PDA

Voir la version complète : Le 17 juin 2015, le Maroc basculera à la TNT: Est-on prêt pour le passage?



xalim
11/05/2015, 06h52
Le 17 juin 2015 est une grande date, dont personne ne vous parle. Ce jour-là, la télévision analogique terrestre (celle que vous consommez aujourd’hui quand vous n’êtes pas connecté sur votre récepteur satellite ou votre box ADSL) va cesser d’émettre. Sa remplaçante sera la télévision numérique terrestre (TNT), dont vous connaissez certainement les nouvelles chaînes, Arryadia (sportive), Arrabia (éducative), Assadissa (religieuse), etc.


Le Maroc s’est engagé à éteindre les signaux analogiques terrestres pour basculer vers la TNT. Les fréquences UHF doivent être inopérantes au 17 juin 2015, ce qui concerne 2M et la SNRT pour une partie du territoire. Pour les fréquences VHF, la bascule devra se faire pour le 17 juin 2020 (une partie de la couverture SNRT). Le passage à la TNT devra permettre d’augmenter la qualité de l’image et du son diffusés par les télés nationales, notamment la HD. Cela libère aussi de la frèquence, puisque cette technologie permet de diffuser plusieurs émissions sur un canal, ce qui n’était pas le cas avec la technologie analogique


A moins de quelque jours de l’extinction programmée de la diffusion analogique, le Maroc n’est pas encore prêt pour la grande bascule. En effet, si les diffuseurs de programme n’auront pas de mal à émettre, il n’en est pas de même de l’autre côté de la fréquence: vous!

Une minorité de foyers, à ce jour, possède un boîtier TNT ou un téléviseur adapté. Selon les estimations de l’expert Nawfel Raghay, le taux d’équipement reste bas: entre 6 et 8% des foyers seulement, à comparer aux 90% possédant un téléviseur. Autre chiffre: 88% des foyers équipés en téléviseurs possèdent un récepteur satellite.

D’où la question: à quoi bon s’équiper pour la TNT quand on est déjà équipé en satellitaire. “C’est une question de souveraineté audiovisuelle, nous explique Nawfel Raghay, ancien directeur général de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA). Si la transition vers le numérique n’est pas menée à bien, le mode de consommation terrestre de l’audiovisuel va disparaître. Au bout de quelques années, les citoyens marocains risquent de se déconnecter de l’offre nationale, qui est noyée sur le satellite par la multiplication de chaînes étrangères, dont certaines sont déjà très regardées.” Et de s’interroger; “Qu’adviendrait-il des grands évènements nationaux? Des débats politiques? Des émissions de services public?”

En outre, la question se pose aussi en termes économiques, “même si les chaînes marocaines faisaient le pari du tout satellitaire, elles perdraient la liberté de composer leurs grilles des programmes.” Acheter les droits de retransmission des grandes compétitions sportives et des grands films pour une diffusion nationale est déjà coûteux, les acquérir pour une diffusion satellitaire est hors de portée des opérateurs marocains.

La question technique est primordiale. Depuis 2006, le Maroc s’est engagé dans le cadre de l’Union internationale des télécommunications (UIT) à cesser d’émettre en analogique. Comme tous les pays de sa région. Sur le continent africain, certains pays sont très avancés: notamment en Afrique australe ou à Maurice, par exemple. D’autres sont loin du compte et l’on évoque déjà la possibilité que certains n’honorent pas leur engagement. “Je n’imagine pas un instant de voir le Maroc revenir sur la parole donnée en 2006”, tranche Nawfel Raghay, consultant en audiovisuel qui conseille plusieurs pays d’Afrique de l’ouest sur ces questions de transition numérique.

D’ailleurs, si le royaume continuait d’émettre en mode analogique, il perturberait, de par sa position géographique, les fréquences de nombreux pays qui ne sauraient tolérer un pareil brouillage: Algérie, Espagne (notamment aux Canaries), Portugal, et même le sud de la France. Inenvisageable donc .
La question est de savoir pourquoi les autorités n’ont pas pris à bras-le-corps la question de l’équipement des ménages tout en créant des incitations à basculer vers la TNT. Les expériences des autres pays montrent qu’il faut une volonté politique. Il est possible d’agir sur l’offre en créant des nouvelles chaînes qui intéressent les téléspéctateurs: le Maroc avait entamé ce processus, mais globalement les nouvelles chaînes de la TNT (toutes publiques) n’ont jamais disposé des moyens pour émerger et s’imposer.

L’autre volet de l’action publique consiste à équiper massivement les foyers. Là encore deux leviers sont connus. La fourniture directe (et même à titre gracieux pour les ménages défavorisés) de boîtiers TNT, l’arrêt de la commercialisation des téléviseurs non équipés de tuner TNT. La première option n’a pas encore été arrêtée - ce qui n’exclut pas qu’elle le soit - et même l’interdiction (en 2010) d’importer des téléviseurs non équipés de tuner TNT n’a pas été suivie d’effet sur le marché interieur: les distributeurs ont continué à écouler leur stocks de “vieilles télés” à coup de rabais.

Après avoir annoncé, en 2013, la mise en place d’une commission nationale pour la transition vers la TNT, le ministre de la Communication Mustapha El Khalfi n’a pas beaucoup avancé sur le sujet mais il maintient un optimisme surprenant, que ne semble pas troubler l’approche de la date fatidique du 17 juin prochain. De son côté, la HACA, qui n’entretient pas les meilleures relations de coopération avec le ministère, semble faire le service minimum: le 28 février, la Haute autorité a publié sur son site web deux avis sur la question sans que l’on sache ce que le régulateur propose concrètement, en termes de propositions, pour éviter le pire.