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Voir la version complète : Les oiseaux ont perdu leurs dents il y a 116 millions d’années



edenmartine
12/12/2014, 19h03
http://s2.lemde.fr/image/2014/12/11/534x0/4539279_6_3dd5_echantillon-d-oiseaux-des-collections-du_fa37e13bb1ce8a6152d7dc41747e3841.jpg
Echantillon d'oiseaux des collections du Muséum d'histoire naturelle de Washington DC, utilisés pour une vaste comparaison génomique.


Les premiers oiseaux avaient des dents. Descendants de dinosaures carnivores, ils les ont perdues sur le chemin de l’évolution, mais les scientifiques ne savaient pas exactement quand. Une étude internationale, publiée dans la revue Science, vendredi 12 décembre (http://www.sciencemag.org/lookup/doi/10.1126/science.1254390), propose une date : l’édentulisme (la perte généralisée de dents) serait survenu il y a 116 millions d’années chez l’ancêtre commun de tous les volatiles actuels.


Comment Robert Meredith (Montclair State University, New Jersey) et ses (http://www.lemonde.fr/bourse/nyse-euronext-paris-equities/ses/) collègues sont-ils parvenus à cette conclusion ?
En comparant les génomes de 48 espèces d’oiseaux actuelles à ceux d’animaux ayant aussi perdu leurs dents – trois espèces de tortues et quatre mammifères (l’armadillo à neuf bandes, le paresseux d’Hoffmann, l’oryctérope du Cap et le pangolin chinois). A ce bestiaire déjà fourni, ils ont ajouté l’ADN du chien domestique, de l’éléphant d’Afrique (http://www.lemonde.fr/afrique/) et du cachalot, trois espèces dentues.


Dans cette immense base de données génétiques, les chercheurs se sont concentrés sur six gènes, dont l’inactivation chez la souris de laboratoire se traduit par des défauts dans la formation (http://www.lemonde.fr/formation/) de la dentine et de l’émail. Six gènes dont la mutation entraîne aussi chez l’homme des anomalies dentaires. Ils ont constaté que chez les oiseaux modernes, ces gènes sont bien présents, mais sous une forme inactivée.

« Cela indique que la machinerie génétique de formation des dents a été perdue sur la branche ayant donné naissance à tous les oiseaux actuels », en déduisent les chercheurs.




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Compléter l’approche par les fossiles
En évaluant le niveau d’altération de ces gènes, par rapport aux espèces où ils sont toujours actifs, et en se fondant sur un taux de mutation moyen au fil du temps, l’équipe a estimé la date où la couverture d’émail des dents a été perdue – soit 116 millions d’années.

Ils imaginent un scénario en deux étapes, avec d’abord la perte des dents et le développement partiel du bec sur la partie antérieure des mâchoires. La partie postérieure du bec se serait développée dans un second temps.


Pour le paléontologue Antoine Louchart (ENS Lyon (http://www.lemonde.fr/lyon/)) qui, en 2011, avait proposé avec son collègue Laurent Viriot une analyse de la perte de dents chez les oiseaux (http://www.cell.com/trends/ecology-evolution/abstract/S0169-5347(11)00264-3), « ces données moléculaires complètent l’approche fondée sur l’étude des fossiles ». Cela permet de raccourcir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/deuxieme-groupe/raccourcir) la fenêtre temporelle de l’édentulisme, qui allait de 120 à 66 millions d’années. Faute de spécimens bien conservés,

« nous ne pouvions pas dire (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/dire) s’il y avait eu une seule perte de denture chez l’ancêtre commun de tous les oiseaux, ou bien deux, ajoute-t-il. Ces données tranchent pour la première hypothèse ».

Dans d’autres familles d’oiseaux qui ne sont pas parvenues jusqu’à nous, précise-t-il, des pertes de dentition ont également été observées dans les collections paléontologiques.


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Pourquoi ces mutations ont-elles été sélectionnées par l’évolution ?
Aujourd’hui, les oiseaux, avec leurs 10 000 espèces recensées, sont le groupe de tétrapodes le plus diversifié. Il est tentant d’attribuer cette réussite évolutive à la perte des dents, même s’il faut se méfier (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/m%C3%A9fier) de ces raisonnement had hoc, prévient Antoine Louchart, avant d’énumérer les avantages potentiels de cette situation :

« Un bec corné, léger, est un atout pour le vol ; un gésier musculeux est plus efficace que des dents pour mastiquer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/mastiquer) la nourriture et offre un meilleur centre (http://www.lemonde.fr/centre/) de gravit (http://www.lemonde.fr/bourse/nyse-euronext-paris-equities/g-a-i/)é ; la diversité des formes de becs donne accès à des niches écologiques très variées. »


S’il souligne les incertitudes des horloges moléculaires, Ronan Allain, paléontologue au Muséum national d’histoire naturelle à Paris (http://www.lemonde.fr/paris/), juge solide l’analyse de la perte des dents. Mais elle n’est pas l’apanage des oiseaux modernes, rappelle-t-il :

« Il existe trois ou quatre familles de dinosaures carnivores chez lesquelles elles ont aussi été remplacées par une rhampothèque [la partie cornée du bec des oiseaux], rappelle-t-il. C’est le cas chez un dinosaure-autruche de 130 millions d’années découvert à Angeac, en Charente, sur lequel nous travaillons. »

Ronan Allain note aussi avec intérêt les données sur la transformation des oviductes, qui font écho à des observations sur le nombre d’œufs chez des fossiles de dinosaures.


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Un consortium international
Car ces travaux moléculaires sur l’évolution des dents ne constituent qu’une petite partie des résultats engendrés par une coalition de chercheurs de vingt pays, et publiés simultanément dans Science et dans d’autres revues (http://www.lemonde.fr/revues/) scientifiques.

Il y est aussi question de l’évolution du chant (http://www.sciencemag.org/lookup/doi/10.1126/science.1256780) et des convergences dans ce domaine avec le cerveau humain (http://www.sciencemag.org/lookup/doi/10.1126/science.1256846), de la proximité avec les crocodiliens (http://www.sciencemag.org/lookup/doi/10.1126/science.1254449), plus proches cousins vivants des oiseaux actuels, de la trajectoire évolutive des chromosomes sexuels (http://www.sciencemag.org/lookup/doi/10.1126/science.1246338)…


Mais l’Avian Genome Consortium, codirigé par Guojie Zhang du BGI à Shenzhen, par Erich Jarvis (Howard Hughes Medical Institute) et Thomas Gilbert (Muséum d’histoire naturelle du Danemark (http://www.lemonde.fr/danemark/)) avait avant tout pour objectif de fournir un arbre généalogique des oiseaux d’une précision et d’une ampleur inédites (http://www.sciencemag.org/lookup/doi/10.1126/science.1253451).




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La somme de travaux réunis est impressionnante. Aux trois génomes d’oiseaux déjà disponibles (poule, dinde et diamant mandarin), les machines dernier cri du BGI, le plus grand centre de séquençage au monde, a donc ajouté 45 nouveaux entrants. Cette masse de données a ensuite été analysée pendant l’équivalent de cinq cents ans (en temps de calcul rapporté à l’activité d’une unité centrale) par des supercalculateurs à Austin, à Munich et à San Diego – et dans d’autres laboratoires.


Il en ressort un « arbre de la vie » finalement assez proche de celui proposé dans Science en 2008 (http://www.biology.ufl.edu/earlybird/Publications/Science-2008-Hackett-1763-8.pdf) par un précédent consortium dirigé par Shannon Hackett (Muséum d’histoire naturelle de Chicago), qui n’a pas été associée aux présentes études. Il s’appuyait alors sur seulement 19 gènes, mais dans 169 espèces.

Tentations opposées
Pendant les presque quatre années qu’a duré l’analyse des génomes entiers, les réunions hebdomadaires intercontinentales du jeudi, par téléconférence, ont souvent abordé un thème central dans ces nouveaux projets fondés sur le Big Data : toujours plus de données permet-il de faire (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/faire) mieux – le sens émerge-t-il nécessairement de cette complexité ?

« Il y avait deux tentations opposées, témoigne Bastien Boussau (UMR CNRS 5558, Lyon) qui développe des méthodes informatiques pour étudier (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/%C3%A9tudier) l’évolution des génomes. Utiliser la majeure partie des informations générées ou les élaguer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/%C3%A9laguer) pour pouvoir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/pouvoir) plus facilement modéliser l’évolution. »« Quand on ajoute des génomes, il peut y avoir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/auxiliaire/avoir) des artefacts, renchérit Benoît Nabholz (ISEM Montpellier (http://www.lemonde.fr/montpellier/)), qui lui aussi a cosigné certains travaux. L’une des hypothèses de départ était même qu’on ne parviendrait pas à offrir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/offrir) une histoire évolutive robuste de cette diversité. »


Un des paramètres difficiles à maîtriser (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/ma%C3%AEtriser) est la teneur en certaines bases nucléiques (guanine et cytosine, deux des quatre « lettres » de l’ADN), qui est plus importante chez les petits animaux, mais aussi à proximité des extrémités des chromosomes. Comment le prendre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/prendre) en compte dans la comparaison de génomes ? C’était l’un des défis bio-informatiques à résoudre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/r%C3%A9soudre).


« Big Bang » évolutif
Autre difficulté : il apparaît que la lignée actuelle des oiseaux a connu une explosion à une période proche de la crise crétacé/tertiaire, qui a vu la disparition des dinosaures, il y a 66 millions d’années. Mais les horloges moléculaires ne sont pas assez précises pour dire (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/dire) si elle a eu lieu avant ou après. Et ce « Big Bang » évolutif lui-même complique l’analyse génomique.


Si, finalement, le consortium est parvenu à proposer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/proposer) un « arbre de la vie » des oiseaux, il ne s’agit pour Bastien Boussau que d’une étape, car il faut encore progresser (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/progresser) dans les algorithmes et l’analyse statistique des données, qui parfois aboutissent à des paradoxes :

« l’arbre évolutif d’un gène, comme celui du collagène, peut ne pas coller (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/coller) avec celui des espèces », indique le chercheur.


Certaines relations entre espèces restent donc incertaines. D’autres sont des surprises. « Les grèbes, morphologiquement très dérivés des flamants roses, sont en fait génétiquement très proches », s’amuse Benoît Nabhloz. Après l’arbre de la vie, même imparfait, le Big Data aviaire va désormais s’attaquer à un autre défi : tenter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/tenter) de comprendre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/comprendre) les mutations génétiques qui ont permis aux oiseaux de s’adapter à tant d’environnements différents.





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