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Voir la version complète : Cameroun : « le président doit déclarer un moratoire pour le délit d’homosexualité »



soltan009
09/01/2013, 15h45
Saskia Ditisheim est présidente d’Avocats Sans Frontières Suisse (ASF Suisse). Elle a fait partie de la défense de Jonas Singa Kumie et Franky Djome, deux jeunes Camerounais acquittés en appel lundi 7 janvier après avoir été condamnés fin novembre 2011 à cinq ans de prison pour "fait d'homosexualité".
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Le cas de Franky et Jonas est devenu emblématique de la lutte pour la dépénalisation de l’homosexualité au Cameroun. Comment s'est organisée la mobilisation ?
Saskia Ditisheim : L'affaire a fait la une des journaux au Cameroun et pour la première fois, les médias étrangers s'en sont également saisi. En octobre 2012, le président Paul Biya a reçu une lettre de plusieurs organisations internationales et nationales lui demandant l'abolition de l'article 347 bis du code pénal selon lequel l'homosexualité est passible de 6 mois à 5 ans d'emprisonnement. Le gouvernement n'a apporté aucune réponse. Les ambassadeurs de Grande Bretagne et des Etats-Unis ont publiquement évoqué le cas de Jonas et Franky. Mi-novembre 2012, Rubert Colville, le porte parole du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a rappelé que l’application de l'article 347 bis CP était une violation flagrante des engagements pris par le Cameroun en la matière.
Cette pression internationale est-elle de nature à faire plier le président Biya ?
Saskia Ditisheim : L'étau se resserre et le pouvoir doit effectivement prendre le relais de la justice. L'homophobie est très ancrée dans les mentalités camerounaises, mais le président doit honorer ses promesses vis-à-vis de la communauté internationale en déclarant un moratoire pour le délit d'homosexualité. C'est à lui de convaincre l'opinion publique que chacun a le droit de disposer librement de son corps, qu'il en va du respect de la dignité humaine. Je pense que Paul Biya aura à cœur de ne pas déplaire à ses principaux partenaires économiques dont la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada. Il y a urgence. D'autant que le Cameroun risque d'être épinglé lors de l'examen périodique des Nations Unies d'avril 2013 qui évalue les pratiques en matière des droits de l'homme de tous les pays du monde. Plusieurs ONG ont d'ores et déjà déposé des rapports accablants.
La remise en liberté de Jonas et Franky les expose-t-elle à des représailles ? Les juges sont-ils eux aussi menacés ?
Saskia Ditisheim : Les Camerounais ont été outrés par cet acquittement. Personne ne s’attendait à ce que les accusés soient remis en liberté, surtout après la confirmation de la condamnation de Roger Mbede à trois ans de prison pour homosexualité le 17 décembre dernier. Je salue le courage de ces trois juges, qui risquent effectivement d'être victimes de menaces, d'intimidation ou de faits plus graves. Les risques sont réels. Roger Mbede a manqué d’être assassiné le soir de l'audience d'appel en novembre dernier. Avant le verdict, les auteurs des menaces lui avaient écrit que soit "il retournait en prison soit il irait en enfer". Le même sort est à craindre pour Jonas et Franky. Force est de constater qu'ils sont plus en sécurité à la prison qu'en liberté. La vox populi estime qu'ils méritent de mourir tout comme nous, leurs défenseurs, car "nous imposons des actes contre-nature". Si les organisations internationales humanitaires et les Ambassades ne réagissent pas à temps, je crains le pire.