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Voir la version complète : Web et télévision, deux écritures en partage



soltan009
09/01/2013, 21h18
http://s1.lemde.fr/image/2013/01/08/534x267/1814219_3_4cb3_dan-franck-et-alexandre-brachet_fee3d40dadec224b3c261ef8a775b18e.jpg

Ecrivain, Dan Franck (http://www.lemonde.fr/sujet/b1d3/dan-franck.html) est aussi scénariste pour le cinéma (http://www.lemonde.fr/cinema/) et la télévision. Alexandre Brachet est producteur, fondateur de Upian, une société spécialisée dans le webdocumentaire. De l'écriture aux modes de narration ou de diffusion, rencontre à la croisée de deux mondes voués à s'unir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/deuxieme-groupe/unir). Vous êtes issus de générations différentes : l'une nourrie au papier, l'autre au Web. Est-il possible de concilier (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/concilier) ces deux modes d'écriture pour la télévision ?
Alexandre Brachet (http://www.lemonde.fr/sujet/0ef2/alexandre-brachet.html) Oui, car elles se complètent. J'ai commencé à m'intéresser à Internet en 1994 dans les bars et cette rencontre avec l'hypertexte a été un coup de foudre. Mon intuition, lorsque j'ai décidé de participer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/participer) au mouvement créatif sur Internet, s'est naturellement portée sur le Web indépendant et la satire politique (http://www.lemonde.fr/politique/). Aujourd'hui, le Web est multiple et je suis impressionné par ce qu'il est devenu.
Dan Franck Je crois qu'à la télévision il y a de la place pour tous les créateurs. J'écris depuis l'âge de 12 ans... une manière, pour moi, de draguer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/draguer) les filles ! Ensuite, j'ai écrit toutes sortes de choses pour les autres en tant que nègre. Puis, j'ai rencontré Jean Vautrin, cinéaste et écrivain, avec qui nous avons créé Boro, un journaliste reporter-photographe qui nous a permis de raconter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/raconter) les tumultes du siècle. C'est là que Jean m'a conseillé d'écrire pour le cinéma et la télévision.
L'un travaille en équipe, l'autre en solitaire...
A. B. Oui. Upian, notre société de production créée en 1998, est une petite structure de dix-huit salariés. Nous avons un studio de design et de développement qui permet d'être autonome. En fait, nous exerçons deux métiers : l'un est d'imaginer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/imaginer) des interfaces pour le Web, comme la refonte des sites Rue89 ou Arte ; l'autre est d'investir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/deuxieme-groupe/investir) dans la production de webdocumentaires pour la télévision et le cinéma. Le webdoc Prison Valley, écrit par les journalistes David Dufresne et Philippe Brault, diffusé sur Arte et récompensé par de nombreux prix, a été fondamental pour nous. Sur Internet, média de masse par excellence, il faut être très attentif aux contenus et montrer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/montrer) comment s'opère la collusion fond-forme (http://www.lemonde.fr/forme/)-usage.
D. F. Le Web est très intéressant car il est à la fois extrêmement créateur et criminogène : il tue l'édition traditionnelle à tous les niveaux et permet aussi des modes de consommation (http://www.lemonde.fr/consommation/) différents. Cela dit, même si Internet a radicalement changé ma manière de me documenter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/documenter), il n'a pas influencé mon écriture.
L'irruption du Web à la télévision n'aurait donc pas modifié la manière d'écrire, ni changé les codes ?
D. F. Pas tout à fait, car il y a une vraie grammaire de la télévision. J'aime beaucoup tremper (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/tremper) ma plume dans des encriers différents, et j'aimerais bien découvrir cet univers qu'est Internet, avec ses écritures collectives, peut-être plus riches. Mais ma démarche est celle d'un romancier, donc très solitaire. J'essaie de défendre mon point de vue, mais je n'ai pas d'idée à l'origine, ce sont les producteurs qui me les proposent. Tous les modes d'expression nouveaux m'intéressent évidemment. Je ne les utilise pas tous, mais Internet est un terrain en friche et d'une modernité extraordinaire. Il y aura des capillarités entre les deux formes d'écriture.
A. B. Ces changements évoluent lentement. J'estime qu'un internaute qui arrive sur notre programme a fait un effort. Peut être ne l'a-t-il pas fait exprès, mais nous devons le capter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/capter) et le captiver (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/captiver) immédiatement. Parfois, il est séduit par l'interface ou par une présentation cinématographique. Ou il peut, comme avec Alma, avoir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/auxiliaire/avoir) un choc.
Pendant longtemps, il y a eu un engouement autour du webdoc, mais les projets étaient extrêmement faibles. Aujourd'hui, il y a une exigence de qualité. La volonté des chaînes - qui est aussi la mienne - est de faire (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/faire) intervenir le maximum de personnes venues d'univers différents. Reste la question : comment nos programmes peuvent-ils émerger parmi ces millions et millions de pages ? Internet, c'est un peu la conquête de l'Ouest...
D. F. Je pense que, tôt ou tard, il y aura une convergence entre nos modes d'écriture, notamment sur les documentaires. Les gens du Web vont, au fil du temps, apporter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/apporter) quelque chose de nouveau. Pour la fiction, on commence un peu à s'affranchir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/deuxieme-groupe/affranchir) des règles très contraignantes de la télévision.
A ce propos, les séries peuvent-elles s'inscrire (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/inscrire) dans une complémentarité Web-télévision ?
D. F. Oui, car l'écriture de séries est quelque chose de formidable, proche du feuilleton du XIXe siècle. Il faut tenir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/tenir) le public captif et donc appliquer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/appliquer) certaines règles, exposer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/exposer) les choses avec un minimum de mots. C'est une exigence qui n'est pas artistique, mais plutôt celle d'un joueur d'échecs. Il ne faut jamais l'oublier (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/oublier), sinon vos interlocuteurs sont là pour vous (http://www.lemonde.fr/vous/) le rappeler (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/rappeler) : la télévision n'existe encore que parce qu'il y a des gens qui la regardent. Je suis d'ailleurs en train de développer avec Silex, une toute jeune boîte de production, l'adaptation de trois de mes livres (http://www.lemonde.fr/livres/), Bohèmes (Calmann-Lévy, 1998), Libertad ! (Grasset, 2004) et Minuit (Grasset, 2010). La seule exigence de mes producteurs est de faire (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/faire) un produit nouveau ; pas un documentaire classique avec interviews archives, mais plutôt très graphique. L'idée étant bien évidemment de le faire (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/faire) aussi pour le Web.
A. B. Je crois que la télévision est aujourd'hui prête à accepter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/accepter) des formats très différents. L'explosion des séries est liée à l'apparition d'Internet. Certaines d'entre elles, particulièrement dures et violentes, comme "The Corner" de David Simon (http://www.lemonde.fr/sujet/c96c/david-simon.html) - cet ovni en noir et blanc sur la drogue -, trouvent davantage leur place sur Internet.
Un webdoc est-il plus rentable qu'un documentaire traditionnel ?
A. B. D'une manière générale, les producteurs de documentaires ne gagnent pas d'argent. Aujourd'hui, les budgets du Web sont comparables à ceux de documentaires classiques : Alma a coûté un peu plus de 500 000 euros. La grande différence, c'est qu'il n'y a pas ensuite d'exploitation commerciale. Au départ, je cherche plus à trouver (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/trouver) un budget qu'à vendre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/vendre) un projet. Avec le webdoc, nous sommes libres en termes de formats, mais il faut quand même être rentable. Rallonger (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/rallonger) à l'infini un webdoc n'est pas forcément la bonne idée.
Que ce soit en fiction ou en documentaire, est-il plus facile de dénoncer que de raconter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/raconter) ?
D. F. Dans les livres ou les fictions de télévision que j'écris, je raconte et je dénonce. Je l'ai fait avec Gérard Mordillat dans "Les Vivants et les Morts" et dans la série "Les Hommes de l'ombre". La fiction permet de tout dire (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/dire) à condition de le faire (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/faire) avec talent !
A. B. Tout à fait d'accord ! "Manipulation, une histoire française", une série de six fois 52 minutes sur l'affaire Clearstream, produite par Christophe Nick (http://www.lemonde.fr/sujet/d2a8/christophe-nick.html), diffusée sur France 5 et reprise sur Internet, a été un pavé politique sur la Toile. En voyant toute la série et en plongeant dans l'expérience Web, on comprenait toute l'histoire ! Mais il faut raconter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/raconter), il faut surtout raconter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/raconter). C'est la question de la pédagogie.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
A. B. Je prépare avec Phillippe Brault (http://www.lemonde.fr/sujet/cd11/phillippe-brault.html) un webdoc autour du "Jeu des 1 000 euros", diffusé sur France Inter (http://www.lemonde.fr/sujet/d88e/france-inter.html). C'est un road-movie à la manière du film Tandem qui photographie et raconte la vie des Français... Nous préparons aussi un nouveau documentaire avec Christophe Nick sur les jeunes, appelé pour l'instant Génération Y. Et j'aimerais vraiment faire (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/faire) aboutir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/deuxieme-groupe/aboutir) un projet de série fiction autour du Rwanda (http://www.lemonde.fr/rwanda/).
D. F. Outre l'adaptation de trois de mes livres, je termine, pour France 2, l'écriture de la deuxième saison des "Hommes de l'ombre".
Quels projets aimeriez-vous réaliser ?
D. F. J'adorerais raconter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/raconter) le Bateau-Lavoir, l'époque des Picasso, Apollinaire, Max Jacob, et montrer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/montrer) sous forme de long-métrage comment est né le cubisme. Par ailleurs, je suis en train de réfléchir, avec Enki Bilal, à la manière d'adapter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/adapter) et de raconter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/raconter) ses Parties de chasse, alors que l'idéologie communiste est désormais révolue.
A. B. J'aimerais travailler (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/travailler) avec des auteurs américains de séries ou de livres que je considère comme des visionnaires. Je pense à Warren Ellis (http://www.lemonde.fr/sujet/1d03/warren-ellis.html) et son livre Transmetropolitan, à Jason Horwitch (http://www.lemonde.fr/sujet/a91c/jason-horwitch.html) et sa série "Rubicon" sur la question du terrorisme ainsi qu'à David Simon, dont toutes les séries m'intéressent au plus au point.
Olivier Dumons et Daniel Psenny (propos recueilli