mondialement connus à Alger.
Les personnalités susceptibles de participer à ce colloque, en plus des professeurs Staune et Vanucci, pourraient être : l’astrophysicien Hubert Reeves ; les frères Igor et Grichka Bogdanov ; l’Américain d'origine vietnamienne, Trinh Xuan Thuan, professeur d’astrophysique en Virginie, auteur du best-seller La mélodie secrète et découvreur de la plus jeune galaxie connue à ce jour ; I Zwicky ; le Dr Sylvie Déthiollaz, biologiste moléculaire à Genève ; le Dr J. J. Charbonnier, spécialiste des expériences de vie après la
mort ; le philosophe Frédéric Lenoir, auteur dont les œuvres sont traduites en vingt langues ; le polytechnicien François de Witt qui vient de publier La preuve par l’âme, et plusieurs autres savants et spécialistes. Youssef m’a montré un courrier où les frères Bogdanov lui disent : «Nous serions ravis de venir à Alger pour présenter nos travaux sur l’avant-Big Bang à des universitaires et nos idées sur la cosmologie au grand public au cours d’une conférence non technique…» Comme ils y affichent leur intérêt pour la mise en place d’un laboratoire de cosmologie générale avec l’aide d’une institution algérienne. Youssef et Jean Staune, philosophe, anthropologue, mathématicien, informaticien et professeur dans le MBA du groupe HEC sont des amis depuis que le premier est parti à Paris porter au second la contradiction sur la base de certaines notions biologiques et anthropologiques en rapport avec les sujets traités dans ses livres.

Youssef est convaincu que les thèses issues de ses recherches et de sa réflexion atypique peuvent aider à faire avancer les théories actuelles en matière de cosmologie, de physique, de mécanique quantique et de biologie. Et chose étonnante, ses «objections» destinées, si elles sont prises en compte par la communauté scientifique internationale, à réaliser ces avancées sont regardées avec sérieux par les authentiques et très académiques savants que sont Staune, Vanucci et d’autres.
Il n’aurait pas capté leur attention s’il ne les avait épatés avec ses consternantes connaissances alors qu’il a fait des études basiques et exercé dans sa vie professionnelle dans l’art culinaire ; mais cet autodidacte en sait autant que des enseignants universitaires et auteurs reconnus dans leurs spécialités, et c’est ainsi que ces savants sont devenus ses amis et qu’il les a fait venir en Algérie pour des conférences.
En 2012, les physiciens du monde entier sont persuadés que la famille des neutrinos est complète avec trois types : électronique, muonique et tauique. Youssef Messaoudène, lui, soutient dans ses échanges avec le professeur Vanucci la probabilité de l’existence d’un quatrième. En 2013, il reçoit un courriel de ce dernier qui lui écrit : «On parle de nouveaux neutrinos appelés “stériles” qui seraient plus pesants que les trois connus et l’un d’eux pourrait former la matière manquante de l’univers»… S’il a obtenu gain de cause sur ce point, Youssef s’attend à une autre reconnaissance : la dualité onde-corpuscule n’existe pas, tout au plus devrait-on parler de «complémentarité…» Rien ne le fait ciller, et il attend que de nouveaux travaux ou découvertes entérinent ses certitudes intuitionnelles.
Nous avons décliné le profil multidisciplinaire du Dr Staune qui compte à son actif un autre best-seller paru en 2007, Notre existence a-t-elle un sens?. Son dernier livre, Les clés du futur, m’a tout de suite rappelé le livre de l’Américain Alvin Toffler paru en 1970, Le choc du futur, qui a connu un retentissement mondial et auquel Malek Bennabi, je m’en souviens, avait consacré plusieurs séances de son séminaire.
Jean Staune a abattu un travail colossal pour dresser ce bilan des plus récentes découvertes et mises au point technologiques et même celles en cours pour les présenter au large public dans un langage intelligible afin de l’affranchir sur le monde dans lequel vivra bientôt l’humanité. Au fur et à mesure que j’en tournais les pages grandissait en moi la question centrale de ma vie : qu’allons-nous devenir, nous autres Algériens, dans ce monde si proche dans le temps mais à des années-lumière de nos idées actuelles, de nos mentalités séculaires, de nos très pauvres rendements dans tous les secteurs d’étude et d’activité, de nos classements parmi les derniers du monde dans l’ensemble des domaines ? Car toujours je ramène les choses à notre cas, notre état, notre niveau, notre réalité. Mon impression est que nous sommes à la veille d’un moment de l’histoire humaine semblable par ses répercussions à celui où l’évolution naturelle a détaché l’homme du primate (pour ceux qui croient à la sélection naturelle).
Le nouveau monde, nous apprend Les clés du futur, sera l’œuvre de firmes planétaires activant dans les NTIC comme Google à qui 3,5 milliards de demandes sont quotidiennement adressées, Facebook chez qui un milliard de personnes possèdent déjà un compte et Apple, la plus importante capitalisation boursière du monde et qui possède plus de réserves financières que les Etats-Unis. Auxquels il faut ajouter des organismes publics comme la Darpa (Defence Advanced Research Projects Agency), l’Agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense. Cette agence et Google sont en pointe au niveau international dans la recherche en intelligence artificielle.
Internet a déjà changé notre vie, nos relations, nos idées, nos sentiments, l’organisation de notre budget et celle de notre temps. Il a contribué aussi à renverser des régimes politiques, sauvant les uns du despotisme et basculant d’autres dans la guerre civile ou les livrant à la barbarie. Il va nous permettre à l’avenir des choses encore plus fabuleuses comme produire chez soi des objets grâce à une nouvelle technologie, l’imprimante 3D. Des imprimantes de plusieurs mètres de haut pourront «imprimer» des anneaux de 125 grammes pouvant soulever un véhicule d’une tonne, des prothèses d’organes humains et même des maisons en vingt-quatre heures à partir d’un mélange de ciment et de déchets de construction recyclés… Chacun pourra fabriquer à domicile pour ses besoins ce qu’il voudra.
L’auteur nous signale qu’un groupe d’ingénieurs algériens a réussi à fabriquer des briques en utilisant le sable du Sahara qui était considéré comme impropre pour un tel usage et note : «Imaginez le potentiel de l’association des briques faites en sable du désert aux imprimantes 3D géantes capables de construire des maisons !» Il nous donne une adresse pour joindre ces compatriotes : April, 2013 | Green Prophet (http://www.greenprophet.com/2013/04). Quelqu’un a-t-il entendu parler de cette innovation qui pourrait faire sensiblement baisser le coût du logement dans notre pays ? Quelqu’un, institution publique ou entreprise, va-t-il s’intéresser au sujet ?
D’ici vingt à trente ans, annonce Staune, l’utilisation des robots dans la production industrielle va faire disparaître entre 150 et 200 millions d’emplois surtout dans les pays émergents à qui les délocalisations ont considérablement profité ces dernières décennies. Les usines vont être rapatriées et la main-d’œuvre peu coûteuse remplacée par des automates qui feront disparaître beaucoup de métiers : «Il faut bien avoir en tête une règle simple : tout ce qui est automatisable sera automatisé.
La grande question est donc : qu’est-ce qui n’est pas automatisable ? Les chauffeurs de taxi sont-ils à l’abri de cette évolution ? Probablement pas. Dans les grandes villes du moins, il paraît très probable de voir apparaître des voitures sans conducteur comme celles que Google teste actuellement. Les secrétaires ? Elles commencent déjà à disparaître en masse avec le progrès de la reconnaissance vocale… Les standardistes ? On n’en parle déjà plus car elles sont toutes remplacées par un menu vocal… Les traducteurs ? Il suffira à l’avenir d’un seul pour relire et corriger de nombreuses traductions automatiques… Les professeurs ? Même pas ! Aujourd’hui, un professeur peut enseigner à des milliers d’élèves.
Ce ne seront pas des vidéos préenregistrées, mais un automate programmé pour, à partir d’une base de données, fournir les réponses aux questions les plus fréquentes…» (p 44-45)
Que feront tous ces hommes et femmes libérés du travail par le progrès technologique, devenu depuis un demi-siècle la première cause véritable de chômage ? De quoi vivront-ils ? A quoi occuperont-ils le temps ? Quelle société sera possible avec une majorité de désœuvrés qu’il ne sera plus nécessaire de former, d’instruire, puisque l’économie n’aura pas besoin d’eux ? Le remplacement des énergies fossiles par l’énergie solaire rendra la production encore moins chère, mais avec quoi payera cette production un consommateur privé de travail, de pouvoir d’achat ? : «Un grand effondrement de l’économie se produira mathématiquement dans le futur, seule sa date reste encore inconnue. Il lui succédera une société relocalisée, agraire, stable, et ne cherchant plus la croissance comme l’a fait une bonne partie de l’humanité depuis des millénaires.» (p.74).
Les perspectives ouvertes par l’automatisation et la miniaturisation, «small is powerful», semblent illimitées et effrayantes : «Et si l’homme était automatisable dans son ensemble ?... Un jour, grâce à une étude suffisamment poussée des mécanismes du cerveau, nous arriverons à comprendre le fonctionnement de la conscience et nous pourrons alors fabriquer une machine susceptible d’arriver au même niveau de conscience, et donc d’évolution, que l’espèce humaine… La super-intelligence sera la dernière invention de l’espèce humaine et marquera la fin du règne de celle-ci sur la terre… Oubliez les risques du nucléaire civil ou militaire, le réchauffement climatique, la pollution : au XXIe siècle, la plus grande menace pour l’espèce humaine, c’est de très loin la possibilité que nous avons de susciter l’apparition d’une super-intelligence… Nous pouvons être sûrs que, si une intelligence artificielle capable de dépasser l’homme est possible, elle sera forcément réalisée un jour» (p.47 et 56). La convergence de l’intelligence artificielle et des biotechnologies (manipulations génétiques, nanotechnologies) rendra disponibles, vers 2045, des nano-robots capables de parcourir le corps humain pour réparer les cellules et des micro-drones-tueurs, l’arme «la plus décisive et la plus terrifiante inventée par l’humanité» (p. 60).
Après ces annonces qui ont émaillé la première partie du livre, la seconde est consacrée au passage en revue des doctrines économiques libérales et des politiques économiques suivies en Occident entre la fin du siècle dernier et la crise financière de 2008 dans laquelle Staune voit une crise de modèle, une rupture systémique : «Comme la crise des subprimes l’a parfaitement démontré, la recherche de l’intérêt individuel économique d’un petit nombre d’acteurs peut aller à l’encontre des intérêts de quasiment tous les acteurs économiques et gravement menacer l’équilibre de la société… C’est pourquoi, entre étatisme et interventionnisme et libéralisme et privatisations à tous crins, le rôle des Etats dans une société complexe comme celle du XXIe siècle est entièrement à réinventer.» (p. 304)
La troisième partie du livre porte le titre de «Modernité, postmodernité et transmodernité» et s’ouvre sur cette sentence : «La modernité est morte mais elle ne le sait pas encore.» L’auteur veut dire que la prédictibilité n’est plus possible, qu’on ne peut pas modéliser l’avenir, comme personne n’avait prévu que l’immolation de Bouazizi allait déclencher le printemps arabe ; mais de tels évènements «vont augmenter de façon exponentielle» (p. 319) et ce seront des révolutions sans leader, le savoir cessant d’appartenir à des «maîtres» et les bibliothèques de la planète ouvertes à tous, consultables depuis chez soi, sans limite ni paiement. Le savoir n’est plus infus, il est étalé sur la toile avec connexion gratuite et mise en réseau illimitée, il est popularisé et démocratisé, ce qui induira, à terme, une transformation complète des rapports sociaux.
Les relations ne seront plus à l’avenir hiérarchiques mais horizontales et transversales ; les modes de communication et d’échange ayant été renouvelés, ils entraîneront une modification des modes de pensée et une extension des échanges qui ne se feront plus à l’intérieur d’une société mais entre toutes les générations, tous les pays, toutes les cultures et langues…
Dans les deux dernières parties de son ouvrage, l’auteur examine les bases d’une nouvelle économie qui ne reposera pas sur les ressources financières ou naturelles, mais sur la connaissance, l’information et la créativité : «C’est la force intellectuelle qui est la ressource essentielle.» (p.395). Ce sera la troisième révolution en Occident en trois siècles, la première ayant consisté à appliquer le savoir à la technique (savoir-faire des artisans), la deuxième à appliquer le savoir au travail (taylorisme) et la troisième à appliquer le savoir au savoir lui-même. Des concepts scientifiques nouveaux sont apparus qui nous permettront de mieux nous diriger dans la mondialisation complexe devenue notre quotidien. L’éducation, associée à la révolution de l’informatique et de l’Internet, a radicalement changé le potentiel et les structures mentales des personnes qui travaillent en entreprise… Vous venez d’être recruté par une grande entreprise industrielle dont certains produits sont connus dans le monde entier. Vous arrivez dans l’entreprise pour la première fois et demandez à la personne qui vous accueille où est situé votre poste de travail. Quelle n’est votre surprise quand on vous répond : «C’est à vous de l’inventer.» (p. 534-540).
En conclusion, nous apprend le professeur Staune, les composantes de la mutation qui va nous transporter dans une nouvelle époque seront : 1) la révolution technologique des quatre Internet (de la communication, des objets «imprimés» à domicile, des objets connectés et de l’énergie) qui sont «rendus possibles par une augmentation exponentielle des capacités de traitement, de stockage et de transmission de l’information.
Cette révolution est la plus visible, et c’est elle qui a le plus de conséquences sur notre vie car elle modifie notre façon de produire, de consommer, de se comporter, et inversera les rapports de pouvoir entre les particulier, les Etats et les entreprises» (p.660). 2) La révolution conceptuelle (changement de vision du monde induit par des découvertes effectuées dans des sciences fondamentales, telles la physique quantique, l’astrophysique, la théorie du chaos ou les mathématiques). 3) Une révolution sociétale (le passage de l’avoir à l’être). 4) Une révolution économique (passage d’un monde fondé sur les machines et les capitaux à un monde fondé sur le savoir et la créativité). Sommes-nous préparés, nous autres Algériens, à trouver notre place dans ces lignes d’évolution ?


N. B.

17403

zadhand
12/07/2015, 01h14
Par Nour-Eddine Boukrouh

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L’OURAGAN SE CACHE SOUS L’AILE DU PAPILLON


12 juillet 2015, 01:21


Intéressé par les mouvements de l’Histoire autant que les météorologues par les variations du temps je me suis intéressé à l’ « effet papillon » dès mes premiers articles sur le printemps arabe en mars 2011 quand, cherchant dans l’ordre psychique l’équivalent de ce phénomène atmosphérique, j’ai découvert l’ « effet quidamus ».

Les analystes du monde entier parlaient alors d’ « effet papillon », d’ « effet domino », d’ « effet boule de neige », etc, mais personne n’avait fait mention de l’« effet quidamus», expression par laquelle on désigne la possibilité qu’un individu dans la foule peut, à son insu et à la suite d’un acte donné, se trouver à l’origine d’évènements aux répercussions colossales. C’était l’expression qui convenait le mieux à la situation mais elle n’est venue à l’esprit de personne.

J’ai alors lancé à la cantonade l’idée de remplacer « l’effet quidamus » par « l’effet Bouazizi » car le « quidamus » en question, héros inconnu comme celui qui se cache derrière le personnage d’ « Anonymous », avait pour la première fois dans l’Histoire un visage et une identité, ceux de Mohamed Bouazizi. Pour une fois qu’un Amazigh déclenche un ouragan dans l’Histoire, même à son insu, je crois que cela justifie l’inscription de son nom dans le marbre.

Depuis, les despotes ont pu mesurer les conséquences de l’effet papillon sur la vie des nations et sur la leur. Bouazizi, en tant que nom rentré dans l’histoire universelle est né au moment où Bouazizi, simple quidam, est mort. Il n’est pas mort pour une cause car la cause est née après sa mort ; il n’est pas mort en martyr d’une idée mais d’indignation par suite du geste outrancier d’une policière. Le mouvement islamiste international a été le premier gagnant de son sacrifice mais, ingrat, il est le seul à ne pas honorer sa mémoire, y ayant vu le geste d’un apostat.

A l’époque, j’avais trouvé un début d’explication à la simultanéité des révolutions arabes dans une vieille thèse de Carl Gustav Yung qui, dans les années 1930 avait consacré un ouvrage à une de ses découvertes psychologiques qu’il a appelée «synchronicité». Cette théorie qui a été rejetée en raison de sa faible valeur expérimentale était la seule à apporter un peu de lumière au mystère de l’intrication des révolutions arabes. Le grand psychiatre suisse définit la « synchronicité » comme « l’occurrence simultanée d’au moins deux évènements improbables qui ne présentent pas de liens de causalité mais dont l’association prend un sens pour la personne qui les perçoit… Ce sont des coïncidences non espérées. Un évènement synchronistique a un tel degré de signifiance pour la personne qu’elle s’en trouve transformée…L’évènement repose sur des fondements archétypiques…L’archétype est un complexe psychique autonome siégeant dans l’inconscient des civilisations, à la base de toute représentation de l’homme sur son univers tant intérieur qu’extérieur…Il se démarque par une intense charge émotionnelle et instinctuelle…»

Suspectée pour sa proximité avec la mystique comme on en fit alors le reproche à Jung, il a fallu près d’un siècle pour que cette thèse montrât qu’elle était effectivement fondée. La preuve est désormais faite que l’« inconscient des civilisations » existe : un acte à un bout d’une civilisation peut miraculeusement produire des effets psychiques et physiques similaires à l’autre bout du monde qu’elle couvre. J’en ai appris davantage par la suite car je n’avais pas abandonné la réflexion sur le sujet. Je savais que la physique accepte l’existence d’une constante universelle, la « loi de la synchronisation », expliquant dans certains cas ce qui n’est pas régi par le principe de causalité, mais pas que la physique quantique possédait une notion, l’« intrication quantique », qui s’applique aussi bien au monde des particules élémentaires qu’à celui de l’âme, de l’esprit. Cette extension reste cependant hypothétique.

Le phénomène de base a été constaté expérimentalement il y a longtemps : deux électrons interagissent l’un avec l’autre à l’intérieur d’un atome. On les isole, gardant l’un sur les lieux de l’expérience et envoyant l’autre très loin de là. Le premier électron est observé au microscope électronique ; le second, très loin de là, réagit simultanément à l’observation du premier comme si les deux n’étaient qu’une seule et même chose, comme si le temps et l’espace n’existaient pas, non plus que la causalité. Dans ce cas, le lien n’est pas seulement synchronique, il est instantané, c’est une « intrication quantique». Ce n’est que récemment qu’on a transposé le résultat de l’expérience aux phénomènes psychiques comme la télépathie par exemple. Jung avait raison sans avoir les moyens de le prouver.

Si le diable peut se cacher dans le détail, un ouragan peut se cacher dans les battements d’ailes d’un papillon ; le diable est invisible mais on sait que ses œuvres peuvent être cataclysmiques ; les battements d’ailes du papillon sont visibles, leur pression sur l’air négligeable, et pourtant ils peuvent être à l’origine d’ouragans dévastateurs. Ce qui a joué dans le cas du printemps arabe le rôle d’une contagion, disons internationale, peut facilement se reproduire dans le cas d’une contagion, disons nationale.

On attendait le coup au Nord, c’est au Sud qu’il est en train de se dessiner après les évènements de Ouargla, Tigentourine, In Saleh et Ghardaïa, sans parler des anciennes affaires d’enlèvements de touristes étrangers ou des attaques du Mujao contre des sites militaires à Tamanrasset et Ouargla. Le Sud, c’est 90% de notre territoire et 10% de notre population. C’est là qu’il y a pétrole et gaz conventionnels et de schiste, qu’on peut installer suffisamment de panneaux voltaïques pour fournir en énergie l’humanité pendant des millénaires, qu’il y a de l’eau pour des dizaines de milliers d’années, que se trouvent l’uranium, l’or et des minerais précieux, qu’il y a de l’espace, le vide démographique, le plat et les hauteurs, et c’est là aussi qu’on a besoin d’installer des bases militaires pour contrôler l’Afrique. J’ai parlé dans la contribution de jeudi dernier de la possibilité de fabriquer des briques à partir du sable. C’est un petit argument économique mais il s’ajoute aux autres.

Le lépidoptère de mauvais augure papillonne depuis un bon moment dans le ciel de Ghardaïa. Après une virée à In Salah, il est de retour. Je n’ai pas osé dire qu’il « vole » tant il semble petit et insignifiant mais, contrairement à la chèvre, il vole bel et bien. De là, ses effets peuvent se propager dans n’importe quelle direction : loin on ne sait où dans le Sud, vers l’Est, l’Ouest ou le Nord du pays. Il n’apparaît pas sur les radars militaires, il est plus difficile à voir que la lune à la veille d’un ramadhan, mais il virevolte au-dessus du Mzab depuis bientôt deux ans avec un bilan de pertes humaines et économiques de plus en plus lourd. En regardant les images diffusées à la télévision et en entendant les chiffres relatifs au nombre de morts et de blessés, on se croyait dans le quotidien yéménite.

Maintenant qu’on en est à compter les morts par dizaines en une seule journée, le moment de basculement dans l’irréparable ne doit plus être très loin. Si c’est la main de l’étranger qui est en action là-bas, il faut en conclure que notre tour d’être pris dans la tornade approche, que le choix de l’endroit a été fait et qu’il ne reste que celui du moment. Si c’est d’un problème culturel, cultuel, ethnique et identitaire qu’il s’agit, et si ce n’est que notre main à nous qui est en train de touiller et de tripatouiller dans le chaudron du diable, ce sera pareil, la tragédie étant au bout des deux comptes.
Le chant du coq annonce le lever du jour, l’hirondelle l’arrivée du printemps et les affrontements intercommunautaires l’ingérence étrangère. Si la communauté nationale à laquelle en appellent les Mozabites ne se manifeste pas, la communauté internationale qui a l’ouïe fine et la vue claire est disposée à le faire à tout moment. Les Mozabites sont l’unique minorité religieuse d’importance dans notre pays (le nombre des juifs et des chrétiens étant marginal) encore que la qualification soit exagérée, s’agissant d’à peine une nuance religieuse, et à ce titre nous devons les garder comme la prunelle de nos yeux : ils sont amazighs comme le reste des Algériens, sunnites mais non malékites, avec la remarque que le rite ibadite est historiquement antérieur au rite malékite ; c’est une communauté admirée par tout le monde pour son pacifisme, son organisation sociale autarcique et puritaine. Nous aurions tellement gagné à être tous des ibadites à l’aube des temps islamiques, mais on ne refait pas son histoire.

C’est l’unité nationale qui est en train d’être battue en brèche à Ghardaïa. Les commentaires sur les réseaux sociaux commencent à parler de guerre en cours ou à venir entre « Amazighs» ou « Berbères » et « Arabes hilaliens», avec le risque de voir la fracture se propager à terme à d’autres régions. Pendant ce temps, les autorités nationales persistent à mal gérer ce problème purulent, intéressées seulement par ramener le calme là où de l’agitation apparaît. Un Etat malade a besoin de calme et de silence, pas de problèmes à résoudre. On devrait accrocher sur la porte du palais d’El-Mouradia « Don’t disturb ! » comme on fait sur les portes des chambres d’hôtels où le locataire ne souhaite pas être dérangé.

Comme aux époques sombres où les Algériens n’avaient pas d’Etat, comme les habitants de In Saleh lorsqu’ils imploraient mains jointes Allah pour qu’il les préserve des effets nocifs de l’exploitation du gaz de schiste, comme la délégation de ulémas partie d’Alger pour aider à rendormir la « fitna » avec ses lamentations et qui est revenue en laissant derrière elle un feu plus ardent qu’avant, nous en sommes réduits à supplier le ciel de ramener la paix dans la vallée du Mzab et la « rahma » dans les cœurs de ses habitants ibadites et malékites.

Et d’abord pourquoi ont-elles quitté la vallée du Mzab et les cœurs de ses habitants, cette paix et cette « rahma » qui s’y prélassaient depuis mille ans ? Pourquoi trouve-t-on dans toutes les wilayas du pays des « Amazighs-ibadites » et des « Arabes-malékites » (ce n’est pas ma terminologie) vivant côte-à-côte sans la moindre anicroche depuis des siècles alors que dans la wilaya de Ghardaïa on en est arrivé à cette haine ravageuse ? Les causes sont-elles spécifiquement locales ? S’agit-il d’une question d’espace vital, d’expansion, de terrains, de foncier ? En est-on arrivé à ne plus supporter la vue et le voisinage de l’autre ? Faut-il s’entretuer faute de pouvoir déménager ?

Tant qu’on n’aura pas répondu à ces questions, il n’y aura pas de solution au problème et le rameau d’olivier disparaîtra de la région comme il a disparu dans les années 1990 entre Bosniaques et Serbes. On parle de construire un mur comme celui qui sépare Palestiniens et Israéliens, comme celui que veut édifier le Maroc avec nous ou celui que la Tunisie envisage d’ériger entre elle et son voisin libyen, mais c’est oublier que les deux communautés ont en commun le reste de l’Algérie et qu’elles peuvent se dresser mutuellement des embuscades chaque fois qu’elles voudront en découdre à la sortie de la ville, sur l’autoroute ou derrière une dune.

C’est sur France 24 arabe que j’ai suivi les évènements et les débats dans la journée et la soirée du mercredi car il n’y avait rien sur nos chaînes prises dans leur programme ramadanesque qu’aucune n’a jugé opportun d’interrompre au regard de la gravité des évènements. Et je n’ai toujours pas compris ce qui se passe dans cette région, ce qui a conduit à un tel degré d’intolérance réciproque. Nous devons connaître la vérité et examiner impartialement le problème dans sa réalité et son objectivité au lieu de se fatiguer à vouloir l’exorciser avec des incantations. On pourrait y sonner le rassemblement de l’ensemble des « tolbas » des zaouïas d’Afrique du Nord que ça ne servirait à rien.

Il faut un mouvement national de solidarité envers toute la région, un courant d’empathie avec les deux communautés ; il faut ouvrir un débat télévisé téléthonique mettant en présence les deux parties à travers leurs notables, leurs élus, leurs associations, leurs intellectuels, leurs universitaires, leurs jeunesses masculines et féminines, sous le regard et le témoignage de la communauté nationale.

Bouteflika, Sellal, Gaïd Salah et Ouyahia se sont réunis en urgence mercredi dans l’après-midi. Qu’est-ce qu’il en est sorti ? Des condoléances aux familles des victimes, une demande à la population de contribuer au retour au calme et la désignation du chef de la quatrième Région militaire à la tête des autorités de la wilaya. C’est suffisant ? C’est nouveau ? C’est durable ? Ca va être magique ?

La reprise en main de l’ordre public et de la sécurité des personnes et des biens est la priorité des priorités, certes, mais il faut dans le même temps s’attaquer au fond du problème, le trouver, l’examiner pour ce qu’il est et lui appliquer la solution qu’il appelle, la vraie et non n’importe quoi comme le laissent présager les premières paroles proférées par Sellal jeudi à Ghardaïa et rapportées par la presse : « Nous allons instaurer la paix par la force ! Il est inadmissible que des Algériens s’entretuent ! On ne laissera pas semer la « fitna »…»

Dans quel pays, à quelle époque, dans quelles circonstances a-t-on entendu un premier ministre s’exprimer publiquement de la sorte ? Quel problème dans le monde a été réglé par la force ? La guerre du Vietnam ? La première guerre d’Algérie ? La deuxième guerre d’Algérie ? Peut-il, Sellal, nous donner un exemple de paix extérieure ou intérieure instaurée ou restaurée par la force ? Et les autres endroits d’Algérie où règne encore la paix, al-hamdulillah, c’est grâce à la force ? A son ton menaçant ? Ne sait-il pas que des Algériens se sont régulièrement entretués tout au long de leur histoire tribale et que la dernière fois remonte à pas plus tard qu’hier ?

Ne se souvient-il pas que c’est grâce aux négociations entre l’ANP, l’AIS et les GIA que ces derniers ont déposé les armes et non contraints par la force ? Ou veut-il que le maréchal Madani Mezrag lui rafraîchisse la mémoire ? Ignore-t-il que Bouteflika considère la « réconciliation nationale » comme le chef-d’œuvre de sa vie et pour laquelle il a vainement lorgné le prix Nobel de la paix (pas de la force, Si Sellal)? Ne devine-t-il pas que les Algériens vont bientôt devoir s’affronter mais cette fois à cause de l’association d’invalidité, de sénilité et de débilité qui les gouverne contre leur gré et contre tout bon sens ?

La solution qu’appelle le conflit entre Mozabites et Châambas n’est ni militaire ni sécuritaire : elle est morale, administrative, économique et politique. Elle a besoin d’intelligence et non de khéchinisme. C’est le premier conflit du genre en Algérie mais il ne le restera pas si on a une matraque dans la tête à la place de l’intelligence. Nous avions des velléités autonomistes au Nord, pourquoi s’efforcer d’en susciter de nouvelles au Sud ?

Il est incompréhensible que la gendarmerie et la police n’aient pas pu assurer l’ordre avec leurs forces propres (pas assez « fortes » aux yeux bellicistes de Sellal), à moins qu’elles n’aient pas eu la latitude de le faire ou qu’elles n’aient pas reçu au bon moment les ordres nécessaires. L’armée ne peut pas apporter une meilleure connaissance du terrain urbain et des acteurs, facteur essentiel dans ce genre de crise où la puissance de feu, l’armement lourd, les missiles, la marine et l’aviation n’apporteront aucune valeur ajoutée. Reste l’explication politicienne : mouiller l’armée dans toute crise se présentant (on l’a déjà vu à In Saleh) et la préparer à s’opposer à tout mouvement contestant le pouvoir défaillant, première cause de la dégradation de la situation là-bas.

L’Algérie est mal en point sur tous les plans et l’avenir s’annonce sombre pour elle. La Présidence de la République n’existe plus qu’à travers des lettres lues à la télévision que personne n’écoute ni ne lit. Alors que partout dans le monde on améliore chaque jour la gouvernance, le management, le rendement des institutions publiques, qu’on cherche comment prévoir les crises pour les éviter, chez nous les clés de notre destin se trouvent entre les mains d’un pouvoir déclinant et irresponsable au sens moral et médical du terme.

Même si au-dessous de ce pouvoir précaire se trouvent des bataillons de cadres compétents, intègres et dévoués à l’intérêt national, ils sont réduits à l’impuissance par cette accumulation de facteurs négatifs au sommet de la pyramide. Nous avons accepté de maintenir une situation ubuesque où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un homme invalide, où la constitution n’est ni en vigueur ni suspendue, où le conseil des ministres a été aboli, où le gouvernement n’est plus qu’un groupe de ministres indépendants, incontrôlés et livrés à eux-mêmes. Il n’y a pas meilleure configuration pour précipiter l’Algérie dans un cycle infernal car le sommet de l’Etat n’a jamais été affaibli et le pays abandonné à lui-même à ce point.

Personne ne se souvient pourquoi et comment nous avons été colonisés autrefois; pourquoi nous nous sommes combattus ici ou là, jadis, comme le font aujourd’hui Chaâambis et Mozabites ; mais aujourd’hui nous voyons tous que nous allons à la catastrophe, nous savons tous que notre pays va s’écrouler, et nous nous comportons comme si nous étions à la fête. Advienne que pourra !

NB
Le Soir d'Algérie du dimanche 12/07/2015


17403

jim63
12/07/2015, 10h54
salam
l Algérie a besoin d hommes et de femmes de talent a tous les niveaux.
l Algérien de base est fière et courageux mais la classe politique ne produit rien jusqu’a a présent !
je crois bien qu il va falloir encore du sang et des larmes pour obtenir un véritable changement.

zadhand
15/07/2015, 01h25
Par Nour-Eddine Boukrouh

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Conférence débat NABNI du 04/07/2015, restaurant HAVANA, Alger

14 juillet 2015,il y'a 22 minutes


Algérie rêvée : comment renouveler le récit national ?

Cette première rencontre-débat signe le lancement d’une nouvelle activité du collectif NABNI : Algérie Rêvée. Nabni souhaite, à travers ce projet, recréer un...

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17403

zadhand
15/07/2015, 02h38
Par Nour-Eddine Boukrouh

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Culture théocratique et bombe atomique 22.04.2012
13 juillet 2013, 18:00

14 juillet 2015,il y'a 1h



L’Iran est le premier pays musulman contemporain où une révolution populaire a renversé le despotisme. Il avait suscité dans le monde une plus grande polarisation que celle créée par les révolutions arabes, mais, à leur différence, les ulémas chiites avaient préparé l’alternative au régime du shah. L’ayatollah Khomeyni, qui l’avait dirigée de l’étranger, est aussi l’auteur d’un livre, Le gouvernement islamique, dans lequel il a exposé sa théorie du «velayet-e-faqih», c’est-à-dire, le gouvernement du pays par un imam coiffant tous les pouvoirs et chef suprême des armées et des services de sécurité. Dans ce système, le président de la République est une sorte de Premier ministre, même s’il est élu au suffrage universel, alors que le Guide suprême est élu à vie par 86 dignitaires religieux réunis dans une «Assemblée des experts». C’est ce système théocratique qui a remplacé le régime monarchique du shah. Le lendemain du retour de Khomeiny en Iran, je débarquais à Téhéran pour vivre de l’intérieur la Révolution iranienne. Au contact des Iraniens des quartiers populaires chez qui j’ai habité, et à travers les rencontres que j’ai eues avec les hauts dignitaires religieux et les dirigeants de la Révolution de tous bords, j’avais pris la mesure de leur ferveur, de leur confiance en eux-mêmes et de leur certitude qu’ils allaient entrer dans un nouveau cycle de civilisation. Mais je n’avais cessé, pendant et après mon séjour, d’être taraudé par une indéfinissable crainte. De retour en Algérie, j’ai publié une série d’articles pour relater ce que j’avais vécu. Alors que dans le premier, j’avais laissé libre cours à mon enthousiasme («Voyage dans la Révolution iranienne», El Moudjahid du 2 mai 1979), que dans le deuxième, je la défendais contre ses détracteurs («La Révolution assaillie», 3 mai), j’ai mis dans le troisième («L’islam à l’épreuve des musulmans», 4 mai) un voile de scepticisme. Il me paraissait inconvenant de faire plus ou d’étaler mes doutes au grand jour car cette Révolution était encore dans les langes. Le titre que j’avais donné à la troisième partie indiquait clairement que le sujet ne concernait plus la seule Révolution iranienne, mais la plaçait dans une perspective plus large, celle du rapport entretenu tout au long de l’Histoire par les musulmans avec l’islam. J’y exprimais mon appréhension que cette nouvelle mise de l’islam à l’épreuve des musulmans ne soit un ratage. Cette Révolution se voulait islamique, mais il m’était apparu sur place qu’elle était d’abord persane et ensuite chiite. Aujourd’hui, je réalise combien j’ai été bien inspiré de choisir ce titre qui témoigne de la prudence avec laquelle j’étais revenu. Trente-trois ans après, les chiites ne sont plus à l’épreuve de l’islam, mais du judaïsme. Un nouveau round de négociations sur le dossier nucléaire iranien a eu lieu le 14 avril à Istanbul entre les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne et l’Iran. Les participants à ce round ont unanimement jugé que les discussions avaient été «constructives», alors qu’aucune avancée concrète, hormis la prise d’un nouveau rendez-vous, n’a été signalée. Ce qui, par contre, ne laisse pas de surprendre, ce sont les propos du chef de la délégation iranienne, Saïd Jalili, qui a déclaré aux médias : «Les 5+1 ont considéré que la fetwa du Guide de la Révolution sur l’interdiction des armes atomiques était d’une grande importance et qu’elle est la base pour une coopération pour un désarmement nucléaire global.» On doit donc comprendre que l’Iran est venu à ce round avec une fetwa, que la politique internationale a planché à Istanbul sur une fetwa et que ce n’est pas le programme iranien qui était au centre de la rencontre, mais le «désarmement nucléaire global». Ladite fetwa stipule que les armes atomiques sont «haram» et le nucléaire civil «halal». Ne manquait-il aux puissances mondiales que cette sainte distinction pour les convaincre d’abandonner leurs arsenaux, alors que les traités de désarmement bilatéraux (SALT, START et SORT) et multilatéraux (TNP, TICE) n’ont pas réussi, après un demi-siècle de négociations, à mettre la planète à l’abri du danger nucléaire ? L’Iran, déjà sous le coup de six résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, ne semble donc pas trop s’en faire, alors que c’est de l’option militaire qu’on se rapprochera si le round de mai prochain ne débouche pas sur un abandon contrôlé de l’enrichissement de l’uranium à un pourcentage permettant son utilisation à des fins militaires. Car si ce sont les 5+1 qui négocient, ils le font en réalité pour le compte d’Israël et accessoirement des Etats du Golfe qui s’estiment pareillement menacés, en plus du contentieux sur les trois îles du détroit d’Ormuz que les Iraniens ont occupé par la force en 1971 et que les Emirats arabes unis revendiquent comme les leurs. Il est à douter que des juifs, formatés par des réglages religieux propres à eux, se rangent à l’avis d’une fetwa islamique, et que des wahhabites et des sunnites accordent un quelconque crédit à une fetwa chiite. Les Israéliens ont eux aussi, eux surtout, devrai-je dire, une approche religieuse du danger que représenterait pour eux un Iran nucléarisé. C’est une culture essentiellement théocratique qui préside à leurs actes politiques depuis au moins l’apparition de la doctrine sioniste avec la publication en 1896 de «L’Etat juif» par Theodor Herzl. Car deux décennies plus tôt, le Premier ministre anglais, Benjamin Disraeli, s’écriait déjà devant le Parlement britannique en brandissant le Coran : « Tant qu’il y aura ce livre, il n’y aura pas de paix dans le monde !» Et, dans cette culture, menacer Israël suffit pour encourir la mort et la destruction à grande échelle. Ignorer cette dimension mentale et intellectuelle, c’est se condamner à ne rien comprendre à la politique israélienne envers les Arabes et les Palestiniens depuis 1948, et les Perses chiites aujourd’hui. Au cours de sa rencontre en mars dernier avec le président américain, le Premier ministre israélien, venu demander des avions ravitailleurs en vol et des munitions spéciales en liaison avec les préparatifs d’une attaque contre l’Iran, a offert un cadeau symbolique à Obama. Il s’agit d’un des livres (de quelques pages) formant la Bible, le Livre d’Esther, du nom d’une femme juive de la tribu de Benjamin qui aurait été, au Ve siècle av. J.-C., l’épouse du roi de Perse Assuérus, sans qu’il connaisse sa confession, et qui aurait sauvé les juifs d’un massacre annoncé. En lui remettant le livre, Benjamin Netanyahu a dit à Obama : «Lui aussi voulait nous annihiler», comme s’il parlait d’un terroriste recherché depuis… vingt-cinq siècles. On ne sait pas qui il visait au juste, car, selon le Livre d’Esther lui-même, c’est Haman, le Premier vizir, et non le roi, qui aurait fomenté le complot et qui sera d’ailleurs mis à mort pour avoir conçu cette idée après qu’Esther l’eût dénoncé à Assuérus. Sous l’influence d’Esther, le roi promulgue une loi qui «autorisait les juifs, quelle que soit la ville qu’ils habitent, à se rassembler et à défendre leur vie en exterminant, massacrant et supprimant tous les groupes armés d’un peuple ou d’une province qui les attaqueraient, y compris les petits enfants et les femmes, et à procéder au pillage de leurs biens». Le Livre d’Esther poursuit : «Beaucoup de membres des autres peuples du pays se faisaient juifs, tant ils avaient peur d’eux… Ce fut au tour des juifs de dominer ceux qui les détestaient. Ils se rassemblèrent dans leurs villes respectives, dans toutes les provinces du roi Assuérus, pour porter la main contre ceux qui leur voulaient du mal. Personne ne leur opposa de résistance, tant les autres peuples avaient peur d’eux. De plus, tous les chefs de province, les satrapes, les gouverneurs et les fonctionnaires du roi soutenaient les juifs… Les juifs frappèrent tous leurs ennemis à coups d’épées, les tuant et les faisant disparaître. Ils traitèrent selon leur bon plaisir ceux qui les détestaient…» Et tout cela en riposte à une menace qui n’a pas connu un début d’exécution, exactement comme dans le cas du nucléaire iranien. On ne peut s’empêcher, en lisant ces lignes, de penser, d’un côté aux Palestiniens, et d’un autre, aux puissances occidentales qui soutiennent Israël en dépit de ses innombrables violations des droits de l’homme et du droit international depuis 1948. Les historiens n’ont pu recouper aucune donnée de ce récit, qualifié de «roman historique», avec l’histoire bien établie de l’empire perse. Mais là n’est pas l’important. L’important, c’est que les Israéliens y croient et l’appliquent comme un strict devoir religieux. Il ne faut donc pas voir dans le cadeau de Netanyahu à Obama une coquetterie, une plaisanterie ou une provocation, mais la pose d’un simple acte de foi : Israël n’écoute que la voix de son histoire et ne croit qu’à ses Livres sacrés, confirmés ou non par la science historique. Les égards aux lois humaines et au droit international viennent après, et à condition de leur être favorables. L’histoire d’Esther était en l’occurrence la nouvelle la plus fraîche, l’actualité la plus brûlante, dont était venu discuter Netanyahu avec le président américain. Avant de quitter la Maison- Blanche, il a lâché devant les médias : «Israël est maître de son destin.» De là, il s’est rendu à une réunion du lobby pro-israélien aux Etats-Unis, la fameuse et puissante AIPAC, devant laquelle il a dit : «Nous avons donné du temps à la diplomatie, nous avons donné du temps aux sanctions. Nous ne pouvons plus attendre davantage... Je ne laisserai jamais mon peuple vivre sous la menace d’un anéantissement.» Il a parlé en cette circonstance comme Mardochée, l’homme qui, par la ruse, a placé Esther dans le harem d’Assuérus avec l’espoir qu’elle devienne reine de Perse, projet qui se réalisa. A la fin de l’histoire, nous apprend le Livre d’Esther, «le juif Mardochée était l’adjoint du roi Assuérus. Il jouait un rôle important pour les juifs et était très apprécié de ses nombreux frères. Il recherchait le bonheur de son peuple et contribua par ses paroles au bien-être de toute sa lignée». Golda Meir, ancien Premier ministre israélien, rapporte dans son autobiographie ( Ma vie) un souvenir gardé d’une conférence internationale sur les réfugiés juifs à Evian-les Bains (France) à laquelle elle avait assisté à la fin des années 1930. Indignée par l’attitude des représentants des Etats occidentaux qui se relayaient à la tribune pour dire leur compassion aux juifs sans les aider concrètement, elle eut cette pensée : «A la question “Etre ou ne pas être ?”, chaque nation doit apporter sa propre réplique. Les juifs ne peuvent ni ne devraient jamais attendre de qui que ce soit d’autre l’autorisation de rester en vie.» C’est cette femme qui, Premier ministre au moment de la guerre d’Octobre 1973, a failli utiliser l’arme nucléaire contre l’Egypte et la Syrie. Il a fallu toute l’énergie de Nixon pour l’en dissuader en échange d’un pont aérien pour lui livrer les armes et munitions conventionnelles qu’elle souhaitait et des photos-satellites du champ de bataille en temps réel. C’est cette doctrine qu’a appliquée Menahem Begin en 1981 quand il a ordonné la destruction du réacteur nucléaire irakien Osirak, et c’est la même qui anime aujourd’hui Shimon Pérès, Benjamin Netanyahu et Ehud Barak. Et cette doctrine n’est que la traduction de la culture théocratique qui préside à la philosophie politique et à la stratégie intemporelle de survie d’Israël. Les Etats-Unis et l’Europe, qui n’ont jamais exclu l’option militaire et dont les plans opérationnels doivent être fin prêts, ont tâché jusque-là de réfréner les pulsions guerrières d’Israël en arguant que les sanctions suffiraient pour fragiliser le régime iranien qui serait alors contraint de renoncer à ses ambitions. Si cela n’arrivait pas, alors ils attaqueraient de concert un Iran affaibli et coupé du monde comme l’était l’Irak en 2003. La guerre a donc été pour l’instant évitée ou différée, mais elle est inéluctable, sauf brusque recul du régime iranien sur son programme qui ruinerait son crédit tant il a mobilisé son opinion sur cette question. Si le gouvernement israélien décide de passer à l’action contre l’avis de l’Occident, celui-ci sera obligé de suivre. Comme dans le récit biblique : «Le jour- même, le nombre de personnes tuées à Suse, la capitale, fut communiqué au roi, et celui-ci dit à la reine Esther : “A Suse, la capitale, les juifs ont tué et fait disparaître 500 hommes, sans compter les dix fils d’Haman. Qu’auront-ils fait dans le reste de mes provinces ? Cependant, quel est l’objet de ta demande ? Il te sera accordé. Que désires-tu encore ? Tu l’obtiendras.” Esther répondit : “Si tu le juges bon, il faudrait autoriser les juifs de Suse à agir demain encore conformément à la loi en vigueur aujourd’hui et pendre le corps des dix fils d’Haman à une potence”. Le roi ordonna d’agir de cette manière.» C’est vraisemblablement ainsi que se parlent, dans le secret des bureaux présidentiels des grandes puissances, dirigeants occidentaux et dirigeants israéliens à chaque crise impliquant Israël, les premiers dans le rôle d’Assuérus, les seconds dans celui d’Esther. C’est ainsi aussi que la culture théocratique a eu à tous les coups raison de la culture rationnelle et démocratique, et justifié tous les excès, tous les abus et toutes les déraisons israéliennes. Pendre les cadavres d’hommes déjà morts ! Ces crimes, ces pogroms, ce bain de sang n’avaient pour justification qu’une intention, un «projet», celui reproché à Haman «de faire disparaître les juifs et de leur avoir jeté un sort» et qui lui valut la pendaison. C’est ce qui est reproché aujourd’hui à Ahmadinejad, assimilé par l’allusion de Netanyahu à Haman. On lit dans le Livre d’Esther : «Cet édit fut donc proclamé à Suse et l’on pendit le corps des dix fils d’Haman ; de plus, les juifs de Suse se rassemblèrent de nouveau le quatorzième jour du mois d’Adar et tuèrent 300 hommes à Suse… Quant à ceux qui se trouvaient dans les autres provinces, ils tuèrent 75 000 personnes parmi ceux qui les détestaient…» Mais n’a-ton pas lu dans les médias, il y a quelque temps, qu’Ahmadinejad aurait une ascendance juive, tout comme Kadhafi ? L’histoire ne serait-elle que mystères et ésotérisme comme beaucoup d’auteurs l’ont soutenu et dont la plupart ont été passés aux oubliettes ou poursuivis devant les tribunaux de la démocratie pour antisémitisme ou révisionnisme ? Le livre le plus célèbre de Malek Bennabi, Vocation de l’islam, a été rédigé en 1949 et remis aux éditions du Seuil qui ne l’ont publié qu’en 1954. Ce qu’on ne sait pas, c’est qu’il lui a donné une suite sous le titre de Le problème juif, resté à l’état d’inédit. Dans ce manuscrit, le penseur algérien écrit ces lignes que j’ai glanées dans différents chapitres pour les livrer à la méditation du lecteur : «Le monde actuel périra et un nouveau monde viendra sans que le musulman ait joué un rôle décisif, ni même apprécié les facteurs, les forces qui entreront en jeu dans son propre avenir… Ce nouveau monde voudra transformer tous les pays musulmans en champ de bataille afin qu’aucune œuvre positive n’y soit entreprise et que même ce qui existe actuellement y soit détruit, en sorte qu’une future colonisation reste encore possible… L’islam doit posséder la technique, dompter l’énergie atomique…» C’était en décembre 1951 ! Aujourd’hui, c’est trop tard. Israël a commencé à dompter l’énergie atomique dans les années soixante, et l’Iran à s’intéresser à la chose dans les années soixante-dix. Le premier est arrivé à produire, dans le plus grand secret, des centaines de bombes atomiques, alors que le second en est, dans le plus grand tapage diurne et nocturne international jamais connu, sous le regard des services de renseignement de l’univers entier et la curiosité des badauds de toute la planète, à 3 ou 20%, d’enrichissement de l’uranium. Quoique leurs référents soient tout autant religieux, le rabbin et le âlem n’ont apparemment pas la même efficacité et le même rendement historique. Les ulémas chiites et sunnites ont-ils lu le Livre d’Esther ? Je ne le crois pas, sinon il ne serait pas arrivé aux musulmans ce qui leur est arrivé depuis un siècle et continuera à leur arriver à l’avenir. Ils n’ont été capables d’inventer, depuis les Muatazila, que les bombes humaines et les attentats-suicides, autrement dit, la fronde contre le drone furtif, et leurs ulémas ne sont experts que dans la connaissance du passé et la recherche du diable dans le détail. L’Iran ne peut pas gagner cette guerre si elle survenait, car, nonobstant son bon droit et sa contestation légitime d’un droit international à géométrie variable, il n’en a pas les moyens. Il eut fallu qu’il possédât des rabbins au lieu de ses ulémas «infaillibles». Si elle éclate, l’Occident se liguera contre lui comme un seul homme. Il faut donc se préparer à la défaite au lieu d’espérer «voir ce qu’on va voir» comme on nous l’avait promis en 1967, 1973, 1991 et 2003. A la veille de ce dernier conflit, il était visible que l’économie irakienne était par terre, que son peuple était étranglé, que ses nourrissons mouraient, faute de lait et de médicaments, du fait de l’embargo, mais ces réalités n’empêchaient pas des experts militaires à la retraite de venir démontrer sur les plateaux de télévision arabes la «stratégie de défense» de l’Irak et la probabilité de dommages «considérables» pour la coalition internationale. Elle était censée être attendue par une garde présidentielle hyper-entraînée, des chars enfouis sous le sable, des Skud capables de brûler Israël, des armes chimiques et un supercanon que seul l’Irak posséderait, par on ne sait quel prodige. Au final, il y a eu moins de 5000 victimes, tous pays de la coalition confondus en vingt ans, contre plus d’un million de victimes irakiennes à un titre ou un autre. Faut-il, cette fois, donner du crédit aux «lourdes pertes» qui seront infligées à l’ennemi, à en croire Ahmadinejad ? On voudrait bien, mais on ne voit pas comment : ses adversaires disposent de systèmes offensifs et défensifs infiniment plus performants que les siens, ils les produisent eux-mêmes et à volonté, et ils ont derrière eux, pour soutenir l’effort de guerre, des économies inépuisables. De toute façon, ils ont, comme dans les deux précédentes guerres du Golfe, à qui envoyer la facture une fois le travail fait. Quant à la menace des missiles agitée par les pasdarans, elle ne fait pas peur aux Israéliens dont le ministre de la Défense civile ne cesse de répéter à ses concitoyens : «Israël a la capacité opérationnelle d’intercepter des missiles d’où qu’ils viennent.» Comment les deux pays se préparent-ils à ce que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de possible troisième guerre mondiale ? Cette guerre a en fait déjà commencé. Elle a pris les formes discrètes d’opérations menées par les services secrets des deux pays contre leurs intérêts réciproques. Il y a eu, en 2008, une attaque cybernétique contre les installations nucléaires iraniennes. Un virus destructeur numérique a été créé par les experts israéliens ou, disent certains, américains, appelé «Stuxnet», pour perturber le fonctionnement des centrifugeuses de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz. Il a mis en panne un millier d’entre elles, et on dit que ce virus sophistiqué cache d’autres éléments programmés pour s’activer de nouveau. Il y a eu aussi, ces derniers mois, plusieurs assassinats de scientifiques iraniens et l’explosion au moment de son lancement d’un missile longue portée «Shehab» dans une base militaire près de Téhéran, tuant plusieurs dizaines de militaires dont le général en charge du programme de missiles. Il aurait été «trafiqué» par le Mossad. Des attentats à la voiture piégée ont eu lieu aussi récemment en Thaïlande, en Géorgie et en Inde contre des diplomates israéliens sans faire de victimes, hors les blessés. Dans les premiers cas, on n’a pas la preuve que c’est Israël qui est derrière ces attaques et ces assassinats, car, si c’est lui, il n’a laissé aucune trace. Dans le second cas, des Iraniens ont été immédiatement arrêtés. On ne peut faire autrement que constater que la guerre de l’ombre n’a pas tourné à l’avantage des services secrets iraniens, et que si l’Iran est fort par la parole, Israël l’est par les actes. Non seulement, il ne fait pas d’annonces, mais même quand il frappe, il nie, comme lorsqu’il a détruit les installations nucléaires syriennes en 2007. Les faits et gestes d’Israël sont discrets comme à l’accoutumée, et ses dirigeants ne rendent pas publics leurs projets le jour du shabbat comme le font les dirigeants iraniens à la prière du vendredi. La guerre a de multiples facettes : politique, diplomatique, économique, technologique et militaire. Israël n’en a négligé aucune. Sur le plan politique, il s’emploie depuis longtemps à rallier le maximum de forces politiques intérieures à l’option militaire et à préparer son opinion à la situation qui en découlerait. Sur le plan médiatique, il a mobilisé ses relais en vue de légitimer aux yeux de l’opinion publique mondiale l’option militaire. Sur le plan diplomatique, il travaille depuis des années à isoler l’Iran sur la scène internationale et à le faire régulièrement condamner par l’ONU et l’AIEA. Il ne cesse de demander l’alourdissement et l’élargissement des sanctions en faisant jouer ses lobbies dans le but d’étouffer l’économie iranienne. A partir de juillet prochain, l’Iran ne pourra plus vendre son pétrole, car les paiements ne pourront plus être effectués à sa banque centrale, alors que les sanctions ont déjà commencé à produire leurs effets désastreux : la monnaie a perdu la moitié de sa valeur par rapport aux monnaies étrangères en moins de deux mois, et les prix des denrées alimentaires ont augmenté de plus de 30%. La Chine qui, il y a quelque temps encore achetait 14% de son pétrole d’Iran, n’en achète plus que 8, et les Etats arabes de la région l’ont assuré qu’ils lui vendraient encore plus de volumes pour compenser l’arrêt des achats auprès de l’Iran. Sur le plan technologique, Israël se prépare depuis longtemps à une attaque-éclair en levant l’un après l’autre les écueils qui se dressent sur son chemin, principalement l’éloignement des objectifs (3000 km aller-retour) et leur dispersion sur le territoire iranien. Ses ingénieurs ont doté la flotte de cent avions, prévu à cet effet de réservoirs externes supplémentaires pour augmenter leur autonomie de vol. Des bombes thermonucléaires B61, à faible intensité, pourraient être utilisées en plus des bombes américaines GBU-28, 31, 39 et 57 de 14 tonnes chacune et capables de percer le béton armé sur plus de 60 m. Des plans sont prêts à brouiller et détruire les systèmes radar et de défense antiaérienne de l’Iran avant l’entrée dans son espace aérien des bombardiers, et de neutraliser sa marine. L’armée israélienne s’entraîne depuis des années à ces missions, tandis que toutes sortes de mesures ont été prises pour réduire au maximum les effets d’une riposte iranienne avec des missiles ou d’éventuelles attaques venant du Sud-Liban ou de Ghaza. Le niveau des pertes humaines civiles israéliennes a été calculé (moins de 500) et intégré dans le plan d’ensemble. Rien n’a filtré sur les objectifs fixés, mais tout le monde suppose que parmi eux se trouvent les usines d’enrichissement d’uranium de Natanz et de Qom, le centre de recherche nucléaire d’Ispahan, le réacteur de Boushehr et le site de Parchin. Israël a un autre objectif essentiel à ses yeux : faire zéro civil iranien tué pour ne pas solidariser la population du régime. L’Iran sait tout cela et agite le spectre de représailles «douloureuses». Il n’ignore pas qu’il est cerné de toutes parts : présence militaire américaine dans la péninsule arabique, en Afghanistan et d’autres pays d’Asie, bases de l’OTAN en Europe et en Turquie, base militaire française aux Emirats arabes unis… Les Américains et leurs alliés sont aussi présents sur et sous les mers, prêts à tout moment aux tirs de missiles et aux bombardements. L’Iran menace de rendre impraticables les voies d’eau qu’il contrôle et même de s’attaquer aux puits de pétrole de la région, mais les Alliés ne le laisseront pas causer des dommages aux installations pétrolières de la région qui plongeraient l’économie mondiale dans l’apocalypse. Ils tiennent compte de cette hypothèse et de ses répercussions sur leurs économies, mais la sécurité d’Israël passe avant tout. Dans la guerre qui se profile entre l’Iran et Israël, ce sont les Perses chiites qui seront frappés, mais ce sont les musulmans dans leur ensemble qui seront une fois de plus humiliés. Si par malheur cette guerre a lieu, elle touchera les peuples musulmans et mettra dans l’embarras leurs gouvernements. La fraîche arrivée de régimes islamistes ne sera pas sans incidences sur la rue arabe. Elle nous touchera aussi en tant que composante du monde arabo-musulman, même si on n’est pas chiite mais sunnite, même si on n’est pas arabe mais berbère. Nos autorités ne manqueront pas de la condamner, mais notre peuple sympathisera à coup sûr avec les Iraniens à cause de leur islamité, de l’islamisme ambiant, de la politique des deux poids, deux mesures dans les relations internationales, de la question palestinienne et de l’islamophobie. On revivra l’ambiance connue en juin 1967 et lors des guerres du Golfe de 1991 et de 2003. Cette guerre mettra une fois de plus en scène la pièce de David et Goliath : un petit pays de cinq millions d’habitants et de 21 000 km2 défendant sa survie contre un pays 78 fois plus grand et 16 fois plus peuplé qu’il a de multiples fois menacé d’anéantissement. L’opinion publique mondiale oubliera que ce petit Etat possède des centaines d’ogives nucléaires capables de détruire plusieurs fois la totalité du Moyen-Orient, mais comme il ne s’en est jamais vanté, elle fait comme si elle ne le savait pas. Si on voit l’intérêt d’Israël d’attaquer l’Iran, on ne voyait pas celui de l’Iran dans les menaces récurrentes qu’il lui adressait. Les gains qu’Israël peut tirer de cette guerre sont clairs, détruire les capacités nucléaires iraniennes et affaiblir une puissance régionale concurrente, mais on ne voit pas ce qu’en tirera l’Iran. Il ne gagnera même pas la sympathie des Etats musulmans qui appelleront au cessez-le-feu, à la condamnation de l’«agression» et à la réunion de l’OCI avant de retrouver le silence. S’il table sur l’émotion de la rue arabe, il l’obtiendra, mais après voir été frappé. Les Arabes et les Berbères n’ont pas l’habitude de pleurer les morts avant leur mort. La colère populaire sera proportionnelle aux pertes qui lui seront infligées, on brûlera ici ou là quelques drapeaux israéliens ou américains, et les ulémas sunnites appelleront hypocritement à la solidarité de destin avec les chiites, mais ce n’est pas ce qui rendra à l’Iran ce qu’il aura perdu. Son voisin frontalier, l’Azerbaïdjan, dont 70% de la population est chiite, entretient les meilleures relations avec Israël, et le président Shimon Pérès qui s’y est rendu en visite officielle il y a peu, souhaite pouvoir compter sur l’aide de ce pays pour un éventuel repli sur son territoire des avions chargés de l’attaque. Quant à l’opinion mondiale, elle verra une fois de plus dans les pays musulmans des trublions défaits à la première escarmouche avec plus petit qu’eux, et se rappelleront de la fable de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf et qui en mourût. Quoi qu’il en soit, la défaite programmée de l’Iran en cas de déclaration des hostilités sera aussi celle du monde musulman, même si aucun pays musulman n’approuve sa politique. C’est ça le drame. Chaque fois que des musulmans échouent dans leur entreprise, leur défaite rejaillit sur l’islam et le reste des musulmans, poussant le reste de l’humanité à devenir encore plus islamophobe. D’un autre côté, cette défaite donnera un surplus de légitimité à l’islamisme qui saura exploiter le vieux ressentiment contre Israël et l’Occident. Et sur ce chapitre, aucun Arabe ou musulman n’est en désaccord avec lui. Cette 34e contribution clôture la série consacrée depuis un an aux révolutions arabes. Nous la reprendrions en cas de nouveaux développements.
Je renouvelle mes remerciements au journal et aux lecteurs.

N. B.



17403

zadhand
02/08/2015, 13h40
Par Nour-Eddine Boukrouh

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02 Août 2015


Le sort des idées neuves


«Dans tous nos actes, la part de l’inconscient est immense et celle de la raison très petite… Les idées du passé, bien qu’à demi détruites, étant très puissantes encore, et les idées qui doivent les remplacer n’étant qu’en voie de formation, l’âge moderne représente une période de transition et d’anarchie. »
(Gustave Le Bon, La psychologie des foules)

«Les médecins doivent savoir par quel bout un cadavre commence à pourrir. Il est probable que si le monde entrait en putréfaction un jour, sa pourriture commencerait par notre bout. C’est notre pourriture qui pourrira le monde» (Malek Bennabi, octobre 1960, Mémoires d’un témoin du siècle). Le sort des idées neuves, c’est de changer le monde en changeant les anciennes idées des hommes, les idées qui ne marchent plus, qui n’engendrent plus de réalités sociales positives et stimulantes et qui peuvent même devenir criminelles entre certaines mains ou suicidaires entre d’autres. Nous voyons bien que c’est le cas de l’islam, qu’il n’a plus rien inscrit à son actif en matière de science et de connaissances depuis cinq ou six siècles et qu’on meurt et tue en son nom pour rien. D’un côté il ne veut pas être une religion seulement, de l’autre il est incapable d’être un ordre social, économique et politique achevé. Des idées nouvelles doivent germer et essaimer dans le monde musulman en dépit de ce qui s’y passe, surtout en raison de ce qui s’y passe, aujourd’hui plus que jamais. Celle de la réforme en est une mais elle n’est pas si neuve que ça puisque le Prophète y pensait avant même la fin de sa mission. Elle ne s’est pas réalisée parce qu’elle n’a pas trouvé le chemin qui mène au but. Ceux qui la reprirent aux XIXe et XXe siècles la comprenaient comme l’avait comprise Ibn Taimiya sept siècles avant. Quant à ceux qui en parlent de nos jours, ils penchent vers un laïcisme qui a été éprouvé officiellement en Turquie et officieusement en Tunisie, Irak, Syrie, Libye, etc, en vain. Les musulmans ne sortiront pas de l’anarchie mentale dans laquelle ils se trouvent du fait de l’islamisme et du terrorisme comme ils y sont entrés. Ils en sortiront politiquement et géographiquement en lambeaux et seront contraints soit d’abandonner l’islam à la furie destructrice de l’ignorance et de la barbarie, soit de le réformer pour qu’il se mette en conformité avec les règles de coexistence entre les différents peuples, civilisations, religions, philosophies et cultures de la planète. Plutôt que de sombrer définitivement corps et bien dans l’anarchie, ils pourront alors contribuer à la transition du monde vers la civilisation universelle.
L’idée de réformer l’islam est ancienne puisqu’elle remonte au Prophète lui-même qui, alors que la Révélation du Coran n’était pas terminée, a prédit que Dieu enverrait à sa communauté au début de chaque siècle «men youjadidou laha dinaha». Il a bien parlé de rénover l’islam, sens de la phrase en arabe, et non, comme Ibn Taimiya plus tard, d’«islah arra’î wa-r-ra’iya» (réformer gouverneurs et gouvernés). Et le jour où la Révélation prit fin (théoriquement) avec le verset «Aujourd’hui j’ai parachevé pour vous votre religion, vous ai comblé de mon bienfait et agréé l’islam comme religion pour vous», le Prophète confia à Omar ces mystérieuses paroles : «L’islam reviendra étranger comme il est venu étranger la première fois ; heureux soient les étrangers.» Dans la dernière contribution j’ai proposé une exégèse de cette parole : l’islam s’étant présenté la première fois comme une rénovation radicale des valeurs de l’humanité, ce n’est qu’à la condition de se réformer qu’il reviendra à l’Histoire. De quelle manière ? Là est l’inconnue. L’ère de la prophétie et des miracles étant close et l’islam ayant éclaté en une cinquantaine de pays, il reste deux possibilités : que le projet soit pris en charge par les Etatsmembres de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), ou qu’une une décision émanant de la communauté internationale les y contraigne. Malgré son ancienneté et l’estampillage prophétique dont elle est revêtue, l’idée de rénover l’islam s’est traduite chaque fois qu’il en a été question par davantage de repli, de conservatisme et de conformisme car tout le monde avait compris par «retourner aux sources» retour en arrière alors que pour réformer, rénover, il faut se projeter en avant, chercher dans les profondeurs non sondées de l’islam une nouvelle source d’inspiration et desserrer l’étau du «ilm» classique sur l’esprit musulman afin qu’il respire l’air de son temps et se rafraîchisse avec des idées nouvelles. La vie que mènent de nos jours les êtres humains avec ses avantages et ses merveilles de toutes sortes est le résultat d’idées neuves que des hommes ont eues un jour ou l’autre, ici ou là, et que leurs contemporains ont commencé par rejeter ou combattre avant de reconnaître leur utilité et de les adopter pour leur bien. Sur les 80 milliards d’être humains qui ont habité la terre et les six milliards qui en restent, seuls les noms de 25 000 d’entre eux environ figurent sur le dictionnaire, y compris ceux de personnages qui n’ont pas œuvré au bonheur de l’humanité mais à son malheur : despotes, criminels, fanatiques et autres esprits maléfiques. Sans idées neuves, sans représentation périodique des choses sous un angle nouveau, l’homme serait encore à l’âge de la chasse et de la cueillette ou, au mieux, au Moyen-Âge. A cause du non-renouvellement de l’ancien savoir religieux, l’islam tend naturellement à devenir une source de blocage interne et de discrédit externe. Ce «ilm» qui n’était pas censé incarner l’islam éternel mais une adaptation du Coran à la vie humaine pour une durée déterminée, durée qui tire visiblement à sa fin, a fait son temps. Il n’est plus qu’un catalogue d’idées mortes et d’idées mortelles, une «archéologie » selon une image de Bennabi. Il est devenu une entrave au développement, au savoir, à la liberté, à l’intelligence, au bien, au vrai et au beau. Il apparaîtra bientôt, par son inadaptation et son anachronisme, comme une synthèse du faux, du laid et du mal. Les musulmans vivent à l’âge des nanosciences avec les idées d’Abou Hurayra. Ils ont le choix entre une extinction civilisationnelle lente mais sûre, et une révolution mentale extrêmement difficile mais porteuse d’avenir. Partout dans le monde où existent des groupes humains soucieux de progrès, de paix, d’harmonie sociale, de respect des droits de l’Homme, c’est la culture sociale, l’art de vivre ensemble et le savoir scientifique qui sont propagés, enseignés, vulgarisés, non la culture religieuse de la mort, des souffrances tombales et de la haine des autres. Aucun peuple n’a avancé en apprenant à ses enfants qu’il faut suivre les Anciens parce qu’ils étaient proches de Shiva, Moïse, Confucius, Bouddha, Jésus ou quelque autre grande figure de l’histoire humaine, les vénérer, penser et agir à leur instar dans le présent et l’avenir, et s’en tenir aux strictes interprétations qu’ils ont données de textes sacrés ou humains à l’aube des temps. Ce sont les livres religieux qui se vendent le mieux dans les pays musulmans car ils déchargent les hommes et les femmes de la tâche de réfléchir, de prendre des décisions dans leur vie et donc leurs responsabilités. Ils leur apprennent pourquoi et comment il faut obéir à Dieu, au Prophète, aux détenteurs du pouvoir (waliy-al-amr), aux compagnons du Prophète, à leurs successeurs, aux successeurs de leurs successeurs, aux «héritiers des prophètes» (les ulémas), à l’imam de mosquée, aux cheikhs idéologues reconnus et aux «dou’âte» (prédicateurs) célèbres… Ils leur parlent de leurs voisins invisibles, les djinns, de leur intrusion dans leurs vies, leurs actes et décisions, des châtiments corporels qui les attendent s’ils n’appliquent pas les pieux enseignements et leur dictent ce qu’ils doivent faire : prier, pratiquer, se repentir des mauvais actes et des mauvaises pensées, pleurer souvent… Et, en guise de récompense, les choses qui leur sont interdites ici-bas leur seront permises à profusion dans l’au-delà. Le musulman issu de ce conditionnement, de ce formatage, de ce lavage de cerveau, est programmé pour s’inquiéter de son salut individuel sur terre et au ciel. On ne lui enseigne pas la sociabilité, la vie en commun, les devoirs collectifs, le bien public, le respect des autres, quels qu’ils soient, mais les rites qui rapprochent de Dieu et les actes qui rapportent des «haçanate». Si on ne veut pas ou ne peut pas lire ces livres, leur contenu, leurs conseils et leurs consignes nous sont gratuitement livrés à domicile, débités sur des centaines de chaînes de télévision par des personnages effrayants, tonitruants et ignorants. Comment espérer voir sortir de cette culture de la mort, de ce terrorisme verbal, moral, psychique, intellectuel, mental, social, physique et politique un être normal, un homme équilibré, un citoyen acquis à l’idée de bien public, un prototype humain fonctionnant à l’unisson des autres ? L’homme qui en sort ignore le respect de la diversité religieuse, tient les autres religions pour des déviations, refuse la notion de réciprocité sur laquelle repose la coexistence pacifique entre les nations et ne croit pas au droit international en dehors des dispositions qui lui profitent à lui. Avec cette brève description de l’art de fabriquer une vision du monde décalée, déphasée, schizophrénique et hypocrite, nous venons d’indiquer les domaines où doit être portée la réforme. Il y a tant de choses à savoir et qu’on ne connaît pas que notre vie ne suffira pas pour emmagasiner le savoir nécessaire à la compréhension du monde et de la réalité dans laquelle nous sommes plongés. Les neurosciences par exemple nous apprennent que notre cerveau qui ne pèse que 2% de notre poids mobilise 20% de notre consommation énergétique pour faire fonctionner la centaine de milliards de neurones qui le composent et les millions de milliards de synapses qui relient ces cellules nerveuses entre elles. Faute de stimulation, d’émulation, de challenge, de problèmes sur lesquels réfléchir, l’intelligence dépérit, s’étiole dans l’inactivité, le suivisme improductif, le mimétisme stérile. On appelle ce phénomène «l’effet Flynn», mesuré par la stagnation ou la régression du QI. Ce sont ces ravages que provoque le «ilm al-qadim» dans le cerveau des musulmans. Il incite à l’immobilisme, produit la rigidité, alors que le cerveau vit de sa «plasticité synaptique», du flux de nouvelles informations et d’idées neuves à traiter en continu. Une autre science en formation, l’épigénétique (dont s’occupe notamment la savante algérienne Maya Ameyar qui lui a dédié un groupe Facebook) étudie l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes. Qu’est-ce que c’est ?
«Si l’ADN est le texte, l’épigénétique en est la ponctuation», disent les généticiens. Tout simplement dit, cela signifie qu’un corps, un cerveau plongé dans un milieu social et intellectuel où prévalent des idées données verra ses gènes subir les influences provenant de l’extérieur, des idées courantes portées par la société, qu’elles soient tournées vers le passé ou vers l’avenir. Il faut réaliser — en liaison avec l’idée que les fonctions cérébrales se rétractent, perdent en rendement dans certaines conditions — que le «ilm al-qadim» est un gaspillage de nos moyens mnésiques, de nos capacités mnémotechniques, des espaces de stockage dans notre mémoire, dans la zone de notre cerveau qui conserve l’information. En tant que capital- idées périmées, qu’informations révolues qui continuent à occuper une place qui pourrait être dédiée à des connaissances utiles à nos besoins d’adaptation à la vie en constante évolution. L’essentiel à connaître de la religion peut être traité d’une manière nouvelle, actualisée et connectée au réseau du savoir moderne dont la vocation est d’aider à s’orienter dans la vie et à faire face à l’avenir. C’est donc tout le logiciel musulman, l’information qu’il renferme, qu’il faut vérifier, élaguer de ce qui est devenu inutile et valoriser ce qui peut encore servir. A quoi bon connaître par cœur des hadiths, dont beaucoup sont faux, des rivières de poèmes ou collectionner des histoires révolues ? L’information issue du «ilm al-qadim» est devenue inopérante car on peut être un musulman accomplissant intégralement ses obligations sans avoir besoin de s’embarrasser de «ilm» inutile. Braqué, bloqué sur le passé, il agit comme le puisatier tirant de l’eau d’un puits en voie d’épuisement : il jette son seau et le remonte des profondeurs avec ce dont il s’est rempli : eau potable et non potable, bon et mauvais, vrai et faux, vital et mortel… L’intelligence a besoin d’être stimulée par le nouveau, des équations à plusieurs inconnues à résoudre, des mystères cosmiques ou quantiques à élucider dans l’univers, en nous-mêmes, dans notre code génétique ou dans l’Histoire humaine… La science se remet en cause à tous les instants, et c’est sa plus haute vertu, tandis que le «ilm» prétend être la vérité en soi, et c’est son plus grand défaut. Il y a tant à faire dans le monde et au cours de sa propre vie alors que tout ce qu’il propose c’est d’avoir un madhhab, un cheikh à aduler, un da’iya à suivre et des milliers de pages à apprendre. Comme si Dieu n’aimait pas le progrès, la technologie, le numérique et internet qui est un véritable «kun fa yakun» (Fiat lux)… La science a mis en équation puis résumé en lois ce que le Coran appelle «sunans Allah», les «lois invariables» de Dieu, ses modes d’intervention dans l’univers et en nous. Les lois de la nature ont été conçues par Dieu puis découvertes et reproduites à petite échelle par l’Homme pour son bien. Dieu utilise des matériaux, les particules élémentaires et les atomes à partir desquels toute matière vivante ou inerte a été faite. La science n’en est plus à soutenir l’inexistence de la conscience et de l’âme, elle les traque dans l’infiniment petit, dans l’intrication quantique, dans l’interdépendance du corps et de la conscience. Elle sait qu’un lien existe entre les deux et que la conscience influence la matière. La physique est en passe de le prouver à travers l’étude du comportement des particules élémentaires. J’ai lu un jour un roman scientifique, La formule de Dieu, et été étonné tout autant qu’outré de trouver le point de vue du christianisme, du judaïsme, de l’hindouisme, du bouddhisme et des sciences modernes sur l’univers, mais pas celui de l’islam alors que l’un des deux principaux personnages du roman est une musulmane, physicienne de surcroît. Pourquoi ce parti pris de la part de l’auteur portugais alors qu’aucun texte sacré ne présente autant de prodigieuses coïncidences avec la science que le Coran ? L’auteur ne lui pas donné la parole sur la vision islamique de l’univers mais juste sur la condition de la femme en Iran. Il n’y a pas dans le monde actuel de peuple plus attaché que les Arabes au passé. La Grèce, qui a donné au monde la science, les mathématiques, la philosophie, les sports, et dont les penseurs de l’Antiquité sont encore enseignés dans les universités du monde entier ne rêve plus pour autant de sa grandeur passée. Elle se débat dans des drames prosaïques sans déranger les dieux de l’Olympe ou se lamenter sur l’ingratitude de l’Europe envers sa mère sans laquelle elle ne serait qu’un terrain vague peuplé de hordes de SDF. Les Romains non plus, ni la Chine, ni les Mayas, ni les Aztèques, ni les Mongols. Un peu les Berbères, mais je crois que c’est pour rivaliser avec les Arabes qu’ils n’aiment plus beaucoup à cause des ravages de l’islamisme. L’islam n’a pas créé les civilisations qui ont concouru à sa prospérité et à son développement scientifique et technique à travers l’histoire (Assyriens, Mésopotamiens, Egyptiens, Hittites, Perses, Grecs, Juifs, Araméens, chrétiens, Berbères, Indiens, Chinois…), elles étaient là des millénaires et des siècles avant lui et ont réalisé des prouesses fabuleuses dont il a tiré profit. En gagnant l’esprit et le cœur de leurs habitants qui ont trouvé en lui un cadre moral et spirituel plus incitatif et performant que leurs anciennes croyances et schèmes de vie, il les a exaltés et ils l’ont, en retour, honoré de leur intelligence et de leurs découvertes. La principale caractéristique historique de l’islam est d’avoir été pour des peuples divers un éveilleur, un stimulant, un énergisant, un catalyseur, un rassembleur, un fédérateur dans les domaines spirituel, intellectuel, culturel, économique et politique. Comme le seront après lui les Etats-Unis d’Amérique pour des dizaines de millions d’êtres humains aux XIXe et XXe siècles : une terre de tolérance religieuse, de liberté d’entreprendre, d’égalité des chances, d’inventivité et de «melting pot», y compris pour les musulmans qui y vivent par millions. Avec la formation d’une classe sociale religieuse instrumentalisée par des pouvoirs despotiques, l’islam a progressivement perdu ses avantages comparatifs et sa religion est devenue un véritable «opium du peuple» selon l’expression de Karl Marx. Le «ilm al-qadim» prit petit à petit la place du Coran qui, d’éternel, devint lié à une conjoncture dépassée et fut enseveli sous des interprétations vieillies, démenties par le progrès, ridicules et contraires aux finalités de «maqacid al-khalq». Pauvre en informations sur l’avenir, le savoir religieux incite les musulmans naïfs qui ont besoin d’être assistés mentalement à s’inspirer du «salaf», de prédécesseurs qui ont vécu il y a quatorze siècles. Il n’est question que d’eux, tous les jours, dans toutes les mosquées, sur toutes les chaînes, sans que quelque chose arrive, ne change, ne bouge ou ne s’améliore dans la réalité. Seul le visage du discoureur change. Pourquoi ? Jusqu’à quand ? N’est-ce pas de la folie ou une sinistre comédie pour attardés mentaux ? Le salafisme peut être médicalement défini comme le symptôme de la perte du sens de l’orientation, une maladie qui fait confondre l’avant et l’arrière, le passé et l’avenir, ici-bas et au-delà, terre et ciel, ce qui est mort et ce qui est encore vivant. Il a trouvé à s’affirmer par la violence des armes dans les pays désarticulés qu’on lui a concédés en vertu d’une stratégie dont on ne connaît pas les motivations mais qui n’en existe pas moins (Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Yémen) ou par la violence du verbe dans les régions, quartiers et espaces médiatiques que des Etats craintifs lui abandonnent (Pakistan, Liban, Algérie, Nigeria…) Les musulmans ont passé plus de siècles dans la décadence et sous domination étrangère que dans leur propre civilisation. Il s’est écoulé 1436 ans (en fait 1448) depuis l’apparition de l’islam mais les musulmans d’aujourd’hui raisonnent, vivent, s’habillent et parlent comme les musulmans du début de la décadence. Le décorum international a, certes, changé mais l’homme et l’âme sont les mêmes. L’abstrait est plus fort que le concret, la promesse que la réalité, l’éternité hypothétique que la chronologie de l’histoire et, dans leurs échanges, un «deux tu l’auras» vaut mieux qu’«un tiens». Le temps n’ayant aucune valeur pour eux, le lointain passé ne différant pas beaucoup du présent, la volonté de l’Homme continue de s’annihiler devant celle de Dieu, rendant inutile la prévision, la planification et la projection dans le futur. En dehors des changements dus à la technologie occidentale qui n’ont aucunement modifié leurs structures mentales et culturelles, ils rêvent de reconquérir l’Andalousie, Jérusalem ou Samarcande mais pas d’autres terres, le futur ou l’espace. Ils ne savent rien de la révolution agricole, celle du néolithique, du XVIIIe ou du XXe siècles, rien de la révolution industrielle du XIXe siècle ou de la révolution numérique et des nanosciences du XXIe. Ils ont atterri en plein XXe siècle, ont été soulevés par les geysers de pétrole et se sont retrouvés à la tête de fortunes colossales sans avoir rien fait de notable ou d’utile pour gagner tant argent. Quand il sera temps, quand la «ni’ma» se sera épuisée, ils retourneront au sable sans grande peine, sans regrets, confiants en la Providence et résignés à ses revers. Ils n’ont pas été exploités comme force de travail, conditionnés par le taylorisme, épuisés par les luttes syndicales ou les antagonismes de classe, socialisés pour être utiles les uns aux autres et, de tout ça, apprendre la valeur de la vie humaine. Ils n’ont jamais cherché à maîtriser la nature ou été poussés à découvrir de nouvelles techniques de travail et d’amélioration des rendements car vivant de rien et n’espérant rien en dehors du ciel. Le bédouin est un homme libre, il rêve de plus haut, de plus loin que l’histoire et c’est pourquoi il ne la fait pas ; les défis naturels le laissent froid, il les regarde puis les contourne, allant chercher sa tranquillité ailleurs, là où il n’y a pas grand-chose à faire. Il n’a cure de l’état de la couche d’ozone, des problèmes d’environnement, de la famine qui décime des peuples, il surveille la femme, les mœurs, l’habit conforme et cherche le diable dans chaque détail… Il ne crée ni ne transforme, se contentant d’échanger ce qu’il a contre ce qu’il n’a pas, et s’il n’a rien, il se contentera du lait de chamelle. Il n’a pas besoin d’arts, de culture, de musique, de cinéma, la poésie du désert lui suffisant. Son imagination est toute tendue vers les descriptions ensorcelantes du paradis, les fureurs terrifiantes de l’enfer, la crainte irrationnelle des djinns et l’attrait mystique des miracles. Il n’a pas de préoccupations géostratégiques en dehors de la jalousie et de la rivalité avec les autres, ses frères et ses coreligionnaires en particulier. Rentiers du pétrole, rentiers de la religion… Pour changer les musulmans, il faut changer les Arabes. Pour changer les Arabes, il faut changer le «ilm al-qadim» qui les commande et les fournit en représentations mentales. Pour changer ce «ilm al-qadim», il faut désamorcer les mines enfouies sous terre autour de lui, faire tomber la clôture qu’il a élevée, briser les tabous qu’il a semés dans les esprits puis s’emparer de lui et le mettre en examen. Ce ne peut être qu’en vertu d’actes de puissance publique, d’actes d’Etats acquis à l’idée de réforme radicale de la conception islamique du monde pour sauver les pays d’islam. Les intellectuels adhérant à cette vision peuvent jouer un rôle en amont (emporter l’adhésion des Etats) et en aval (accompagner la mise en œuvre des mesures réformatrices) mais pas imposer la réforme d’un bout à l’autre. Ces obstacles franchis, les conditions préliminaires réunies, il faudra remonter à la période d’avant la formation du «ilm» (à partir du troisième siècle de l’Hégire), peut-être même à la période où le Coran n’avait pas encore été réuni sous le nom de «mashaf Hafsa» puis, quinze ans plus tard, sous celui de «mashaf Uthman» dans un ordre qui n’était pas celui dans lequel il a été révélé. Le retour à l’ordre chronologique du Coran sera l’occasion de puiser dans le livre saint lui-même la vigueur nécessaire à la construction d’une nouvelle conception islamique du monde, de la raison d’être de l’Homme sur la terre et de la vision des autres (les non-musulmans), en même temps qu’il libérera l’islam des contradictions et des non-sens dont il a été lesté depuis la mort du Prophète. Quand on achète une maison ou en hérite et qu’on ne possède pas de certificat de conformité ni ne sait quand et comment elle a été construite, ni combien de temps elle peut encore tenir, il est prudent d’en faire vérifier les fondations et la structure si l’on ne veut pas être enterré sous ses décombres en cas de malheur. Il manque à l’islam d’aujourd’hui un «certificat de conformité» justement.
N. B.


17403

zadhand
03/09/2015, 22h27
Par Nour-Eddine Boukrouh

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18400

3 septembre 2015, 01:05




LE JOUR APPROCHE OU…


Si l’on est superstitieux à l’image de la majorité des Algériens il faut monter très haut dans les sphères célestes pour espérer trouver la réponse à une question qu’on se pose parfois, celle de savoir si notre destin a été déterminé avant notre apparition sur la terre, ou s’il n’est que le fruit de nos idées et de leur traduction en actes sociaux et faits historiques à travers les âges. C’est vers la première hypothèse que l’homo-religiosus en nous incline spontanément et la question devient : notre destin a-t-il été placé sous le signe d’une bénédiction ou d’une malédiction ?Car les Algériens, en bons « mselmin m’kettfin » qu’ils sont depuis qu’on leur a claqué au visage les portes de l’ijtihad et de la rationalité, aiment à penser que Dieu s’occupe d’eux un par un, voient Sa signature dans presque tous les actes et évènements de la vie quotidienne et, Le sachant Tout-puissant, n’imaginent pas qu’un bonheur ou un malheur collectif puisse les toucher sans qu’il en ait été décidé en haut lieu. Si ce n’est pas au sens propre, c’est-à-dire Dieu, c’est au sens figuré, c’est-à-dire le sommet de l’Etat.Il y a de quoi le supposer, en effet, quand on réalise que nous avons survécu à trois millénaires d’Histoire, réputée impitoyable envers les faibles, en vivotant au jour-le-jour, souvent de « garnina hafia », sans construire des villes, réaliser des inventions ou faire des choses dont la civilisation humaine et la science moderne auraient témoigné avec plaisir et enseignées.D’un autre côté, nous n’avons pas réglé le problème de notre développement ni avec le socialisme de Boumediene, ni avec le libéralisme de Chadli, ni avec la philosophie de « kach Bakhta » de Bouteflika malgré la pluie incessante de milliards de dollars qui s’est abattue sur nous et sous son règne pendant treize ans sans discontinuer et jusqu’à il y a quelques jours. On commence pourtant à trembler à la vue des premiers signes de sècheresse et à l’idée que le jour approche où…Apparemment, le Très-haut nous aurait successivement gratifiés de sa bénédiction durant trois millénaires et infligé une malédiction à l’indépendance sous forme d’importantes disponibilités d’or noir dont la vente en l’état a fait de nous des rentiers et des assistés ayant désappris à travailler et à se prendre en charge. Faut-il rappeler que le pétrole a été découvert par les Français entre la fin des années 1940 et le début de l’exploitation de Hassi Messaoud en 1956, ou cela n’est-il d’aucune utilité devant l’évidence de la suprématie divine en tout ?Etrangement, nous n’avons pas disparu à l’instar des peuples précolombiens ou amérindiens comme l’aurait voulu une logique de l’Histoire implacable, ni n’avons fait notre entrée parmi les pays développés comme le voudrait la logique économique au vu de nos incroyables atouts. Nous n’avons pas été immergés dans les flots de l’Histoire et délivrés une fois pour toutes de la mal-vie multiséculaire contre laquelle nous n’avons rien pu, ni n’avons émergé parmi les nations méritantes à la satisfaction de nos chouhada et pour la perpétuation de notre race.Nous sommes demeurés en suspens entre le « zalt » et le « tfar’îne », la pauvreté et la richesse, la réussite et l’échec, la démocratie et l’islamisme, exactement comme l’âne de Buridan qui, lui, en est mort en peu de temps conformément aux lois de la nature. Cette indéfinition, ce non-positionnement, ce flottement bizarres ne semblent pas avoir d’explication rationnelle ni de justification métaphysique mais en cherchant bien dans le grenier de notre sagesse populaire, je suis tombé sur une curiosité sous la forme de la pensée suivante : « Ma‘ândnach, wma ykhassnach ! » (Nous ne possédons rien et n’avons besoin de rien !) Se peut-il, messieurs-dames ?Au premier abord on pourrait estimer que cette sentence est une pieuse affirmation du sens de la frugalité et de la tempérance chez nos aïeux, dépourvus de tout mais plus fiers que Karûn, Crésus et Artaban réunis. Elle pourrait avoir été la réplique indignée d’un de nos ancêtres moustachu à une remarque blessante sur sa condition matérielle qui aurait frappé l’amour-propre national au point qu’il l’a gravée à jamais dans sa mémoire. En y regardant de près toutefois, on se demande si elle n’a pas un autre sens, si elle ne serait pas le pendant de la détestable et funeste formule de « Mendiants et orgueilleux », ce qui en ferait non pas une vertu à porter à notre actif, mais une tare de plus à inscrire à notre passif, un énième hymne à l’absurde dont on ne manquait pas dans notre capital d’idées fausses bien garni en la matière.Le peuple algérien charrie depuis plusieurs millénaires de fausses idées auxquelles il doit les vicissitudes de son histoire, sa non-constitution en société viable et fiable et explique l’extrême précarité de sa situation économique et institutionnelle présente. Il y a dans sa gibecière mentale beaucoup d’autres expressions populaires encore plus insensées mais auxquelles les gens croient dur comme fer et appliquent naturellement dans leurs comportements entre eux. Le langage courant est truffé de ces inepties héritées d’une vie primitive, tribale, rurale et anarchique. Le premier aventurier ou Djouha venu détecte facilement cette grande faille en nous et élève dessus rapidement son empire.Peut-on raisonnablement être dépourvu de tout et n’avoir besoin de rien ? Sensément non. Mais dans la mentalité algérienne, plus attachée à dissimuler la vérité quand elle est humiliante que de raisonnement logique, la forme compte plus que le fond et le subjectif plus que l’objectif. Cette sentence, les dirigeants actuels et responsables des conséquences de la crise qui est aux portes aimeraient bien la voir exhumée sous sa déclinaison fataliste en ces temps de péril mais ils ignorent, comme beaucoup d’autres choses, qu’elle est devenue une arme à double tranchant.Apparue aux époques de pauvreté généralisée et de frugalité forcée, cette sagesse de circonstance a perdu depuis belle lurette son cadre sociologique et avec lui ses motivations morales. Il n’y a aucune chance de voir les millions d’Algériens actuels, jeunes et moins jeunes, habitués à être pris en charge par leur famille ou l’Etat, la reprendre à leur compte pour imposer silence à leurs ventres criant famine. Pour eux, surtout depuis les grands scandales de corruption qui ont émaillé les quinze dernières années, c’est devenu «andna wi ykhassna ! », considérant en toute bonne foi que leur part de pétrole leur a été volée par des dirigeants indélicats et que leur avoir est de ce fait incomplet. Ceux-là ne se contenteront pas de patriotisme et d’eau fraiche le jour où la crise laminera le pouvoir d’achat des actifs et rendra la vie impossible aux inactifs et aux démunis. Ce jour approche et personne ne pourra l’arrêter.La deuxième question que de nombreuses gens n’éprouvent plus de pudeur, vraie ou fausse, à poser à la vue de la situation humiliante et ruineuse faite au pays, est si le peuple algérien existe, tant il est en apparence mort en de larges parties de son corps et de son âme. La dernière provocation en date faite à leur raison et à leur dignité est l’annonce de la transformation de l’ « armée islamique du salut » en parti politique légal promettant aux Algériens le « salut ».Pendant tout le temps où l’Algérie ployait sous l’humiliation du colonialisme français, il n’existait pas de chants patriotiques comme le célèbre et émouvant « min djibalina tala’â çaout-l-ahrar… » Les montagnes algériennes étaient là depuis des millions d’années et les Amazighs vivaient accrochés à leurs flancs depuis des millénaires mais ils n’étaient pas des « hommes libres » (sens du mot amazighs ; « ahrar » en arabe). Ils eurent souvent à vivre sous l’infamie et le moment n’était pas encore venu de les réveiller de leur résignation pour les précipiter dans les sacrifices du 8 mai 1945 et du 1er novembre 1954 afin qu’ils recouvrent liberté et dignité.Si ce peuple devait confirmer qu’il est encore vivant, il le prouvera en s’élevant contre la politique de faillite et d’avilissement qui lui est imposée avec de plus en plus d’impudence et de mépris. Il le prouvera en trouvant les formes d’expression pacifiques de ce refus et de ce rejet définitifs. Et s’il doit le faire, ce ne sera pas pour se venger d’un occupant étranger ou tout casser pour faire baisser les prix des produits de première nécessité mais pour mettre de l’ordre dans la maison, pour construire enfin la maison, l’ « Etat démocratique et social » pour lequel sont morts en vain des centaines de milliers d’Algériens et d’Algériennes entre 1945 et 1962 et qu’il a été interdit à leurs enfants de construire, l’indépendance venue, par des aventuriers et des Djouhas infiltrés dans les bases-arrières de la Révolution.Le jour approche où… du sein de ce peuple leurré par les mythes et les mensonges dont on l’a abreuvé depuis le 5 juillet 1962 un nouveau 11 décembre 1961 surgira. On entendra ce jour-là un nouveau chant patriotique s’élever dans les airs, « min çoudourina tala’â çaout al-ahrar… » pour libérer l’Algérie du satanisme, de l’incompétence et de la mafia politico-financière qui l’ont prise dans leurs serres. Ce cri annoncera le début d’une nouvelle ère pour l’Algérie, pour les nouvelles générations, une ère telle qu’elle n’en a jamais connu au cours de son histoire tri-millénaire.Ce jour qui approche ne devra pas être un jour de catastrophe et d’anarchie suicidaire mais de renaissance de la nation algérienne à partir de la volonté générale et non de l’initiative d’une « avant-garde révolutionnaire » ou d’une « armée du salut » laïque ou islamique qui se muera fatalement en junte ou en nomenklatura religieuse.A la base de chaque évènement majeur de l’histoire des peuples du monde, à l’origine de chaque révolution politique, scientifique, économique ou technologique on trouve une idée nouvelle, une vision du monde nouvelle ou une ambition collective nouvelle. L’idée qu’on naît peuple et devient société au terme d’un processus d’éducation civique commence à être admise par les Algériens qui confondaient entre naissance démographique et naissance sociale. C’est après que cette prise de conscience se soit largement généralisée que nous nous mettrons à penser et à clamer ensemble : « ma ‘andnach wi ykhassna ! ».En le clamant, nous ne songerons pas à nos ventres, ni à notre « khchem », mais à l’indispensable accumulation de principes et de comportements civiques, de réalisations économiques, sociales et politiques qui nous faisaient défaut. Nous nous mettrons alors à réunir les matériaux, briques, sable, ciment, hommes et idées nécessaires à la nouvelle construction de notre nation et, ce faisant, de notre « Nous ».Il faut se préparer au jour du changement, du tournant historique, de la révolution morale, intellectuelle, politique et sociale menée par les nouvelles générations car il approche, l’œuvre de la biologie aidant. On ne sait pas avec certitude s’il sera un jour de malheur ou de bonheur, forcément suivi de décennies et de siècles du même cru. Tout dépendra des idées qui y présideront : si elles seront de nature régressive, nous irons rejoindre la Somalie, l’Afghanistan, le Yémen ou la Syrie ; si elles seront de nature réaliste, rationnelle et progressiste, nous ferons comme nos frères tunisiens. Dans ce dernier cas, nous écrirons une nouvelle constitution pour un nouvel avenir, un avenir en rupture définitive avec les siècles de « colonisabilité » qui ont rendu possible notre colonisation par divers occupants, et l’encanaillement qui a placé à notre tête des ignorants et des voleurs.Une constitution est pour un peuple ce que des statuts sont pour une entreprise. Entreprise économique et société humaine sont une seule et même chose de ce point de vue. Les deux résultent d’une initiative convenue, d’un travail collectif et de la convergence des efforts de chacun vers un objectif commun : bénéfices, réinvestissement, innovation, compétitivité, croissance… La constitution d’un pays et les statuts d’une entreprise définissent les droits et les devoirs des actionnaires (le peuple), désignent les organes de direction (présidence, gouvernement), précisent les attributions de chaque partie et prévoient des organes de contrôle (parlement, conseil constitutionnel, cour des comptes, cour d’Etat…).Le PDG d’une entreprise ou le président de la République, une fois désigné, ne doit pas pouvoir exciper de son mandat ou de ses attributions pour se substituer aux actionnaires, changer dans le sens de ses intérêts les attributions des autres organes de gestion et de contrôle afin de rester à son poste jusqu’à sa mort ou disposer des biens sociaux comme de sa fortune personnelle. Or c’est ce qui s’est passé avec nos gestionnaires politiques et économiques depuis le premier jour de l’indépendance, et continue de se passer dans le silence et la complicité de tous ou presque.Rien qu’en assimilant ces idées élémentaires et universelles, les Algériens enclencheront le processus de changement de leur situation psychologique, politique, sociale et historique. Or nous ne connaissons pas ces idées, nous n’en entendons parler que chez les autres, Américains ou Européens en particulier. Ce que nous savons de l’organisation politique d’une collectivité, c’est qu’elle doit être dirigée par 1 chef (« sinon le bateau coulera » comme dit l’adage) censé servir d’abord Dieu, puis les gens et le pays, s’il est « bon ». S’il est « mauvais », il ira en enfer où Dieu s’occupera de son cas.Telle est la philosophie politique sommaire, archaïque, anachronique, transmise par la tradition en pays arabo-amazigho-musulmans depuis avant l’apparition de l’islam. Elle repose sur des siècles de contes, légendes et prêches religieux au service des tenants du pouvoir: au ciel il y a un Dieu unique, et sur terre idem, qu’il s’appelle aguellid, calife, cheikh, roi, émir, zaïm, raïs ou… Djouha avec, à quelques prérogatives près, les mêmes attributions et les mêmes pouvoirs. Une fois la dévolution du pouvoir faite, c’est pour de bon, jusqu’à la mort du chef auquel sera due une obéissance inconditionnelle et qui sera supplanté soit par son héritier, soit par celui qui l’aura renversé ou assassiné. C’est sur ce canevas mental et culturel que s’est construit le despotisme dans les pays arabo-amazigho-musulmans et qu’il se maintient.Les idées de « contrat social », de « statuts sociaux», de « pacte d’actionnaires », de « souveraineté populaire », de « droit constituant du peuple », d’élections, de démocratie, de justice indépendante pour juger le cas échéant les actes des dirigeants, n’existent pas dans notre inconscient, dans notre culture, dans notre passé, dans notre histoire comme une nécessité vitale. S’approche-t-il le jour où cette idée figurera dans nos projets d’avenir comme une priorité ?Pour se libérer de cette conception d’essence théocratique il faut changer l’actuelle constitution, l’enseignement en vigueur, le discours politique, le mode de pensée populaire, le « ilm », la vision du monde de l’islam car dans ce domaine, plus que dans tout autre, religion et politique sont étroitement imbriquées, inextricablement associées. C’est pourquoi il faut s’atteler aux deux : réformer la pensée islamique et impulser une pensée algérienne moderne convergeant avec le sens du monde, ce que j’essaie de faire depuis plusieurs années.L’Algérie a disposé de quatre constitutions depuis la reconquête de sa souveraineté (1963, 1976, 1989 et 1996) mais aucune n’a émané de la volonté du peuple, de sa consultation sincère ou d’une assemblée le représentant. Toutes ont été conçues dans le secret, et les passages de l’une à l’autre ainsi que les amendements auxquels elles ont été soumises étaient motivés par des luttes occultes pour le pouvoir et non pour instaurer la souveraineté populaire, les libertés fondamentales, le fonctionnement démocratique et transparent des institutions ou le contrôle de l’utilisation des ressources publiques.La confusion volontaire et vicieuse entre deux notions capitales, le « pouvoir constituant » appartenant au peuple et l’ « initiative de la révision de la constitution » dévolue au président de la République, a rendu possible et facile ce détournement, cette confiscation du droit souverain du peuple qu’il n’a pas exercé une seule minute depuis la proclamation de l’indépendance. Le jour approche où il devra le recouvrer…



NB
Le Soir d'Algérie du jeudi 03/09/2015

zadhand
10/09/2015, 19h57
Par Nour-Eddine Boukrouh

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10 septembre 2015, 03:15




PAYS, PEUPLES ET PROBLEMES DE DEMAIN

Quelqu’un au monde sait-il où va le monde ? Quand on entendait dire autrefois que le monde changeait, ça ne se voyait pas de tous car le changement commence toujours petit, imperceptiblement. Les sceptiques concédaient que le changement est dans l’ordre des choses, les instruits le déduisaient des mesures des scientifiques et des courbes des prospectivistes, mais le commun des gens ne s’en rendait compte qu’une fois devenu une réalité qui, à peine formée, s’exposait à son tour à subir la loi du changement qui commence petit et finit gros.

A l’ère des satellites, de la fibre optique, du numérique et du nanomètre, on peut déceler le changement dans les limbes avant d’être entériné par les transformations constatées dans le mode de vie, les idées ou les technologies. On peut le voir comme si on était équipé de lunettes grossissantes, télescopes ou microscopes, découvrant du même coup à quel point notre imagination peut être prise en défaut par une réalité improbable. On est alors doublement convaincu que le monde peut changer très vite : par ce qu’on a vu et par les moyens dont on l’a vu.

Le tout n’est pas de voir le changement mais de se déterminer par rapport à lui. De grandes menaces planent sur le sort de l’espèce humaine venant du changement climatique, de la surpopulation, de la raréfaction des ressources, de la fragilité de l’économie mondiale, de la résurgence du fanatisme religieux et de la survivance de régimes politiques autocratiques, sans pour autant inciter les gouvernements du monde à des ripostes concertées.

Qui fait l’Histoire : le monde ou les hommes ? Jusqu’à une certaine étape, c’était la planète, le monde, la nature qui dictait ses lois à l’Homme. Puis ce dernier est parvenu à renverser les rôles, s’affranchissant de cette dépendance et se rendant progressivement « maître et possesseur de la nature » selon les mots de Descartes. Depuis, il n’a plus lâché le gouvernail du changement et de l’Histoire grâce aux moyens dont l’ont progressivement doté son intelligence et son labeur. On considère que c’est vers la moitié du XXe siècle que la planète est entrée dans « l’anthropocène » (l’ère des humains) où « pour la première fois dans l’histoire, les activités humaines modifient profondément l’ensemble du système qui maintient la vie sur Terre » (Matthieu Ricard, généticien et moine tibétain).

Or, ce qu’on constate dans les temps présents c’est que les affaires humaines semblent échapper à tout contrôle, soulevant de grandes inquiétudes qui peuvent devenir la source de nouveaux ennuis pour l’humanité. Les images qui nous arrivent d’Europe depuis quelques semaines, nous montrant ses pays, ses frontières, ses parcs, ses autoroutes et ses gares pris d’assaut par des vagues de migrants, est un signe que des choses déterminantes sont en train de se produire dont on ne connaîtra les conséquences que dans une ou plusieurs générations.

Ces flots humains résolus à prendre pied en Europe ou à mourir en mer ou en route évoquent un tsunami balayant frontières, barrages, forces de l’ordre, lois nationales, procédures communautaires et usages, rappelant des prédictions lues jadis dans des livres signés de noms prestigieux comme Hegel, Nietzsche, Henri Massis ou José Ortéga Y Gasset sur l’ « ère des foules », la « révolte des masses », la « vengeance des damnés de la terre », l’ « invasion des barbares », la « peur des possédants »… C’est de la chancelière allemande que sont ces mots, « l’afflux de migrants va changer l’Allemagne ». Une fois encore ce pays a étonné le monde : les 4/5 de la population ont approuvé la décision de leur chancelière d’accueillir 800.000 réfugiés durant l’année en cours quand la France en accueillera 24.000 sur deux ans et la Grande-Bretagne 20.000 sur cinq ans.

En suivant les reportages diffusés par les chaînes de télévision arabes et occidentales, il était difficile de ne pas établir un parallèle avec d’autres images diffusées par les deux networks, peut-être même dans la même journée : celles montrant « Daesh », la plus grande usine de production de migrants depuis la seconde guerre mondiale, en action dans plusieurs pays arabes. Avec la différence que les premiers sont armés de leur détermination à s’installer en Europe et que les seconds détruisent indistinctement vies humaines et vestiges historiques rencontrés sur leur chemin.

Tout le monde a été un jour ou l’autre soit conquérant, spoliateur ou colonisateur, soit barbare, étranger, colonisé, « dhimmi », déporté, apatride, immigré, réfugié, exilé, « harraga », etc, et beaucoup d’hommes en vie ne savent pas sous quelle terre ou dans quelle mer ils finiront leurs jours. On émigre pour fuir la misère, la dictature, le fanatisme religieux, la guerre, la mort, et pourtant c’est à la mort presque certaine que l’on s’achemine quand on emprunte des embarcations de fortune pour parcourir des centaines de lieues en vue de rallier des destinations incertaines.

Tous les pays sont nés un jour, aucun n’était là à l’apparition de l’Homme ; à la faveur des mutations géologiques, climatiques, biologiques, culturelles et historiques, l’espèce humaine s’est progressivement organisée pour sa survie en familles, hordes, tribus, cités, empires, civilisations puis, à l’ère moderne, en Etats nationaux. On délimitait les territoires et les idéologies comme font les animaux pour s’assurer d’un espace vital, et les guerres ont longtemps eu pour cause principale la possession de quelques kilomètres carrés ou le prosélytisme religieux ou idéologique.

Les pays sont nés de la recherche des hommes d’un abri contre les intempéries, d’un refuge contre les bêtes féroces ou, au gré des vicissitudes de l’Histoire, de la conquête de terres fertiles, de la volonté de puissance ou d’une délibération internationale dont l’exemple le plus fameux est la Résolution No 181 de l’ONU partageant la Palestine en deux Etats. Les Israéliens ne veulent pas rendre aux Palestiniens la part qui leur a échu en 1948, estimant qu’elle fait partie de la terre « promise par l’Eternel », oubliant du coup la résolution onusienne, et Hamas ne rendra pas Gaza à l’Autorité palestinienne pour cause d’islamisme.

Peu de peuples savent où ils étaient il y a quelques millénaires, d’où ils viennent avec certitude ni pourquoi ils sont là plutôt qu’ailleurs. N’ayant pas la prétention de le savoir, les pères-fondateurs de l’Union africaine ont posé avec la vague des indépendances de la fin des années 1950 un principe sage : l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Des pays sont nés de l’émigration, comme les Etats-Unis d’Amérique, de guerres de libération ou d’accords entre les grandes puissances, comme beaucoup d’anciennes colonies africaines, de la scission de grands ensembles par suite de mésentente religieuse (Inde-Pakistan, Soudan-Sud-Soudan) ou idéologique (les deux Chine, les deux Allemagnes, les deux Corée, les deux Vietnam, les deux sous-territoires palestiniens…)

Des regroupements créés sur des bases idéologiques, politiques ou linguistiques (URSS, Yougoslavie, Royaume-Uni quitté par l’Irlande et qu’a failli suivre l’Ecosse il y a peu) se sont défaits, et des Etats issus du démembrement de l’Empire ottoman sont en train d’être démantelés à leur tour à l’instar de l’Irak et de la Syrie. Parmi les frères séparés, il en est qui se sont réconciliés à l’image des deux Allemagne et des deux Vietnam, alors que les « frères » musulmans, eux, aspirent et travaillent à plus de divisions et de scissions à l’avenir (chiites-sunnites, wahhabites-non wahhabites, soudanais, palestiniens, libyens, syriens, irakiens, yéménites…)

Les mutations géologiques, climatiques, culturelles et historiques qui ont façonné la planète sont toujours à l’œuvre et nous assistons de nos jours à la formation d’une nouvelle carte de l’occupation des terres émergées. Des territoires sont menacés de disparition sous l’effet de la montée du niveau des mers et des océans, condamnant leurs peuples à se retrouver sans pays, et des pays fertiles se vident de leur population pour des causes politiques ou religieuses.

Que deviendront ces peuples sans terre et ces terres abandonnées par peur de dirigeants tyranniques ou de hordes fanatiques ? Qui accueillera les premiers ? Qui héritera des secondes ? Que deviendront les idéaux de patriotisme, de nationalisme, de civilisation, de tolérance et d’humanisme qui ont bercé la longue marche d’Homo erectus?

Des pays louent leur pavillon maritime à des armateurs pour accroître leurs rentrées en devises et d’autres leurs terres agricoles à des multinationales; les deux-tiers de la population du Liban vivent hors des frontières de leur minuscule Etat dont presque la moitié de la population résidente est constituée de Palestiniens et de Syriens chassés de chez eux depuis 1948 pour les premiers et 2012 pour les seconds; de riches Etats du Golfe comptent plusieurs fois plus d’étrangers que leur population d’origine, et il y a aujourd’hui plus de raisons ou de prétextes à se séparer dans le monde arabo-musulman que de s’agglomérer.

Y a-t-il une solution au phénomène de migration sauvage qui bouleverse le monde et le transfigurera culturellement à long terme ? Si la communauté internationale ne peut plus stopper le réchauffement climatique, s’y étant prise trop tard, elle peut agir sur les causes à l’origine des flux migratoires arabes dus aux despotismes locaux et à la stratégie de grandes puissances consistant à les livrer à l’islamisme pour mieux démanteler leurs pays. Tout le monde focalise sur la gestion des effets immédiats de la crise, personne sur ses causes. Pourquoi ?

L’intrusion de l’Occident dans l’Asie confucéenne (Japon, Chine, Corée) a réveillé ces peuples qui sont aujourd’hui dans le peloton de tête de la croissance mondiale. La même intrusion dans les pays de l’Asie islamique non-arabe (Indonésie, Malaisie, Turquie) a eu des conséquences presque similaires. Mais, en Afghanistan et dans les pays arabes, elle s’est soldée par un chaos durable et fatal (Pakistan, Irak, Libye, Syrie, Yémen…). C’est à ce propos que le Dr Gustave Le Bon a écrit dans son livre « L’homme et les sociétés », paru en 1895, ces lignes prémonitoires : « Nous avons été semer la guerre et la discorde chez ces nations lointaines et troubler leur repos séculaire. C’est à leur tour maintenant de troubler le nôtre ».

L’Europe cachait-elle des marges d’absorption d’une demande subite et pressante en postes de travail, logements et places pédagogiques ? Certainement non, elle qui cherche à répartir le fardeau entre ses 28 Etats-membres alors que les réfugiés ne l’entendent pas de cette oreille : ils sont intéressés par une poignée de pays seulement.

Les opinions publiques des pays-membres (plus de 500 millions d’habitants) sont déchirées entre leurs sentiments et leur conscience quant à la fragilité de leur propre situation socio-économique : les uns, majoritaires pour l’instant, manifestent en faveur de l’accueil des migrants, les autres, skinheads et militants d’extrême droite, minoritaires pour l’instant, n’hésitent pas à les agresser. Qu’en sera-t-il dans quelques années ? C’est que l’émigration forcée peut être vécue par les pays qui la subissent comme une occupation par la contrainte de leur territoire et certains dirigeants, comme le Premier ministre hongrois, ne se sont pas privés de s’y opposer avec véhémence. Des murs en béton et des grillages électrifiés ont été construits, des blindés ont été déployés à certaines frontières, des flottes militaires surveillent les côtes, l’état d’urgence a été proclamé comme en Macédoine, et chaque pays s’évertue à passer la « patate chaude » au voisin…

Il faut de nouveaux paradigmes pour gérer la donne issue d’une vie internationale non régulée par un droit universel de plus en plus indispensable, mais ces paradigmes n’existent pas encore alors que le phénomène migratoire lorgnant l’Europe n’ira pas en s’estompant mais en s’intensifiant. L’émigration sauvage se présente en effet comme une tendance lourde des prochaines années et décennies avec l’appauvrissement des peuples qui n’ont pas réussi à s’en sortir économiquement au cours du siècle dernier, le maintien de régimes despotiques, le terrorisme exercé par les groupes islamistes et les populations insulaires dont les terres seront englouties par les eaux comme dans le récit de Noé.

Un entrepreneur israélien installé à San Francisco, Jason Buzi, a lancé en juillet dernier dans le « Washington post » une idée qu’il a présentée comme une solution à la crise mondiale des migrants : créer un nouveau pays où les populations fuyant leurs territoires pour un motif ou un autre fonderaient une « nation de réfugiés » où ils vivraient en sécurité et travailleraient comme « tout le monde » selon ses termes. La population de cet Etat pourrait s’élever à soixante millions de personnes, soit le nombre de personnes « déplacées » en 2014 selon les chiffres du HCR (Haut commissariat aux réfugiés, ONU).

Probablement inspiré par la saga de son pays d’origine mais excluant une occupation par la force comme l’a fait Israël au détriment des Palestiniens, l’homme d’affaires a ouvert un site internet où il expose quatre options : demander à des Etats développés de léguer des parties de leurs terres non utilisées pour y installer les populations déplacées, acheter une île inhabitée, prendre en charge un pays existant mais peu peuplé, ou construire une île au milieu de quelque Océan. Il donne l’exemple de la Californie où 90% des quarante millions d’habitants vivent sur moins de 10% des terres de l’Etat, exactement les mêmes proportions que pour Algérie. Pour le financement du projet, il en appelle à la participation de gouvernements et d’investisseurs privés.

Qu’en penser ? Il faut le demander d’abord aux migrants. Eux sont intéressés par des pays déjà faits, construits, civilisés, riches, charitables, aimant les droits de l’homme et les appliquant à tout être humain sans discrimination, et non par une terre vierge, un pays à construire de rien, un territoire sans peuple ou un Etat problématique. Sur quelles idées, quel modèle, serait fondée cette « nation de réfugiés », sachant qu’un grand nombre de migrants sont des musulmans ? Il faut aussi poser la question aux migrants non musulmans pour savoir sur quel « désir de vivre ensemble » ils aimeraient voir s’ériger cet Etat idyllique et quelles valeurs morales et institutions politiques il inscrirait dans sa constitution? N’est-ce pas pour des raisons d’ « incommodo » d’ordre religieux et politique que ces réfugiés ont quitté leurs terres ? Leur dénominateur commun - la migration – suffira-t-il pour les faire cohabiter jusqu’à devenir des compatriotes ? Le projet de Jason Buzi est irréaliste et irréalisable. Ce serait au mieux un laboratoire grandeur nature où serait testée la faisabilité du seul idéal qui n’est pas encore à la portée des hommes, mais seulement des automates et des robots qu’ils apprennent à construire.

Sommes-nous, en tant qu’Algériens, concernés par le phénomène de la migration sauvage ? Oui, sous toutes ses facettes. Nous sommes un pays de transit pour les Africains voulant se rendre en Europe ; nous sommes une destination pour nos voisins africains et nos frères Syriens à qui nous ne saurions fermer la porte au nez ; nous sommes depuis longtemps un pays émetteur de « harragas » ; nous sommes depuis le début du siècle dernier un pays fournisseurs d’émigrés, surtout vers la France, tendance qui a connu un rebond durant la décennie de terrorisme, et notre diaspora compterait entre cinq et sept millions de personnes disséminées à travers le monde, sans préjudice de ce qui pourrait nous arriver à l’avenir compte tenu de notre précarité économique et politique. Les Algériens regardent, notent et n’exigeront pas moins de l’Union européenne, le jour venu, que ce qu’elle aura accordé aux Syriens.

Serons-nous là demain, nous qui étions absents hier, qui sommes si souvent familiers de l’éclipse historique, du rôle de victime expiatoire, de chair à canon pour les guerres de l’occupant et d’auxiliaires de notre propre destruction (harkis pendant la Révolution, terroristes pendant les années 1990) ? Nous aussi nous pourrions être déstabilisés un jour : nous sommes encerclés de toute part, nous avons un « gouvernement kabyle » en exil, nos frères Touaregs sont à cheval entre plusieurs pays du Sahel, Ghardaïa était jusqu’à il y a quelques semaines un champ d’expérimentation, nous nous préparons à recourir de nouveau à l’endettement extérieur et l’islamisme fait des ravages dans la société… Les problèmes de demain sont ceux que poseront les pays et les peuples de demain dont nous, en premier lieu, si nous persistons dans l’aveuglement actuel.


NB


Le Soir d'Algérie du jeudi 10/09/2015
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zadhand
17/09/2015, 18h25
Par Nour-Eddine Boukrouh

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17 septembre 2015, 01:21




PEUR SUR LE PAYS


Le Soir d'Algérie du jeudi 17/09/2015


J’aimerais donner à lire ces lignes avant d’aller plus loin

« Il n’y a pas qu’en Algérie que le pouvoir est la réalité et l’Etat la fiction. Un livre récent d’Anthony Summers (« Official and confidential : the secret life of John Edgar Hoover », traduit en français sous le titre de « Le plus grand salaud d’Amérique ») décrit l’incroyable pouvoir dont a disposé le patron du FBI durant quarante-huit ans (de 1924 à sa mort en 1972) dans la plus grande et la plus transparente démocratie du monde. Ayant survécu à huit présidents des Etats-Unis dont le premier souci en arrivant était de le limoger, il était plus puissant qu’eux, contrôlant les membres du Congress, les ministres, les élus, les universités, les juges, les journaux, les commissions d’enquêtes, les foules, la mafia… Ce que relate le livre défie l’imagination et bouleverse l’entendement, tant l’image donnée d’eux par les Etats-Unis d’Amérique contraste avec la série de faits crapuleux et de preuves accablantes exposés par l’auteur… » (Cf. N. Boukrouh, « L’Algérie entre le meilleur et le pire », Ed. Casbah, 1997).Les sentiments sont partagés au sein de la population algérienne après la décision prise par le président Bouteflika de mettre fin aux fonctions du général de corps d’armée Toufik à la tête du DRS et de le mettre à la retraite. Grosso mode, deux courants se dégagent : ceux qui y voient un « bien » et ceux qui y voient un « mal ».Les premiers trouvent naturel qu’un responsable, quel qu’il soit, doive quitter un jour ou l’autre son poste et que le Président exerce l’intégralité et la plénitude des pouvoirs que la constitution lui confère, considérant que le « bicéphalisme » a empêché le développement et la modernisation politique de l’Algérie et qu’il est temps que le pouvoir devienne réellement et entièrement civil. Ceux-là n’ont pas vu dans les mesures qui ont affecté le DRS depuis deux ans un démantèlement mais une restructuration ayant pour finalité sa sortie du jeu politique et son investissement à l’avenir dans les missions de sécurité intérieure et extérieure qui justifient son existence et exigent une concentration sur son métier de base. Ils ne veulent pas croire à la théorie de l’affrontement et inclinent vers une réorganisation du DRS venue en son temps et pilotée par son chef sur instruction du Président. Mais ne font-ils pas l’impasse sur quelques « couacs », quelques anomalies?Les seconds y voient pour leur part le dénouement d’un bras de force entre le général Toufik et le président Bouteflika apparu avec la révélation dans la presse de plusieurs affaires de corruption touchant les hautes sphères de l’Etat, révélations dont le but aurait été d’entraver le quatrième mandat et dont un des dommages collatéraux aurait été l’AVC qui a frappé le Président en avril 2013. C’est dans ce courant que se recrutent ceux qui nourrissent une grande peur pour le pays et son avenir, d’autant que la crise économique est déjà parmi nous. Une peur fondée sur une vieille vision binaire selon laquelle le pays étant « bicéphalement » dirigé, l’armée ne laisserait jamais faire un Président tenté par le despotisme familial, la subordination à des intérêts étrangers ou la prédation des richesses nationales.Or, estime-t-on dans ce courant, l’armée a été « neutralisée ». Le « clan présidentiel » aurait réussi à éliminer Toufik qui « ne commandait plus qu’un secrétaire et deux femmes de ménage », les grosses affaires de corruption ont été passées par pertes et profits au su et au vu de tous, plus personne n’est en mesure de s’opposer à ses desseins et il faut s’attendre à ce qu’il s’empare à brève échéance du pays pour en faire ce qu’il voudra : le saigner ou le vendre. Ceux-là n’ont pas été au bout de leur logique car si tel avait été le cas, il y aurait eu du grabuge quoique…Qui des deux courants est dans le vrai ? Laquelle des deux thèses correspond à la vérité, tant est que ce mot ait un sens ou une application en politique ? Sans oublier que nous ne sommes pas au pays de la transparence et de la rationalité mais en plein imbroglio algérien où l’art de la politique tient en quelques formules du genre : « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette » ou « Jouons à nous embrouiller mutuellement… » Normalement, sur deux hypothèses, si ce n’est pas la première qui est la bonne, ce devrait être la seconde. Mais chez nous les choses ne sont pas aussi simples, droites et carrées. La vérité n’est pas toujours du côté qu’on suppose ni celui que suggère la logique ; elle peut être dans l’une et l’autre à la fois ou dans aucune, confirmant que le « dribblage » est la meilleure façon de garder un secret. Le nombre de ceux qui savent vraiment ce qui se trame ne doit pas dépasser quatre ou cinq.La thèse du premier courant l’aurait emporté si elle n’avait été entachée de « couacs » attirant sur elle des questions qui mettent en doute sa cohérence. Dès qu’on cherche à répondre à ces questions on se retrouve en train de glisser dans la seconde thèse : pourquoi a-t-il fallu que les seules attaques publiques et frontales jamais menées contre le chef du DRS viennent d’un homme qui venait d’entrer par effraction sur la scène politique ? Un homme sans fonctions officielles, qui n’a de « pouvoir » que celui de la parole, rare et brève chez lui, et qui constitue une cible idéale pour les critiques. Etait-il nécessaire de procéder de la sorte ? N’y avait-il que cet homme et cette façon d’opérer ?Elle l’aurait emporté si, par ailleurs, une anomalie outrageusement choquante ne discréditait, vidait de tout sens, les notions de « droits régaliens » et de «prérogatives constitutionnelles » du président. Cette anomalie qu’on a en apparence acceptée comme si elle était naturelle et qu’on fait mine de trouver « normale », c’est que l’homme qui se prévaut de cette qualité, de cette fonction et de ces droits n’en remplit plus les conditions et les devoirs depuis longtemps. Il ne devrait même pas se trouver là car il n’avait pas le droit de se présenter à son âge et dans sa condition d’handicapé à un quatrième mandat alors que la constitution, avant qu’il ne la viole en 2008, n’en permettait que deux. Tous ses actes devraient être frappés de nullité et dénoncés comme des atteintes à l’intérêt national et à la sécurité interne et externe du pays et pourtant personne ne le fait, préférant voir couler le pays.En réexaminant à la lumière du point de vue que je veux développer les faits ayant marqué la vie nationale ces dernières années, on ne peut nier les traces d’un désaccord qui, à un moment ou un autre, a été surmonté par un compromis qui a libéré la voie au quatrième mandat et à ce qui se profile derrière les chamboulements en cours. Le redéploiement du DRS, le remplacement de hauts responsables par leurs adjoints (Boustila et Toufik) et la suite, une suite qu’on ne connait pas mais qui a forcément à voir avec la succession de Bouteflika, attestent qu’un plan a été convenu et qu’il est en cours d’application. Ce qui me le fait dire ? Deux éléments : la lettre du président Zéroual de mars 2014 et le perpétuel renvoi de la révision de la constitution depuis 2011.S’agissant de la lettre de l’ancien président, j’en avais présenté ici-même une lecture qui s’harmonise avec ce que je soutiens aujourd’hui. Elle me semblait receler un mystère, d’où le titre donné à ma contribution : « Mystères et misères du 4e mandat » (LSA du 23 mars 2014). Le constat sévère que le président Zéroual dressait dans sa lettre au peuple algérien et les critiques voilées qu’il adressait à son successeur ne me paraissaient pas concorder avec l’optimisme avec lequel il appréhendait le quatrième mandat. Il y avait comme une incohérence entre l’état des lieux alarmant qu’il faisait et les perspectives rassurantes qu’il entrevoyait pour au moins une raison : c’est que l’homme qui était à l’origine de l’état des lieux décrié allait être l’architecte du « nouvel ordre politique » qu’esquissait Zéroual. J’en avais déduit que s’il avait choisi de parler à la manière de Nostradamus, c’était parce qu’il savait quelque chose que nous ne savions pas, qu’il n’était pas temps que nous sachions.Zéroual écrivait dans sa déclaration : « Indépendamment de ce qui va résulter du scrutin du 17 avril prochain, il faudra surtout retenir que le prochain mandat présidentiel est le mandat de l’ultime chance à saisir pour engager l’Algérie sur la voie de la transition véritable ». Ce qui donnait à penser qu’avec ou sans Bouteflika il y aura une « transition».Sur quoi reposait cette certitude ? D’où l’ancien présidait tenait-il que « le prochain mandat présidentiel doit s’inscrire dans le cadre d’un grand dessein national et offrir l’opportunité historique d’œuvrer à réunir les conditions favorables à un consensus national autour d’une vision partagée sur l’avenir de l’Algérie ; une vision partagée par les principaux acteurs de la vie nationale et que doit nécessairement couronner, en dernière instance, l’assentiment souverain de l’ensemble du peuple algérien ».On devine qu’il s’agit dans ces lignes de la Constitution. Or le projet de sa révision est entre les mains de Bouteflika qui le garde jalousement au secret comme on garde un testament ou un titre de propriété essentiel. Quelles en sont les raisons ? Que renferme de si important le projet de révision qui ne puisse être divulgué ? De tout ce qu’on a appris par les « fuites » dont se fait écho de temps à autre la presse, il n’y a pas de quoi fouetter la queue d’un chat et ne justifie aucunement les reports sine die. Va-t-il le libérer bientôt ou attendre quelque autre évènement d’importance que nous ignorons mais qui serait inscrit dans l’agenda ?L’ancien président poursuit dans son adresse au peuple algérien en mars 2014 : « Ce mandat-transition constituera la première étape sérieuse d’un saut qualitatif vers un renouveau algérien, plus conforme aux aspirations légitimes des générations postindépendance et en harmonie avec les grandes mutations que connait le monde. Il est temps d’offrir à l’Algérie la République qu’elle est en droit d’exiger de son peuple et de son élite éclairée ». Sur quoi s’appuyait son assurance ? Si mystère il y a, si, comme le laissent croire les insinuations de Zéroual, le 4e mandat se décline en deux volets dont nous ne connaissons que le premier, de nouvelles questions surgissent : n’y avait-il que ce chemin sinueux et périlleux pour aller vers une transition ? N’était-ce pas un pari dangereux que de miser sur un homme qui pouvait rechuter ou, à Dieu ne plaise, mourir avant l’arrivée des échéances prévues par le mystérieux scenario ?J’ai conclu mon analyse de la lettre de Zéroual en ces termes : « Le président Zéroual a aussi parlé de « contre-pouvoirs forts ». Où sont-ils, d’où vont-ils sortir dans l’état actuel du champ politique laminé par quinze ans de fermeture ? Est-il, comme Nostradamus, seul à voir ce que les autres ne voient pas ? Le seul contre-pouvoir dont personne n’a jamais douté de son existence est celui constitué par l’Armée qui, tout en étant la source du pouvoir, pouvait s’ériger en contre-pouvoir en cas de péril imminent, comme en 1992 quand elle a divergé avec Chadli. Or certains indices montrent qu’elle a tourné le dos à la politique et s’en lave les mains dorénavant, soulevant du même coup l’inquiétude des citoyens opposés au 4e mandat qui voient dans ce retrait le risque que la mafia politico-financière ne s’empare « démocratiquement » du pouvoir. C’est ce qui explique leur peur, mais aussi leur détermination à dénoncer et à s’opposer à une telle perspective. C’est ce qui déclencherait aussi un deuxième 1er Novembre ».A mon avis, il n’est pas possible de détacher les mesures ayant touché le DRS et son chef de l’agenda convenu avant le quatrième mandat. Ni le Président ni le général Toufik n’aurait accepté qu’un « autre » héritât, avec ou sans eux, des pouvoirs réunis par l’ex-chef du DRS au cours de sa carrière et en raison de circonstances exceptionnelles. Un peu comme Hoover aux Etats-Unis pendant la guerre froide.Tout comme il ne faut pas confondre entre mise à la retraite et mise en retrait définitif des affaires publiques. Un homme comme l’ex-chef du DRS ne peut pas être jeté comme un citron pressé ou une vieille chaussette, et il ne serait pas surprenant de le retrouver un jour dans un rôle civil en vertu de son capital-expérience auquel est en train de s’ajouter un capital-sympathie depuis qu’il passe pour un « mahgour ». Surtout en cas de gros problème.Les dernières figures de la génération de la révolution quittent le pouvoir l’une après l’autre, contraintes par l’âge ou la maladie. Le tour des retardataires encore en poste arrivera inéluctablement mais on ne sait pas s’ils continuent à ne penser qu’à eux-mêmes, à leurs proches et à leurs intérêts comme ils nous ont habitués, ou s’il leur arrive de penser à l’Algérie après eux, une Algérie qu’ils sont en train de quitter en la laissant sans relève, sans élite, sans société, sans économie, dans un monde où on voit de plus en plus de peuples disloqués fuir leurs pays pour aller là où on veut charitablement d’eux.Ce qui étonnerait un non-Algérien dans cette représentation de la réalité algérienne, c’est l’absence ahurissante, inexplicable, de la société du jeu politique, sa soumission aux jeux de coulisses, sa résignation au sort qu’on lui fait. L’assistanat appelle la dictature comme le clou qui dépasse appelle le marteau. Si notre destin est de vivre dans n’importe quel état, à n’importe quelle époque, indépendants ou colonisés, mendiants et orgueilleux, « ma ândnach wma ikhassnach », de mourir indifféremment sur terre ou en mer, de nous entretuer par haine ou par fanatisme, si vraiment tout se vaut, la vie comme la mort, alors tant pis pour nous car ni Dieu ni personne ne pourra rien pour nous.


NB


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zadhand
15/11/2015, 20h40
Par Nour-Eddine Boukrouh

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18400


15 Novembre 2015


Pensée de Malek Bennabi_
«Témoignage pour un million de martyrs»


A la veille de l’indépendance, Bennabi rédige au Caire, où il réside depuis 1956, un texte extrêmement téméraire dans lequel il s’en prend au GPRA et à l’état-major de l’armée des frontières qui se disputent le pouvoir. Il est daté du 11 février 1962. En raison de son contenu explosif, il ne sera publié qu’en 2000, lorsque le commandant Lakhdar Bouregaâ en fait paraître le contenu intégral dans une annexe de ses Mémoires(1). Il était destiné au Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) qui devait se réunir en mai 1962 à Tripoli (Libye) mais le «zaïm» à qui Bennabi l’a confié (Ben Bella) a préféré le garder par devers lui. Ce que constatant, il en remet une copie au Dr Ammar Talbi, alors étudiant au Caire, en le chargeant de le remettre au Dr Khaldi à Alger pour publication.
Il était attendu de la réunion du CNRA dans la capitale libyenne qu’elle prépare la relève de l’Etat français par l’Etat algérien et qu’elle débatte de deux points principaux inscrits à l’ordre du jour : un projet de programme et la désignation d’un Bureau politique. La «Charte de Tripoli», qui prévoit la mise en place d’un parti unique et l’option socialiste, est votée à l’unanimité. Quant au second point, relatif à la structure du pouvoir à mettre en place, Ben Bella et Khider proposent le remplacement du GPRA par un bureau politique composé d’eux-mêmes, d’Aït Ahmed, Boudiaf, Bitat, Ben Alla et Mohammedi Saïd. Un témoin des débats, Saâd Dahlab, écrit dans ses Mémoires : «Ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres. Les passions se déchaînèrent autour de cette seule question parce qu’elle signifiait le pouvoir. Ben Bella et Khider jetaient le masque. Ils ne voulaient personne de l’ancienne équipe.»(2) Après dix jours de discussions, les membres du CNRA n’arrivent pas à un compromis sur le partage du pouvoir. Boudiaf et Aït Ahmed refusent de s’allier à Ben Bella et Khider, lesquels sont soutenus par l’état-major militaire dirigé par le colonel Houari Boumediene. Benkhedda, président du GPRA, quitte Tripoli et rentre à Tunis. Le 30 juin, le GPRA décide de destituer et de dégrader les membres de l’état-major ; le 1er juillet, le référendum a lieu à travers le territoire national ; le 3, les troupes de l’armée des frontières rentrent en Algérie ; le 6, Ferhat Abbas se prononce contre la destitution de l’EMG ; le 11, Ben Bella rentre en Algérie par Maghnia ; le 22, il proclame à Tlemcen la formation du Bureau politique (la liste proposée au CNRA moins Aït Ahmed et Boudiaf) ; Ferhat Abbas le soutient et le rejoint à Tlemcen. Le GPRA est éclaté : cinq de ses membres font partie du Bureau politique (Ben Bella, Bitat, Boudiaf, Khider et Mohammedi), deux ont démissionné et se sont retirés à Genève (Aït Ahmed et Dahlab), deux autres sont restés à Tunis (Boussouf et Bentobbal), alors que Krim Belkacem s’est retiré en Kabylie. Le 2 août, un arrangement est enfin trouvé sur la tenue d’élections pour désigner une Assemblée constituante. Boudiaf réintègre le BP ; le 3, les membres du BP font leur entrée à Alger ; le 21, les Oulamas proclament leur soutien à Ben Bella, suivis du Parti communiste algérien ; les wilayas sont divisées entre le soutien au GPRA et au BP ; des affrontements éclatent ; on dénombre des centaines de morts ; le 20 septembre se tient
l’élection de l’Assemblée nationale constituante ; le 27, Ben Bella forme son gouvernement.
Dans Témoignage pour un million de martyrs, Bennabi proclame sa volonté de dire au peuple algérien ce qu’il sait de la Révolution et de ses dirigeants : «Je me sens peut-être tenu par l’obligation de témoigner plus que les autres car je suis arrivé au Caire en 1956 avec l’intention de mettre ma personne et ma plume au service de la Révolution. Mais le destin m’a mis dans la position du témoin pour des raisons que je révélerai quand le peuple algérien demandera des comptes à tous ceux qui étaient au Caire durant cette période. Par conséquent, je m’acquitte de mon devoir de témoignage en étant conscient de mes responsabilités dans l’accomplissement de ce devoir. Je ressens ce devoir de façon plus particulière au moment où le peuple algérien va être appelé à accomplir son dernier et plus grave acte révolutionnaire, l’acte qui pourra soit consacrer tous les résultats de sa révolution soit l’exposer à sa perte...»
Il commence par s’étonner que des personnages (dont il cite les noms) qui avaient été proches de l’administration coloniale se soient retrouvés à la «Voix de l’Algérie» ou en charge des finances de la Révolution. Il affirme que le peuple doit être éclairé sur les comportements et les responsabilités de chacun avant la tenue du référendum d’autodétermination : «Le peuple algérien doit connaître la vérité pour éviter à son édification politique et sociale de reposer après l’indépendance sur un terrain où les pieds s’enfonceraient dans la trahison, le stratagème et l’irresponsabilité…» Il propose au CNRA de convoquer à Alger un «Congrès extraordinaire du peuple algérien» qui formerait des commissions chargées d’enquêter sur un ensemble de questions avant la tenue de toute élection dans le pays. Il énumère ces questions :
1) Circonstances dans lesquelles a été constituée, en avril 1955, une «direction séparée de celle de la Révolution basée dans les Aurès» sous le nom de Zone autonome d’Alger (ZAA).
2) Circonstances de la mort de Ben Boulaïd, Abbas Laghrour, Zighoud Youcef, Larbi Ben M’hidi, le colonel Amirouche, le colonel Mohamed El-Bahi, Abdelhaï, Mostéfa Lakehal… Il y voit la main de la «trahison» et incrimine la direction qui s’était autoproclamée en 1955, lorsque le gouvernement français cherchait des «interlocuteurs valables» hors des rangs de l’ALN pour négocier avec eux. Pour lui, même le détournement d’avion qui a permis l’arrestation
des «cinq» en 1956 résulte d’un acte de trahison.
3) Comportement des dirigeants issus du Congrès de la Soummam face à l’édification de la ligne Morice qui n’a été ni entravée ni retardée, mais au contraire accompagnée d’une accalmie sur le front intérieur. Selon lui, le Congrès de la Soummam a été suivi d’une baisse d’intensité des combats et d’un transfert délibéré des unités combattantes vers les frontières Est et Ouest pour «laisser souffler» les forces françaises et en prélude à l’ouverture de négociations. Il estime que ces unités ont été transformées en unités de parade entre les mains des «zaïms».
4) Circonstances dans lesquelles les déserteurs de l’armée française ont rejoint l’ALN
et les raisons de leur nomination à des fonctions sensibles au sein de l’ALN.
5) Assassinat de Allaoua Amira au siège du GPRA, au Caire, après qu’il eut mis
en cause le GPRA dans certains contacts secrets avec la France.(3)
6) Attitude des membres du GPRA envers les étudiants algériens à l’étranger.
7) Gestion des finances par le GPRA et leur utilisation en dressant un état comparatif des dépenses effectuées au profit de l’ALN et de celles consacrées au fonctionnement du GPRA, dont les rémunérations allouées à ses membres.(4)
8) Modalités de constitution du CNRA et sa représentativité.
9) Initiative d’engager l’Algérie dans des pourparlers au sujet du Grand Maghreb sans consulter le peuple.
Dans la lettre d’accompagnement de Témoignage pour un million de martyrs qu’il a adressée à Ben Bella le 18 juin 1962, Bennabi demande la réunion d’un Congrès «comme celui de 1936», c’est-à-dire regroupant le FLN-ALN, les Oulamas, l’UDMA, le PCA et même le MNA de Messali Hadj. Idée irrecevable pour ceux qui ont en main
le pouvoir et qui ont déjà arrêté le principe du parti unique.
Il ressort de cette demande que Bennabi envisageait pour l’Algérie un système démocratique fondé sur le pluralisme politique. En conclusion de son témoignage, il affirme qu’on ne peut pas s’engager dans des élections sans que le peuple connaisse la vérité sur la Révolution : «Les jours de deuil et de misère vécus par le peuple algérien pendant la Révolution ont été, pour les “zaïms”, les plus beaux de leurs jours qu’ils ont passés comme les émirs arabes
du pétrole dans leurs palais des Mille et Une Nuits, écrit-il rageusement.
Il déplore qu’aucun âlem ni intellectuel n’ait proféré le moindre mot pour condamner ces agissements ou en informer le peuple. Une telle liberté de ton pouvait faire craindre pour sa vie étant donné les mœurs politiques de l’époque. Si la lettre n’a été connue par un public forcément restreint qu’en 2000, son contenu est passé pour l’essentiel dans Perspectives algériennes (1964) et Le problème des idées dans la société musulmane. Ainsi est Bennabi : jamais il ne se tait ni ne renonce à sa liberté de jugement et d’expression. Les questions qu’il a soulevées sont, on s’en doute, gravissimes et laissent clairement entendre que la Révolution algérienne a été «détournée» quelques mois à peine
après son lancement. Il n’a jamais fait mystère de cette conviction.
Quoi qu’il en soit des œuvres publiques de Bennabi, c’est dans ses écrits inédits et ses Carnets que nous trouvons ses véritables sentiments et pensées sur les évènements et les hommes. Le 18 mai 1959 à 22h, il entame la rédaction d’un livre inédit portant le titre de Histoire critique de la Révolution algérienne. Dans la préface de six pages on peut lire : «La révolution algérienne a été une mise au banc d’essai de tout un peuple, la mise à l’épreuve de toutes ses valeurs humaines, de toutes ses catégories sociales. Et cette épreuve a montré la qualité des valeurs populaires de l’Algérie mais elle a mis à nu les tares incroyables de ce qu’on peut appeler une “élite” qui s’est révélée dénuée des qualités morales et intellectuelles qui font l’apanage d’une élite… La Révolution algérienne et le peuple algérien : un dépôt sacré entre des mains sacrilèges ou maladroites… La Révolution algérienne est l’œuvre d’un peuple qui n’a pas d’élite : l’historien y trouvera toutes les vertus populaires, mais aucune des qualités propres à une élite.» Toute l’histoire de l’Algérie au XXe siècle est dans ces lignes, de même que l’explication de la tragédie qu’elle a connue
dans les années quatre-ving-dix et l’avilissement dans lequel elle vit aujourd’hui.
Un peu moins de deux ans après le déclenchement de la Révolution, Krim Belkacem, Larbi Ben M’hidi et Abane Ramdane s’entendent pour réunir un Congrès en vue de donner à la Révolution algérienne une organisation, une direction et un programme. Celui-ci se tient effectivement le 20 août 1956 en Kabylie et dure vingt jours.
Le Congrès dresse le bilan de la Révolution, décide d’une réorganisation de l’ALN sur le modèle des armées classiques, découpe le territoire national en six wilayas, érige Alger en Zone autonome, adopte une plate-forme politique (rédigée pour l’essentiel par Amar Ouzegane, un ancien responsable du Parti communiste algérien) et désigne une direction constituée d’un exécutif de 5 membres (le Comité de coordination et d’exécution-CCE), et une instance politico-législative de 34 membres (le Conseil national de la Révolution algérienne, CNRA).
La proclamation du 1er Novembre 1954 avait assigné pour but à la Révolution «la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques». Dans la «Plateforme de la Soummam», il est question d’«un Etat algérien sous la forme d’une République démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues». Deux mois après le Congrès, les quatre principaux membres de la Délégation extérieure(Ben Bella, Aït Ahmed, Khider, Boudiaf) sont arrêtés après le détournement de leur avion. Des six «historiques» qui ont déclenché la Révolution, Didouche Mourad, Mostefa Ben Boulaïd et Larbi Ben M’hidi sont morts ;
Boudiaf et Bitat sont en prison ; il ne reste plus que Krim Belkacem vivant et en liberté.
Abane Ramdane reprochait à la Délégation extérieure de ne pas alimenter les maquis en armes et à ses membres de s’être arrangés pour se mettre en lieu sûr après avoir «allumé la mèche». Mais lui-même ainsi que les autres membres du CCE ne vont pas tarder à quitter le front intérieur pour se réfugier à l’extérieur après l’arrestation de Larbi Ben M’hidi, et ce, en violation des décisions du Congrès de la Soummam qui avait consacré la primauté de l’intérieur sur l’extérieur.
Yacef Saâdi, qui dénie au CCE tout rôle dans la Bataille d’Alger, est ulcéré quand il apprend leur décision de quitter le territoire national : «Ils ont choisi, à la faveur ou à cause de la grève, de prendre
leurs jambes à leur cou et déserter le champ de bataille…
Moins brillant qu’à son arrivée de la Soummam, le CCE était reparti en baissant la tête… Le précédent créé par le CCE se traduira par deux conséquences majeures : primo, à partir de cette date des milliers d’Algériens, fuyant la guerre, n’essaieront même pas de justifier leur acte auprès du FLN de l’intérieur… A l’abri de la frontière tunisienne et marocaine, on tentera de former avec les meilleurs d’entre eux ce qu’on appelle “l’armée des frontières” ; secundo, s’il est un homme dans l’histoire récente de notre guerre de libération qui perdra tout son poids à cause de ce départ irréfléchi à l’étranger, c’est bien Abane Ramdane qui, de chef de gouvernement révolutionnaire bénéficiant de la quasi-totalité des prérogatives pour conduire la guerre à bon port, est relégué au niveau de directeur de journal.»(5) Un des membres du CCE, Benkhedda, reconnaîtra quarante ans plus tard que la plus grande erreur de la Révolution a été de transférer à l’étranger sa direction : «Il s’est formé une bureaucratie politique et militaire coupée de l’intérieur et de ses réalités quotidiennes qui a ouvert la voie à l’arrivisme, à l’opportunisme, au népotisme et dont l’origine remonte à la sortie du CCE en 1957, une décision lourde de conséquences… C’est cet appareil forgé à l’extérieur qui prendra le pouvoir en 1962 et confisquera la Révolution à son profit. Beaucoup plus que pour le GPRA, l’état-major général siégeant à l’extérieur a été une aberration. L’ALN a été divisée en deux : celle des deux frontières et celle de l’intérieur,
séparées l’une de l’autre par la ligne Morice.»(6)
Lorsque les membres de la Délégation extérieure du FLN au Caire reçoivent les procès-verbaux et les résolutions du Congrès de la Soummam, ils s’aperçoivent qu’ils ont été exclus de la direction de la Révolution. Ils contre-attaquent en reprochant au Congrès de ne pas être représentatif et d’avoir «remis en cause le caractère islamique des futures institutions politiques» et en rejetant ses décisions. Quant à la composition du CCE, ils récusent la nomination de Benkhedda et de Dahlab, anciens «centralistes». L’initiateur du Congrès, Abane Ramdane, est sévèrement critiqué. On pense qu’il veut prendre le pouvoir et écarter les «historiques» et les chefs de l’extérieur. La réunion au Caire du CNRA en août 1957 annule les décisions de la Soummam ; un nouveau CCE de 9 membres est désigné ;
Abane est marginalisé : on lui confie la direction du journal El-Moudjahid.
Le 27 décembre 1957, quelque part à Tétouan, au Maroc, Abane Ramdane, attiré dans un guet-apens, est assassiné. Plus tard, Ferhat Abbas mettra cet assassinat sur le compte de «la haine que les analphabètes vouaient à ceux qui savaient lire et écrire. La jalousie et l’envie ont été les deux maladies de l’insurrection algérienne… Au cours de son histoire, le Maghreb a toujours décapité la société en supprimant ses élites pour recommencer du début. C’est pourquoi il a stagné sans jamais progresser».(7) Avant d’être tué, Abane aurait été jugé en son absence, selon le témoignage de Krim Belkacem. L’accusation retenue contre lui aurait été de s’être livré à un travail fractionnel
et d’avoir comploté avec un commandant de l’ALN pour renverser le nouveau CCE.(8)
Abane avait des idées marxistes et laïques et ne s’en cachait pas. Il était de caractère difficile, cassant, autoritaire, méprisant. Cela, tous ceux qui ont écrit sur lui le confirment(9). Le diplomate Khalfa Mameri raconte par le menu détail les très difficiles relations que Abane avait avec la plupart des dirigeants, à commencer par celui qui l’a recruté au PPA, Omar Oussedik, celui qui l’a nommé à la tête d’Alger, Krim Belkacem (qu’il a un jour publiquement traité d’«aghioul» (âne)), les membres de la Délégation extérieure (surtout Ben Bella qu’il a accusé d’être un «traître») et les colonels de la Révolution (Boussouf, Boumediene, Bentobbal, Amirouche, qu’il lui est arrivé de qualifier de «voyous»). Il pensait qu’il était le plus qualifié pour diriger la Révolution, ce qui a suscité chez les autres prétendants une terrible méfiance à son égard. Mameri n’hésite pas à s’attarder sur les zones d’ombre de sa vie qui ont justement servi à alimenter la terrible accusation qui a pesé sur lui(10). Saâd Dahlab qui était très proche de Abane et à qui il devait son ascension politique écrit : «Il nous mettait souvent devant le fait accompli… Rien n’irritait davantage Krim et Ben M’hidi que de le voir “jouer au chef”.» Il y a quelques années, le nom de Malek Bennabi a été mêlé, dans un livre sur Abane Ramdane, à une querelle dans laquelle il n’a rien à voir, comme il n’avait rien à faire dans la galerie de photos ornant la couverture du livre en question où apparaissent Ahmed Ben Bella et Ali Kafi. Si ces deux personnalités ont été effectivement des rivaux et des contradicteurs de Abane, Bennabi, lui ne l’a jamais rencontré, ne lui a disputé aucune position dans la direction de la lutte de Libération nationale et ne s’est intéressé à lui qu’accessoirement, dans le cadre d’une thèse sur les processus révolutionnaires dans l’histoire. On ne grandit pas un homme en rabaissant un autre et je ne voudrais pas tomber dans le travers que je dénonce. Il s’agit ici de deux grandes figures de l’Algérie du XXe siècle, l’une dans le registre de la pensée universelle, l’autre dans l’action révolutionnaire. Du reste Bennabi n’a besoin de personne
pour être grandi, son œuvre le faisant largement pour lui.
Je connais depuis le début des années 1970 les jugements de Bennabi sur la révolution algérienne et ses dirigeants, puisqu’il lui arrivait d’en parler dans ses séminaires, chez lui. Alors âgé d’une vingtaine d’années, j’étais bouleversé par ce que j’apprenais comme doivent l’être les générations postindépendance qui sont scandalisées et traumatisées par ce qu’elles entendent à longueur d’année sur l’histoire de leur Révolution, entachée par les accusations de trahison de part et d’autre et les assassinats ayant pour mobile la prise du pouvoir. L’œuvre écrite de Bennabi est ample ; dans cette production foisonnante, un seul paragraphe de quatre ou cinq lignes, selon le format du livre, a été consacré à Abane Ramdane (en même temps que Georges Habache) pour illustrer un raisonnement sur les processus révolutionnaires algérien et palestinien. Ce paragraphe se trouve dans son livre Le problème des idées dans la société musulmane paru pour la première fois en arabe au Caire en 1970. C’est à mon initiative et avec une préface de moi qu’il est sorti pour la première fois en langue française en 1991. Et il ne comporte pas le paragraphe où Bennabi parle de Abane Ramdane et de Georges Habache car j’ai pris sur moi, sans en référer à quiconque, de «censurer» ce passage. Pourquoi ? Parce j’estimais que des dirigeants de l’envergure de Abane et de Habache ne pouvaient être jugés aussi lapidairement et parce qu’il allait de soi à mes yeux que ce retrait ne nuirait aucunement à sa pensée.
Ce que Bennabi a pu dire dans ses Mémoires ou ses inédits de Abane Ramdane, Larbi Tébessi, Ferhat Abbas, Moufdi Zakaria, Lamine Debaghine et beaucoup d’autres ne représente rien par rapport à la valeur et à la portée de son œuvre. Qu’il ait raison ou tort, que ses appréciations sur les hommes soient fondées
ou non, confirmées ou infirmées, est une autre affaire.
Il revient à l’Histoire de juger les uns et les autres à travers les témoignages, les investigations des historiens et les archives qui, tôt ou tard, s’ouvriront aux chercheurs. Le domaine de la pensée est une chose, les démêlés d’un auteur avec son environnement social et politique une autre. Bennabi en avait assurément avec les leaders du Mouvement national et plus tard avec les dirigeants de la Révolution mais ces divergences n’ajoutent ni ne retranchent rien à sa pensée et à son œuvre. Ce n’est pas ce que l’Histoire a retenu de lui, ce n’est pas ce qui l’a fait connaître dans le monde, ce n’est pas à ses opinions sur la révolution algérienne qu’il doit sa renommée et ce n’est pas pour son apport sur ce plan que des centaines d’écrits lui ont été consacrés et le seront encore à l’avenir. Larbi Tébessi a connu la prison et est mort en martyr de la Révolution ; Bachir El-Ibrahimi a été enfermé dans les geôles coloniales, mis en résidence surveillée et exilé ; Abane Ramdane a fui l’Algérie pour ne pas tomber entre les mains de l’ennemi mais a été finalement étranglé par celles de ses frères ; Ferhat Abbas a été incarcéré de multiples fois et réduit au silence par l’Algérie indépendante… Toutes ces grandes figures ont servi leur pays selon leur notion des choses, avec leurs moyens, leurs qualités et aussi leurs faiblesses. Humain, Bennabi ne pouvait être exempt de défauts et avait les siens mais ils étaient largement compensés par sa droiture et son génie.
Bennabi n’a pas pris le fusil et n’a pas tiré un seul coup de feu contre l’ennemi. Abane non plus, pas plus que l’écrasante majorité de ceux qui ont dirigé la Révolution et le pays depuis l’indépendance. Lui a pris la plume du début à la fin de sa vie et pour la gloire de la pensée algérienne dont il est le représentant le plus connu dans le monde, qu’on le sache ou non, qu’on l’admette ou non. Je dis bien «pensée», et non littérature. L’indépendance a été acquise après sept ans de guerre mais trente ans après exactement une autre guerre s’ouvrait entre Algériens qui dura plus longtemps que la Révolution. C’est dire que ce à quoi s’est consacré Bennabi n’était pas moins valeureux ou crucial que l’acte révolutionnaire de libérer le pays. Pour mener un combat physique, armé, ayant pour finalité la libération du pays ou l’instauration d’un «Etat islamique», il y a toujours assez de monde. Mais des siècles et des millénaires peuvent s’écouler sans qu’un peuple mette au monde un seul penseur. Dans ses Carnets figure cette pensée dont il dit qu’elle était gravée dans le marbre au fronton du palais du vice-roi à Delhi : «La liberté ne descend pas vers un peuple ; un peuple doit s’élever jusqu’à la liberté.» C’est le contraire qu’on a cru en Algérie.
Ce sont ces idées, cette pensée, cette œuvre qu’il fallait enseigner et propager pour éduquer les citoyens, les doter de représentations justes, leur faire prendre conscience des pré-requis d’une œuvre de civilisation et, en définitive, les immuniser contre le charlatanisme et le nihilisme. Pris par les tâches dites de construction nationale, happé par les idées soi-disant progressistes, l’Etat algérien a méprisé et dédaigné cette pensée. Conséquence : les idées fausses ont défait ce qui a été fait au titre de la libération du pays ou de la «construction nationale».


N. B.




Jeudi prochain : PENSÉE DE MALEK BENNABI
«La lutte idéologique»

zadhand
27/12/2015, 22h19
[email protected]
18400
NOUREDDINE BOUKROUH
DIMANCHE 27 DÉCEMBRE 2015


LA PAIX DES CIMETIERES


Le Soir d’Algérie du dimanche 27/12/2015
Depuis que je possède une page facebook, je n’ai pas connu d’expérience semblable à celle que j’ai vécue dans la nuit de jeudi à vendredi derniers après avoir posté sur mon mur un mot de quelques lignes où j’avais écrit : « Aït Ahmed aura été original même dans sa mort. Opposant intraitable au "système" de son vivant, il est parti en lui infligeant un dernier camouflet: être l'unique "historique" à refuser d'être enterré au cimetière officiel d'al-Alia pour s'en démarquer jusqu'à la fin des temps. Cohérent avec lui-même, seigneurial et humble à la fois, il a préféré à cet "honneur" douteux car souillé par le crime (assassinat de Abane, krim, khider, etc) et l'imposture (faux moudjahidin qui y reposent), le voisinage pur des gens du peuple de Aïn al-Hammam. Dors en paix brave homme! »
Tout de suite les chiffres liés à la fréquentation de ma page se sont envolés et les compteurs affolés : les « j’aime », « partager » et « commenter » se sont multipliés à une vitesse jamais enregistrée. Ebranlé par ce débordement d’émotions témoignant de l’aura populaire dont bénéficie « Da Lho », Allah irahmou, je me suis mis à lire les commentaires et à répondre à quelques uns d’entre eux. C’est alors que je ressentis le besoin d’ajouter quelque chose à mon mot pour l’éclairer, ce qui donna ceci : (Début de citation): « J'ai écrit il y a un moment à l'intention des amis de la page un petit texte que m'a spontanément inspiré le dernier grand acte politique de Mr Hocine Aït Ahmed dont il est difficile de parler au passé si peu de temps après qu'il eut quitté les petites histoires algéro-algériennes pour rejoindre la grande Histoire où règne le silence définitif et où les polémiques ne servent plus de rien. Je n'ai pas vu dans son souhait d'être mis en terre au milieu des humbles de sa terre natale une concession aux traditions maraboutiques, comme l'a pensé ici quelqu'un dans un post, ni un geste de dédain envers les martyrs qui gisent à Dar al-Alia, comme voudront bientôt le lui reprocher d'aucuns à lui ou à ses proches. J'y ai vu personnellement et sans engager quiconque un choix cornélien tranché depuis longtemps en son âme et conscience, dans la douleur et le déchirement, entre le compagnonnage des martyrs tombés sous les balles ennemies pour la grande cause qui les a unis de leur vivant ou ignoblement assassinés par leurs frères d'armes, et la compagnie de ceux qui ont ordonné leur assassinat pour de misérables considérations de pouvoir qui ne leur ont été d'aucune utilité en fin de compte. Oui, la vie est malheureusement faite pour la guerre et, selon le mot d'Homère, "la guerre est l'affaire des hommes" mais, nous rassure la Bible,
"il y a un temps pour la guerre et un temps pour la paix".
Kant est l'auteur de l'expression "la paix des cimetières" par laquelle il visait la paix perpétuelle, la paix éternelle. Qu'elle règne donc aussi bien à Aïn al-Hammam qu'à al-Alia ou n'importe quel autre cimetière de notre vaste terre d'Algérie sans égard pour son statut officiel ou officieux. La paix de Dieu les recouvre tous car ils sont les antichambres du tribunal divin et de la demeure éternelle où nous finirons tous soit au chaud, soit dans la fraîcheur. Voici les beaux passages que nous propose "l'Ecclésiaste" (la Bible du semeur, équivalent en islam du livre de Solayman) : "Il y a un temps pour tout et un moment pour toute chose sous le soleil. II y a un temps pour naître et un temps pour mourir, un temps pour planter et un temps pour arracher le plant, un temps pour tuer et un temps pour soigner les blessures, un temps pour démolir et un temps pour construire. Il y a aussi un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser, un temps pour jeter des pierres et un temps pour en ramasser, un temps pour embrasser et un temps pour s'en abstenir. Il y a un temps pour chercher et un temps pour perdre, un temps pour conserver et un temps pour jeter, un temps pour déchirer et un temps pour recoudre, un temps pour garder le silence et un temps pour parler, un temps pour aimer
et un temps pour haïr, un temps pour la guerre et un temps pour la paix » (fin de citation).
S’ensuivit une autre vague de réactions saluant la mémoire du défunt et ses dernières volontés et engendrant en moi un nouveau besoin de clarification. Dans la foulée, quelques unes ont complété mon information sur les grandes figures de la Révolution non enterrées au cimetière d’al-Alia : Khider, Mohand Oulhaj, Benkhedda, Mehri et certainement d’autres. Etait-il dans mes vues de déclencher une guerre des cimetières en opposant l’un aux autres ? De cliver les héros de la Révolution en vrais et faux martyrs, en victimes et en bourreaux ? De prendre prétexte des problèmes actuels pour raviver les conflits du passé et cristalliser de nouvelles haines?
Un ami de la page a résumé mon intention dans un commentaire que je lui emprunte : « Je m’étonne que de son vivant on ne lui a jamais consacré une heure de mérite, et que mort on lui consacre huit jours de deuil ». Oui, le “système” a sa conception de la reconnaissance du mérite et des hommages, une conception à base de ruses réelles et de bigoterie feinte car il ne croit en rien qui transcende ses mesquineries et ses intérêts. Il lamine les hommes de valeur de leur vivant et ne s’incline devant eux dans un moment de faux recueillement que lorsqu’il les sait définitivement morts. Tout le monde connaît le proverbe relatif à la datte salutaire dont on prive quelqu’un de son vivant et qu’on lui sert à profusion lorsqu’il n’est plus, il fait partie de nos « valeurs et constantes nationales ». Il ne sert à rien de frapper un mort, le critiquer ou lui monter un « dossier », il suffit qu’il se taise et s’en aille à jamais. Tout ce qu’on fait semblant de faire alors pour honorer sa mémoire ne l’est que pour célébrer son départ ; c’est un « Ouf ! » discret caché derrière le deuil décrété, un « Bon débarras ! » de soulagement dissimulé derrière les haies d’honneur et la levée des couleurs.
Qui est encore dupe de cette incessante comédie qui dure depuis 1962 ?
Nos dirigeants nous y ont habitués depuis l’indépendance : de leur vivant, ils se haïssent ; à la mort de l’un ou de l’autre, ils font semblant d’être contrits, inconsolables, se dépensant en éloges intarissables sur leurs ennemis ou victimes d’hier rentrés le plus souvent d’exil dans un cercueil. Les jeunes générations regardent tout cela en se demandant pourquoi ceux qui leur sont présentés comme étant des “historiques”, des “pères fondateurs”, des “héros”, ce qu’il y a de meilleur dans le pays, ne sont pas ceux qu’ils ont connus à la tête des institutions du pays. A leur place, ce sont des personnages sans passé, sans aura, sans niveau intellectuel, sans compétence, sans morale, sans rien d’autre que la force et l’ignorance, qui ont la plupart du temps trôné aux hautes fonctions de l’Etat, utilisant le pouvoir usurpé et la fraude à faire essentiellement du mal car ils ne savent ni n’aiment faire le bien.
Le mal n’est pas le contraire du bien, c’est l’incapacité de faire le bien.
Que peut être le sort d’un pays dirigé par sa lie au lieu de son élite? Exactement celui que nous subissons depuis l’indépendance sous le nom de « système » : une lente déchéance nationale, politique, économique, civique, morale, culturelle et historique masquée par l’argent du pétrole. La lie actuelle héritera de plus lie qu’elle. Le problème de l’Algérie avant même d’accéder à son indépendance était dans son pouvoir. Celui-ci n’a jamais été choisi, il a été imposé par ceux qui détenaient la force. Ni il a été légitime, ni il a été compétent. La force a tenu lieu de légitimité et la ruse a pris la place de la compétence.
Comment rendre le pouvoir légitime et compétent ? Comment rétablir la confiance entre le peuple et l’Etat ? Que devons-nous faire pour y arriver faute de quoi nous avons énormément de chances de finir nos jours comme les Syriens, les Irakiens, les Yéménites, les Afghans ou les Somaliens ? Seul le peuple peut imposer la solution mais il n’en a ni conscience, ni la culture, ni la volonté ni les moyens. Il a eu un certain engouement pour l’activité politique et le militantisme entre 1989 et 1992 puis ce fut la débandade, la dérive dans la violence, la falsification du jeu politique, l’usage systématique de la fraude pour créer une scène politique fantasmagorique, artificielle, irréelle… Les cadres organisationnels qui s’offrent à lui aujourd’hui ne l’intéressent pas, il n’y croit pas. Il ne veut pas mourir pour les « autres », l’opposition, la constitution, la démocratie ou les libertés. Pour Dieu, la chariâ ou l’Etat islamique peut-être ;
ils sont encore quelques millions à en rêver en secret.
Les passagers du paquebot présumé insubmersible, le fameux « Titanic », évoluaient dans une parfaite ambiance de sérénité avant de se retrouver de nuit et en moins de trois heures dans les eaux glacées de l’atlantique où les deux-tiers d’entre eux laissèrent rapidement la vie. Supposons que le commandant de bord et l’équipage avaient été prévenus à l’avance du risque de collision qui allait entraîner le naufrage : auraient-ils continué leur trajectoire, ignorant le danger et cachant la vérité aux passagers, ou auraient-ils changé immédiatement de cap pour s’éloigner du danger et mis en branle les moyens de secours pour le cas où ?
L’Algérie est dans le cas du « Titanic » à la différence qu’elle s’approche dangereusement de la zone de péril dans un tintamarre d’alertes et de sirènes que l’équipage préfère ignorer pour ne pas avoir à déranger le commandant de bord enfermé dans sa cabine. Le pays s’achemine obstinément vers l’impasse, une impasse économique et politique qui mettra à rude épreuve la cohésion de la nation, la sécurité de l’Etat, l’intégrité du territoire et l’avenir du pays.


NB

zadhand
07/01/2016, 10h12
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18400
NOUREDDINE BOUKROUH
Jeudi 07 JANVIER 2016



Le Soir d’Algérie du jeudi 07/01/2016

Pensée de Malek Bennabi
La renaissance (nahda)



Par Nour-Eddine Boukrouh
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Le jeune homme bien instruit des choses qu’est devenu Bennabi entre les années 1920 et 1930 s’intéresse à l’action islahiste que développe à Constantine même Abdelhamid Ben Badis. C’est entre 1914 et 1922 que l’idée de nahda est arrivée en Algérie avec le retour de Tunis, du Caire ou du Hedjaz des étudiants comme Ben Badis, al-Okbi, Tébessi, al-Ibrahimi, al-Mili et d’autres, mais aussi avec l’apparition de la presse arabophone et l’entrée des livres de Abdou, al-Kawakibi, Tantawi Jawhari, etc. La lecture des journaux paraissant en français le met au contact d’une autre approche du réveil portée par la tendance moderniste formée à l’école française. Elle revendique des droits, demande l’assimilation des Algériens et le rattachement de l’Algérie à la France. Ce phénomène dual n’était pas spécifique à l’Algérie. La renaissance s’est présentée dans les pays arabes, en Afrique du Nord et dans le sous-continent indien sous ce double visage, celui du réformisme d’essence religieuse d’une part et du modernisme d’essence séculière, d’autre part, tendances restées à ce jour les principaux protagonistes du débat intellectuel et politique dans les pays musulmans.
Dans les années 1930, Bennabi est le seul à poser dans le contexte algérien une franche distinction entre la nature politique et la nature civilisationnelle des problèmes, ce qui va être à l’origine d’un immense malentendu entre lui et le mouvement national dans sa triple composante (oulamas, assimilationnistes et nationalistes). Là où lui voyait une nécessité de réformer les idées et d’éduquer socialement les individus, les animateurs du mouvement national ne voyaient que des droits politiques à revendiquer. Pour lui le problème était de nature psychologique, mentale, culturelle, éducationnelle et requérait une approche qui devrait viser à transformer la mentalité de l’homme colonisé et «indigénisé» en mentalité d’homme de civilisation, tandis que pour eux le tout était de réclamer et d’obtenir des droits qui déboucheraient sur l’indépendance, laquelle réglerait automatiquement tous les problèmes.
Pour lui, la renaissance ne peut résulter de prêches religieux ou de discours revendicateurs mais d’une mutation psychique, d’un bouleversement des mentalités, d’une révolution sociale qui doivent être l’objet prioritaire de toute action politique. Il la décrit comme «le passage solennel dans un processus de l’histoire de l’inertie anarchique des êtres et des choses à la phase de l’organisation, de la synthèse et de l’orientation… Il s’agit d’éliminer dans les usages, les habitudes, le cadre moral et social traditionnel ce qui est mort ou mortel afin de faire place à ce qui est vivant et vital» ; il prône un esprit nouveau, «une métanoïa pour rompre l’équilibre traditionnel, l’équilibre de la décadence d’une société qui cherche un équilibre nouveau, celui de la renaissance» (Les conditions de la renaissance, 1949). Mais les hommes politiques de son temps ne voient pas la profondeur du problème et pensent qu’ils peuvent le résoudre par l’imitation de l’Occident sur le plan technique, sur le plan des «choses». On lit dans la mouture 1960 du Problème des idées : «Initialement, notre renaissance n’a pas porté, comme celle du Japon, sur une révision fondamentale de nos idées intégrées pour les réadapter, d’une part, à nos archétypes héréditaires, et pour les adapter, d’autre part, aux archétypes de l’Occident. Il n’était pas dans nos dispositions mentales héritées de la décadence de le faire. En conséquence, notre renaissance n’a pas préludé par un débat sur les idées, mais sur les choses. Elle a commencé vaguement avec l’idée — répandue dans le monde musulman vers le milieu du XIXe siècle — que l’Europe nous dépassait avec les choses : la banque, l’usine, le laboratoire, l’école, les canons, les fusils…
Nous n’avions pas compris qu’elle nous dépassait par ses conceptions, sa philosophie sociale, c’est-à-dire, en un mot, par la puissance du soubassement idéologique qui soutenait son monde des choses.»
Même aujourd’hui, les musulmans n’ont pas encore compris cette nuance.
Quand il entame l’exposé de sa vision de la renaissance dans Les conditions de la renaissance, Bennabi reprend les choses depuis le moment où le monde musulman est entré en décadence : «Le peuple algérien n’est pas en 1948 mais en 1368, c’est-à-dire au point de son cycle où toute son histoire est encore une simple virtualité. Le fait est d’ailleurs commun à tous les peuples de l’islam. Le problème est celui d’une civilisation à sa genèse, aggravé par les séquelles d’une décadence.» Il prend alors le verset coranique («Dieu ne change rien à l’état d’un peuple…») qui sert de fondement à la nahda et le soumet à un double questionnement : est-ce que le verset est historiquement vrai ? Est-ce qu’il est applicable au cas algérien ? Puis il répond : «L’efficacité bio-historique d’une religion est permanente et ne constitue pas une propriété exceptionnelle particulière à son avènement chronologique. Son avènement psychologique peut se renouveler et même se perpétuer si l’on ne s’écarte pas des conditions compatibles avec sa loi.» Mais comment s’y prendre ? Par où commencer ? Bennabi apparaît alors pour ce qu’il est : un planificateur de civilisation, un manager de ressources humaines à une méga-échelle. Tandis que ses prédécesseurs ou contemporains se limitaient pour la plupart à un langage théologique, littéraire, voire purement politique, lui va tenir un langage de «mécanicien» de l’histoire. Il va élaborer un système de pensée dédié à la mise en œuvre du hadith selon lequel «le dernier de cette nation ne sera réformé que par ce qui a réformé son premier» car son postulat de base est que c’est par l’islam que les musulmans peuvent se refaire.
Le pays étant occupé, il n’est pas possible de compter sur les institutions coloniales pour qui l’Algérie est un champ d’investissement, le sol un gisement de ressources et l’«indigène» une main-d’œuvre presque gratuite. Bennabi prend alors la place d’un gouvernement et trace un programme d’action à long terme qui postule une politique de formation des ressources humaines (l’homme), une utilisation économique des richesses naturelles (le sol),
et une organisation industrielle du travail (le temps).
Le mouvement de renaissance apparu dans le monde musulman et connu sous le nom de «Nahda» ne remonte pas à la révolte des Cipayes qui a éclaté en Inde en 1858, mais, pour sa composante religieuse, à une époque plus éloignée. Au XIVe siècle déjà, Ibn Taïmiya avait appelé à une «réforme des gouvernants et des gouvernés» sous le nom d’«Islah». Entre 1309 et 1314, il compose le célèbre ouvrage qui est encore à ce jour une référence : Kitab as-siyassa chariya fi islah ar-raï wa raïya que Henri Laoust a cru devoir traduire en 1948 sous le titre de Traité de droit public d’Ibn Taïmiya.(1) Quatre siècles plus tard, Mohamed Ibn Abdelwahhab (1703-1792) ressuscite les idées d’Ibn Taïmiya
dont il découvre la pensée en Syrie où il a fait ses études.
Prédicateur en Arabie puis en Iraq et en Iran, il prêche le retour au «salaf» (devanciers) et l’abandon des «bida‘» (innovations) et s’oppose au maraboutisme, aux confréries et aux traditions fatalistes. Il trouve en la personne du chef d’une tribu de Dir’iyya, Mohamed Ibn Séoud, un protecteur et un disciple. Leur alliance conduit à la conquête de tout le Najd puis de la Mecque et de Médine. Après sa mort, la dynastie issue de Séoud (qui a épousé une fille du cheikh) adopte sa doctrine et en fait la base de son Etat. Mais ce premier royaume saoudite est détruit par Ibrahim Pacha (le fils de Méhémet Ali) en 1818 à la demande des Ottomans. A la même époque apparaît en Inde un courant réformateur de caractère moderniste mené par Shah Wali Allah (1703-1762) qui incite au rapprochement entre les valeurs islamiques et les valeurs occidentales. Les deux mouvements entrent en relation et confrontent leurs thèses, notamment à l’occasion du pèlerinage à La Mecque et des séjours d’études des étudiants arabes à Delhi. Sur le plan organisationnel, les Ottomans sont les premiers à mettre en branle un train de mesures visant à rétablir leur niveau par rapport aux Européens.
En Égypte, province ottomane depuis 1517, une flotte de guerre française dirigée par un général de vingt-neuf ans, Bonaparte, débarque en 1798 à Alexandrie. Son but est de couper aux Anglais la route de l’Inde. Ceux-ci le comprennent et attaquent les positions françaises. Les Ottomans et les Mamelouks prêtent main-forte aux Anglais. En août 1799, Bonaparte abandonne le commandement à l’un de ses adjoints et rentre en France. Battus par la coalition anglo-ottomane, les Français quittent l’Égypte en 1801. Ceci pour les faits militaires. Sur le plan culturel, l’expédition de Bonaparte a, pour la première fois, mis en contact les deux civilisations et provoqué un bouleversement dans l’esprit de l’élite égyptienne. Mohamed Ali ayant accédé au pouvoir en 1804 avec l’aide des Mamelouks se retourne contre les Turcs et les Anglais et engage son pays à partir de 1810 dans un mouvement de modernisation. En 1812, il s’attaque aux Wahhabites et s’empare de Médine, Djeddah, La Mecque et Taïf. Séduit par la civilisation française et admirateur de Bonaparte, il veut faire de l’Égypte un Etat moderne et indépendant. Il règnera pendant quarante-quatre années au cours desquelles il jettera les bases de l’Egypte moderne.
Son fils, Ibrahim Pacha, étend l’œuvre de modernisation à la Syrie, au Liban et à la Palestine. Il y établit l’égalité entre les trois religions (islam, christianisme, judaïsme). Ayant conquis le Yémen et la Crète, il se tourne vers le cœur de l’Empire ottoman, s’empare de Konya et arrive à cent kilomètres de la capitale quand son père le somme de s’arrêter et de revenir sur ses pas. Mohamed Ali avait les moyens de déposer le sultan Mahmoud II qui avait crû son heure venue, mais il ne se résolut pas à le faire en dépit de l’insistance de son fils qui piaffait d’impatience de parachever l’œuvre entamée. C’est alors qu’Istanbul signe des traités de défense avec la Russie et l’Angleterre auxquels
elle accorde d’importantes concessions pour la protéger.
En 1839, l’armée ottomane tente de reprendre la Syrie mais Ibrahim Pacha la défait. Mahmoud II s’éteint. Son fils Abdulmadjid, âgé de dix-sept ans, lui succède. En 1840, une coalition composée de la Prusse,
de la Russie et de l’Angleterre attaque le Liban et la Syrie et les soustrait à la souveraineté de l’Égypte. Vaincue, celle-ci redevient vassale d’Istanbul. En 1848, Mohamed Ali décède à l’âge de quatre-vingt ans. Son fils Ibrahim étant mort quelques mois avant lui, c’est le fils de ce dernier, Abbas 1er, qui accède au trône et défait en peu de temps ce que son grand-père avait réalisé en une vie. Influencé par les milieux religieux, il ferme les grandes écoles fondées par son illustre prédécesseur, arrête la politique des grands travaux et chasse les coopérants étrangers.
L’enseignement public périclite et l’Égypte se met alors à marquer le pas(2).
En Turquie, le sultan Abdulmadjid 1er inaugure les «Tanzimat», politique de modernisation inspirée des idées politiques européennes. En 1839, un décret instaure l’égalité de tous les sujets de l’Empire (musulmans, chrétiens, juifs) devant la loi ; un code pénal éloigné de la «charia» (loi religieuse) est adopté en 1840, en même temps qu’est créée la Banque ottomane ; une nouvelle loi commerciale est édictée en 1850 ; en 1856, le sultan décrète l’abolition de la «jizya» (impôt spécifique aux non-musulmans). Une «fetwa» s’opposant à ces réformes est lancée à La Mecque,
appelant à la révolte contre le pouvoir ottoman. Une frénésie de modernisation s’empare
des sphères dirigeantes des Etats musulmans, donnant l’espoir d’une véritable renaissance. L’imprimerie est introduite en Turquie et en Égypte, ce qui favorise la circulation des connaissances et des idées.
La presse écrite apparaît en 1828 en Egypte, en 1832 à Istanbul, en 1847 à Alger, en 1848 à Téhéran, en 1855 à Beyrouth, en 1868 en Iraq, en 1875 au Yémen... Les missions religieuses chrétiennes s’installent en pays d’islam, des étudiants musulmans sont envoyés en Europe, un mouvement de traduction de livres prend son essor en Turquie, en Égypte, en Iraq… En 1861, le sultan Abdulaziz promulgue un nouveau code civil
et fonde la «Ligue de Galatasaray» pour l’enseignement du français.
En 1866, le Khédive égyptien installe une Assemblée consultative de soixante-quinze membres élus au suffrage indirect. Cette dynamique de réformes est interrompue en 1871 chez les Ottomans sous la pression des milieux religieux.
La même année, le bey de Tunis promulgue une Constitution instituant un conseil de soixante membres puis nomme Kheireddine Pacha Premier ministre. Ce dernier, qui est considéré comme le fondateur de la Tunisie moderne, crée le collège Sadiki où sont enseignées pour la première fois les sciences exactes et les langues étrangères et d’où sortiront les générations qui animeront le mouvement de libération de la Tunisie et construiront son Etat indépendant.
En 1876, le sultan Abdulhamid II institue un Parlement à deux chambres. Les premières élections d’un Parlement dans le monde musulman ont lieu en 1877, revendiquées par un mouvement intellectuel, «Les jeunes Ottomans», qui cherche à concilier l’islam et les idées occidentales. En Inde, Sir Sayyid Ahmed Khan Bahador (1817-1890), disciple de Shah Wali Allah, introduit les premières réformes inspirées du modèle britannique et fonde l’Anglo-Oriental College d’Aligarth en 1875. Il critique les traditionalistes qui l’accusent en retour de matérialisme. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont on retrouve l’influence dans l’œuvre de Abderrahman al-Kawakibi. En Perse, le Shah Nasr-Eddin (1848-1896)
ouvre son pays à l’Occident et visite plusieurs fois l’Europe.
C’est toutefois le Perso-Afghan Djamel-Eddin al-Afghani qui va réveiller les consciences dans le monde arabo-musulman et susciter le courant que vont représenter Abdou, Ridha, Arslan et Ben Badis. Jusque-là, la modernisation avait été le fait des Etats et visé les institutions. Maintenant, elle va devenir l’affaire des intellectuels et des élites politiques formées dans l’ambiance du «réveil». Arrivé en Egypte en 1872, al-Afghani fait la connaissance, à Khan Khalili, du jeune Mohamed Abdou alors en pleine crise mystique. Conquis par al-Afghani, Abdou prend conscience de la caducité du modèle traditionaliste et se passionne à partir de là pour la recherche d’un nouveau modèle alliant les principes de l’islam et la rationalité moderne. Il s’initie au français et commence à lire des ouvrages européens. A la création du journal al-Ahram en 1876,
il est l’un de ses collaborateurs. En 1879, al-Afghani est expulsé d’Égypte par le khédive Tewfik. A son tour,
Abdou est interdit de presse et assigné à résidence dans son village natal. Un an après, il retrouve sa liberté de mouvement et est nommé directeur du journal officiel qu’il dirige pendant un an et demi. Il milite pour un régime constitutionnel et la modernisation de l’éducation en Égypte. En 1882, éclate la révolte du colonel Orabi contre la mainmise des Anglais sur l’Etat égyptien. Abdou soutient le mouvement. Il est jugé et condamné à l’exil. Il s’installe pendant quelques mois à Beyrouth avant de rejoindre al-Afghani à Paris. Les deux penseurs sont une nouvelle fois séparés en 1884. Abdou retourne au Liban où il restera jusqu’en 1889. C’est là qu’il entame la rédaction de Rissalat attawhid. Rentré en Égypte, il est nommé au conseil d’administration d’al-Azhar et au Conseil législatif. En 1899, il est élevé à la dignité de muphti.
Rissalat attawhid est publié en 1897. Abdou y développe une conception libérale et rationnelle de l’islam et déplore que «la vie des musulmans soit devenue une manifestation contre leur propre religion». Dans ce petit livre d’une centaine de pages, il se propose de libérer l’esprit musulman de l’enseignement dogmatique et scolastique : «La religion peut nous révéler certaines choses qui dépassent notre compréhension, elle ne peut nous en enseigner aucune qui soit en contradiction avec notre raison.» Il pose que la seule source authentique de l’islam est le Coran et un nombre très réduit de hadiths, et en déduit que c’est à la raison qu’il revient d’examiner la preuve des dogmes religieux et des règles de conduite pour déterminer s’ils émanent vraiment de Dieu et note : «En cas de conflit entre la raison et la tradition, c’est à la raison qu’appartient le droit de décider.» Allant plus loin, il considère que «les prophètes jouent vis-à-vis des peuples le même rôle que l’intelligence par rapport aux individus ; leur envoi répond à un besoin de la raison». Il rejette le principe d’imitation aveugle des anciens, le taqlid : «L’imitation peut s’exercer sur le vrai aussi bien que sur le faux ; elle peut aussi avoir pour fruit l’utile comme le nuisible ; elle constitue donc un égarement que l’on pardonne à l’animal mais qui ne convient pas à l’homme.»(3) C’est de lui que vont se réclamer Rachid Ridha, Chakib Arslan, Ben Badis et ceux qui, après lui,
voudront tenter une percée contre le modèle traditionaliste.
Au départ donc, la renaissance était un mouvement politique qui aspirait à libérer la nation musulmane de la domination mongole à l’époque d’Ibn Taïmiya, ottomane à l’époque d’Abdelwahhab et européenne au XXe siècle. Au milieu du XIXe siècle, un courant intellectuel apparaît en Syrie, opposé à la domination ottomane. Il est animé par des associations et des journaux à dominante chrétienne et prône l’union arabe et la laïcité. On trouve parmi ses principaux animateurs appelés les «Nahdaouis» : Selim Ramadhan, Hussein Bihem, Hounaïn al-Khoury, Selim Boutros al-Boustani, Ibrahim al-Yazidji… L’Emir Abdelkader aurait fait partie de l’une de ces associations aux côtés de Iskander Alazar et Adib Ashak… C’est dans cette ambiance intellectuelle que s’est formé un grand visionnaire de la réforme du mode de pensée islamique, Abderrahman al-Kawakibi. Jeune, il avait été marqué par un article d’al-Boustani intitulé «Limadha nahnou fi taâkhour» («Pourquoi sommes-nous arriérés ?») dans lequel le confessionnalisme et les différences ethniques sont désignés comme les causes du retard arabe. Ce mouvement met en avant la renaissance «arabe» et connaîtra son apothéose entre les années cinquante et soixante-dix sous le nom de «baâth al-arabi». La renaissance arabe s’éloigne des sources islamiques et se mâtine de marxisme. Elle a pour objet l’unité du monde arabe et prend dès lors ses distances de la Turquie et de la Perse. Le Nassérisme sera l’une de ses expressions, mais c’est surtout le parti socialiste Baâth, créé par les Syriens Michel Aflak et Salah-Eddin Bitar, qui va incarner cette idéologie laïque en Syrie et en Irak.
Il faut noter que Bennabi ne mentionne pas comme efforts de renaissance les programmes de modernisation lancés par Mohamed Ali, les Ottomans, les Persans ou les Afghans. Pour lui, la nuit couvre tout l’espace temporel qui va d’Ibn Khaldoun à Djamel-Eddin al-Afghani. Tout comme il n’accorde aucun intérêt à la «renaissance timouride», il n’en accordera pas davantage à la «renaissance arabe». De la même manière, il ignore superbement le fossé qui sépare les sunnites des chiites. Il assigne à la renaissance une double et difficile mission : rattraper le retard sur la pensée coranique et sur la pensée scientifique moderne. Il écrit : «Si la décadence est un décalage, inversement la renaissance est l’effort du monde musulman sur le plan psychologique, le mouvement de sa conscience pour rattraper son retard sur la pensée coranique et la pensée scientifique moderne» (Vocation de l’islam). Selon lui, on ne peut changer l’homme qu’en agissant sur son psychisme, ses croyances : «Au point de départ de toute transformation sociale, une réforme religieuse est nécessaire.» Il attend de la renaissance qu’elle «renouvelle l’homme conformément à la véritable tradition islamique et à l’expérience cartésienne» (Vocation de l’islam). Il s’agit donc de la réalisation d’une double révolution mentale : sortir de l’influence des écoles doctrinales qui se sont accommodées au fait accompli de Siffin, et créer les conditions d’une libération de l’esprit qui conduirait à un épanouissement scientifique et au développement économique. Mais comment faire concrètement pour «dépouiller le texte coranique de sa triple gangue théologique, juridique et philosophique» ? Il ne le dit pas frontalement, mais on trouve d’innombrables allusions à la nécessité de refonder l’enseignement dans les pays musulmans et de s’émanciper de la culture musulmane traditionnelle qui exerce toujours son emprise sur
les esprits dans le monde musulman et dont l’islamisme actuel n’est qu’un avatar.
Bennabi a très tôt compris que ni le courant réformiste ni le courant moderniste n’allait tirer le monde musulman de sa décadence. La première cause de l’échec de la renaissance à ses yeux réside dans l’absence d’unité au départ entre les deux courants. S’étant présentés sous forme de deux mouvements distincts, ceux-ci n’allaient pas donner lieu à une démarche cohérente mais à deux voies différentes. La voie réformiste proposait un retour au passé, sans réaliser que ce passé était lui-même problématique, tandis que la voie moderniste préconisait l’adoption d’idées
et de modèles sans résonance dans le psychisme musulman.
De son point de vue, la première offrait en guise de solutions des idées mortes, et la seconde des idées mortelles. Non seulement les deux tendances ne convergeaient pas, mais allaient s’employer à se neutraliser mutuellement, laissant finalement le problème entier. La seconde cause de l’échec est liée à la question du choix du modèle, un choix que la Nahda n’a pas fait de peur de heurter la culture traditionnelle et qui donnera au mouvement de renaissance les aspects d’un entassement, d’un choséisme, d’un syncrétisme. Il écrit : «Le monde musulman n’a pas encore fait le choix ni de la méthode ni du modèle. En raison de ses affinités méditerranéennes, on pouvait s’attendre à le voir se tourner vers l’Occident tout en apportant son originalité à corriger le modèle occidental, ou plutôt à l’adapter à sa propre évolution en tenant compte, d’une part, de son retard et, de l’autre, des méthodes d’accélération de l’histoire qui ont déjà montré leur efficacité ailleurs… On sent vaguement, dans un examen sommaire, que la renaissance musulmane a pour maître l’Occident. Mais en voulant tailler sur ce «patron», on a suivi vaguement les coups de ciseau du maître. Quand on veut tailler dans la matière de l’histoire, il faut se connaître et connaître son modèle pour savoir prendre à son égard les libertés nécessaires pour être soi-même et non le sosie de quelqu’un... Il ne s’agit pas de décalquer une évolution, mais de
la résumer dans ce qu’elle a d’essentiel, d’universel» (L’afro-asiatisme).
La troisième cause de l’échec de la Nahda réside dans le fait que les deux tendances ont manqué à la fois de l’inspiration nécessaire et de l’orientation systématique : «La cause commune de l’erreur des modernistes et de celle des réformateurs est dans le fait que ni les uns ni les autres ne sont allés à la source même de leur inspiration. Les réformateurs ne sont pas réellement remontés aux origines de la pensée islamique, non plus que les modernistes aux origines de la pensée occidentale. Sur le plan psychologique, une discrimination est toutefois indispensable : le “salafiste” porte individuellement la notion de la renaissance. S’il n’en réalise pas méthodiquement les conditions pratiques,
du moins n’en perd-il pas de vue l’objectif essentiel.
Il a conscience de son milieu au point de n’y revendiquer que des “devoirs”, laissant les “droits” aux modernistes... Chez le moderniste par contre, c’est cette notion même de renaissance qui fait défaut ou qui devient secondaire : le moderniste ne s’est engagé dans la vie de son pays que sur le plan politique… Pour lui la question n’est pas, avant tout, de régénérer le monde musulman, mais de le tirer de son embarras politique actuel… Le mouvement moderniste ne reflète en fait aucune doctrine précise : il est indéfinissable dans ses moyens comme dans ses buts.
C’est qu’en réalité il ne cristallise qu’un engouement» («VI»).

N. B.

Prochain : PENSÉE DE MALEK BENNABI : 23) L’échec de la nahda.


1) Ed. Enag, Alger 1990.
2) Cf : Gilbert Sinoué : Le Dernier Pharaon, Ed. Pygmalion, Paris 1997.
3) Op.cité

zadhand
15/01/2016, 22h13
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18400
NOUREDDINE BOUKROUH
Vendredi 15 2016



Entretien avec N. Boukrouh, disciple de Malek Bennabi




"La colonisabilité est restée intacte dans
un grand nombre de pays arabo-musulmans"


Disciple de Malek Bennabi, (https://fr.wikipedia.org/wiki/Malek_Bennabi) Noureddine Boukrouh est également un intellectuel de premier plan en Algérie où il se distingue par des écrits pointus et des interventions dans les médias d'une grande hauteur de vue. Dans cet entretien accordé à Oumma.com, dont nous diffusons la première partie, il rend hommage à la personnalité de Malek Bennabi en révélant des anecdotes personnelles. Il revient sur le concept de "colonisabilité" créé par le grand penseur, analyse les causes de la décadence du monde musulman, ainsi que la pauvreté du discours religieux de certains Oulamas.
Vous avez été un disciple de Malek Bennabi. Au-delà du grand penseur qu’il a été, quelle image gardez-vous de l’homme?

J’ai eu la chance et l’honneur de connaître Malek Bennabi chez lui, au 50 Avenue Roosevelt, à Alger, entre 1969 et 1973. Je l’avais vu pour la première fois au lycée Amara Rachid, à Ben Aknoun, en décembre 1968 où il était venu donner une conférence dans le cadre des travaux du premier séminaire sur la pensée islamique. J’ai incidemment appris par la suite qu’il animait chez lui des causeries à l’intention des étudiants et c’est ainsi que j’ai fréquenté
cette « école » jusqu’à la fin de sa vie en octobre 1973.
Il avait fait de son appartement le siège d’un « centre d’orientation culturelle » officieux où il recevait chaque samedi, de 16h à 19h, des étudiants et quiconque d’autre voulait bien venir entendre ses exposés. On y entrait comme dans un moulin, c’est-à-dire sans formalités, sans même décliner son identité. On s’asseyait sur une chaise vide, s’il on en trouvait, ou restait debout, si c’était le plein dans un coin du hall d’entrée
de l’appartement (environ 20 m2) où se déroulait le séminaire.
Bennabi se tenait assis ou debout à côté d’une table sur laquelle se dressait un tableau où il aimait illustrer ses raisonnements, en s’aidant de formules algébriques ou de figures géométriques. L’homme était affable, austère et modeste à la fois. Son appartement était humble, manquant de meubles et de décor et lui-même était toujours habillé en tenue d’intérieur, un burnous blanc souvent jeté sur les épaules. Il avait une voix forte et riait volontiers.
Je garde de lui l’image d’un homme bon, innocent, qu’habitait un esprit systématique puissant, une véritable machine d’intelligence. Il m’apparaissait tel un sage de l’Antiquité : haute stature, cheveux blancs, debout au milieu de son auditoire, respirant le savoir et la sagesse et répondant avec douceur aux questions. J’ai eu le privilège de le présenter au public en deux occasions, en 1971-72, et je me demande à ce jour comment j’ai fait pour m’en sortir. Quand il découvrit que j’écrivais dans « El-Moudjahid », dont un article sur Maxime Rodinson qui fit beaucoup de bruit à l’époque, il s’intéressa à moi et c’est ainsi qu’il me proposa un jour de préfacer un de ses livres intitulé « Le problème de la culture ».
Pouvez-vous expliciter le concept de « colonisabilité » développé par Malek Bennabi qui a souvent été incompris?
Bennabi a utilisé pour la première fois cette notion dans « Les conditions de la renaissance » (1949) pour désigner la somme des conséquences mentales, sociales, économiques, politiques et militaires découlant de la « décadence ». C’est quand elle entre en décadence qu’une civilisation à bout de souffle, qu’une société fatiguée, démotivée, désarticulée, sécrète la colonisabilité, c’est-à-dire la résignation à la défaite, à la conquête, à l’occupation, au colonialisme. Dans le cas islamique, l’image est saisissante. Un grand nombre de pays musulmans ont été colonisés, placés sous protectorat, mandat ou protection extérieure au cours des derniers siècles et même jusqu’à aujourd’hui, alors qu’ils avaient été les places fortes, les villes célèbres et des empires où avait brillé la civilisation.
Appartenant à l’école du « cycle de civilisation » inaugurée par Ibn Khaldoun (XIVe siècle) et formulée sous forme de philosophie de l’histoire par Gambattista Vico (XVIIIe siècle), selon laquelle les civilisations se réalisent en trois étapes, la genèse, l’expansion et le déclin chez le premier, ou l’âge divin, l’âge héroïque et l’âge humain chez le second, Bennabi a opéré un glissement du sens historique au sens politique qui lui a valu les critiques qu’on sait. On a failli le faire passer pour un « traître ». S’il s’en était tenu à l’emploi du terme « décadence » au lieu de lui donner pour synonyme la « colonisabilité », il n’aurait pas déchaîné la foudre contre lui comme ça été le cas en Algérie à la fin des années 1940, alors que le pays se préparait à entrer en guerre contre le colonialisme français.
Aujourd’hui, le colonialisme n’existe presque plus alors que la colonisabilité est restée intacte dans un grand nombre de pays arabo-musulmans et africains, donnant a posteriori raison à Bennabi. Autant il était difficile d’accepter cette notion en temps de guerre, de lutte de libération, autant il n’y a plus qu’elle pour rendre compte de la réalité de beaucoup de pays. Aujourd’hui, des Etats précédemment colonisables et colonisés volent carrément en éclats, disparaissent, se suicident car leurs peuples n’ont pas été capables de fonder des Etats de droit durables, des sociétés de citoyens, des économies fonctionnelles et des armées performantes… Toutes les guerres menées contre Israël ont été perdues de 1948 à 1973 et pourtant ce n’est pas en Israël qu’existe le grade de maréchal,
mais dans les pays arabes. Des maréchaux-ferrants en réalité…
Peut-on situer historiquement et avec précision le début de cette décadence
et quelles en sont les principales causes ?
Pour Bennabi, la civilisation musulmane a connu très tôt, prématurément, la première cassure dont allaient dériver toutes les autres et dont les effets se manifestent à ce jour. Cette cassure était de nature politique et s’est exprimée physiquement sous la forme du conflit pour la dévolution du pouvoir qui a éclaté après la mort du troisième calife, Othman, assassiné par des insurgés venus de plusieurs provinces pour cause de népotisme
et pour avoir ordonné la recension du Coran, tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Ali avait été désigné calife par la communauté mais le clan des Banu Omeyya (les futurs Omeyyades) refusa de le reconnaître et prit les armes contre lui, à l’instigation de Moawiya ibn Abi Sofiane qui était gouverneur de Syrie. L’affrontement armé se solda par plusieurs dizaines de milliers de morts (45.000 selon Tabari) mais sans dégager un vainqueur. C’est alors qu’un arbitrage frauduleux attribua le pouvoir à Moawiya. Tout de suite, le conflit passa de la dimension militaire à la nature idéologique et religieuse.
Les rangs des musulmans se divisèrent aussitôt en sunnites, chiites et kharédjites, division qui prévaut à ce jour. Moawiya, usant de la force, de la ruse et de la corruption, allait aggraver les choses une quinzaine d’années plus tard en introduisant pour la première fois dans la fraîche histoire de l’islam et la longue histoire des Arabes le principe de la transmission héréditaire du pouvoir, alors que cette forme de gouvernement n’avait de fondements ni dans le Coran, ni dans la tradition des quatre premiers califes, ni dans les usages arabes antérieures à l’islam.
Les Oulamas sunnites de l’époque durent chercher dans le Coran et la sunna les arguments justifiant cette entorse et ces viols successifs de la conscience islamique. Comme ils ne s’y trouvaient pas, ils y allèrent de leur « tafsir », de leur exégèse et de leur jurisprudence. Bennabi en a conclu que l’histoire de ce qu’on appelle la civilisation islamique n’est en fait que l’histoire d’une imposture, de l’adaptation des textes religieux au fait du prince ayant suivi la bataille de Siffin, lieu où se sont affrontées les troupes de Ali et de Moawiya. Le pouvoir des Omeyyades durera un siècle et s’achèvera sur un massacre ethnique et politique à grande échelle.
Les Abbassides leur reprendront le pouvoir pour cinq siècles et le partageront avec les Perses avant de le perdre au profit des non-Arabes, entraînant la désagrégation du califat central et unitaire, ainsi que son morcellement en plusieurs califats et tawaifs ne se reconnaissant pas les uns les autres et se querellant sans cesse pour un motif ou un autre. Sous les Abbassides, les lumières scientifiques, artistiques et littéraires de l’islam ont illuminé le monde mais l’énergie créatrice allait petit à petit être étouffée par le « ilm » traditionnaliste, rétrograde et fataliste, jusqu’à son extinction définitive à l’époque d’Ibn Khaldoun.
Les Croisades, la Reconquista puis la colonisation allaient l’une après l’autre s’emparer des lambeaux de la civilisation islamique dépecée par les siens. C’est de la chute de l’empire almohade que Bennabi date historiquement le déclin du monde musulman. Les causes en sont : le remplacement de l’esprit démocratique (consultation) par les intérêts dynastiques, l’asservissement des Oulamas aux volontés du despotisme, la démotivation des croyants, l’alliance avec l’étranger pour vaincre ses rivaux intérieurs, le démantèlement des structures unitaires, le triomphe du conservatisme et du salafisme sur l’esprit critique et créatif…
Comment expliquez-vous que le discours sur l’islam de la part de ses prédicateurs, voire de ses savants, se réduise le plus souvent à des discours sur la norme avec une obsession du « haram et du halal » ?
C’est la conséquence lointaine de l’accommodation du Coran et du hadith à ce qui arrange les affaires du pouvoir despotique et dynastique. Il s’agissait à l’époque et aujourd’hui encore de réduire l’islam à une somme de rites et de pratiques éloignant les musulmans de l’esprit critique, du libre arbitre et des affaires publiques pour en faire des « mselmin mkettfin », des individus fatalistes, littéralistes, colonisables et despotisables à merci.
Le croyant a été ainsi subrepticement mis sous une double tutelle : celle du calife, de l’Emir, du roi, du gardien des lieux saints, de l’imam infaillible ou du président de la République à vie d’un côté, et de l’autre celle du « alem », de l’imam, du mufti, du da’iya, du télécoraniste et du cheikh de la rue. Le glaive et la sabha se sont partagé les rôles pour confiner les musulmans dans la peur de l’enfer, de l’au-delà, de la transgression des ordres du détenteur du pouvoir assimilé au Prophète et parfois à Dieu,
et les réduire ainsi au rang de bêtes de somme, taillables et corvéables à merci.
Le premier au moyen de la répression, le gourdin et les armes, les seconds avec le Coran, les hadiths et le « ilm » auxquels ils font dire ce qu’ils veulent, ce qui plaît au souverain, ce qui maintient l’ordre social archaïque et théocratique. Il n’y a pas mieux que l’argument du « respect de la tradition et du salaf » pour endormir et asservir une nation. Le salafisme et le wahhabisme sont des incitations à ramener les musulmans au mode de vie pratiqué par les musulmans de la première époque, jugée sacrée et à jamais emblématique, et au savoir d’Abu Hurayra. Tout ce qui en sort, tout ce qui dépasse est qualifié de déviance, d’innovation blâmable et d’apostasie passible de la peine de mort.

A suivre...

zadhand
16/01/2016, 22h05
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18400
NOUREDDINE BOUKROUH
SAMEDI 16 JANVIER 2016 (https://www.facebook.com/notes/noureddine-boukrouh/questions-aux-algeriens/989392177798626)
QUESTIONS AUX ALGERIENS

Le Soir d’Algérie du samedi 16/01/2016






Yennayer m’a plongé cette année dans des méditations que j’aimerais partager sans façons avec les lecteurs. Ca fait tout bizarre de s’entendre dire qu’on est en l’an 2966 car très rares sont les civilisations dont le calendrier en vigueur dépasse le calendrier berbère. A regarder de près le chiffre, on croirait à un film de science-fiction. C’est comme si nous étions en avance d’un millénaire sur le monde moderne. Comment avons-nous fait pour nous mettre en tête de la marche d’Homo sapiens, démarrer dans l’Histoire avant les autres, et les distancer d’un millénaire ? Nous serions-nous redressés avant Homo erectus ?
J’ai demandé autour de moi, personne ne se souvient l’avoir jamais lu quelque part; j’ai compulsé de vielles encyclopédies, cherché sur internet, sans trouver la moindre allusion à une échappée des Amazighs à une époque ou une autre de l’évolution biologique, anthropologique ou technologique. Ils n’ont ni migré comme ils le font aujourd’hui, ni conquis d’autres territoires, ni changé le cours de l’Histoire à aucun moment. La théorie de l’espace-courbe et de la possibilité d’emprunter les trous de ver pour comprimer le temps n’était pas connue avant le XXe siècle et Einstein non plus.
Mais qu’avons-nous fait de cette belle avance chronologique sur les autres civilisations ? Car quand on efface de notre géographie, par l’esprit, les vestiges de la présence française, ottomane, arabe et romaine, il ne reste pratiquement rien sinon l’œuvre généreuse de la nature. On n’a rien bâti, rien élevé, rien découvert sur le plan scientifique, rien inventé en matière de techniques. L’inventaire de nos biens ancestraux entre savoir-faire, outils, vêtements et plats de cuisine issus de notre génie ne remplirait pas plus de quelques pages d’un cahier scolaire. Nous savons que nous sommes arrivés pieds-nus au XXe siècle et que le désir le plus cher d’une bonne partie de notre peuple est de retourner en claquettes non pas à une date quelconque de l’ère chrétienne, ni à l’an 1437 du calendrier lunaire musulman, mais à l’époque d’Abou Hurayra et peut-être même à avant l’Hégire.
En 2966 du calendrier universel, c’est-à-dire dans 950 ans, l’humanité aura très certainement colonisé plusieurs planètes, l’être humain ne ressemblera plus à celui que nous sommes et il est impossible de prédire ce que seront le système solaire, la galaxie et l’univers. Tous les progrès technologiques à la base de la vie actuelle n’existaient pas il y a une cinquantaine d’années et s’ils devaient disparaitre, l’humanité sombrerait immédiatement dans le chaos. Rappelons-nous où elle en était en l’an 1066.
Non, c’est trop pour nous d’être tellement en avance ; on ne retrouvera pas notre chemin même avec les pierres du Petit Poucet si on voulait rebrousser chemin pour rejoindre les « retardataires ». Je suis personnellement très gêné car on n’a pas le profil de précurseurs, de pionniers, d’explorateurs. On devrait remettre nos pieds sur terre, rester dans la meute, ça flanque la frousse d’être si en pointe, ça paraît extra-terrestre tout ça… Il n’y aurait pas là-dedans un tour de Djouha ? Le sieur Belahmar ne pourrait-il pas nous illuminer grâce à son don de double vue?
Notre passé pèse sur notre présent comme un péché sur la conscience. Notre ancienneté sur-souligne notre insignifiance dans l’histoire étant donné que nous n’avons rien fait de significatif pour nous-mêmes ou pour l’humanité dans cet intervalle. Trois millénaires pour rien ! Notre histoire semble concentrée dans les derniers trois-quarts de siècle, remonter au 08 mai 1945 et devoir s’achever avec la fin du pétrole. Jusque-là elle était une queue de comète faite de souvenirs de nos démêlés avec un occupant ou un autre. Depuis le congrès de la Soummam on la connaît un peu mieux : elle est celle de nos démêlés avec nous-mêmes.
Après les écœurantes révélations sur les coulisses de la révolution qui filtraient de temps à autre depuis l’indépendance, voilà que le voile commence à se lever sur la période allant de 1988 à 1992 et bientôt au-delà probablement. De savoir par qui et comment nous sommes dirigés donne une idée des causes de notre non-historicité, de la légèreté de notre passé et de la fragilité de notre présent. Le navire « Algérie » a été arraisonné par des pirates qui en ont pris les commandes et qui sont plus près de le couler que de le rendre à ses propriétaires. C’est heureux que ces hommes s’expriment enfin sur leurs rôles respectifs dans les crises dramatiques connues par le pays. Selon Betchine, Zéroual n’a pas démissionné mais a été forcé de quitter son poste. Il doit continuer sur sa lancée, ça m’intéresse moi dont le nom a été associé depuis près de vingt ans au départ du président Zéroual. J’ai beau répéter que je n’y étais pour rien, que les raisons de son départ devaient être cherchées « entre eux », une certaine presse et quelques hobereaux jouant aux « bien informés » ont persisté à soutenir mordicus que j’y ai joué un rôle. Ca s’est vu dans l’histoire de l’Algérie qu’un ministre et encore moins un président démissionne parce que critiqué dans la presse ?
La plume est capable de faire tomber quelqu’un en Algérie ?
Ca semble long 54 ans, mais un des hommes qui ont joué un rôle dans les coulisses de la guerre d’Algérie est aujourd’hui encore à la tête du pays. Highlander ! L’Algérie et lui sont aujourd’hui dans le même état : lui sur un fauteuil roulant, elle sur une table de réanimation. Sous son règne, la constitution est devenue une loi faite par un homme au nom du peuple pour se prémunir contre les contestations de ce même peuple. Au terme des retouches à laquelle elle va être soumise, la politique, le vote populaire, la majorité parlementaire ne serviront plus à rien. Le temps n’a pas suspendu son temps pour Lamartine, pour l’Algérie si, depuis 2966 ans. Qu’est-ce que ça change pour nous d’être en l’an 1 de l’histoire humaine ou en 3966 ? A lui seul Boutef a bouffé notre histoire moderne. Peut-être qu’après lui on n’aura plus d’histoire du tout parce qu’on sera ensevelis sous les histoires qu’il nous aura léguées.
J’ai posé il y a peu une question qui a fait fureur : « Et si toute l’Algérie avait été la Kabylie ? » Grisé par le succès, j’aimerais en rajouter : « Et si tous les Algériens avaient été des Kabyles ? » Un premier avantage serait qu’il n’y aurait plus de raisons de demander l’indépendance de la Kabylie. Un deuxième, c’est que nous deviendrions unanimes à vouloir nous défaire du pouvoir qui a poussé bon nombre de Ferhat Mhenni à se jeter dans le séparatisme. L’Algérie gardera-t-elle son nom
dans ce cas ou le troquera-t-elle contre celui de la Kabylie ?
La langue amazighe est parlée en Kabylie, dans les Aurès, à Cherchell, à Ghardaïa, dans le Hoggar, mais pas ailleurs. Ces îlots où une même langue maternelle est parlée ne sont curieusement pas frontaliers, des centaines de kilomètres, voire des milliers les séparent et pourtant tamazight y est parlée depuis toujours à quelques variantes près. Comment expliquer que la dispersion géographique n’ait pas empêché l’unité linguistique ? Par contre Jijel, Sétif, Bordj Bou Arreridj et Alger sont frontaliers avec la Kabylie mais on n’y parle pas kabyle ou extrêmement peu. Pourquoi ?
Que parlaient les autres régions du centre, du sud, de l’est et de l’ouest du pays avant l’introduction de la langue arabe à partir du VIIIe siècle et de la « daridja » en laquelle elles l’ont transformée par la suite ? Le latin ? Des langues vernaculaires disparues? Ne parlaient-ils pas du tout, ce qui expliquerait le fait étrange que beaucoup d’entre nous s’expriment avec des onomatopées, des gestes ou carrément le visage dont on arrive à soumettre les traits à des contorsions qui permettent de communiquer ce qu’on veut : moues, grimaces, œillades, jeu de paupières, plissements du front, joues malléables, lèvres élastiques… Autre hypothèse : les régions non-berbérophones n’étaient-elles pas tout simplement inhabitées ? On avait une seule langue officielle et une autre officieuse, le français ; nous voilà avec deux langues officielles. Qu’est-ce qui va changer ?
Quelle religion suivaient nos ancêtres avant l’islam ? Etions-nous, en l’absence de traces de l’hindouisme, du brahmanisme et du bouddhisme dans nos contrées, juifs, chrétiens, païens ou, comme on dit dans notre parler courant, « bla din wala mella » ? Ali al-Hammamy a brossé dans son roman « Idris » un portrait spectral de nos ancêtres avant leur intégration à l’islam : « Le Berbère était demeuré tel que la nature l’avait façonné au seuil de la formation des premières collectivités humaines. Il vivait dans la vie de la tribu. Individualiste malgré sa soumission aux lois du clan, anarchiste par caractère aussi bien que par tempérament, épris de liberté jusqu’à préférer les risques de la vie primitive à l’abondance et à la sécurité des sociétés organisée, le Berbère, jusqu’à l’apparition de l’islam, vivait sans ordre et sans hiérarchie. Ceci bien entendu dans l’ensemble. Païen, il n’a jamais sérieusement cru à quelque chose, ni craint quelqu’un. Vaguement naturiste, spectateur indifférent des phénomènes qui l’entourent, impulsif et méfiant, sa vie religieuse n’a jamais pu se matérialiser dans un système tant soit peu ordonné. S’il a sacrifié aux idoles ou adoré les formes de la nature, sa conviction n’a pas été de quelque force pour que l’archéologie ait pu nous
restituer des preuves sensible de sa dévotion … »
Nous avons longtemps cru être des Arabes et une partie intégrante du monde arabe comme continuent de l’affirmer le discours et des documents officiels. Depuis quelques décennies, nous nous réveillons à notre amazighité et rêvons de la couronner par l’édification de Tamazgha, union des pays d’Afrique du Nord boostés par le recouvrement de leur identité historique, souveraine, solidaire et capable de réussir là où a échoué l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Comme ont fait les pays de la péninsule arabique avec le Conseil de Coopération du Golfe. Car le monde arabe, jadis colonisé ou placé sous mandat, est entré dans un nouveau cycle, celui de son autodestruction. C’est concevable avec ou sans le problème du Sahara occidental ?
Administrativement et juridiquement nous sommes un seul peuple, mais mentalement et culturellement nous sommes plusieurs peuples, parfois étrangers les uns aux autres. « Les peuples ne sont pas des unités linguistiques, politiques ou zoologiques, mais des unités psychiques. Le peuple est une unité de l’âme. Tous les grands événements de l’Histoire n’ont pas été proprement l’œuvre des peuples, mais ils ont d’abord produit ces peuples. Ni l’unité de la langue, ni celle de la descendance physique ne sont décisives. Ce qui distingue un peuple d’une population, c’est toujours l’avènement intérieur du NOUS. Plus ce sentiment est profond, plus vigoureuse est la force vitale de l’association ». Cette définition due au philosophe allemand Oswald Spengler est l’une des meilleurs et des plus justes qui aient été données de la notion de peuple. Elle propose à notre réflexion une perspective nouvelle qui recoupe la réalité des grandes nations du monde où le désir de vivre ensemble et le réaliser-ensemble sont effectivement les plus forts ciments de l’union. Mais ne va-t-elle pas à contre-sens de nos nouvelles convictions ? La question est posée.


N.B

zadhand
28/01/2016, 21h53
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NOUREDDINE BOUKROUH



LA CIVILISATION


Jeudi 28 Janvier 2016


Le Soir d’Algérie du jeudi 28/01/2016


Qu’est-ce qu’une civilisation? Pour Toynbee, c’est un certain « niveau de réalisation sociale et morale »[1]. Pour Bennabi, « la civilisation est la possibilité de remplir une fonction. C’est l’ensemble des conditions morales et matérielles qui permettent à une société d’accorder à chacun de ses membres l’assistance nécessaire : l’école, l’atelier, l’hôpital, l’organisation vicinale, la sécurité sous toutes ses formes, le respect de sa personne… L’individu se réalise grâce à un vouloir et à un pouvoir qui ne sont pas, qui ne peuvent pas être les siens, mais ceux de la société dont il fait partie… C’est une construction, une architecture, un ensemble harmonieux de « choses » et de « notions » avec leurs liaisons, leurs utilités, leurs places déterminées. Un tel ensemble ne peut être conçu comme un simple entassement,
mais comme la réalisation d’une idée, d’un idéal » (« Perspectives algériennes », 1964).
Comme pour la culture, Bennabi donne de la civilisation une définition fonctionnelle. Les conditions morales s’incarnent dans un vouloir qui mobilise la société en vue de définir ses tâches sociales et de les assumer. Les conditions matérielles, elles, s’objectivent sous la forme d’un pouvoir traduisant la capacité de mettre à la disposition de la société les moyens nécessaires pour accomplir ses missions. C’est ce qu’il appelle la fonction civilisationnelle. Il écrit dans « Le musulman dans le monde de l’économie », 1972 : « La civilisation, c’est cette volonté et cette possibilité ». La relation entre la volonté civilisationnelle et la possibilité civilisationnelle est une relation de causalité, la volonté apparaissant comme la cause de la possibilité. C’est la civilisation qui fait ses produits, ce ne sont pas ses produits qui la font «car pour faire une civilisation à partir de ses produits, il faudrait qu’on puisse acheter tous ses produits, ce qui est du point de vue économique une pure impossibilité ».
L’économie n’est que la forme matérialisée de ce vouloir et de ce pouvoir.
S’il n’y a pas d’idées, il n’y a pas de culture ; s’il n’y a pas de culture, il n’y a pas de civilisation ; s’il n’y a pas de civilisation, il n’y a pas d’histoire. A l’aube des temps il n’y a que trois facteurs fondamentaux : l’homme, le sol et le temps « plongés dans un mystère métaphysique » (« Naissance d’une société», 1962). Ceux-ci peuvent rester en l’état pendant des milliers d’années sans devenir des facteurs psycho-temporels générateurs de civilisation : « Si une telle donnée avec ses trois éléments suffisait comme condition d’une civilisation, celle-ci ne serait plus qu’un phénomène spontané et général par toute la terre. En particulier, le problème ne se poserait plus pour le monde musulman qui est, hélas, loin de l’avoir résolu» (« Les conditions de la renaissance », 1949). Ces paramètres constituent des conditions nécessaires
mais non suffisantes de l’essor d’une civilisation.
L’homme, le sol et le temps n’agissent pas « en vrac », mais dans une synthèse qui réalise en eux le vouloir et le pouvoir d’une société. Ils doivent être coulés dans une synthèse bio-historique qui n’est pas automatique mais le résultat d’une catalyse que provoque une idée-force d’origine sacrale ou politique : « Une civilisation date sa naissance à partir de la synthèse des facteurs temporels, c’est-à-dire à partir du moment où l’idée religieuse a transformé l’homme et suffisamment conditionné le milieu (« Les conditions de la renaissance »)… Le rôle social de la religion n’est pas autre chose que celui d’un catalyseur favorisant la transformation de valeurs qui passent de l’état naturel à un état psycho-temporel correspondant à un certain stade de civilisation. Cette transformation fait de l’homme biologique une entité sociologique, du temps - simple durée chronologique évaluée en « heures qui passent » - un temps sociologique évalué en heures-travail, et du sol - livrant unilatéralement et inconditionnellement la nourriture de l’homme selon un simple processus de consommation - un terrain techniquement équipé et conditionné pour pourvoir aux multiples besoins de la vie sociale selon les conditions d’un processus de production » (« Vocation de l’islam », 1954).
La religion dont il s’agit dans l’esprit de Bennabi est celle qui « traduit une pensée collective car à partir du moment où la foi devient centripète, c’est-à-dire individualiste, sa mission historique est finie sur la terre où elle n’est plus apte à promouvoir une civilisation » («Vocation de l’islam»). Et la synthèse dont il est question ne se produit pas d’elle-même puisqu’il existe encore de nos jours des groupements humains à l’état primitif ou, selon la terminologie de Bennabi, de pré-civilisation. Il précise dans « Naissance d’une société » : « L’existence effective d’une société commence à la formation de son réseau de liaisons… Le rôle que joue la religion à cette échelle est de provoquer une synthèse sociale sous forme de valeurs morales concrétisées en conventions, en usages, en traditions, en règles administratives, en principes législatifs… »
Bennabi ne cherche pas à connaître le nombre de civilisations apparues sur la terre, ni ne s’attarde sur leurs origines. Il n’est pas, comme Spengler, Braudel ou Djuvara, un historien qui veut établir les lois internes qui les régissent ou les comparer entre elles. Son champ d’étude est moins ambitieux que celui de Toynbee qui veut les embrasser toutes pour les soumettre à un modèle explicatif. Lui n’est ni un anthropologue, ni un historien, mais un psycho-sociologue qui s’intéresse en particulier à l’une d’entre elles, la civilisation musulmane, sur laquelle il est penché comme un mécanicien sur une machine en panne. « Il est difficile, écrit-il dans « Vocation de l’islam» à propos du phénomène civilisationnel, de connaître les origines de ce mouvement dans l’espace et le temps, et il ne servirait à rien de se demander s’il a commencé en Egypte ou ailleurs. On constate seulement sa CONTINUITE à travers les âges. Toutefois, lorsqu’on essaie de fixer ses coordonnées « historiques », on s’aperçoit qu’elles désignent une aire qui se déplace. Si bien que la continuité que l’on constate dans la perspective générale de l’histoire peut se trouver masquée par une DISCONTINUITE qui apparaît lorsque l’on considère la succession des aires de civilisation. En fait, nous avons là les deux aspects essentiels : l’aspect métaphysique ou cosmique, celui d’un dessein général, d’une finalité, et l’aspect proprement « historique », sociologique, celui d’un enchaînement de causes… Sous ce dernier aspect, la civilisation se présente comme une série numérique se poursuivant par termes semblables mais non identiques. Ainsi apparaît une donnée essentielle de l’histoire : le cycle de civilisation. Chaque cycle est défini par des conditions psycho-temporelles propres à un groupe social : c’est une « civilisation » dans ces conditions-là. Puis la civilisation émigre, se déplace, transfère ses valeurs dans une autre aire. Elle se perpétue ainsi dans un exode infini et à travers de successives métamorphoses, chaque métamorphose étant une synthèse particulière de l’homme, du sol et du temps… ».
Bennabi prend ici le contre-pied de Spengler qui croit fermement à la « non-continuité » de l’histoire. Mohand Tazerout, son traducteur et préfacier algérien affirme que le postulat de la « non-continuité » est « la seule hypothèse viable pour une connaissance scientifique des phénomènes de l’histoire. Il n’y a rien qui rattache nécessairement l’homme occidental à l’homme antique, et celui-ci à l’Egyptien, au Chinois, à l’Hindou où à l’Arabe authentiques… »[2] Pour Bennabi, « la » Civilisation n’est le fait d’aucune race en particulier et d’aucune époque. Elle résulte des imbrications, des migrations et des différentes contributions humaines au processus d’amélioration du sort de l’espèce.
Ce qu’on appelle « les » civilisations ne sont que des cycles, des moments éphémères du mouvement général de l’Histoire qui est, lui, continu : «La civilisation humaine semble ainsi faite de cycles qui se succèdent, naissant avec une idée religieuse et s’achevant quand l’irrésistible pesanteur de la terre triomphe finalement de l’âme et de la raison » (« Les es « CR »). Il signale qu’Ibn Khaldoun est le premier à avoir dégagé la notion de cycle dans sa théorie des « trois générations ». Celui-ci compare la vie d’une civilisation à celle d’une dynastie. Le processus qui conduit de l’état de « badw » (primitif) à l’état de « hadara » (civilisation) est mis en branle par la « açabiya », sentiment de cohésion sociale, de conscience collective qui joue le rôle d’un Ethos. Elle se transforme en « mulk » (pouvoir) qui créé des villes, développe des activités économiques et installe des institutions… Pour Ibn Khaldoun, « ni la volonté du bien, ni la religion elle-même ne saurait suffire à qui n’est pas porteur d’une forte açabiya ». C’est donc cette dernière qui est le moteur de l’histoire en remplissant la fonction d’une idéologie qui soude les intérêts et porte la communauté aux conquêtes. Ibn Khaldoun écrit : « Il n’est pas besoin de prophétisme pour qu’il existe une vie humaine. Et un individu doué d’autorité peut très bien s’imposer aux autres de lui-même, ou en s’appuyant sur la « açabiya ».
Ibn Khaldoun a été le premier à poser les règles de la dynamique sociale. L’idée religieuse est elle-même au service de la açabiya qui, en donnant lieu à un Etat, consacre la religion. On retrouvera l’idée du cycle chez Vico puis chez Montesquieu sous le nom de « théorie du cercle » : « Presque toutes les nations du monde roulent dans un cercle ; d’abord, elles sont barbares ; elles conquièrent et elles deviennent des nations policées ; cette police les agrandit et elles deviennent des nations polies ; la politique les affaiblit ; elles sont conquises et redeviennent barbares ; témoins les Grecs et les Romains »[3]. Hegel formule la même idée quand il écrit : «Le changement est un mouvement circulaire, une répétition du même. Tout est constitué par des cycles, et c’est à l’intérieur de ces cycles, parmi les individus, que le changement a lieu… Il ne se produit du nouveau que dans les changements qui ont lieu dans le domaine spirituel » (« La raison dans l’histoire »).
Si, pour Toynbee, l’explication du mouvement historique réside dans le « milieu physique », et que la pensée marxiste la voit dans le jeu des facteurs économiques, Bennabi pense que le mécanisme du mouvement de l’histoire a son origine dans un processus psychologique résultant d’une tension morale. C’est l’âme qui est le moteur essentiel de l’histoire humaine. Un milieu humain est doué d’inertie comme un milieu de matière. Lorsqu’il se met en mouvement « cela veut dire qu’une cause initiale a vaincu l’inertie originelle en transformant toutes les données statiques du milieu en valeurs dynamiques » (« Naissance d’une société »). Pour lui « c’est toujours la révélation sensationnelle d’un Dieu ou l’apparition d’un mythe qui marque le point de départ d’une civilisation. Il semble que l’homme doive regarder ainsi par-delà son horizon terrestre pour découvrir en lui le génie de la terre en même temps que le sens élevé des choses » (les « CR »).
Dans la plupart des cas, en effet, les religions ont précédé les grandes civilisations. Ces dernières sont apparues là où s’est formée une économie agricole assez élaborée pour sédentariser et favoriser par quelque culte un regroupement important d’individus jusque-là organisés en familles, clans ou tribus. Ce culte, ce mythe, cette idée, développe entre eux un sentiment collectif et une conscience de l’intérêt commun. Des villages puis des villes surgissent, soumis à des règles et des institutions fortement spiritualisées ; les arts apparaissent, le foyer s’étend peu à peu à d’autres contrées et la civilisation en formation va englober de vastes territoires et de multiples ethnies que rassemblent de mêmes croyances. Ces domaines s’érigent en entités politiques, économiques, militaires, qui s’appelleront Sumer, l’Egypte pharaonique, la Grèce, l’Inde ancienne, la Chine, les Maya, les Aztèques, les Incas, l’Islam, l’Occident…
Ces ensembles, ces sociétés, ces civilisations ne se sont pas formées « naturellement », quelque chose a brusquement réveillé et motivé l’âme des hommes, les a dynamisés et poussés vers des buts déterminés. La cause initiale n’a rien à voir avec la qualité des terres ou les moyens physiques. Pour Bennabi, le pouvoir créateur provient nécessairement d’une source psychique, c’est un phénomène énergétique. Le premier acte historique d’une société à sa naissance est l’établissement de son réseau de relations sociales. Bennabi donne comme exemple la formation de la première société musulmane : « Le premier acte de la société musulmane fut le pacte qui avait lié « Ansars » et « muhadjirine ». L’Hégire est la première date de l’histoire musulmane non seulement parce qu’elle coïncide avec un acte personnel du Prophète, mais parce qu’elle coïncide avec le premier acte de la société musulmane. C’est-à-dire avec la formation de son réseau de liaisons, avant même que ses trois catégories sociales (monde des idées, monde des personnes, monde des choses) ne soient nettement formées… Donc, l’origine du réseau de liaisons qui permet à une société d’accomplir son action concertée dans l’histoire se trouve dans la genèse de sa synthèse bio-historique» (« NS »).
Pour lui « Si en un lieu, en un moment donné, il y a une action concertée des hommes, des idées et des choses, c’est la preuve qu’une civilisation a déjà commencé, que sa synthèse s’est opérée déjà et tout d’abord dans le monde des personnes. Le premier acte de la transformation sociale c’est l’acte qui transforme l’individu en personne en transformant les caractères grégaires qui le lient à l’ «espèce » en affinités sociales qui le lient à la « société ». Ce sont les liaisons propres au monde des personnes qui fournissent les liens nécessaires entre les idées et les choses dans l’action concertée d’une société. Les rapports entre personnes sont des rapports culturels, c’est-à-dire des rapports assujettis aux normes d’une culture entendue comme on l’avait définie, à la fois comme ambiance et comme un ensemble de règles éthiques, esthétiques, etc… » (« NS »). Il faut retenir cette notion d’ « action concertée de la société » qui est pour Bennabi l’essence même de l’histoire : « Une société n’a pas pour unité l’individu, mais l’individu conditionné… L’intégration de l’individu à un réseau social est à la fois une opération d’élimination et une opération de sélection. Cette double opération a lieu dans les conditions ordinaires, c’est-à-dire quand la société s’est déjà organisée
par l’intermédiaire de l’école. C’est ce qu’on appelle l’éducation » (« NS »).
Bennabi a proclamé sa différence par rapport à Toynbee dans la genèse de la civilisation et montré que le « défi-riposte » est insuffisant à l’expliquer : « Les circonstances de son apparition sont interprétées par un historien comme Toynbee comme celles où un groupe humain doit répondre à un défi par une action concertée. Cette interprétation ne donne pas cependant l’explication de la formation des sociétés historiques actuelles dont le nombre ne dépasse pas le quart de douzaine. On ne comprend pas pourquoi la société bouddhique n’a pas répondu au début de l’ère chrétienne au « défi » de la renaissance de la pensée védique qui la condamnait cependant à l’exil en Chine. On ne comprend pas davantage qu’elle ne réagisse pas plus au XX° siècle dans sa nouvelle patrie, au défi de la pensée marxiste importée par Mao Tsé Toung qui l’efface à jamais de la carte idéologique du monde » (« Le problème des ises dans la société musulmane », 1970).
Comme s’il répondait aux remarques de Bennabi, Toynbee reconnaît qu’« au contraire de l’effet d’une cause, la réponse à un défi n’est pas invariable et, par conséquent, n’est pas prévisible. Un défi identique peut susciter une réponse créatrice dans certains cas, mais non dans d’autres ». A propos de la Chine, il précise : « L’introduction d’une idéologie occidentale étrangère n’a pas amené une rupture décisive dans l’histoire de la Chine, ni une transformation de sa configuration politique… Il est vrai qu’une fois dans le passé une philosophie ou une religion non-chinoise, sous la forme du bouddhisme, s’est emparée de la Chine »[4].
Dans la transition de la condition statique à l’activité dynamique (du yin au yang), Toynbee ne s’en tient pas exclusivement aux facteurs « milieu » ou « race » comme causes de la genèse des civilisations et écrit : « La cause de la genèse des civilisations n’est pas simple mais multiple ; ce n’est pas une entité mais une relation… Elle peut être recherchée dans un modèle d’interaction que nous avons appelé défi-riposte. » L’idée de « défi-riposte » a été inspirée à Toynbee, selon ce qu’il en dit lui-même, par le « Prologue dans le ciel »
de Goethe où on voit Dieu accepter le défi que lui pose Méphistophélès.
Avant Toynbee, les historiens expliquaient la genèse des civilisations par la « race » et le « milieu ». Ce sont Jung et Goethe qui ont mis Toynbee sur la voie. Jung disait : « Tous les phénomènes sont de nature énergétique. Or, sans un contraste, il ne saurait y avoir d’énergie. Il faut toujours que préexiste la tension entre le haut et le bas, le chaud et le froid, pour que prenne naissance et se déroule ce processus de compensation qui constitue précisément l’énergie. Tout ce qui est vivant est énergie et, par conséquent, repose sur la tension des contraires ». Là où Bennabi voit un élan spirituel propulser une civilisation (la phase de l’âme), Toynbee voit un « élan prométhéen » animer la « phase de croissance ». L’élan spirituel ou prométhéen agit sur les membres de la communauté engagée dans un processus de civilisation, mais c’est une élite, la « minorité créatrice », qui porte l’essentiel de la responsabilité du mouvement vers l’avant. Encore faut-il qu’elle reste en parfaite osmose avec la communauté, faute de quoi elle n’est plus représentative et ne sera pas suivie.
S’il arrive que l’élite ne crée plus, ne produise plus de « ripostes » aux défis incessants que génèrent la vie, l’évolution et le milieu, c’est la fin de la civilisation[5]. Toynbee appelle la faculté de conduire l’histoire par une minorité la « faculté de la mimesis» et écrit : «Pour que les personnalités créatrices puissent relever les nouveaux défis, il faut la vigoureuse communion intellectuelle et le rapport personnel intime qui transmet le feu divin d’une âme à une autre »[6]. Les « minorités créatrices » agissent à travers les institutions qu’elles créent : systèmes politiques, organisation juridique, découvertes scientifiques, créations artistiques, valeurs culturelles… Lorsque tout le monde est imprégné de ces valeurs, cela donne lieu à des réflexes sociaux, à un style général, un type psychologique, une culture, une histoire… Le penseur anglais poursuit : « La meilleure sauvegarde contre le risque de détraquement dans l’exercice de la faculté de la « mimesis » consiste dans une cristallisation sous la forme d’habitudes et de coutumes… Je crois que l’avenir d’une civilisation se trouve aux mains d’une minorité d’individus créateurs ».
Les cycles de civilisation sont distincts des « cycles cosmiques » qu’enseigne la doctrine hindoue pour qui un cycle humain (le Manvantara) se compose de quatre âges qui correspondent aux phases par lesquelles passe la « spiritualité primordiale » avant de s’éteindre, et que l’Antiquité connaissait sous le nom d’âges d’or, d’argent, d’airain et de fer. Le quatrième âge dans lequel nous serions aujourd’hui est le « kali-yuga », l’ « âge sombre », qui aurait commencé il y a six mille ans et dont la durée totale serait égale à la dixième partie de celle du manvantara. Un manvantara comprend 14 kalpa dont chacun est formé d’un millier de « mahayurga » de 12.000 ans chacun. Un cycle de civilisation dure selon Ibn Khaldoun trois générations et un millénaire selon Spengler. Mais il existe une correspondance entre les cycles de civilisation et les cycles cosmiques dans la mesure où les deux conceptions postulent l’idée d’un mouvement de haut en bas,
du supérieur à l’inférieur, du sacré au profane, du meilleur au pire.
René Guénon, qui a tenté d’acclimater dans l’ère moderne la notion de « tradition primordiale » écrit : « Le développement de toute manifestation implique nécessairement un éloignement de plus en plus grand du principe dont elle procède ; partant du point le plus haut, elle tend forcément vers le bas et, comme les corps pesants, elle y tend avec une vitesse sans cesse croissante, jusqu’à ce qu’elle rencontre enfin un point d’arrêt. Cette chute pourrait être caractérisée comme une matérialisation progressive, car l’expression du principe est pure spiritualité »[7]. On retrouve dans les ouvrages du métaphysicien français islamisé certaines formulations utilisées par Bennabi comme la tendance « centripète » et la tendance « centrifuge », la première ascendante et la seconde descendante. Toynbee voit dans la civilisation un « voyage, non un port », tandis que Bennabi considère que le verset coranique (« Tels sont les jours, nous les donnons aux peuples tour à tour »)
contient une allusion directe à l’idée de « cycle ».
On peut s’interroger sur la valeur de la théorie des cycles de civilisation aujourd’hui et par conséquent sur la possibilité d’une renaissance. De nouveaux cycles sont-ils possibles dans le monde actuel ? Bennabi s’est posé la question dans une note du 12 juillet 1964 et y a admirablement répondu, même si sa réponse porte en elle-même les limites de sa théorie de la civilisation. Cela démontre son extrême lucidité et la grande ouverture de son esprit puisqu’il n’est pas resté enfermé dans son système, sourd à ce qui se déroule sur la scène de l’histoire. Il écrit dans cette note : « Le développement de la civilisation occidentale à l’échelle mondiale pose plus d’un problème, notamment dans l’ordre métaphysique. Son échelle transgresse d’abord la loi sur les cycles car la notion de cycle est inconciliable avec un phénomène de civilisation qui recouvre toute la surface de la terre. Le cycle n’est concevable que là où il reste un champ disponible pour une nouvelle expérience, une nouvelle renaissance, c’est-à-dire pour une répétition de la naissance d’une civilisation. L’échelle mondiale de la civilisation actuelle exclut ou restreint cette possibilité. Ce fait entraîne certaines conséquences d’ordre historique et sociologique. Jadis, une société obscure comme la société arabe antéislamique pouvait attendre son tour de saisir le flambeau de la civilisation. Ce n’est plus possible. De ce fait, l’humanité semble entrer dans une ère nouvelle, l’ère où le temps historique semble figé, où les situations relatives des sociétés semblent désormais immuables…»
Une dizaine de jours plus tard, il reprend le fil de cette méditation qui indique que lui-même est en cours de dépassement de sa pensée telle qu’il l’a exposée dans ses ouvrages jusque-là. En effet, dans une note du 23 juillet 1964 il poursuit : « Dans ma note du 12 courant sur la civilisation moderne, j’ai dit que celle-ci a pris une forme gigantesque absorbant les dimensions de la planète et qu’elle a pris de ce fait un caractère apocalyptique. C’est une civilisation qui ne peut plus compenser ses pertes, parce qu’elle ne peut plus récupérer ici ce qui lui fait défaut ailleurs. Le monde est devenu isotherme et équipotentiel : les courants de civilisation ne peuvent plus y prendre naissance… ».
On peut s’étonner que ces « arrière-pensées » n’aient pas été prises en compte dans les écrits ultérieurs de Bennabi, comme le « PISM » ou les textes constituant « Majalis Dimashq » dont « Le rôle et la mission du musulman dans le dernier tiers du XX° siècle » où il continue sur son ancienne lancée, ne laissant rien transparaître de ces nouvelles et importantes cogitations pourtant fondamentales à la pérennité de sa pensée. Dans ce dernier texte, Bennabi continue d’affirmer que les peuples du Sud reviendront
à la civilisation et réitère sa croyance en l’alternance des civilisations.
N.B
[1] Cf « La civilisation à l’épreuve ».

[2] Cf. Préface au « Déclin de l’Occident », T.1, 1931.

[3] « L’esprit des lois ».

[4] Fondé par Bouddha vers 525 av. J.C en Inde, le bouddhisme est venu réformer la religion védique qui lui était antérieure de quelques siècles. Sa philosophie est athée. Il nie toute autorité et notamment la division de la société en castes. Il est opposé à l’ascétisme et aux pratiques brahmanes. Il nie les Vedas, livres sacrés de l’Inde, dénonce les castes et ne croit pas à l’existence de l’âme. L’esprit doit rechercher ce qui a une utilité pratique pour la délivrance des souffrances que sont la vie et la mort. Il rejette le monde. Après la mort de son fondateur, le bouddhisme se scinde en deux voies : le grand véhicule et le petit véhicule. Mais il n’arrive pas à éclipser le brahmanisme et l’hindouisme qui, eux, croient en un principe créateur, Varuna, qui veille à l’ordre du monde. L’Hindouisme ne repose pas sur une révélation ou une foi mais sur la connaissance que l’on peut atteindre par des intuitions et des visions. Dans le bouddhisme, la notion de dieux est présente, mais pas celle d’un Etre suprême. Il disparaît de l’Inde entre le premier et le troisième siècle de l’ère chrétienne et émigre en Chine où il est assimilé au taoïsme. Là non plus il ne fait pas racine. Le confucianisme renaissant le surclasse vers le X° siècle. Le développement du bouddhisme en Chine a été stoppé vers l’an 1000. Les mandarins confucéens le persécutent. Au XII° siècle, l’empereur Hui-Tsung le proscrit. Il trouve refuge au Japon, à Ceylan, en Birmanie et en Thaïlande. Apparu à la même époque que le bouddhisme en Inde et le Taoïsme en Chine, e confucianisme ne comporte pas de métaphysique ou d’idée de Dieu. Il canonise les vertus, la droiture, le sens filial et social, l’idée de Bien. La nature est régie par deux forces cosmiques, le yin et le yang.
C’est le taoïsme qui constitue le volet métaphysique et spirituel de la philosophie chinoise traditionnelle.
Il est hostile à l’existence d’un « souverain d’en haut » appelé « Tai yi ».

[5] Spengler écrit : « C’est une minorité de cerveaux supérieurs dont les noms ne sont peut-être plus connus qui décide de tout, tandis que la grande masse des politiciens de deuxième zone, rhéteurs et tribuns, députés et journalistes, élus des horizons provinciaux, maintiennent pour la foule l’illusion de la liberté de disposer de soi », op.cité, T.1.

[6] Prométhée, dans la mythologie grecque, est celui qui dérobe le feu et s’empare des pouvoirs de Dieu.Le Prométhée auquel se réfère Toynbee est celui de Goethe, qui co-agit avec le Prophète de l’islam pour rétablir l’Alliance entre Dieu et l’homme.

[7] René Guénon : « La crise du monde moderne ».

zadhand
04/02/2016, 16h03
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18400
NOUREDDINE BOUKROUH


LA THEORIE DES IDEES


Noureddine Boukrouh·JEUDI 4 FÉVRIER 2016

Le Soir d’Algérie du jeudi 04/02/2016

Qu’est-ce qui incite les peuples à entreprendre, au-delà de leurs
besoins ordinaires, de grandes choses ? Les peuples réalisent sous
l’impulsion de leurs rois, de leurs gouvernements ou de leurs élites
lorsqu’ils sont tendus par un idéal ou la volonté de marquer
leur passage sur la terre. Que ce soit pour se défendre
(muraille de Chine), perpétuer leur souvenir (mausolées) ou plaire
à Dieu (mosquées, cathédrales, synagogues, temples…) ils entreprennent
des ouvrages magnifiques (merveilles du monde) ou créent des institutions
géniales (république, démocratie, assistance sociale…).

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zadhand
11/02/2016, 10h53
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18400
NOUREDDINE BOUKROUH


ÊTES-VOUS SÛRS DE VOULOIR LA VERITE ?


Publié Mardi 09 Février 2016


« Que ce qui est dans la jarre sorte au milieu de l’assemblée !"
(( "ألي فالقسط يخرج للوسط"
« Win rahi la verité ? » s’interrogeait Bâaziz dans une chanson de 1990. « On s’en fout ! » est-on tenté de lui répondre en restant dans l’air et les paroles de sa chansonnette alors que le pays est pris dans une furie de déballage allant de la bataille d’Alger aux tortures d’octobre 88, du départ de Chadli aux grandes affaires de corruption, de Toufik « éplucheur de patates » avant l’indépendance à « rab dzaïr » il n’y a pas longtemps…
Quand on voit à quoi se rapporte la question on a envie de dire « On n’en a que faire de la vérité, Bâaziz, elle est trop sale !»
Elle pleut ces jours-ci, la prétendue vérité, elle nous inonde en ces temps de sècheresse, elle tombe du ciel, monte de la terre, sort de l’oubli, rentre d’exil… Elle est sur toutes les bouches, dans les cafés, les chaumières, à la une des journaux, sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision. Elle pousse toute seule, comme le chiendent et le « cactus berberus » (hendi). On ne pensait pas la connaître de notre vivant, la voilà courant les rues comme si elle était plus pressée de se montrer que nous de la voir.
On voulait bien être édifié sur deux ou trois évènements, prendre connaissance de quelques hauts faits cachés par modestie, deviner de l’intelligence derrière les décisions prises à certains moments cruciaux mais c’est au plus dégueulasse qu’on a eu droit : des révélations sordides, de la pure délation, des accusations mutuelles de trahison, des raisonnements enfantins, des comportements de brutes épaisses… Qu’est-ce qu’il leur a pris à ces déballeurs avares de mots durant leur vie active de devenir d’intarissables perroquets à un âge où on est généralement peu causeur ?
Nezzar a longtemps été seul sur le créneau des scoops mais le voilà rejoint par une flopée de compétiteurs rappelant les célèbres marionnettes du Muppet Show : le colonel Benaouda, le général Betchine, l’ancien Premier ministre Abdelhamid Brahimi qui n’a pas pu patienter jusqu’à sa sortie de l’aéroport pour nous apprendre que
Nezzar est un agent des services français et Toufik un ancien aide-cuisinier.
On ne sait pas ce qu’il est arrivé à madame l’Histoire en Algérie, mais on dirait qu’elle a jailli des boîtes d’archives classées « top secret » pour ne laisser personne frustré de la connaissance de la vérité. Elle s’est emparée d’un mégaphone et poussé devant elle les derniers témoins en vie qu’elle a trouvés sur son chemin pour les forcer à dégurgiter
ce qu’ils ont longtemps caché les uns sur les autres.
Un proverbe algérien dit : « Sdour al-ahrar, qbour al-asrar » (poitrines de nobles, tombeaux des secrets). Cette belle parole valait peut-être au temps de l’Emir Abdelkader, cheikh al-Mokrani, Fatma Nsoumer ou Bouamama, elle ne convient pas à la triste époque que nous vivons et aux petits « haggarin » qui l’ont souillée de leurs vilénies.
C’est pour vous dire, messieurs les généraux à la retraite, anciens chefs de gouvernement et anciens maquisards que nous ne voulons pas de vos vérités vengeresses, de vos dénonciations tardives, de vos haines séniles, car vous avez achevé de détruire le respect que nous vous accordions bien que nous n’étions pas dupes. Nous préférons ne rien savoir sur vous ou venant de vous.
Nous nous doutions à la seule vue de vos personnages mal fagotés, de votre langage de rue, de ce qu’on a appris sur vous, qu’il y avait plus de mensonge que de vérité dans ce que vous nous racontiez ou que vous vous prêtiez mutuellement pour entretenir vos légendes; que la Révolution a été faite par ceux qui sont morts plutôt que par ceux qui y ont survécu ; que quelques uns de ces derniers ont aidé quelques uns des premiers à rejoindre le paradis auquel ils ont préféré
les richesses terrestres et le pouvoir qui les permet et les sécurise.
Mais, à bien y réfléchir, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas encourager ce désir de se confesser même si on sait que sa motivation n’est pas le témoignage mais la vengeance : « a’mili aïn » pour que mon ennemi perde les deux. C’est peut-être nous qui ne comprenons pas ces vocations tardives, cette illumination de la vieillesse, ce feu d’artifices, et continuons à voir
du mal là où il n’y a plus que rémission et résilience.
Oui, effectivement, pourquoi Zéroual ne nous apprendrait-il pas lui-même, au lieu de compter sur l’Histoire, dans quelles conditions il a abandonné ses fonctions moins de trois ans après que le peuple lui eut accordé sa confiance dans une ambiance patriotique mémorable ? Yacef Sâadi, malgré le grand film réalisé, le paquet de livres écrits et les interviews données tout au long de sa vie est revenu ces jours-ci sur l’ouvrage à quatre-vingt-dix ans.
La vérité, braves Algériens, est dans l’étalage de médiocrité qui nous a dirigés en vertu des aberrations de notre histoire où la mauvaise monnaie a de toujours chassé la bonne, les voyous les fils de famille et les analphabètes les hommes de pensée, pendant la Révolution comme après l’indépendance. Elle est dans le niveau intellectuel de notre leadership de 1926 (création de l’Etoile Nord-africaine ») à février 2016 où viennent de se jouer, avec la dernière révision constitutionnelle
et dans l’inconscience la plus totale, les 5e et 6e mandats au profit d’un homme disqualifié physiquement
et moralement et dont on ne voit la silhouette tassée que de loin en loin.
Si le « faiseur de rois » épluchait jadis patates et carottes à en croire les révélations d’ « Abdelhamid la science », le « zaïm » du mouvement national, Messali Hadj, les vendait sur une charrette à en croire ses biographes.
Près d’un siècle plus tard, nous sommes dirigés par un homme qui a mis le pays à plat ventre
comme personne avant et lui roule dessus comme on passe le fer à repasser sur un linge.
La vérité, braves Algériens, est que tout cela ne date pas d’hier. Si on remonte plus haut dans notre histoire on tombe sur « l’homme à l’âne », Maysara « le porteur d’eau » ou le rusé Djouha. Quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre. Il ne pouvait qu’en être ainsi après 1962, un ignorant succédant à un autre, s’entourant de plus illettré que lui pour les postes de confiance, de légèrement plus compétent pour les postes techniques mais le compensant par une servilité illimitée,
et de corrompus pour gérer les affaires du « système ».
On veut des preuves « alternatives » ? Si le FIS, les GIA, l’AIS, le GSPC et AQMI avaient gagné la partie dans les années 90 on aurait aujourd’hui à la tête du califat ou de l’Etat islamique d’Algérie moult marchand de volaille, tôlier, maître d’école coranique, imam et « faqih » de rue, vite promis au despotisme et à l’enrichissement sans cause qui va avec.
Ce n’aurait pas été l’un ou l’autre, mais les uns et les autres.
On voudrait des preuves plus récentes ? A l’élection présidentielle de 2014 il y avait parmi les candidats, entre pelés et tondus, un marchand de légumes prospère dont le programme était de… déléguer son mandat à Ali Benhadj. Il y a même des preuves « d’à-venir » si vous voulez: un Belahmar ne sera-t-il pas élu haut la main par l’esprit du douar s’il se présentait en 2029 ? Un Benouari ou un autre « Suisse » de ce temps-là aura-t-il une chance devant un autre Benhadj
en 3029 ou en 3979 pour être fidèle à notre vieux calendrier berbère ?
En réalité, braves Algériens, ni le pouvoir ni personne d’entre nous ne voudra de la vraie vérité, de toute la vérité. Un morceau, quelques lambeaux par-ci par-là, de temps en temps, celle des autres, oui, c’est acceptable. La nôtre, celle de chacun de nous, non, il n’en est pas question sinon tous les tribunaux du monde ne suffiraient pas pour nous juger, le siècle s’avérerait trop court, les prisons de toute la planète n’offriraient pas assez de places pour nous héberger, les sabres d’Arabie saoudite et les pierres de son désert ne feraient pas le compte pour nous décapiter et nous lapider pour nos fautes et nos crimes cachés, non avoués et non expiés.
« Win rahi la vérité ? » Il vaut mieux ne pas le savoir car elle serait trop honteuse pour nous, trop accablante pour notre soi-disant dignité. Elle ressemble au voleur du dernier billet de Saïd Mekbel se faufilant dans l’obscurité pour déposer son sachet-poubelle devant la porte du voisin ; elle a les traits du conducteur regardant à droite et à gauche avant de jeter quelque chose de son véhicule sur la voie publique ; elle est dans la discrétion de ce resquilleur volant avec sa progéniture sa consommation d’électricité à Sonelgaz ou d’eau à Seal avant d’aller accomplir les « tarawih »; elle est dans l’élégance des hommes d’affaires maquillant leurs chiffres pour ne pas payer ce qu’il doivent au fisc; elle est dans chaque construction illicite, dans l’absence de toilettes publiques dans l’ensemble du pays, dans l’irrespect mutuel dans lequel nous nous tenons, dans la culture
de « takhti rassi », dans les viols incessants de la Constitution…
Qu’enseigne-t-on à nos enfants à la maison ? De laisser passer quelqu’un devant soi ? De céder le passage à un autre ? D’aider un vieillard à traverser ? De se lever pour laisser s’asseoir une vieille ? D’être poli avec les autres ? De ne pas escroquer autrui ? On ne sait même pas ce que c’est tant que ces règles ne sont pas estampillées d’un verset, confirmées par un hadith « çahih » ou imposées par la loi moyennant sanctions. C’est la « kfaza », la « chtara », la débrouille, la méfiance des autres et leur mépris qu’on leur apprend : « tag âla man tâg », « adarbou ya’raf madarbou » et autres directives du même genre ponctuent le langage quotidien. On n’est pas content de se l’entendre dire ? Ce n’est pourtant que la vérité.
Nous sommes tous, de haut en bas de l’échelle sociale, de petits, moyens ou grands criminels, permanents ou intermittents. Nous sommes tous, d’une façon ou d’une autre, des voleurs, des menteurs, des transgresseurs des lois, des corrompus ou des corrupteurs, réguliers ou occasionnels. Le tout est de ne pas être vu, surpris, arrêté ou tué, sinon nous sommes prêts à tous les attentats civiques, à tous les terrorismes intellectuels et religieux, à toutes les trahisons politiques et lâchetés sociales. En suivant à la télévision le vote de la Constitution, je me suis demandé combien de députés et sénateurs auraient voté en sa faveur si le scrutin avait été réellement secret. Car les Algériens sont très rarement les mêmes selon qu’ils agissent en secret ou en public.
Notre vie nationale telle que faite, notre mentalité et nos traditions telles que nous en avons hérité, nous portent, nous obligent, nous condamnent à ces maladies sociales. On ne résiste pas à la force gravitationnelle, on n’échappe pas à son naturel et à son patrimoine génétique. Ce qu’on reproche aux autres, ce pour quoi nous les haïssons et les insultons dans leur dos, c’est d’avoir pris au-delà de ce que nous avons pu prendre nous-mêmes parce que nous n’en avons pas eu la possibilité ou l’audace : « alli ykhaf, razkou klil » dit un adage algérien, et c’est pourquoi il y a plus de pauvres que de riches. Un autre proverbe atteste de l’ancienneté de notre inclination à la cachoterie et à la duperie: « Qui t’aime voilera tes défauts »
(elli ihebak yastor aybek), il faut laisser « lbir baghtah »…
La culture étatique et politique du secret remonte, pense-t-on, à la Révolution. En effet il fallait se cacher pour ne pas être pris, ne pas laisser de traces, brouiller les pistes, masquer la vérité… Quelques uns, arrêtés dans le souffle de la bataille, ou pour éviter de l’être, ont été contraints de « donner » leurs frères. D’autres, venus à la Révolution dans on ne sait quels buts et circonstances et ayant donc plus de raisons de dissimuler leur itinéraire et leurs « faits de guerre », y ont trouvé un prétexte inespéré.
Lorsqu’on réfléchit un peu plus, qu’on relie le présent au passé, on s’aperçoit que la tendance à la dissimulation, à la fourberie, au « dribblage », plonge ses racines dans notre inconscient collectif millénaire. Et si nous creusons davantage, on le trouve intriqué avec la culture religieuse : un péché caché est à moitié pardonné ; « essatra mliha ! », « astar ma star Allah » et autres sentences, surtout quand elles arrangent nos petits calculs, sont pieusement recommandées.
Lorsque le projet de révision de la Constitution avait été rendu public, j’avais compris comme tout le monde que la langue tamazight avait définitivement conquis son statut de langue nationale et officielle mais qu’il faudrait du temps pour uniformiser son usage et son écriture (dix à quinze ans a dit Ouyahia), ce qui était compréhensible. Puis il m’a paru incongru, incompréhensible, de donner d’une main ce que de l’autre on retirait car dans la même Constitution il était dit une chose et son contraire, à savoir que tamazight était langue officielle mais que l’arabe demeurerait l’unique langue officielle de l’Etat.
Où était le problème, me suis-demandé ? Dans la conception des amendements ou dans les mots utilisés ? Comme il est plus facile d’entrer dans un dictionnaire que dans la tête de l’auteur des amendements, je me suis précipité sur le Larousse pour m’assurer du sens du mot « officiel » et j’ai lu, comme je m’y attendais : « qui a un caractère légal, qui émane du gouvernement, de l’administration ». Mais en descendant plus bas dans la note de définition je suis tombé sur un autre sens
« qui est donné pour vrai mais qui laisse supposer une autre réalité ».
Là j’ai compris que Djouha venait encore de frapper : tamazight sera officielle sans être utilisée par l’Etat et l’administration. Comme pour notre système politique, notre économie, notre culture : la forme ne correspond pas au fond, la lettre au fait, l’étiquette à la marchandise, le discours à la réalité, le promis au tenu : tout est faux et usage de faux, apparences et artifices, ruses et tromperies… Je retrouvais la patine qui a laissé sa trace sur tout ce qui s’est fait depuis 1999. Je me suis imaginé la scène
« Et les Kabyles, qu’est-ce qu’on va leur donner pour les calmer ? » Réponse : le mot mais pas la réalité !
Il n’y a plus rien à faire ou à attendre quand c’est du plus haut niveau de l’Etat que viennent les pires exemples, les atteintes à l’unité nationale, à l’intérêt général, à la morale publique, à l’échelle des valeurs... Que retiendront les nouvelles générations de cette attitude systématique de mépris et de ruse fourbe envers la nation ? De leur Président recevant n’importe quel quidam étranger de passage et refusant de dire le moindre mot à son peuple depuis plusieurs années ? De telles attitudes incitent-elles au respect de l’Etat et des dirigeants, au bon exemple et à l’amour du pays ? Et ces scandales incessants, quotidiens, ce viol permanent de la souveraineté populaire, cet abaissement systématique des institutions?
Au regard de ce qui précède, braves Algériens, les carottes sont bel et bien cuites. Il n’est plus possible dans notre pays de croire à la Constitution, aux promesses publiques, d’espérer du bien des politiques suivies, de filer droit en tant que citoyen, de respecter la loi par conviction et non par peur d’être pris, d’être honnête, bien éduqué, propre au physique et au moral. Il n’y a plus comment…


NB

zadhand
12/03/2016, 21h43
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18400
NOUREDDINE BOUKROUH


LE GÉNIE DES PEUPLES



12 Mars 2016



"La critique et l’autocritique sont un devoir pour chaque militant. Elles permettent de renforcer la combativité du Parti, stimuler ses activités créatrices et ses liens avec les masses. Chaque militant doit pouvoir défendre courageusement ses opinions, dénoncer les insuffisances et proposer des corrections."Charte Nationale » (p.47)


Le "génie des peuples"(abqariyat ech-chouoûb) est une expression qu’a particulièrement chérie le discours public algérien des vingt dernières années. Mais il n’en a pas toujours fait un usage raisonné. Affirmer la fierté et la grandeur de son peuple est peut-être une bonne chose, l’intention est certainement louable, mais c’est aussi une bonne chose que les mots aient un sens, un contenu, une vie même, et qu’ils tiennent à être protégés de l’abus,
du non-sens, de l’emploi inconsidéré qui peuvent leur être fatals.
Le génie" d’un peuple (du Latin genicus, mais surtout ingenium, c’est-à-dire le caractère distinctif d’un être, d’une race, etc), c’est sa marque particulière, ce par quoi il brille par rapport aux autres peuples, son type de "réponse au vide cosmique" comme dirait Bennabi. C’est sa manière, mais une manière positive, créatrice, de vivre sa chance d’exister dans l’Histoire, ce sont ses triomphes sur la nature et sur lui-même, ses réalisations techniques et spirituelles, ses découvertes scientifiques et sociales, son apport au reste de l’humanité, sa poésie de la vie, sa prestance architecturale…On a pu ainsi parler de génie grec, de génie romain, de génie islamique, de génie russe (pour Pierre Le Grand qu’on a aussi surnommé le "Préobrazovatel", c’est-à-dire le "transfigurateur", le "civilisateur"), etc, pour exprimer les performances morales et matérielles d’une nation, l’empreinte de sa main et de son esprit sur l’espace et le temps. Le "génie des peuples" n’est donc pas une fiction, une "qualité" vague et indéterminée, un artifice du langage politique,
mais une réalité sublime, prouvée et reconnue de tous.
Certes, la conjonction de l’ignorance et de la démagogie peut en faire un slogan, une flatterie, un mythe - et elle l’a fait - mais en général ce genre de slogan, de flatterie et de mythe ne durent pas, ne résistent pas à la critique. C’est d’ailleurs le sort de tous les mots menteurs que d’être tôt ou tard démasqués, démystifiés, puis abandonnés au profit de la vérité.Et la vérité aujourd’hui pour nous Algériens et Algériennes, c’est l’état dans lequel nous surprend la "lutte contre les fléaux sociaux", une lutte contre nous-mêmes (al-djihad al-akbar) que nous appelions du fond de l’abime social où nous nous trouvions, malheureux et impuissants. Ibn Khaldoun n’a jamais eu autant raison que lorsqu’il a écrit : "Tout dépend du gouvernement : quand celui-ci évite l’injustice, la partialité, la faiblesse et la corruption, et qu’il décide à marcher droit, sans écart, alors son marché ne traite que l’or pur et l’argent fin. Mais que l’Etat se laisse mener par l’intérêt personnel et les rivalités, par les marchands de tyrannie et de déloyauté, et voilà que
la fausse monnaie seule a cours sur place" (Al Muqaddima).
Le "génie" tout court cette fois, a-t-on dit, c’est 25% d’inspiration et 75% de transpiration. L’Allemand, par exemple, est réputé pour son sens du travail et de la discipline, le Britannique pour sa sobriété et sa retenue, le Suisse pour sa manie de la propreté publique, le Japonais pour sa précision et son affabilité, etc. Mais l’Algérien ? Qu’est-ce qui fait notre "génie" ? Par quoi nous distinguons-nous des autres? Quelle idée a-t-on de nous à travers le monde (du moins là où nous ne sommes pas, quoique nous fassions, le "bougnoule")? Que pensent de nous en réalité les étrangers résidant dans notre pays? Que dit-on de nous dans les rapports diplomatiques? Et même sans référence aux autres, qu’est-ce qui nous singularise? Qu’est-ce qui nous est commun ? En quoi consiste ce "génie" dont on nous a tant rebattu les oreilles ?Nous fonctionnons, ô combien, en-deçà de nos capacités économiques ; nous proclamons, avouons une réalité mais en vivons une autre ; nous nous sommes implicitement entendus sur le mal ; nous nous sommes mis d’accord sur l’indifférence à l’égard de la chose publique ; nous nous sommes accordés sur la démagogie, le sabotage le contournement des lois, le détournement des moyens de l’Etat, l’absentéisme, la vie facile, la spéculation, la saleté, l’achèvement des malades… Nous nous comportons exactement comme si la vie devait cesser avec nous!Tout nous est indifférent tant que cela ne touche pas nos intérêts ; délits et crimes de toutes natures se commettent sous nos yeux sinon avec notre approbation, du moins avec notre tacite complicité ; nous avons abjuré Dieu, trahi l’esprit de la Révolution, nous avons fait toutes les concessions du monde, nous nous bluffons à l’envi, nous mentons, nous raillons, nous soudoyons, nous trafiquons, nous "brossons", nous nous bagarrons, nous convoitons la fille, la sœur ou la femme de l’autre, nous lui manquons de respect dans la rue, nous sommes vulgaires, obscènes, nous blasphémons,
nous nous parjurons, nos enfants s’élèvent à notre images…
Et nous « militons » par-dessus le marché pour n’avoir l’air de rien ou pour l’impunité. "Maudit instinct de la médiocrité!" (Nietzsche). Développées, généralisées, démocratisées, ces marques sont devenues notre "génie". "Hchicha talba maïcha", "haff taïch", et bien d’autres tournures du même crû fournissent à notre comportement leur justification "philosophique".L’Algérien est sorti de l’ère pré-économique pour tomber dans l’économisme. Celui-ci nous a avilis, abrutis, dénaturés. Il nous a précipités dans un ilotisme sans nom, il nous a réduits à l’état honteux de consommateurs, de tubes digestifs, il a fait de nous des "minus habens". L’économisme n’est pas un mal de socialisme, il aurait aussi bien germé en terrain capitaliste ; l’économisme n’est pas une doctrine économique, mais une vision erronée du rôle de l’économique dans un processus de développement. C’est l’attitude qui consiste à ne voir dans les phénomènes que leur aspect matériel, c’est l’illusion de croire qu’ayant hissé l’homme à un certain PNB on l’a développé, c’est l’erreur de penser qu’on n’est au monde que pour assumer la charge d’argent économique (de préférence, celle de consommateur).Il y a une trentaine d’année, l’"homme" c’était le fétichisme de la moustache dans un univers mental où valeurs et non-valeurs faisaient bon voisinage. De nos jours, le "radjel" c’est celui qui touche gros, qui loge en résidence, qui roule en seize chevaux, qui se soigne à l’étranger, qui échappe aux lois et ne rend de comptes à personne. A l’origine de cette métanoïa vous avez justement l’économisme. Entre autres méfaits celui-ci a désarmé l’honnête homme, il l’a déclassé, humilié, vaincu. Il l’a livré aux sarcasmes de l’arriviste bien pansu, il en a fait un objet de risée. L’économisme a agi de même avec la révolutionnaire authentique, avec l’intellectuel désintéressé, il a pointé un doigt railleur sur la pensée, sur les idées, et déclaré l’une et les autres actes honteux et inutiles. D’où le "choséisme" effarant de nos conceptions,
notre étroit concrétisme, la myopie de nos vues.
Notre culture? Elle consiste en quelques misérables scénarios de films où les sempiternels personnages du fou (la conscience populaire), de l’imam (la réaction) et du propriétaire (la bourgeoisie compradore) se disputent la palme du grotesque et du simplisme "engagé", quelques cheikhs de la musique trônant avec toute la majesté de leur "djahl" sur un domaine ouvert à des ouailles mi-artistes, mi-voyous, en trois ou quatre romanciers insipides et arrogants qui ont un pied dans les petites "affaires" et un autre dans la harangue télévisée…Nos beaux-arts? Voyez un peu ces minables statues dans quelques-uns de nos jardins publics, au "Padovani" ou au souk al-fellah de Chéraga par exemple, voyez cette monumentale et innommable crotte juchée en face du Mazafran comme pour offenser les cieux, voyez ces hideuses peintures sur panneaux un peu partout dans la capitale… Qui donc est derrière cette prostitution de l’art? Qui nous inflige avec tant de générosité ce "réalisme socialiste"? Qui est à l’origine de la baptisation des villages agricoles "Guaâdat at-tarfas" (intraduisible),
"Fartassa" (chauve), "Magoûra" (trouée), et j’en oublie…
Notre économie? Elle ne repose pas sur la sueur, sur le travail, sur la production de richesses, mais sur le troc d’une "rahma" du Ciel ou du hasard, comme bon vous semble. Nous vivons en rentiers de nos sols et sous-sol. Nous sommes pour si peu dans notre survie que nous aurions mille et une fois crevé si nous n’avions compté pour vivre comme nous le faisons que sur ce que nous produisons réellement. Mais, insolents et pleins de gloriole, nous ne voulons pas qu’on le sache. Nous nous le disons bien entre nous mais il ne faut pas l’admettre, le reconnaître: par "principe"!Pour davantage nous leurrer nous remercions à tout de champ les "oummal", hurlons à la réaction ou à l’impérialisme dès que ça ne tourne pas rond, après quoi nous nous retrouvons Gros-jean comme devant face à nos éternels problèmes. C’est que les slogans, tout comme Dieu, " ne transforme (nt) rien à l’état d’un peuple tant que celui-ci n’a pas transformé son âme" (Coran). Et "production et productivité", "bataille de la production", "bataille de la gestion", etc, ne sont rien d’autre que des slogans, des litanies qui n’élèveront jamais la courbe de notre croissance, tout au contraire. Ouvrons ici une petite parenthèse : il est pour le moins curieux que nous ne voyons jamais les choses que sous un angle belliqueux, belliciste, que tout se présente à notre esprit sous forme de mêlée, d’échauffourée, de bataille,
donc de confusion, de désordre, de kahlouta…
Le "génie du peuple"…Trêve! Trente-six articles, cent discours sur la place publique, mille sermons télévisés de Ali Chentir sur Bliss, un million de banderoles au-dessus de nos artères ne changeraient rien à rien. Ce qu’il fallait, c’était des décisions, des mesures, des actes! Que soient louées les instances dirigeants, et à leur tête le Président de la république, pour avoir pris celles-ci. "Rien n’est assez désastreux pour que la destinée ne puisse en faire un bien" disait Goethe.Quelle joie, quel bonheur, quelle satisfaction! Nous étions donc capables de traverser au passage clouté, de respecter une chaine (je veux dire de l’observer car on aurait voulu que jamais on n’en connût), de nettoyer nos rues, de céder une priorité, de ne pas cracher rageusement notre chique à l’émoi des passants… Nous pouvions donc sans risque de mourir nous conduire en gens sensés, nous conformer aux règles universelles de la vie en société, circuler dans la rue Ben Mhidi à quinze heures sans redouter une agression armée, aller au cinéma et suivre paisiblement son film…Inouï! Pendant dix-sept ans nous pouvions vivre ainsi, la paix civile était si près de nos moyens - nous ne nous sommes pas ruinés aujourd’hui à l’établir - et pourtant nous vivions un véritable enfer, l’enfer de ceux qui doivent gagner laborieusement leur vie d’honnêtes gens, l’enfer de ceux qui doivent emprunter les transports publics, l’enfer de ceux qui sont contraints de faire toutes les chaînes du monde pour ne pas crever, l’enfer de ceux qui envoient travailler leur fille ou leur épouse pour boucler le mois. L’agent de l’ordre dans la rue ne nous a jamais paru aussi sympathique, aussi bien mis dans sa tenue, aussi vigilant. Il ne nous a jamais semblé aussi propre, aussi vigoureux, aussi propre, aussi imbu de son rôle social. L’état désormais est là, sous nos yeux, fort, actif, soucieux du bien du citoyen.Et foin de ceux, ici ou à l’étranger, qui raillent, qui persiflent, qui tournent en dérision. Certains se sont déjà manifestés, d’autres guettent l’occasion, attendent patiemment le détail qui libérera leur hargne, leur venin, leur rage. Ils nous parleront à coup sûr de respect des libertés, de répression, de fascisme, d’intégrisme… Mais nous les connaissons assez maintenant pour les avoir eus maintes fois sur le paletot. Ils sont ceux-là qui veulent nous faire croire que le "génie des peuples" c’est l’état dans lequel nous étions avant le déclenchement de la lutte contre les fléaux sociaux, ils sont ceux-là qui ne veulent à aucun prix de l’Algérien du 1er novembre, un homme inébranlable,
intransigeant, moral, sérieux, fraternel, désintéressé…
Cet homme leur a fait du mal, il a déplacé des montagnes, il a donné ses biens et sa vie, il a soulevé l’admiration du monde, il a incarné l’idéal du Héros. Après l’indépendance cet homme, avant d’être déçu, écœuré par le comportement de certains de ses chefs, a encore donné la mesure de son amour pour sa patrie, pour un socialisme authentique, pour une justice intégrale. Cet Algérien qui a fait la gloire de notre pays par ses valeurs morales principalement, on ne veut pas de lui. Il est dangereux, il ne permet aucun laisser-aller, ne ferme les yeux sur nulle magouille. Quand il est pris par l’idéal du bien, quand il n’entend plus que la voix du devoir, il va jusqu’au bout : d’une guerre contre l’ennemi, d’une lutte contre soi-même, ou pour triomphe du sous développement. "Ô heureux le peuple dont l’âme a frémi et qui s’est recréé lui-même avec sa propre argile! Pour les anges qui portent le trône de Dieu,
c’est un matin de fête que le moment où un peuples se réveille" (Iqbal)

(« El-Moudjahid »» du 8 octobre 1979)

zadhand
09/06/2016, 17h01
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NOUREDDINE BOUKROUH

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Une fausse nation

09 Juin 2016


Ayant été mal faite, l’Algérie est appelée à être refaite.
On ne sait quand ni à quel prix, mais presque tout devra
être refait un jour. Surtout dans la tête, l’esprit,
les idées des Algériens car c’est là que
les plus grands dégâts ont été Suite...

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zadhand
16/06/2016, 21h28
Une vraie nation


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NOUREDDINE BOUKROUH






L’impact produit par ma contribution intitulée
«Une fausse nation» parue la semaine dernière
ici m’a surpris par son ampleur mesurable,
notamment, au nombre de lectures, de partages
et de commentaires sur ma page Facebook.
Parmi eux, beaucoup m’ont reproché mon


Suite... (http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2016/06/16/article.php?sid=197893&cid=41)

zadhand
24/06/2016, 02h03
L’esprit d’une nation


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NOUREDDINE BOUKROUH






Des penseurs reconnus ont donné des définitions célèbres de la nation comme Renan qui l’a résumée dans le
«désir de vivre ensemble» qui a bénéficié longtemps de la faveur universelle avant qu’un de ses compatriotes,
Régis Debray, ne la tempère

Suite... (http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2016/06/23/article.php?sid=198226&cid=41)

zadhand
26/06/2016, 22h16
La mauvaise leçon anglaise


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NOUREDDINE BOUKROUH











Lorsque Zbigniew Brzezinski qualifiait dans son fameux livre
Le grand échiquier : l’Amérique et le reste du monde
la Grande-Bretagne d’«acteur géostratégique à la retraite»,
il ne croyait pas si bien dire. La voilà, après le référendum de
vendredi qui a décidé de sa sortie de l’Union européenne,
qui fait valoir ses droits à retraite après quarante-trois ans
de compagnonnage difficile avec la CEE puis l’UE



Suite... (http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2016/06/26/article.php?sid=198354&cid=41)