zadhand
19/04/2015, 09h13
19 Avril 2015
IL Y A 35 ANS, LE PRINTEMPS AMAZIGH
Des acquis mais beaucoup reste à faire
Propos recueillis par M. Kebci
Demain sera célébré le 25e anniversaire de ce qui était considéré en haut lieu comme les «événements» de Kabylie. Une dénomination dont ne veulent pas entendre les précurseurs de ce premier soulèvement populaire pacifique de l’Algérie indépendante qui, eux, lui préfèrent l’intitulé de «Printemps amazigh» d’Avril 1980.
Un soulèvement à soubassement identitaire mais qui mettait également en avant l’impératif des libertés démocratiques, du pluralisme, tous les pluralismes, notre pays étant une grande mosaïque culturelle, économique, sociale. Ce que «l’interstice» démocratique de février 1989 a permis et que le pluralisme de façade en vogue, depuis, a «relativement» consacré. Ce qui fait que l’esprit d’Avril 1980 est encore d’actualité 35 ans après comme pour signifier que si des acquis ont été, depuis, engrangés au prix de moult sacrifices dont celui du sang avec le martyre de 126 jeunes froidement assassinés durant le Printemps noir de Kabylie, beaucoup reste à faire.
Un constat que partagent, d’ailleurs, des acteurs de cette épopée, et d’autres militants de la cause qui relèvent l’impératif de poursuivre le combat dans un cadre unitaire et pacifique, en tenant compte des «erreurs» du passé.
Ali Brahimi, détenu d’Avril 1980 : «Au plan historique, en moins d’un siècle d’émergence en tant que telle — depuis le début du vingtième siècle — la cause amazighe a réalisé des acquis symboliques, gigantesques lorsque l’on sait que le déni identitaire et linguistique anti-amazigh date de plusieurs siècles. Avril 1980 a, pour la première fois, établi la détermination du peuple amazigh à vivre l’Histoire, dans, pour et par sa langue et sa culture millénaires. Le choix de la modernité politique et du projet de société républicain et démocratique est naturellement consubstantiel à notre cause et à son parcours. Au plan géostratégique, Avril 1980 a sonné le réveil de la demande identitaire et linguistique amazighe dans tout le sous-continent nord-africain où plus rien ne sera jamais comme avant de Siwa jusqu’aux Canaries et au Sahel. Vu sous l’angle des sacrifices consentis par les militants depuis si longtemps, en particulier la région de la Kabylie trop souvent seule face à un Etat jacobin répressif là où il est censé être national, je pense que les choses avancent trop lentement sachant surtout que les questions de langue et de culture fonctionnent désormais à la vitesse de l’internet. Tous les acquis ont été obtenus grâce aux sacrifices des militants dont certains ont donné leur vie de Amzal Kamel aux jeunes de 2001. C’est une urgence d’officialiser la langue amazighe et de mettre à sa disposition une part conséquente de la rente pétrolière pour rattraper le retard accumulé. C’est une urgence de sauver l’intégrité de l’Algérie par une réorganisation en Etat unitaire régionalisé qui donne sa place à la langue autochtone dans son pays. C’est une exigence urgente pour les élites algériennes arabophones de s’impliquer dans le combat pour l’aboutissement de la légitime revendication amazighe pour ne pas se rendre complice du déni et du temps qui veulent la vouer à la disparition. Pour paraphraser Kamel Daoud, il est urgent pour le prisonnier qui a perdu sa liberté et sa langue de joindre ses efforts à ceux de son frère de détention qui a pu sauvegarder au moins sa langue. Qu’on ne vienne pas pleurnicher après sur les suites de l’Histoire qui ne peut être éternellement figée. C’est une urgence pour tous les Algériens d’éradiquer un système politique prédateur de leurs richesses et castrateur de leur identité et de leur langue.»
Abbout Arezki, détenu d’Avril 1980 : «Il y a des hauts et des bas. Il y a certes des avancées mais beaucoup reste à faire. Nous estimons que tamazight n’a toujours pas la place qui devait être la sienne. Sur le plan de l’enseignement de la langue par exemple, elle n’a toujours pas le caractère obligatoire et n’est toujours pas généralisée sur l’ensemble du territoire national. Elle n’a toujours pas le caractère officiel dans la Constitution du pays.
Je pense que le combat se doit d’être poursuivi toujours de manière pacifique et plus soutenu en tenant compte des réalités nationales et internationales et avec l’appui de tout un chacun. Ceci pour que tamazight soit acceptée de tous et aquière sa place naturelle. »
Hakim Saheb, enseignant à l’Université de Tizi-Ouzou et militant de la cause amazighe : «Ce que je peux dire, c’est que le 20 Avril 1980 constitue un jalon essentiel du combat pacifique pour la réhabilitation de l’identité algérienne et des luttes citoyennes de la génération post-indépendance pour la démocratie et l’affirmation du pluralisme politique, syndical, culturel et la promotion des droits de l’Homme et leur intégration dans la vie institutionnelle. Le 20 Avril 1980 est aussi important aussi bien de par son contenu que par la manière avec laquelle a été mené le combat. Déchirée par les affrontements claniques, la vie publique était, jusque-là, dominée par la violence et l’arbitraire. Malgré ce contexte, la génération d’Avril 1980 s’est refusée toute forme de violence en initiant, pour la première fois et de façon publique et pacifique, des luttes sur des questions sociétales. Je pense que l’Histoire retiendra cette date comme un acte de naissance d’une nouvelle culture politique et d’une démarche de rupture avec la pensée unique et ses avatars qui avaient soumis la société et humilié la nation et a pu briser le glas de la dictature.
Plus que cela, le 20 Avril 1980 doit être pour tous une espérance au-delà du fait qu’il a permis au peuple algérien de redécouvrir le substrat culturel amazigh, nous devrions aujourd’hui, le promouvoir comme un levier du renouveau politique, économique et social avec ses incidences sur la reconfiguration géopolitique nord-africaine. J’ose espérer que cette date soit reconnue officiellement et conçue par l’ensemble des démocrates comme un lieu de ressourcement et un moment privilégié pour la solidarité de tous ceux qui se battent et veulent restituer la nation algérienne au seul arbitre du citoyen.»
Brahim Tazaghart, militant de la cause amazighe : «Le 20 Avril 1980 a permis au mouvement amazigh de clarifier sa revendication comme exigence de reconnaissance constitutionnelle et institutionnelle de tamazight dans le cadre de la construction démocratique de la nation algérienne et a permis à la revendication de sortir de la clandestinité pour prendre un caractère public et populaire en rupture avec la tradition groupusculaire antérieure.
Le 20 avril 2015 doit consacrer la refondation démocratique et pacifique de la nation à travers la reconnaissnace du caractère de langue officielle pour tamazight. Il doit être le moment propice pour lancer tous les débats démocratiques autour de la politique culturelle nationale inclusive de toutes les dimensions de notre personnalité ainsi que le débat autour de la politique linguistique et éducative qui permettront les conditions objectives du développement du pays.»
Djamal Ikhloufi, militant de la cause amazighe : «Etant d’une génération charnière et intermédiaire, mon regard sera distancié sur les événements vécus par toute une génération de militants du 20 Avril 1980. Étant collégien, sans comprendre vraiment les enjeux, je répondais toujours présent aux appels du MCB. J’ai vécu, ainsi, avec toutes les querelles internes qu’avait connues le MCB dans les années 1990. C’était un contexte autre que celui des années 1980.Si le Mouvement qui portait la revendication culturelle berbère semble confus en ces moments, cela est dû principalement à sa composition hétérogène, à son attachement aux discours faisant appel à toutes les formes de légitimité et enfin aux conditions particulières de sa naissance. Comme beaucoup, je suis inquiet face à l’évolution des choses depuis que des forces mystérieuse, animées par des objectifs inavoués, se précipitent dans les abîmes de la pensée zéro. Une revendication du passé demeure toujours comme un repère de luttes pour la génération présente que celle à venir pour la reprise du flambeau. La revendication amazighe demeure toujours réelle pour avoir prouvé ses capacités de rassemblement et son profond ancrage au sein de la société passée et présente.
Pour ce qu’il évoque dans la mémoire collective, le 20 Avril 1980 est de ces lieux et dates qui resteront gravés à jamais dans l’histoire de l'Algérie et des Imazighens. Nous devons rendre hommage à nos aînés qui ont, avec leur courage, pu l’inscrire comme l’un de ces repères indélébiles de la mémoire kabyle et de tous les Amazighs.
Les acquis sont aujourd’hui palpables à l’exemple de l’introduction de tamazight dans le système éducatif et le caractère national de notre langue. Le plus grave est que ces acquis se sont arrachés après maints sacrifices et je remarque un reniement de l’Etat aux engagements pris concernant notre identité amazighe. Reste, aujourd’hui, son officialisation ; c'est ce que nous exigeons et dans l’immédiat. Cela dit, l’officialisation doit être accompagnée d’une volonté réelle de l’administration qui doit mettre en place des outils réels et des institutions pérennes.»
M. K.
IL Y A 35 ANS, LE PRINTEMPS AMAZIGH
Des acquis mais beaucoup reste à faire
Propos recueillis par M. Kebci
Demain sera célébré le 25e anniversaire de ce qui était considéré en haut lieu comme les «événements» de Kabylie. Une dénomination dont ne veulent pas entendre les précurseurs de ce premier soulèvement populaire pacifique de l’Algérie indépendante qui, eux, lui préfèrent l’intitulé de «Printemps amazigh» d’Avril 1980.
Un soulèvement à soubassement identitaire mais qui mettait également en avant l’impératif des libertés démocratiques, du pluralisme, tous les pluralismes, notre pays étant une grande mosaïque culturelle, économique, sociale. Ce que «l’interstice» démocratique de février 1989 a permis et que le pluralisme de façade en vogue, depuis, a «relativement» consacré. Ce qui fait que l’esprit d’Avril 1980 est encore d’actualité 35 ans après comme pour signifier que si des acquis ont été, depuis, engrangés au prix de moult sacrifices dont celui du sang avec le martyre de 126 jeunes froidement assassinés durant le Printemps noir de Kabylie, beaucoup reste à faire.
Un constat que partagent, d’ailleurs, des acteurs de cette épopée, et d’autres militants de la cause qui relèvent l’impératif de poursuivre le combat dans un cadre unitaire et pacifique, en tenant compte des «erreurs» du passé.
Ali Brahimi, détenu d’Avril 1980 : «Au plan historique, en moins d’un siècle d’émergence en tant que telle — depuis le début du vingtième siècle — la cause amazighe a réalisé des acquis symboliques, gigantesques lorsque l’on sait que le déni identitaire et linguistique anti-amazigh date de plusieurs siècles. Avril 1980 a, pour la première fois, établi la détermination du peuple amazigh à vivre l’Histoire, dans, pour et par sa langue et sa culture millénaires. Le choix de la modernité politique et du projet de société républicain et démocratique est naturellement consubstantiel à notre cause et à son parcours. Au plan géostratégique, Avril 1980 a sonné le réveil de la demande identitaire et linguistique amazighe dans tout le sous-continent nord-africain où plus rien ne sera jamais comme avant de Siwa jusqu’aux Canaries et au Sahel. Vu sous l’angle des sacrifices consentis par les militants depuis si longtemps, en particulier la région de la Kabylie trop souvent seule face à un Etat jacobin répressif là où il est censé être national, je pense que les choses avancent trop lentement sachant surtout que les questions de langue et de culture fonctionnent désormais à la vitesse de l’internet. Tous les acquis ont été obtenus grâce aux sacrifices des militants dont certains ont donné leur vie de Amzal Kamel aux jeunes de 2001. C’est une urgence d’officialiser la langue amazighe et de mettre à sa disposition une part conséquente de la rente pétrolière pour rattraper le retard accumulé. C’est une urgence de sauver l’intégrité de l’Algérie par une réorganisation en Etat unitaire régionalisé qui donne sa place à la langue autochtone dans son pays. C’est une exigence urgente pour les élites algériennes arabophones de s’impliquer dans le combat pour l’aboutissement de la légitime revendication amazighe pour ne pas se rendre complice du déni et du temps qui veulent la vouer à la disparition. Pour paraphraser Kamel Daoud, il est urgent pour le prisonnier qui a perdu sa liberté et sa langue de joindre ses efforts à ceux de son frère de détention qui a pu sauvegarder au moins sa langue. Qu’on ne vienne pas pleurnicher après sur les suites de l’Histoire qui ne peut être éternellement figée. C’est une urgence pour tous les Algériens d’éradiquer un système politique prédateur de leurs richesses et castrateur de leur identité et de leur langue.»
Abbout Arezki, détenu d’Avril 1980 : «Il y a des hauts et des bas. Il y a certes des avancées mais beaucoup reste à faire. Nous estimons que tamazight n’a toujours pas la place qui devait être la sienne. Sur le plan de l’enseignement de la langue par exemple, elle n’a toujours pas le caractère obligatoire et n’est toujours pas généralisée sur l’ensemble du territoire national. Elle n’a toujours pas le caractère officiel dans la Constitution du pays.
Je pense que le combat se doit d’être poursuivi toujours de manière pacifique et plus soutenu en tenant compte des réalités nationales et internationales et avec l’appui de tout un chacun. Ceci pour que tamazight soit acceptée de tous et aquière sa place naturelle. »
Hakim Saheb, enseignant à l’Université de Tizi-Ouzou et militant de la cause amazighe : «Ce que je peux dire, c’est que le 20 Avril 1980 constitue un jalon essentiel du combat pacifique pour la réhabilitation de l’identité algérienne et des luttes citoyennes de la génération post-indépendance pour la démocratie et l’affirmation du pluralisme politique, syndical, culturel et la promotion des droits de l’Homme et leur intégration dans la vie institutionnelle. Le 20 Avril 1980 est aussi important aussi bien de par son contenu que par la manière avec laquelle a été mené le combat. Déchirée par les affrontements claniques, la vie publique était, jusque-là, dominée par la violence et l’arbitraire. Malgré ce contexte, la génération d’Avril 1980 s’est refusée toute forme de violence en initiant, pour la première fois et de façon publique et pacifique, des luttes sur des questions sociétales. Je pense que l’Histoire retiendra cette date comme un acte de naissance d’une nouvelle culture politique et d’une démarche de rupture avec la pensée unique et ses avatars qui avaient soumis la société et humilié la nation et a pu briser le glas de la dictature.
Plus que cela, le 20 Avril 1980 doit être pour tous une espérance au-delà du fait qu’il a permis au peuple algérien de redécouvrir le substrat culturel amazigh, nous devrions aujourd’hui, le promouvoir comme un levier du renouveau politique, économique et social avec ses incidences sur la reconfiguration géopolitique nord-africaine. J’ose espérer que cette date soit reconnue officiellement et conçue par l’ensemble des démocrates comme un lieu de ressourcement et un moment privilégié pour la solidarité de tous ceux qui se battent et veulent restituer la nation algérienne au seul arbitre du citoyen.»
Brahim Tazaghart, militant de la cause amazighe : «Le 20 Avril 1980 a permis au mouvement amazigh de clarifier sa revendication comme exigence de reconnaissance constitutionnelle et institutionnelle de tamazight dans le cadre de la construction démocratique de la nation algérienne et a permis à la revendication de sortir de la clandestinité pour prendre un caractère public et populaire en rupture avec la tradition groupusculaire antérieure.
Le 20 avril 2015 doit consacrer la refondation démocratique et pacifique de la nation à travers la reconnaissnace du caractère de langue officielle pour tamazight. Il doit être le moment propice pour lancer tous les débats démocratiques autour de la politique culturelle nationale inclusive de toutes les dimensions de notre personnalité ainsi que le débat autour de la politique linguistique et éducative qui permettront les conditions objectives du développement du pays.»
Djamal Ikhloufi, militant de la cause amazighe : «Etant d’une génération charnière et intermédiaire, mon regard sera distancié sur les événements vécus par toute une génération de militants du 20 Avril 1980. Étant collégien, sans comprendre vraiment les enjeux, je répondais toujours présent aux appels du MCB. J’ai vécu, ainsi, avec toutes les querelles internes qu’avait connues le MCB dans les années 1990. C’était un contexte autre que celui des années 1980.Si le Mouvement qui portait la revendication culturelle berbère semble confus en ces moments, cela est dû principalement à sa composition hétérogène, à son attachement aux discours faisant appel à toutes les formes de légitimité et enfin aux conditions particulières de sa naissance. Comme beaucoup, je suis inquiet face à l’évolution des choses depuis que des forces mystérieuse, animées par des objectifs inavoués, se précipitent dans les abîmes de la pensée zéro. Une revendication du passé demeure toujours comme un repère de luttes pour la génération présente que celle à venir pour la reprise du flambeau. La revendication amazighe demeure toujours réelle pour avoir prouvé ses capacités de rassemblement et son profond ancrage au sein de la société passée et présente.
Pour ce qu’il évoque dans la mémoire collective, le 20 Avril 1980 est de ces lieux et dates qui resteront gravés à jamais dans l’histoire de l'Algérie et des Imazighens. Nous devons rendre hommage à nos aînés qui ont, avec leur courage, pu l’inscrire comme l’un de ces repères indélébiles de la mémoire kabyle et de tous les Amazighs.
Les acquis sont aujourd’hui palpables à l’exemple de l’introduction de tamazight dans le système éducatif et le caractère national de notre langue. Le plus grave est que ces acquis se sont arrachés après maints sacrifices et je remarque un reniement de l’Etat aux engagements pris concernant notre identité amazighe. Reste, aujourd’hui, son officialisation ; c'est ce que nous exigeons et dans l’immédiat. Cela dit, l’officialisation doit être accompagnée d’une volonté réelle de l’administration qui doit mettre en place des outils réels et des institutions pérennes.»
M. K.