zadhand
18/05/2015, 18h45
A LA UNE/INTERNATIONALE
18 Mai 2015
Le Programme Nucléaire Iranien
Téhéran, Washington, Tel-Aviv et les autres
(1re partie)
Par Mostefa Zeghleche
Le jeudi 2 avril 2015, l’information a vite fait le tour de la terre : les négociateurs iraniens à leur tête le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, et ceux du groupe dit des 5+1 (les 5 pays membres du Conseil de sécurité, les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne et la France + l’Allemagne), menés par le secrétaire d’Etat américain aux Affaires étrangères, John Kerry, ont signé un accord-cadre sur le programme nucléaire iranien.
L’accord est qualifié d’étape charnière dans le processus de négociations entamé, en 2003, entre l’Iran et la Grande- Bretagne, l’Allemagne et la France (UE 3) et qui devrait être finalisé à la fin du mois de juin prochain.
Immédiatement la presse mondiale, les politologues et autres analystes entament leur processus de lecture-évaluation-perspective. Et après ? s’interroge l’opinion publique internationale. En effet, de ce nouvel accord, un autre l’ayant précédé en novembre 2013, ce qui a été révélé est intéressant, mais ce qui pourrait en découler à l’avenir l’est encore davantage.
A l’évidence, le programme nucléaire iranien qui préoccupe tant les pays occidentaux, Israël et les pays arabes voisins de l’Iran n’est pas issu du néant et ne date pas d’aujourd’hui. Il est le résultat d’un long processus d’édification initié par le chah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, en 1957.
Ce sont les Etats-Unis (EU), actuel leader de l’opposition occidentale au programme nucléaire iranien, qui ont été le partenaire principal de l’Iran dans ce domaine. A l’époque, l’Iran impérial était un allié fidèle et riche des EU, ceux-là mêmes, dont les services secrets (CIA) venaient de renverser, en 1953, avec l’aide des services britanniques, Mohammad Mossadegh, le premier chef de gouvernement iranien démocratiquement élu. Son tort ? Avoir tenté de mettre en œuvre des réformes politiques, économiques et sociales, cherché à récupérer les richesses pétrolières du pays au profit du peuple iranien en nationalisant l’anglo-persian Oil Company (APOC) et tenu tête au chah dont le régime était intimement lié aux intérêts occidentaux.
Une fois rassuré par les Anglo-Américains de sa pérennité à la tête du pays, le chah lance alors un ambitieux programme nucléaire devant permettre au pays d’acquérir une certaine autonomie du pétrole, lui assurer l’entrée en devises nécessaires à son économie nationale et servir de catalyseur à l’industrie pétrochimique. C’est en 1957 qu’a été signé le premier accord de coopération nucléaire civil avec les EU dans le cadre du programme «Atom for Peace» lancé par le président Eisenhower en 1953. Le programme iranien réactualisé dans les années 1970 visait la production de 23 000 mégawatts (près de 23 centrales nucléaires) à l’horizon 2000. En 1959, l’Iran adhère à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et crée le Centre de recherche nucléaire de Téhéran, sous l’égide de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran. Le centre disposait d’un réacteur américain de 5 mégawatts, opérationnel à partir de 1967. En 1968, l’Iran signe le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et le ratifie en 1970. Comme on peut le constater, à cette époque, l’option nucléaire civile de l’Iran n’est l’objet d’aucune préoccupation particulière, occidentale ou de l’AIEA. Au contraire, le marché iranien du nucléaire devient de plus en plus attractif pour les «vendeurs» de matériaux et d’équipements nucléaires en tous genres, tant européens, qu’asiatiques et d’Amérique latine. Les partenaires furent à la fois allemands (Siemens AG), français (Areva), argentins, chinois et russes. Mais le programme a connu une autre trajectoire depuis la révolution populaire qui renversa le régime impérial et pro-occidental des Pahlavi en février 1979 et ouvrit la voie au régime clérical des mollahs, la République islamique d’Iran.
Tout comme elle a complètement bouleversé le paysage politique interne, la révolution iranienne a refaçonné les relations extérieures du pays tant régionales qu’internationales. Mais ce fut par les relations avec l’ancien puissant allié américain que la politique extérieure iranienne s’est singularisée. Avant le coup d’Etat de 1953, les Etats-Unis avaient soutenu de nombreuses causes de libération nationale dans le Tiers-Monde, y compris de l’Algérie, s’étant eux-mêmes affranchis, par la lutte armée, de l’ancienne tutelle britannique. De ce fait, l’Amérique était perçue avec une certaine sympathie en Iran. Mais depuis 1953 et bien plus depuis 1979, l’Amérique était devenue le «Grand Satan» pour les Iraniens et l’Iran un membre de «l’Axe du Mal», si cher à George Bush. La prise d’otages américains (pendant 444 jours) par des étudiants iraniens, dans la foulée de la Révolution et de la mise à sac de l’ambassade américaine, a constitué le point de départ d’une animosité réciproque comme on en voit peu entre deux Etats, aujourd’hui. Dans ce contexte, le secteur névralgique de l’énergie ne pouvait échapper à la «guerre politique» que se livrent directement ou par procuration les deux pays. Le nucléaire en est une manifestation patente qui dure à ce jour.
Rappelons qu’au lendemain de la Révolution, l’ayatollah Khomeiny avait décidé de geler le programme. Durant la guerre contre l’Irak (1980-1988), le réacteur nucléaire de Bouchehr a été bombardé à 6 reprises et détruit. A partir de 1985, le gouvernement iranien exprime son désir de poursuivre le programme initié par le chah et, pour ce faire, sollicite l’AIEA pour «contribuer à la formation d’une expertise locale et de la main-d’œuvre nécessaire afin de soutenir un ambitieux programme dans le champ de la technologie des réacteurs nucléaires et du cycle du combustible»(1). Cette assistance est effectivement accordée à l’Iran, mais sera arrêtée en raison de l’interférence et de l’opposition américaines. En effet, l’Administration américaine a pesé de tout son poids pour dissuader les partenaires du projet à poursuivre leur coopération avec l’Iran. Tour à tour, les gouvernements allemand, français, argentin, et d’autres ont soit mis fin, soit réduit au minimum leur coopération nucléaire avec l’Iran. Dans ce lot, seules la Russie et la Chine ont poursuivi une certaine activité de coopération nucléaire avec l’Iran. La première a repris la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr, en 1995, et la seconde a vendu à ce pays, en 1996, une usine d’enrichissement de l’uranium.
L’ère de la suspicion : c’est la révélation, en août 2002, par un opposant iranien en exil aux Etats-Unis, Alireza Jafarzadeh, journaliste, Foreign Affairs Analyst de la chaîne FOX News, de l’existence de deux sites nucléaires iraniens «non déclarés» à l’AIEA, qui a déclenché le processus de suspicion-accusations-pressions internationales contre l’Iran. Il s’agissait de la centrale d’enrichissement de l’uranium de Natanz et de celle d’Arak destinée au traitement de l’eau lourde. En réalité, les experts indiquent que conformément aux garde-fous ou «safeguards» en vigueur, l’Iran, signataire du TNP, n’était tenu de déclarer ces sites et, éventuellement, n’ouvrir les portes à l’inspection de l’AIEA que six mois avant que le matériau radioactif ne soit introduit. Or, ce n’était vraisemblablement pas le cas, le processus n’ayant pas atteint ce stade. Ce qui rendait les accusations de dissimulation et de non-respect du TNP infondées, voire politiquement orientées. L’Iran, accusé depuis de cacher un programme militaire visant à fabriquer la bombe atomique, devient l’objet de toute une panoplie de sanctions économiques civiles et militaires américaines, européennes et de l’ONU.
En 2003, commence un cycle de discussions-négociations avec la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne.
A l’époque Hassan Rohani, qui assurait la présidence de la délégation iranienne, avait influencé le cours des négociations qui aboutirent, le 24 novembre, à l’annonce de la suspension volontaire du programme d’enrichissement. Signalons que l’uranium enrichi à 3,5% seulement pourrait être utilisé, à une quantité donnée (centrifugeuses), à la fabrication de la bombe atomique.
Mais l’élection, en août 2005, du conservateur Mahmoud Ahmadinedjad à la présidence de la République allait remettre en cause le processus entamé. Le 10 août, le gouvernement d’Ahmadinedjad annonce la reprise de l’enrichissement de l’uranium ouvrant ainsi la voie à l’Union européenne pour presser l’AIEA de voter le transfert du dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité de l’ONU. Parmi les 35 membres du Conseil des gouverneurs, 27 avaient voté pour, 3 contre (Venezuela, Syrie et Cuba) et 5 se sont abstenus (dont l’Algérie). Depuis 2006, l’ONU a voté 6 résolutions contre l’Iran imposant de lourdes sanctions sur le transfert technologique sensible et contre des institutions et des personnalités liées de près au programme nucléaire, faisant de l’Iran un paria international.
En guise de réplique, le 11 avril 2006, le président iranien déclarait à Machhad : «J’annonce officiellement que l’Iran a rejoint le groupe des pays qui ont la technologie nucléaire.»
La tension entre l’Iran et les pays occidentaux soutenus par Israël persiste jusqu'à l’élection du modéré Hassan Rohani à la présidence iranienne, en juin 2013. L’événement a ouvert la voie à une nouvelle approche dans le traitement du programme nucléaire iranien par l’Iran et le groupe des 5+1.
Les négociations se tiennent en différents lieux et aboutissent, à Genève, à la signature, le 23 novembre 2013, d’un accord intérimaire. L’accord était le premier du genre. Il aura permis aux Occidentaux de s’assurer d’un premier engagement clair des Iraniens qui ne s’encombrent plus de tabous touchant à la fierté nationale ou au nationalisme perse, en contrepartie d’un retour progressif sur la scène mondiale(2) de leur pays.
Aprement discuté, l’accord soumet l’Iran à des restrictions sans précédent dans son programme nucléaire, notamment l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium à 5%, l’interdiction de créer de nouvelles centrifugeuses, la dilution du stock d’uranium enrichi à plus de 20%, l’interdiction de construction d’usine capable d’extraire du plutonium à partir du combustible usagé et l’ouverture de tous les sites nucléaires à l’inspection internationale. En contrepartie, certaines sanctions sont allégées et aucune nouvelle ne sera prise. De même qu’un montant de 7 milliards $ de sanctions levées et 4,2 milliards $ seront débloqués. Ce qui devrait permettre à l’économie nationale exsangue de sortir du marasme et à la population, lassée, d’espérer une amélioration de son quotidien. Mais la levée partielle des sanctions était conditionnée par le respect par l’Iran de ses engagements.
Les négociations reprennent en vue de la signature d’un nouvel accord, mais bloquent «autour des capacités d’enrichissement et dans la rapidité avec laquelle l’Iran pourrait accéder à l’arme atomique et la transparence sur la possible dimension militaire du programme nucléaire»(3). L’accord de six mois est prolongé de 6 nouveaux mois puis encore jusqu'à la date de signature de l’accord cadre de Lausanne, le 2 avril 2015.
Considéré comme le «premier accord fondamental destiné à empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique», l’accord cadre établit des objectifs clairs pour les deux parties et en définit les moyens et les étapes avant la conclusion de ce qui devrait être un accord final en juin prochain.
L’Iran accepte que la durée de l’accord soit de 15 années, l’enrichissement plafonné à 3,67%, la réduction de 98% de son stock d’uranium et du nombre de centrifugeuses de 19 000 à 6 104 dont seules 5,060 autorisées à fonctionner, l’arrêt de la construction de nouvelles centrales d’enrichissement pendant cette période, la conversion du site souterrain de Fordow de centre d’enrichissement en centre de recherche scientifique civil, l’arrêt de production de plutonium dans le réacteur à eau lourde et enfin l’acceptation d’une surveillance permanente des sites anciens et nouveaux, civils et militaires (Accord additionnel de l’AIEA).
L’objectif pour l’Occident étant de rallonger le «break out» ou temps nécessaire pour produire assez d’uranium pour se doter de «l’arme nucléaire» qui passera de 3 mois actuellement à 1 an pendant 10 ans. En contrepartie, les sanctions seront allégées, mais non supprimées, selon John Kerry. Elles ne le seront qu’après que l’AIEA ait donné son feu vert après des inspections minutieuses prouvant que l’Iran applique tous ses engagements contractuels(4). C’est là un point de divergence profonde entre les deux parties, les Iraniens demandant une levée complète et immédiate de toutes les sanctions, dès la signature de l’accord final. Il constituera un problème délicat à résoudre lors des négociations prochaines. Un accord diversement apprécié : le jour de l’annonce de la signature de l’accord, le 2 avril, le président américain s’est adressé à la presse — intervention diffusée par la télévision iranienne, une première depuis 1979 ! — pour qualifier l’accord d’historique et souligner qu’il n’est pas basé sur la confiance, mais sur un système de contrôle jamais utilisé auparavant. Après avoir averti le Congrès sur les conséquences d’un éventuel blocage du processus en cours et menacé de recourir, si nécessaire, au veto, Obama a interrogé les opposants, surtout républicains au Congrès, si un tel accord «vérifiable» était une option pire que la guerre(5) ? Il ne s’est pas privé de citer le président J. Kennedy déclarant : «Ne négocions jamais sous la crainte, mais ne craignons jamais de négocier.»(6) Obama a tout de suite appelé le roi Salman d’Arabie Saoudite et le Premier ministre israélien pour les rassurer.
Néanmoins, cet accord, aussi important soit-il, demeure un accord-cadre qui ne règle pas la problématique nucléaire mais fixe des paramètres à une action ultérieure, une sorte de feuille de route pour un accord final, «un rayon de lumière sur un Moyen-Orient en pleine désagrégation, un pas en avant pour l’Iran et l’Occident»(7), malgré le scepticisme de certains, dont les Israéliens. Pour les Iraniens, c’est une victoire et Muhammad Javad Zarif a pris le soin de déclarer : «Aucun site nucléaire ne sera fermé,
car le peuple fier d’Iran ne l’aurait accepté.»(8) Histoire de rassurer les conservateurs.
Même si l’Administration américaine semble convaincue que «s’il est finalisé et mis en œuvre (l’accord) privera l’Iran de tous les moyens d’accès aux matériaux nécessaires pour avoir l’arme nucléaire et donnera à la communauté internationale la confiance dont elle a besoin pour être certaine que le programme atomique de l’Iran est uniquement pacifique»(9), l’accord du 2 avril n’a pas engendré que des satisfaits. Les pro comme les anti se recrutent dans les deux camps et en dehors. Son aboutissement est non seulement le fruit de négociations marathoniennes des délégations, mais surtout la conséquence de l’engagement personnel de personnalités politiques de poids, à savoir le président Barack Obama et son secrétaire d’Etat, John Kerry, et le président Hassan Rohani et son ministre des Affaires étrangères, Muhammad Javad Zarif. Obtenu à l’arraché, l’accord est l’objet d’intenses critiques des républicains et d’Israël. Depuis qu’ils ont acquis la majorité dans les deux Chambres du Congrès en janvier 2015, les républicains, comme les dirigeants israéliens, laissent libre cours à leur haine de l’Iran. Le président de la Chambre des représentants, John A. Boehner, s’est dit «inquiet des efforts du régime iranien à fomenter la déstabilisation augmentant ainsi la violence et la terreur», ajoutant : «Il serait naïf de croire que le régime iranien n’utilisera pas son programme nucléaire et la levée des sanctions pour déstabiliser davantage la région.»(10) Les républicains menacent de rejeter tout «mauvais accord» en refusant la levée des sanctions et de défier le veto présidentiel. Pire, avant cela, le 3 mars 2015, ils ont invité le Premier ministre israélien, l’extrémiste Netanyahou, à fouler aux pieds les usages protocolaires internationaux, en prononçant un discours au Congrès axé sur le rejet de tout accord sur le nucléaire avec l’Iran.
Le président Obama semble avoir trouvé en l’accord de Lausanne une occasion de prouver la constance de la stratégie exprimée avant même son élection : celle de la main tendue aux adversaires de l’Amérique, pour les emmener dans son giron, par la négociation et non la guerre. Il reste le Président qui a sorti son pays des bourbiers afghan et irakien, ouvert les canaux du dialogue avec l’Iran, Cuba, Myanmar et le monde musulman (discours du Caire), entraîné la Chine dans le processus de lutte contre le réchauffement climatique…, au point où certains estiment qu’il vient de mériter son prix Nobel, obtenu un peu tôt, en 2009(11). Mais s’il a échoué, à ce jour, à ramener les leaders sionistes à la table des négociations avec les Palestiniens, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Le lobby juif mondial est, actuellement, plus fort que n’importe quel chef d’Etat dans le monde, même américain. Cependant, pour l’opinion publique arabo-musulmane et surtout palestinienne, le président ne donne pas l’impression d’avoir mis tout le poids de son pays et de ses alliés pour contraindre Tel-Aviv à se conformer à la légalité internationale et négocier avec les Palestiniens. Il a cédé trop tôt et trop facilement aux extrémistes qui dirigent Israël. Et il l’a fait, préférant investir ses efforts là où il pouvait réussir, dans le dossier nucléaire iranien, objet de toutes les polémiques.
A cet égard, on révèle dans le proche entourage d’Obama qu’il a passé plus de temps avec le dossier nucléaire iranien considéré comme une «menace sécuritaire majeure» qu’avec un autre dossier de politique extérieure, à l’exception de l’Afghanistan et le terrorisme. Mais dans un accord, il faut être au moins deux. Dans ce cas, face à Obama, il y a Rohani. Le président Rohani n’est ni un nouveau venu sur la scène politique iranienne ni un néophyte de la question nucléaire de son pays. Fervent partisan de la Révolution et de l’imam Khomeiny, il a combattu très tôt le régime impérial et a été emprisonné. Il a exercé différentes fonctions au sein du leadership iranien dont celui de président du Conseil national de sécurité entre 1989 et 2005, âgé alors d’à peine 40 ans. Proche de l’ayatollah Ali Khamenei, il est aussi connu pour sa modération, son ouverture d’esprit et sa disponibilité au dialogue avec l’Occident pour mettre fin à l’isolement international de son pays. Ce juriste, proche de Hashemi Rafsandjani, avait soutenu les manifestations des modérés du «Mouvement vert», en juin 2009, contre la réélection d’Ahmadinedjad.
C’est aussi un habitué du dossier nucléaire ayant mené la délégation de son pays aux négociations de 2003 à 2005. D’ailleurs c’est durant cette période que l’Iran avait annoncé, pour la première fois, suspendre son programme nucléaire. Mais considérant le système politique iranien actuel, force est de croire que les questions politiques aussi importantes et sensibles que le nucléaire relèvent d’abord et directement du guide suprême de la Révolution, l’imam Khamenei(12).
L’entente actuelle entre les deux leaders et d’autres facteurs comme le poids des sanctions économiques sur le quotidien des Iraniens ont permis à Rohani de faire, à travers son ministre des Affaires étrangères, des concessions à peine concevables auparavant. Son élection avec 50,68% le 15 juin 2013 a marqué le retour au pouvoir du courant politique modéré et du mouvement réformateur dans la société civile qui caresse l’espoir de voir la situation économique s’améliorer par la levée des sanctions dures qui frappent le pays et la question des droits de l’Homme et des libertés connaître de nouvelles perspectives. Mais comme Obama qui doit faire de la «résistance» au Congrès, Rohani doit composer avec un Parlement conservateur largement hostile à tout rapprochement avec l’Occident, notamment les Etats-Unis, et rassurer un environnement sunnite méfiant à l’égard de «l’expansionnisme iranien». C’est pour cela qu’il se veut rassurant avec ses compatriotes lorsqu’il déclare : «Nous ne signerons aucun accord (final) à moins que toutes les sanctions économiques ne soient levées le jour même de l’entrée en vigueur (de l’accord).» Cette dernière pouvant durer des mois, voire une année, Rohani nuance ainsi le délai (point d’achoppement avec les Occidentaux) par rapport à Khamenei qui avait déclaré, au lendemain de la signature de l’accord de Lausanne, que «toutes les sanctions doivent être levées le jour même de la signature de l’accord», ajoutant que «les sites militaires seront interdits aux inspecteurs étrangers (autre exigence occidentale qui sera examinée avant tout accord définitif)»(13). Et pourtant, Javad Zarif prend le soin de rappeler que l’accord «contient une référence claire selon laquelle l’enrichissement va continuer». «C’est notre droit», a-t-il rappelé.
Contrairement à la liesse populaire qui avait envahi les rues des villes iraniennes saluant l’événement comme un jour de libération nationale, la presse conservatrice s’est étalée dans ses critiques de l’accord. Le quotidien conservateur Kahyan a ironisé à ce sujet en écrivant : «Le gagnant-gagnant a fonctionné. Le nucléaire s’en va et les sanctions restent !» Un étudiant conservateur écrit sur Facebook : «Il nous reste des centrifugeuses juste pour faire du jus de carotte !» Même l’opposition en exil y met son grain de sel, à l’image de son chef, Reza Cyrus Pahlavi, le fils du chah, qui déclare : «Le régime cherche à gagner du temps pour faire de sa capacité nucléaire un fait accompli.»(14) Au Parlement où Rohani rencontre la plus sérieuse opposition, le «Mouvement des inquiets», des ultraconservateurs, a repris son travail de sape. Mais tant que Rohani a le soutien du guide suprême, il peut continuer son travail sans crainte. Le guide a opté pour la prudence. Il n’a ni salué ni rejeté l’accord déclarant qu’il est trop tôt pour se prononcer. Mais il a réussi à calmer les ardeurs déstabilisatrices des ultras et Rohani s’attelle, de son côté, à calmer celles des partisans des droits de l’Homme et des libertés politiques. Les réformateurs devront patienter jusqu’aux législatives de 2016 pour espérer conquérir davantage de réformes et de libertés.
L’opposant le plus redoutable à l’accord reste Israël : c’est un secret de Polichinelle d’affirmer qu’Israël dispose de l’arme nucléaire depuis 1954. Cette «réalisation» est le fruit de la coopération avec la France, relayée ensuite par les Etats-Unis. Les dirigeants israéliens ont beau nier cette évidence, il est de notoriété publique que ce pays dispose d’un arsenal d’au moins 200 têtes nucléaires(15). De plus, Israël est l’un des pays, avec l’Inde et le Pakistan, à posséder l’arme nucléaire sans être signataire du TNP, traité datant de 1968, entré en vigueur le 5 mars 1970.
La Corée du Nord l’a quitté le 10 janvier 2003. Donc, les dispositions du TNP ne peuvent s’imposer à Israël, notamment l’article III qui charge l’AIEA (créée en 1956) de contrôler l’usage pacifique des matières nucléaires.
M. Z.
(A suivre)
Bibliographie/ Web graphie
1-nucléaire civil iranien.
2- «An imperfect nuclear deal will help keep an uneasy peace» contribution par R. Nicholas Burns, ancien sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères (2005-2008), professeur au Harvard’s Kennedy School in Financial Times du 4 avril 2015.
3- «Négociations finales sur le nucléaire iranien à l’ONU» par Yves-Michel Riols in Le Monde du 19.09.2014.
4- «Enrichment, sanctions and inspections: a breakdown of the accord» par Geoffrey Dyer in Financial Times du 4 avril 2015.
5- «Obama’s lone furrow on Iran promises to yield high point of presidency» par Geoffrey Dyer in Financial Times du 4 avril 2015.
6-11- «With Iran gamble, Obama faces a moment of truth» par Peter Baker in Financial Times du 4 avril 2015.
7-31- «A good deal with Iran» contribution par William J. Burns, ancien sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères (2011-2014), président du Carnegie Endowment for International Peace, in International New York Times des 4 et 5 avril 2015.
8- «Neuf jours de pourparlers intenses et chaotiques» par Yves-Michel Riols in Le Monde du 4 avril 2015.
9- «Kerry optimiste sur un accord final» in http://fr.news.yahoo.com Déclaration du secrétaire d’Etat à la tribune des Nations unies à l’occasion de la Conférence d’évaluation du TNP en cours à New York, présidée par l’Algérie.
10- «Faut-il avoir peur de l’Iran ? Vue des Etats-Unis, la revue de la presse - La main tendue d’Obama du New York Times» in Courrier International du 9 au 15 avril 2015.
12- «Hassan Rohani : un religieux modéré partisan d’une détente avec l’Occident» par Georges Malbrunnot, publié le 15 juin 2013 in Le Figaro - International (http://www.lefigaro.fr/international).
13- «Ayatollah puts caveats on signing nuclear deal» par Thomas Erdbrink in International New York Times du 10 avril 2015.
14- «Le régime est une source de déstabilisation», de Reza Pahlavi, président du Conseil iranien pour les élections libres, une coalition de partis d’opposition de divers horizons politiques, créée en avril 2003. Déclaration faite au Monde du 7 octobre 2014.
15- «L’evolution du programme nucléaire israélien depuis 1953» in Le Monde du 8 août 2011 Iran : Toute l'actualité sur Le Monde.fr. (http://www.lemonde.fr/iran).
18 Mai 2015
Le Programme Nucléaire Iranien
Téhéran, Washington, Tel-Aviv et les autres
(1re partie)
Par Mostefa Zeghleche
Le jeudi 2 avril 2015, l’information a vite fait le tour de la terre : les négociateurs iraniens à leur tête le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, et ceux du groupe dit des 5+1 (les 5 pays membres du Conseil de sécurité, les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne et la France + l’Allemagne), menés par le secrétaire d’Etat américain aux Affaires étrangères, John Kerry, ont signé un accord-cadre sur le programme nucléaire iranien.
L’accord est qualifié d’étape charnière dans le processus de négociations entamé, en 2003, entre l’Iran et la Grande- Bretagne, l’Allemagne et la France (UE 3) et qui devrait être finalisé à la fin du mois de juin prochain.
Immédiatement la presse mondiale, les politologues et autres analystes entament leur processus de lecture-évaluation-perspective. Et après ? s’interroge l’opinion publique internationale. En effet, de ce nouvel accord, un autre l’ayant précédé en novembre 2013, ce qui a été révélé est intéressant, mais ce qui pourrait en découler à l’avenir l’est encore davantage.
A l’évidence, le programme nucléaire iranien qui préoccupe tant les pays occidentaux, Israël et les pays arabes voisins de l’Iran n’est pas issu du néant et ne date pas d’aujourd’hui. Il est le résultat d’un long processus d’édification initié par le chah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, en 1957.
Ce sont les Etats-Unis (EU), actuel leader de l’opposition occidentale au programme nucléaire iranien, qui ont été le partenaire principal de l’Iran dans ce domaine. A l’époque, l’Iran impérial était un allié fidèle et riche des EU, ceux-là mêmes, dont les services secrets (CIA) venaient de renverser, en 1953, avec l’aide des services britanniques, Mohammad Mossadegh, le premier chef de gouvernement iranien démocratiquement élu. Son tort ? Avoir tenté de mettre en œuvre des réformes politiques, économiques et sociales, cherché à récupérer les richesses pétrolières du pays au profit du peuple iranien en nationalisant l’anglo-persian Oil Company (APOC) et tenu tête au chah dont le régime était intimement lié aux intérêts occidentaux.
Une fois rassuré par les Anglo-Américains de sa pérennité à la tête du pays, le chah lance alors un ambitieux programme nucléaire devant permettre au pays d’acquérir une certaine autonomie du pétrole, lui assurer l’entrée en devises nécessaires à son économie nationale et servir de catalyseur à l’industrie pétrochimique. C’est en 1957 qu’a été signé le premier accord de coopération nucléaire civil avec les EU dans le cadre du programme «Atom for Peace» lancé par le président Eisenhower en 1953. Le programme iranien réactualisé dans les années 1970 visait la production de 23 000 mégawatts (près de 23 centrales nucléaires) à l’horizon 2000. En 1959, l’Iran adhère à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et crée le Centre de recherche nucléaire de Téhéran, sous l’égide de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran. Le centre disposait d’un réacteur américain de 5 mégawatts, opérationnel à partir de 1967. En 1968, l’Iran signe le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et le ratifie en 1970. Comme on peut le constater, à cette époque, l’option nucléaire civile de l’Iran n’est l’objet d’aucune préoccupation particulière, occidentale ou de l’AIEA. Au contraire, le marché iranien du nucléaire devient de plus en plus attractif pour les «vendeurs» de matériaux et d’équipements nucléaires en tous genres, tant européens, qu’asiatiques et d’Amérique latine. Les partenaires furent à la fois allemands (Siemens AG), français (Areva), argentins, chinois et russes. Mais le programme a connu une autre trajectoire depuis la révolution populaire qui renversa le régime impérial et pro-occidental des Pahlavi en février 1979 et ouvrit la voie au régime clérical des mollahs, la République islamique d’Iran.
Tout comme elle a complètement bouleversé le paysage politique interne, la révolution iranienne a refaçonné les relations extérieures du pays tant régionales qu’internationales. Mais ce fut par les relations avec l’ancien puissant allié américain que la politique extérieure iranienne s’est singularisée. Avant le coup d’Etat de 1953, les Etats-Unis avaient soutenu de nombreuses causes de libération nationale dans le Tiers-Monde, y compris de l’Algérie, s’étant eux-mêmes affranchis, par la lutte armée, de l’ancienne tutelle britannique. De ce fait, l’Amérique était perçue avec une certaine sympathie en Iran. Mais depuis 1953 et bien plus depuis 1979, l’Amérique était devenue le «Grand Satan» pour les Iraniens et l’Iran un membre de «l’Axe du Mal», si cher à George Bush. La prise d’otages américains (pendant 444 jours) par des étudiants iraniens, dans la foulée de la Révolution et de la mise à sac de l’ambassade américaine, a constitué le point de départ d’une animosité réciproque comme on en voit peu entre deux Etats, aujourd’hui. Dans ce contexte, le secteur névralgique de l’énergie ne pouvait échapper à la «guerre politique» que se livrent directement ou par procuration les deux pays. Le nucléaire en est une manifestation patente qui dure à ce jour.
Rappelons qu’au lendemain de la Révolution, l’ayatollah Khomeiny avait décidé de geler le programme. Durant la guerre contre l’Irak (1980-1988), le réacteur nucléaire de Bouchehr a été bombardé à 6 reprises et détruit. A partir de 1985, le gouvernement iranien exprime son désir de poursuivre le programme initié par le chah et, pour ce faire, sollicite l’AIEA pour «contribuer à la formation d’une expertise locale et de la main-d’œuvre nécessaire afin de soutenir un ambitieux programme dans le champ de la technologie des réacteurs nucléaires et du cycle du combustible»(1). Cette assistance est effectivement accordée à l’Iran, mais sera arrêtée en raison de l’interférence et de l’opposition américaines. En effet, l’Administration américaine a pesé de tout son poids pour dissuader les partenaires du projet à poursuivre leur coopération avec l’Iran. Tour à tour, les gouvernements allemand, français, argentin, et d’autres ont soit mis fin, soit réduit au minimum leur coopération nucléaire avec l’Iran. Dans ce lot, seules la Russie et la Chine ont poursuivi une certaine activité de coopération nucléaire avec l’Iran. La première a repris la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr, en 1995, et la seconde a vendu à ce pays, en 1996, une usine d’enrichissement de l’uranium.
L’ère de la suspicion : c’est la révélation, en août 2002, par un opposant iranien en exil aux Etats-Unis, Alireza Jafarzadeh, journaliste, Foreign Affairs Analyst de la chaîne FOX News, de l’existence de deux sites nucléaires iraniens «non déclarés» à l’AIEA, qui a déclenché le processus de suspicion-accusations-pressions internationales contre l’Iran. Il s’agissait de la centrale d’enrichissement de l’uranium de Natanz et de celle d’Arak destinée au traitement de l’eau lourde. En réalité, les experts indiquent que conformément aux garde-fous ou «safeguards» en vigueur, l’Iran, signataire du TNP, n’était tenu de déclarer ces sites et, éventuellement, n’ouvrir les portes à l’inspection de l’AIEA que six mois avant que le matériau radioactif ne soit introduit. Or, ce n’était vraisemblablement pas le cas, le processus n’ayant pas atteint ce stade. Ce qui rendait les accusations de dissimulation et de non-respect du TNP infondées, voire politiquement orientées. L’Iran, accusé depuis de cacher un programme militaire visant à fabriquer la bombe atomique, devient l’objet de toute une panoplie de sanctions économiques civiles et militaires américaines, européennes et de l’ONU.
En 2003, commence un cycle de discussions-négociations avec la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne.
A l’époque Hassan Rohani, qui assurait la présidence de la délégation iranienne, avait influencé le cours des négociations qui aboutirent, le 24 novembre, à l’annonce de la suspension volontaire du programme d’enrichissement. Signalons que l’uranium enrichi à 3,5% seulement pourrait être utilisé, à une quantité donnée (centrifugeuses), à la fabrication de la bombe atomique.
Mais l’élection, en août 2005, du conservateur Mahmoud Ahmadinedjad à la présidence de la République allait remettre en cause le processus entamé. Le 10 août, le gouvernement d’Ahmadinedjad annonce la reprise de l’enrichissement de l’uranium ouvrant ainsi la voie à l’Union européenne pour presser l’AIEA de voter le transfert du dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité de l’ONU. Parmi les 35 membres du Conseil des gouverneurs, 27 avaient voté pour, 3 contre (Venezuela, Syrie et Cuba) et 5 se sont abstenus (dont l’Algérie). Depuis 2006, l’ONU a voté 6 résolutions contre l’Iran imposant de lourdes sanctions sur le transfert technologique sensible et contre des institutions et des personnalités liées de près au programme nucléaire, faisant de l’Iran un paria international.
En guise de réplique, le 11 avril 2006, le président iranien déclarait à Machhad : «J’annonce officiellement que l’Iran a rejoint le groupe des pays qui ont la technologie nucléaire.»
La tension entre l’Iran et les pays occidentaux soutenus par Israël persiste jusqu'à l’élection du modéré Hassan Rohani à la présidence iranienne, en juin 2013. L’événement a ouvert la voie à une nouvelle approche dans le traitement du programme nucléaire iranien par l’Iran et le groupe des 5+1.
Les négociations se tiennent en différents lieux et aboutissent, à Genève, à la signature, le 23 novembre 2013, d’un accord intérimaire. L’accord était le premier du genre. Il aura permis aux Occidentaux de s’assurer d’un premier engagement clair des Iraniens qui ne s’encombrent plus de tabous touchant à la fierté nationale ou au nationalisme perse, en contrepartie d’un retour progressif sur la scène mondiale(2) de leur pays.
Aprement discuté, l’accord soumet l’Iran à des restrictions sans précédent dans son programme nucléaire, notamment l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium à 5%, l’interdiction de créer de nouvelles centrifugeuses, la dilution du stock d’uranium enrichi à plus de 20%, l’interdiction de construction d’usine capable d’extraire du plutonium à partir du combustible usagé et l’ouverture de tous les sites nucléaires à l’inspection internationale. En contrepartie, certaines sanctions sont allégées et aucune nouvelle ne sera prise. De même qu’un montant de 7 milliards $ de sanctions levées et 4,2 milliards $ seront débloqués. Ce qui devrait permettre à l’économie nationale exsangue de sortir du marasme et à la population, lassée, d’espérer une amélioration de son quotidien. Mais la levée partielle des sanctions était conditionnée par le respect par l’Iran de ses engagements.
Les négociations reprennent en vue de la signature d’un nouvel accord, mais bloquent «autour des capacités d’enrichissement et dans la rapidité avec laquelle l’Iran pourrait accéder à l’arme atomique et la transparence sur la possible dimension militaire du programme nucléaire»(3). L’accord de six mois est prolongé de 6 nouveaux mois puis encore jusqu'à la date de signature de l’accord cadre de Lausanne, le 2 avril 2015.
Considéré comme le «premier accord fondamental destiné à empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique», l’accord cadre établit des objectifs clairs pour les deux parties et en définit les moyens et les étapes avant la conclusion de ce qui devrait être un accord final en juin prochain.
L’Iran accepte que la durée de l’accord soit de 15 années, l’enrichissement plafonné à 3,67%, la réduction de 98% de son stock d’uranium et du nombre de centrifugeuses de 19 000 à 6 104 dont seules 5,060 autorisées à fonctionner, l’arrêt de la construction de nouvelles centrales d’enrichissement pendant cette période, la conversion du site souterrain de Fordow de centre d’enrichissement en centre de recherche scientifique civil, l’arrêt de production de plutonium dans le réacteur à eau lourde et enfin l’acceptation d’une surveillance permanente des sites anciens et nouveaux, civils et militaires (Accord additionnel de l’AIEA).
L’objectif pour l’Occident étant de rallonger le «break out» ou temps nécessaire pour produire assez d’uranium pour se doter de «l’arme nucléaire» qui passera de 3 mois actuellement à 1 an pendant 10 ans. En contrepartie, les sanctions seront allégées, mais non supprimées, selon John Kerry. Elles ne le seront qu’après que l’AIEA ait donné son feu vert après des inspections minutieuses prouvant que l’Iran applique tous ses engagements contractuels(4). C’est là un point de divergence profonde entre les deux parties, les Iraniens demandant une levée complète et immédiate de toutes les sanctions, dès la signature de l’accord final. Il constituera un problème délicat à résoudre lors des négociations prochaines. Un accord diversement apprécié : le jour de l’annonce de la signature de l’accord, le 2 avril, le président américain s’est adressé à la presse — intervention diffusée par la télévision iranienne, une première depuis 1979 ! — pour qualifier l’accord d’historique et souligner qu’il n’est pas basé sur la confiance, mais sur un système de contrôle jamais utilisé auparavant. Après avoir averti le Congrès sur les conséquences d’un éventuel blocage du processus en cours et menacé de recourir, si nécessaire, au veto, Obama a interrogé les opposants, surtout républicains au Congrès, si un tel accord «vérifiable» était une option pire que la guerre(5) ? Il ne s’est pas privé de citer le président J. Kennedy déclarant : «Ne négocions jamais sous la crainte, mais ne craignons jamais de négocier.»(6) Obama a tout de suite appelé le roi Salman d’Arabie Saoudite et le Premier ministre israélien pour les rassurer.
Néanmoins, cet accord, aussi important soit-il, demeure un accord-cadre qui ne règle pas la problématique nucléaire mais fixe des paramètres à une action ultérieure, une sorte de feuille de route pour un accord final, «un rayon de lumière sur un Moyen-Orient en pleine désagrégation, un pas en avant pour l’Iran et l’Occident»(7), malgré le scepticisme de certains, dont les Israéliens. Pour les Iraniens, c’est une victoire et Muhammad Javad Zarif a pris le soin de déclarer : «Aucun site nucléaire ne sera fermé,
car le peuple fier d’Iran ne l’aurait accepté.»(8) Histoire de rassurer les conservateurs.
Même si l’Administration américaine semble convaincue que «s’il est finalisé et mis en œuvre (l’accord) privera l’Iran de tous les moyens d’accès aux matériaux nécessaires pour avoir l’arme nucléaire et donnera à la communauté internationale la confiance dont elle a besoin pour être certaine que le programme atomique de l’Iran est uniquement pacifique»(9), l’accord du 2 avril n’a pas engendré que des satisfaits. Les pro comme les anti se recrutent dans les deux camps et en dehors. Son aboutissement est non seulement le fruit de négociations marathoniennes des délégations, mais surtout la conséquence de l’engagement personnel de personnalités politiques de poids, à savoir le président Barack Obama et son secrétaire d’Etat, John Kerry, et le président Hassan Rohani et son ministre des Affaires étrangères, Muhammad Javad Zarif. Obtenu à l’arraché, l’accord est l’objet d’intenses critiques des républicains et d’Israël. Depuis qu’ils ont acquis la majorité dans les deux Chambres du Congrès en janvier 2015, les républicains, comme les dirigeants israéliens, laissent libre cours à leur haine de l’Iran. Le président de la Chambre des représentants, John A. Boehner, s’est dit «inquiet des efforts du régime iranien à fomenter la déstabilisation augmentant ainsi la violence et la terreur», ajoutant : «Il serait naïf de croire que le régime iranien n’utilisera pas son programme nucléaire et la levée des sanctions pour déstabiliser davantage la région.»(10) Les républicains menacent de rejeter tout «mauvais accord» en refusant la levée des sanctions et de défier le veto présidentiel. Pire, avant cela, le 3 mars 2015, ils ont invité le Premier ministre israélien, l’extrémiste Netanyahou, à fouler aux pieds les usages protocolaires internationaux, en prononçant un discours au Congrès axé sur le rejet de tout accord sur le nucléaire avec l’Iran.
Le président Obama semble avoir trouvé en l’accord de Lausanne une occasion de prouver la constance de la stratégie exprimée avant même son élection : celle de la main tendue aux adversaires de l’Amérique, pour les emmener dans son giron, par la négociation et non la guerre. Il reste le Président qui a sorti son pays des bourbiers afghan et irakien, ouvert les canaux du dialogue avec l’Iran, Cuba, Myanmar et le monde musulman (discours du Caire), entraîné la Chine dans le processus de lutte contre le réchauffement climatique…, au point où certains estiment qu’il vient de mériter son prix Nobel, obtenu un peu tôt, en 2009(11). Mais s’il a échoué, à ce jour, à ramener les leaders sionistes à la table des négociations avec les Palestiniens, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Le lobby juif mondial est, actuellement, plus fort que n’importe quel chef d’Etat dans le monde, même américain. Cependant, pour l’opinion publique arabo-musulmane et surtout palestinienne, le président ne donne pas l’impression d’avoir mis tout le poids de son pays et de ses alliés pour contraindre Tel-Aviv à se conformer à la légalité internationale et négocier avec les Palestiniens. Il a cédé trop tôt et trop facilement aux extrémistes qui dirigent Israël. Et il l’a fait, préférant investir ses efforts là où il pouvait réussir, dans le dossier nucléaire iranien, objet de toutes les polémiques.
A cet égard, on révèle dans le proche entourage d’Obama qu’il a passé plus de temps avec le dossier nucléaire iranien considéré comme une «menace sécuritaire majeure» qu’avec un autre dossier de politique extérieure, à l’exception de l’Afghanistan et le terrorisme. Mais dans un accord, il faut être au moins deux. Dans ce cas, face à Obama, il y a Rohani. Le président Rohani n’est ni un nouveau venu sur la scène politique iranienne ni un néophyte de la question nucléaire de son pays. Fervent partisan de la Révolution et de l’imam Khomeiny, il a combattu très tôt le régime impérial et a été emprisonné. Il a exercé différentes fonctions au sein du leadership iranien dont celui de président du Conseil national de sécurité entre 1989 et 2005, âgé alors d’à peine 40 ans. Proche de l’ayatollah Ali Khamenei, il est aussi connu pour sa modération, son ouverture d’esprit et sa disponibilité au dialogue avec l’Occident pour mettre fin à l’isolement international de son pays. Ce juriste, proche de Hashemi Rafsandjani, avait soutenu les manifestations des modérés du «Mouvement vert», en juin 2009, contre la réélection d’Ahmadinedjad.
C’est aussi un habitué du dossier nucléaire ayant mené la délégation de son pays aux négociations de 2003 à 2005. D’ailleurs c’est durant cette période que l’Iran avait annoncé, pour la première fois, suspendre son programme nucléaire. Mais considérant le système politique iranien actuel, force est de croire que les questions politiques aussi importantes et sensibles que le nucléaire relèvent d’abord et directement du guide suprême de la Révolution, l’imam Khamenei(12).
L’entente actuelle entre les deux leaders et d’autres facteurs comme le poids des sanctions économiques sur le quotidien des Iraniens ont permis à Rohani de faire, à travers son ministre des Affaires étrangères, des concessions à peine concevables auparavant. Son élection avec 50,68% le 15 juin 2013 a marqué le retour au pouvoir du courant politique modéré et du mouvement réformateur dans la société civile qui caresse l’espoir de voir la situation économique s’améliorer par la levée des sanctions dures qui frappent le pays et la question des droits de l’Homme et des libertés connaître de nouvelles perspectives. Mais comme Obama qui doit faire de la «résistance» au Congrès, Rohani doit composer avec un Parlement conservateur largement hostile à tout rapprochement avec l’Occident, notamment les Etats-Unis, et rassurer un environnement sunnite méfiant à l’égard de «l’expansionnisme iranien». C’est pour cela qu’il se veut rassurant avec ses compatriotes lorsqu’il déclare : «Nous ne signerons aucun accord (final) à moins que toutes les sanctions économiques ne soient levées le jour même de l’entrée en vigueur (de l’accord).» Cette dernière pouvant durer des mois, voire une année, Rohani nuance ainsi le délai (point d’achoppement avec les Occidentaux) par rapport à Khamenei qui avait déclaré, au lendemain de la signature de l’accord de Lausanne, que «toutes les sanctions doivent être levées le jour même de la signature de l’accord», ajoutant que «les sites militaires seront interdits aux inspecteurs étrangers (autre exigence occidentale qui sera examinée avant tout accord définitif)»(13). Et pourtant, Javad Zarif prend le soin de rappeler que l’accord «contient une référence claire selon laquelle l’enrichissement va continuer». «C’est notre droit», a-t-il rappelé.
Contrairement à la liesse populaire qui avait envahi les rues des villes iraniennes saluant l’événement comme un jour de libération nationale, la presse conservatrice s’est étalée dans ses critiques de l’accord. Le quotidien conservateur Kahyan a ironisé à ce sujet en écrivant : «Le gagnant-gagnant a fonctionné. Le nucléaire s’en va et les sanctions restent !» Un étudiant conservateur écrit sur Facebook : «Il nous reste des centrifugeuses juste pour faire du jus de carotte !» Même l’opposition en exil y met son grain de sel, à l’image de son chef, Reza Cyrus Pahlavi, le fils du chah, qui déclare : «Le régime cherche à gagner du temps pour faire de sa capacité nucléaire un fait accompli.»(14) Au Parlement où Rohani rencontre la plus sérieuse opposition, le «Mouvement des inquiets», des ultraconservateurs, a repris son travail de sape. Mais tant que Rohani a le soutien du guide suprême, il peut continuer son travail sans crainte. Le guide a opté pour la prudence. Il n’a ni salué ni rejeté l’accord déclarant qu’il est trop tôt pour se prononcer. Mais il a réussi à calmer les ardeurs déstabilisatrices des ultras et Rohani s’attelle, de son côté, à calmer celles des partisans des droits de l’Homme et des libertés politiques. Les réformateurs devront patienter jusqu’aux législatives de 2016 pour espérer conquérir davantage de réformes et de libertés.
L’opposant le plus redoutable à l’accord reste Israël : c’est un secret de Polichinelle d’affirmer qu’Israël dispose de l’arme nucléaire depuis 1954. Cette «réalisation» est le fruit de la coopération avec la France, relayée ensuite par les Etats-Unis. Les dirigeants israéliens ont beau nier cette évidence, il est de notoriété publique que ce pays dispose d’un arsenal d’au moins 200 têtes nucléaires(15). De plus, Israël est l’un des pays, avec l’Inde et le Pakistan, à posséder l’arme nucléaire sans être signataire du TNP, traité datant de 1968, entré en vigueur le 5 mars 1970.
La Corée du Nord l’a quitté le 10 janvier 2003. Donc, les dispositions du TNP ne peuvent s’imposer à Israël, notamment l’article III qui charge l’AIEA (créée en 1956) de contrôler l’usage pacifique des matières nucléaires.
M. Z.
(A suivre)
Bibliographie/ Web graphie
1-nucléaire civil iranien.
2- «An imperfect nuclear deal will help keep an uneasy peace» contribution par R. Nicholas Burns, ancien sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères (2005-2008), professeur au Harvard’s Kennedy School in Financial Times du 4 avril 2015.
3- «Négociations finales sur le nucléaire iranien à l’ONU» par Yves-Michel Riols in Le Monde du 19.09.2014.
4- «Enrichment, sanctions and inspections: a breakdown of the accord» par Geoffrey Dyer in Financial Times du 4 avril 2015.
5- «Obama’s lone furrow on Iran promises to yield high point of presidency» par Geoffrey Dyer in Financial Times du 4 avril 2015.
6-11- «With Iran gamble, Obama faces a moment of truth» par Peter Baker in Financial Times du 4 avril 2015.
7-31- «A good deal with Iran» contribution par William J. Burns, ancien sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères (2011-2014), président du Carnegie Endowment for International Peace, in International New York Times des 4 et 5 avril 2015.
8- «Neuf jours de pourparlers intenses et chaotiques» par Yves-Michel Riols in Le Monde du 4 avril 2015.
9- «Kerry optimiste sur un accord final» in http://fr.news.yahoo.com Déclaration du secrétaire d’Etat à la tribune des Nations unies à l’occasion de la Conférence d’évaluation du TNP en cours à New York, présidée par l’Algérie.
10- «Faut-il avoir peur de l’Iran ? Vue des Etats-Unis, la revue de la presse - La main tendue d’Obama du New York Times» in Courrier International du 9 au 15 avril 2015.
12- «Hassan Rohani : un religieux modéré partisan d’une détente avec l’Occident» par Georges Malbrunnot, publié le 15 juin 2013 in Le Figaro - International (http://www.lefigaro.fr/international).
13- «Ayatollah puts caveats on signing nuclear deal» par Thomas Erdbrink in International New York Times du 10 avril 2015.
14- «Le régime est une source de déstabilisation», de Reza Pahlavi, président du Conseil iranien pour les élections libres, une coalition de partis d’opposition de divers horizons politiques, créée en avril 2003. Déclaration faite au Monde du 7 octobre 2014.
15- «L’evolution du programme nucléaire israélien depuis 1953» in Le Monde du 8 août 2011 Iran : Toute l'actualité sur Le Monde.fr. (http://www.lemonde.fr/iran).