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Voir la version complète : Le « musulman modéré », une version actualisée du « bon nègre »



jim63
17/01/2015, 19h55
salam
Le Monde.fr Le 16.01.2015 à 10h20 • Mis à jour le 17.01.2015 à 19h06
Dès que la nouvelle du massacre tragique de Charlie Hebdo s’est répandue, la condamnation de l’horreur a été accompagnée, comme d’une sœur jumelle, par la mise en garde contre « l’amalgame ». François Hollande (http://www.lemonde.fr/francois-hollande/) comme Nicolas Sarkozy (http://www.lemonde.fr/nicolas-sarkozy/) ont utilisé ce mot. Sans oublier (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/oublier/) les cohortes d’invités des plateaux télé qui, la main sur le cœur, ont juré que les terroristes « ne représentent pas les 5 millions de musulmans de France (http://www.lemonde.fr/europeennes-france/) ». Oui, l’islam (http://www.lemonde.fr/islam/) de ces derniers est « modéré », ont opiné à l’unisson les animateurs vedettes.Ce discours n’est pas nouveau. C’est même un classique de la bien-pensance politico-médiatique, qu’on rejoue sans ciller (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/ciller/) après chaque attentat terroriste. Son objectif : contrer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/contrer/) la stigmatisation des Français issus de l’immigration. Son message : ne faisons pas le jeu du Front national (http://www.lemonde.fr/front-national/). Son mot d’ordre : nous sommes tous des enfants de la République. Son exhortation : ne singularisons pas les musulmans de France.
Quand on dit « les cathos », on pense à une minorité de culs-bénits en marge du consensus social (http://www.lemonde.fr/social/). Mais pourquoi, quand on dit « les musulmans », parle-t-on de la totalité des Français originaires d’Afrique (http://www.lemonde.fr/afrique/) du Nord et de l’Ouest ?
Sauf qu’en les qualifiant de « musulmans », on les singularise déjà. Et on fracasse sans même s’en rendre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/rendre/) compte le principe d’égalité, valeur cardinale de cette République qu’on prétend défendre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/d%C3%A9fendre/). Au nom de quoi s’arroge-t-on le droit d’accoler, d’autorité, une religion à 5 millions de personnes ? Si ceux-là sont musulmans, alors les 60 millions restants devraient être (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/auxiliaire/%C3%AAtre/) catholiques, non ? À cette idée, Charb et Cabu se bidonneraient sans doute dans leurs tombes… La France a une solide tradition anticléricale, et le blasphème potache incarné par les martyrs de Charlie Hebdo est une de ses (http://www.lemonde.fr/bourse/nyse-euronext-paris-equities/ses/) marques de fabrique. Quand on dit « les cathos », on pense à une minorité de culs-bénits en marge du consensus social. Mais pourquoi, quand on dit « les musulmans », parle-t-on de la totalité des Français originaires d’Afrique du Nord et de l’Ouest ?
L’islam, c’est d’une ridicule évidence, n’est inscrit dans le patrimoine génétique de personne. C’est une idée à laquelle chacun est libre d’adhérer – ou pas – y compris quand on s’appelle Mustapha ou Fatima. Les Français enfants d’immigrés ont été aux mêmes écoles républicaines que les autres, y ont étudié Voltaire et les Lumières autant que les autres. Sauf à considérer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/consid%C3%A9rer/) que leur origine ethnique conditionne leur façon de penser (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/penser/) (ce qui est la définition même du racisme), il n’y a pas de raison qu’ils soient moins sensibles à ces idées (http://www.lemonde.fr/idees/)-là que les Français « de souche ». Pourtant, le discours commun repris jusqu’au sommet de l’Etat, les renvoie à leur supposée islamité sans leur demander (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/demander/) leur avis. Ce faisant, il les confessionalise de force, les condamnant inéxorablement à la différence. Liberté, égalité, fraternité, vous (http://www.lemonde.fr/vous/) dites?
Bien sûr, il y a parmi ces populations des « vrais » musulmans. Ceux-là ont la foi pour une bonne raison, la seule qui vaille : ils l’ont décidé après y avoir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/auxiliaire/avoir/) librement réfléchi. Mais il y en a aussi beaucoup qui se pensent musulmans parce que c’est l’image qu’on leur renvoie d’eux-mêmes – et que pour diverses raisons (échec scolaire, marginalisation socio-économique…) ils n’ont pas la force ou la ressource de remettre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/remettre/) cette image en question (http://www.lemonde.fr/m-boulot-reseau-en-question/).
Le discours ambiant ne leur laisse le choix qu’entre extrémisme et « islam modéré », alors ils prennent le second, faute de mieux – ou se révoltent en flirtant avec le premier. Et puis il y a une troisième catégorie d’enfants d’immigrés, sans doute la majorité silencieuse : ceux qui prennent au mot ce qu’on leur apprend dans les manuels scolaires. Ceux qui épousent tranquillement et naturellement la culture (http://www.lemonde.fr/culture/) areligieuse de ce pays, la France, qui est le leur. Ceux qui ne vont pas à la mosquée parce que ce n’est pas leur truc, boivent des coups à l’occasion, tout en fêtant l’Aïd El-Kébir avec leurs parents comme d’autres mangent la dinde de Noël (http://www.lemonde.fr/noel/) avec les leurs : par convivialité. Imaginez leur désarroi quand des politiciens (pour lesquels ils votent) et des médias (http://www.lemonde.fr/actualite-medias/) (certains payés par leurs impôts (http://www.lemonde.fr/impots/)) convoquent des imams pour parler (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/parler/) en leur nom…
Si le discours d’extrême droite sur « les musulmans en France » est raciste et agressif, celui de la bien-pensance politico-médiatique sur « les musulmans de France » est essentialiste et condescendant. Le « musulman modéré » d’aujourd’hui renvoie, d’une certaine manière, au « bon nègre » d’hier. Oui, Charlie Hebdo doit vivre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/vivre/) pour que la liberté d’expression triomphe. Mais aussi parce qu’il y a des caricatures qui se perdent…
Ahmed Benchemsi est journaliste, fondateur de l’hebdomadaire Telquel, et chercheur à l’université de Stanford (Etats-Unis).



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