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Voir la version complète : Que vaut "Passion", le thriller sexy de Brian de Palma ?



soltan009
09/01/2013, 19h46
Brian de Palma retrouve le plaisir de filmer dans "Passion", un thriller érotico-fantastique dans lequel Noomi Rapace et Rachel McAdams se dévorent. Son meilleur film depuis... longtemps.
Deux femmes se livrent à un jeu de manipulation pervers au sein d'une multinationale. Isabelle (Noomi Rapace (http://lci.tf1.fr/biographies/noomi-rapace-5105313.html)) est fascinée par sa supérieure Christine (Rachel McAdams (http://lci.tf1.fr/biographies/rachel-mcadams-5114993.html)). Cette dernière profite de son ascendance hiérarchique sur Isabelle pour l'entraîner dans un jeu de séduction et de manipulation, de domination et de servitude.
Sur le papier, ce nouveau long métrage de Brian de Palma (http://lci.tf1.fr/biographies/brian-de-palma-5111436.html) se présente comme un remake américain du français "Crime d'amour", dernier film du regretté Alain Corneau et loin d'être son meilleur. Un projet qui a priori laisse augurer un film de commande stérile ou une relecture impersonnelle. Surprise: il n'en est rien.
De "Pulsions" à "Obsession", de "Body Double" à "Snake Eyes", Brian de Palma n'a jamais pu s'empêcher de donner à (presque) toutes ses histoires la forme de mises en scène. Alors qu'on le pensait rompu à ses propres obsessions avec des objets à la lisière du pastiche ("Femme Fatale"), peu inspiré ("Le Dahlia Noir", son adaptation très ratée du roman culte de James Ellroy; "Mission To Mars", son film de science-fiction très mou) et ostracisé du système après sa prise de risque anti-belliciste de "Redacted" ("Outrages" version YouTube), le réalisateur a retrouvé la forme et son "Passion" marque le retour en grande pompe à son cinéma tarabiscoté et maniériste des années 70, traduisant l'ambition d'un système de manipulation par l'illusion.
Le fantôme de Hitchcock hante toujours
"Passion" a des allures de film-terminal, de film-somme comme pouvait l'être "Mulholland Drive" pour David Lynch, où d'ailleurs une brune et une blonde se perdaient dans un cauchemar Hollywoodien et dans lequel, déjà, les plus belles histoires d'amour contenaient les germes de leur destruction. Cet écheveau manipulateur, nourri d'autocitations (beaucoup de "Sœurs de sang", un peu d'"Esprit de Caïn"), de thématiques (voyeurisme, fétichisme, manipulation, schizophrénie, aliénation), de symboles Bibliques et de figures stylistiques permet à l'auteur de régler des comptes. Avec lui-même. Avec son appétence pour la perversité. Avec son surmoi Hitchcock.
En quête de beauté dans la vulgarité - la vulgarité de l'époque exacerbée par l'émergence de nouveaux moyens de communication et de nouveaux modes d'espionnage (sex-tape, YouTube) comme autant de réseaux sociaux -, De Palma n'a jamais oublié que pendant son adolescence, sa maîtrise de l'électronique et son ingéniosité lui ont servi à espionner, les filles sous la douche comme son père pour prouver que ce dernier entretenait une liaison extra-conjugale. Dans "Passion", il traite ouvertement de cette perversité, d'humiliation et de chantage par les images. Il s'en sert aussi pour montrer ce qui se cache dans les songes crades des filles innocentes ou encore sonder l'impossibilité du désir dans un univers métallique. Au fond, il a utilisé la trame originelle du Corneau pour en faire quelque chose de très intime, parler de ce qui l'a toujours branché (la vérité truquée, les illusions d'optique, les faux-semblants) et mettre à profit sa maestria visuelle pour traduire des impressions subjectives (la distorsion du temps, la déformation de la réalité).
Le plaisir - sans doute coupable - que l'on éprouve devant "Passion" réside aussi dans la jubilation communicative avec laquelle Brian de Palma filme et retrouve finalement goût au cinéma. Par la grâce de ses compétences techniciennes, ce film provoque en particulier dans sa dernière demi-heure opératique une puissance d'envoûtement sidérale. Cela vient évidemment de la musique de Pino Donaggio, de l'utilisation virtuose du split-screen mais aussi parce qu'à ce moment-là, De Palma renoue avec les plus belles suspensions d'incrédulité de son cinéma passé comme, au hasard, le suspense de la séquence du bal dans "Carrie" avec cette capacité peu commune à donner l'illusion qu'une invraisemblable vérité va prendre de court, qu'un secret terrible va ressurgir du passé ou qu'une beauté vierge va se métamorphoser soudain en monstre répugnant. Avant ce plan final, comme extirpé du sommeil, beau comme un orgasme, à la fois climax et clin d'œil aux aficionados DePalmesques.
De Palma a dirigé ses deux actrices (Noomi Rapace et Rachel McAdams, impeccables) comme des lionnes. La lente dévoration de ces mantes religieuses tient autant du festin barbare que du fantasme évanescent. Pendant longtemps, on ne sait pas qui, de la brune ou de la blonde, de l'héroïne Hitchcockienne ou de la garce DePalmesque, se révèle la plus toxique. Mais une chose est sure : du doux cauchemar au cruel réveil, personne n'aura été innocent.