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sentenza
05/11/2014, 16h20
http://www.dzsat.org/forum/attachment.php?attachmentid=45744&d=1415192987 (http://www.dzsat.org/forum/attachment.php?attachmentid=45744&d=1415193295)Canal+ est affecté, comme les autres acteurs de l'audiovisuel, par la crise qui pèse sur les annonceurs et le pouvoir d'achat. A l'heure de la révolution digitale, il affronte une nouvelle forme de concurrence, symbolisée par Netflix, qui l'oblige à repenser son modèle.

Ce n'est pas parce que l'on va bien aujourd'hui que l'on ira forcément bien demain. Au moment où Canal+ commémore son trentième anniversaire, l'heure est bien sûr à la fête et à l'autocélébration. Le premier groupe audiovisuel français, connu pour les Guignols, le Petit Journal, ses grandes soirées de foot, ses séries maison et ses films , semble au sommet de sa gloire. Un chiffre d'affaires annuel supérieur à 5 milliards d'euros ; des profits qui résistent à la crise et à l'inflation des droits ; une base d'abonnés qui, à l'échelle du globe, dépasse les 15 millions de clients. En trois décennies, l'ex-filiale d'Havas a tracé sa route et enterré une longue liste de concurrents. TPS est mort, Orange a revu ses ambitions à la baisse dans la télévision payante et TF1, qui fit longtemps de l'ombre à la pépite de Vivendi, réalise un chiffre d'affaires deux fois inférieur à celui de sa rivale.

Les apparences sont néanmoins trompeuses. Canal+ ne risque pas de s'écrouler demain, mais ce spécialiste de la télé payante, qui a commencé à se diversifier dans le gratuit, est confronté à une somme de difficultés inédites. Surtout, si au cours de son histoire la chaîne cryptée a déjà traversé des épreuves, les challenges ont changé de nature. Lors de ses précédentes sorties de route, Canal+ fut avant tout victime d'erreurs de management internes. Si le groupe faillit mourir à la fin des années 90 d'une internationalisation opérée en dépit du bon sens, c'est parce que les dirigeants de l'entreprise se focalisaient sur le contenu et l'expansion hors de France, mais négligeaient les chiffres et leur base de coûts. Le groupe était assis sur un tas d'or mais vivait au-dessus de ses moyens. Aujourd'hui le combat a changé de dimension. Canal+ est une entreprise bien gérée, mais la menace est devenue à la fois multiforme et multinationale. Canal+ est attaqué sur tous les fronts à la fois. Et ses rivaux ne sont plus français ou européens, ils sont américains ou qataris…

La liste des défis auxquels est confronté le groupe dirigé par Bertrand Meheut est bien longue. Comme tous les acteurs de l'audiovisuel tricolore, Canal+ est tout d'abord affecté par la crise qui pèse sur les annonceurs et le pouvoir d'achat. Surtout, avec l'arrivée en France de Netflix et de beIN Sports, il se retrouve attaqué par des concurrents qui proposent dans le cinéma, les séries et le sport des contenus de qualité pour un prix moindre. Leur offre reste certes moins riche et ces rivaux élargissent le marché en attirant de nouveaux abonnés au moins autant qu'ils captent des clients historiques de Canal+. Mais, par ricochet, ils limitent aussi la marge de manoeuvre de Canal+ lorsque ce dernier peut avoir la tentation d'augmenter ses prix. Il le force également à s'interroger sur son offre. Canal+ a toujours proposé un « menu », un tout mêlant cinéma, documentaires, séries et sport. Demain, devra-t-il aussi se vendre « à la carte », en proposant à l'unité des chaînes ciné, séries ou sport, meilleures et donc un peu plus chères que celles de ses concurrents ? Le pari commercial serait en tout cas risqué car Canal+ pourrait faire fondre ses revenus sans forcément conquérir beaucoup de nouveaux clients.

Alternative dans les contenus, Netflix est aussi le symbole d'une nouvelle forme de concurrence de plus en plus technologique. Comme tous les groupes de médias historiques, Canal+ est menacé par l'essor de géants numériques. Le petit écran jouissait d'un quasi-monopole sur l'image. Aujourd'hui, la révolution digitale bouleverse sur le fond comme sur la forme l'audiovisuel. On regarde des images sur son smartphone ou une tablette, en direct comme en différé, en passant par Netflix mais aussi YouTube. Or pour résister à ces acteurs comme à Google ou Facebook, il faut être capable d'embaucher des armées d'ingénieurs et de développer des algorithmes. Cela n'est pas dans l'ADN de Canal+.

Pour survivre et croître, la chaîne va devoir s'adapter et se remettre en cause, en commençant par admettre que ce qui a fait sa force hier n'aura à terme plus guère de valeur. Si Canal+ est devenu ce qu'il est, c'est en partie parce qu'il disposa d'une ressource rare : un canal de diffusion hertzien. La fortune du groupe vient de là, il contrôlait un tuyau, un moyen de toucher les téléspectateurs, à une époque où les tuyaux étaient rares. Aujourd'hui, les fréquences hertziennes ont encore une valeur mais les médias sont passés d'une période de relative pénurie à l'ère de l'abondance. Via les réseaux numériques, il est devenu plus aisé d'atteindre le public et, désormais, la valeur n'est plus seulement dans le tuyau mais, de façon croissante, dans les contenus exclusifs. Pour séduire et se différencier, il faut être capable d'offrir ce que personne d'autre n'est capable de proposer. Canal+, qui casse sa tirelire pour conserver des droits sportifs, l'a bien compris. Mais pour affronter des groupes de médias américains intégrés verticalement, qui produisent et diffusent des séries, Canal+ va lui aussi devoir être, comme son homologue américain HBO, à la fois producteur et diffuseur de séries, ce qui lui est interdit par la loi, qui défend les producteurs indépendants. Adossé à un groupe Vivendi qui regorge de cash, sous l'autorité d'un Vincent Bolloré prêt à prendre des paris à moyen-long terme, Canal+ dispose encore de relais de croissance dans le gratuit et à l'international. Il va devoir apprendre à protéger l'existant tout en portant l'offensive sur de nouveaux fronts. Le groupe, qui fête ses trente ans cette semaine, est du coup peut-être déjà un peu plus vieux qu'il n'y paraît