harroudiroi
25/10/2014, 12h10
Ce que l'Islam reconnaît dans le Christianisme
Publié dans Face aux sources bibliques
Au nom d’Allah, l’Infiniment Miséricordieux, le Très-Miséricordieux
Un docteur en théologie islamique, M. Hamidullah, qui m'honore de son amitié, m'a envoyé l'article suivant. Il me parait très significatif de la manière dont un spirituel musulman comprend la théologie chrétienne même s'il déconcerte parfois un chrétien du XXe siècle, familier des actuels courants théologiques, et fort utile à méditer dans la perspective du dialogue entre Chrétiens et Musulmans.
[Ci-avant, l'introduction de l'article par le journaliste protestant : A. F.]
[Texte de Muhammad Hamidullah] :
De toutes les religions sur la terre, l'Islam est la seule à donner raison aux Chrétiens dans leur « impossible » affirmation concernant la naissance immaculée et sans père de Jésus. L'Islam s'est porté garant et défenseur de l'honneur de la Vierge Marie, devant le monde incrédule.
C'est une ironie du destin qu'au lieu de prendre l'Islam pour ami et allié, les Chrétiens l'aient pris depuis 1400 ans pour ennemi (1). El cela malgré l'enseignement, « aimez vos ennemis » (Matth. 5/44, Luc 6/29), dont ils sont justement fiers. Il est peut-être temps qu'on s'arrête pour méditer un moment.
Les rapports de l'Islam avec le Protestantisme sont aussi très anciens, remontant aux antécédents mêmes de ce dernier. Martin Luther est considéré comme un bon arabisant et islamologue de son époque. Pourquoi ne pas reprendre les contacts rompus, pour un mutuel avantage ? Le dialogue avec l'Islam a repris chez les Chrétiens, depuis peu. Rappelons qu'il y a déjà quatorze siècles que le Coran (3/64) y a lancé le premier appel, et proclamé quelque chose d'inouï (2/52, 5/69), une coexistence pacifique.
L'Islam ne rejette pas tout
Il est faux de penser que l'Islam rejette tout du Christianisme. Au contraire, il en reconnaît quasiment tout. S'il y a des divergences, c'est sur l'interprétation ou la portée de certaines doctrines. Voici quelques points qui me viennent à l'esprit pour illustrer ce point dans un bref article :
1. L'Islam classe les Chrétiens parmi les Ahl al-kitâb, Gens d'un livre révélé, qui se fondent sur un enseignement révélé par Dieu. Dans au moins une demi-douzaine de passages, le Coran se dit « “confirmateur” (musaddiq) de ce qu'il y avait avant lui », c'est-à-dire le « Livre » et la « religion du Prophète », précédent Muhammad et le Coran.
2. Chez les Chrétiens, Jésus est appelé Christ, mot grec qui signifie l'Oint. Le Coran le reconnaît une douzaine de fois et le rend par le mot arabe Masîh, qui a le même sens.
Jésus est également appelé le Prophète (voir Matth. 21/11, Luc 7/16, etc.). Le Coran le reconnaît de nombreuses fois, l'appelant par l'équivalent arabe Nabî.
Jésus est désigné le Verbe, la Parole de Dieu. Le Coran (3/39, 3/45, 4/171) le reconnaît : Jésus est Kalimat-Allâh, pour les Musulmans aussi. Le Coran (4/171) le nomme également Rouh-Allâh (Esprit de Dieu). Je ne sais pas si cette désignation est reconnue chez les Chrétiens. Il convient peut-être de relever que l'« Esprit », selon le Coran (15/85), signifie « Commandement de Dieu » ; le mot « Parole » doit également impliquer le même sens, il évoque donc le Fiat créateur. Le Coran (3/59) souligne : l'image de Jésus est auprès de Dieu comme l'image d'Adam (ce dernier n'ayant même pas une mère). Pour le Musulman, dans ces manifestations de la toute-puissance divine, il faut plus penser à l'auteur qu'à l'ouvrage.
Jésus : le « Fils de Dieu »
Jésus se dit « Fils de Dieu » à plusieurs reprises. Je cite un seul passage : « Alors le souverain sacrificateur, se levant au milieu de l'assemblée, interrogea Jésus… “Es-tu fils de Dieu béni ?” Jésus répondit : “Je le suis, et vous verrez le fils de l'honune assis à la droite de la puissance de Dieu...” » (Marc 14/60-2)
La conjugaison des deux termes, fils de l'homme et fils de Dieu, manque de netteté, et l'on est porté à conjecturer le sens voulu. Dans maints passages des Évangiles, Jésus est désigné par le terme : « fils unique de Dieu » ; mais en même temps Adam est « fils de Dieu » (Luc 3/38) ; David dit : « L'Eternel m'a dit : Tu es Mon fils » (Psaume 2/7) ; Jésus est fils de Joseph, fils de Héli, etc., fils d'Adam, fils de Dieu (Luc 3/23-38) ; Jésus est fils de David (Matth. 1/1). Il y a aussi de nombreux passages qui parlent « des enfants de Dieu ». Il va de soit qu'il ne doit pas s'agir de théogamie*, mais d'un sens mystique : quelque chose comme le bien-aimé de Dieu, et non comme un prince-héritier pour un Dieu éternel et immortel. Je ne connais du grec que l'alphabet, donc je fais confiance à ce qu'on m'a dit, à savoir que le mot grec pour le « fils » ne signifie pas « fils » dans le sens animal, mais plutôt un garçon, un page bien-aimé (de Dieu). Si c'est ainsi, on lira avec intérêt le passage coranique (19/30), où ce même sens, par te terme ‘abd, est mis dans la bouche même de Jésus, qui est fier d'être le ‘abd de Dieu, et d'avoir reçu de Lui le Livre et la qualité de Prophète.
L'anéantissement en Dieu
3. Jésus n'a jamais dit lui-même : « Je suis Dieu. » C'est une déduction faite par les docteurs Chrétiens. Dieu est éternel ; naître, mourir, être réssuscité ne Lui conviennent point. De là, les catholiques ont été amenés à croire que Jésus avait deux natures, humaine et divine à la fois ; la mort, etc., concernent uniquement sa nature humaine.
Je ne sais pas comment ils expliquent que, monté au Ciel, Jésus s'assied à la droite de Dieu ; on ne peut pas s'asseoir à la droite de soi-même. Donc même au Ciel, il est homme et différent de Dieu. Les mystères peuvent subsister dans les paroles révélées de Dieu, mais non dans les déductions et élaborations humaines des théologiens.
Malgré ces difficultés, l'Islam ne rejette pas totalement la doctrine chrétienne et la comprend dans le sens de l'anéantissement en Dieu (fana fi Allah) (2), En effet, dans un célèbre et sanctissime hadith [qudsi], Muhammad déclare : « Dieu dit : “l'homme continue à chercher de se rapprocher de Moi au moyen de la piété surérogatoire jusqu'à ce que Je l'aime, puis quand Je l'aime, c'est par sa bouche que Je parle, par sa main que Je saisis, par son pied que Je marche.” », etc.
Appelez-le incarnation ou anéantissement en Dieu, ce que préfère l'Islam, ce sens est connu de l'Islam. Il faut toutefois signaler que cet état de fana fi Allah est, selon l'Islam, accessible à tout saint [c.-à-d. toute personne vertueuse] ; la dignité de messager de Dieu est de loin plus élevée que celle de l'anéanti en Dieu.
La Trinité et le Salut
La Trinité était inconnue au début du Christianisme. Elle date, dit-on, du IIIe siècle. Elle se fonde sur le fameux verset de Matthieu (28/19), où Jésus, après sa résurrection et lors de son apparition à une poignée de ses fidèles, dit : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Sans discuter ici, ses autres directives données lors de la vie terrestre comme celles citées dans (Matt. 10/5-6, 15/24), je pense qu'un Musulman, dans de pareilles circonstances, interprétera ce passage par : « Prêchez la religion révélée par Dieu, à Son bien-aimé Prophète, et ta grâce divine vous comblera toujours. » On n'aura pas besoin de croire en trois personnes pour le Dieu Unique, ni d'aller à rencontre des données de l'Ancien Testament. Tous seront d'accord.
On attribue à Jésus la parole : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. » (Jean 14/6). Le Musulman ne la refuse pas, et dit que tout Prophète doit la dire durant son ministère. Si au temps de Moïse on voulait rester accroché aux enseignements d'Abraham, par exemple, ce ne serait pas obéissance à Dieu ; au contraire (3).
Le Musulman croit (cf Coran 2/285) en tous les Prophètes depuis Adam jusqu'à Muhammad, y compris Jésus [Paix à eux], ainsi que dans tous les Livres révélés, y compris l'Évangile. Quand le même Législateur promulgue successivement plusieurs lois sur le même sujet, c'est la toute dernière qui reste en vigueur, et le Musulman applique cette dernière, tout en reconnaissant les anciennes lois.
La croix et les icônes
Ces symboles concrets comme objet du culte de Dieu n'ont existé chez les Chrétiens, ni du temps du fondateur de la religion, Jésus, ni du temps de ses apôtres. Les Chrétiens reconnaissent le Décalogue (Exode 20/4, Lévit. 26/1. Deut. 4/15-8, 5/8, etc.), et cette loi interdit précisément et formellement les images comme objet d'adoration.
Il est vrai que les images ne sont pas obligatoires, même si elles sont toujours employées, même au Vatican ; plus élevé un homme est, disent les Chrétiens, moins il a besoin des symboles concrets. Comme aucun Musulman, même le plus inculte, n'a jamais senti le besoin de tels objets, on dirait que, dans la longue marche vers le Seigneur, on n'a pas besoin de passer par les images et autres symboles matériels. Je peux me tromper.
Muhammad Hamidullah
Tiré du journal Réformé du samedi 17 janvier 1970
(1) Note de M. Hamidullah : J'ai parlé ailleurs de ses causes historiques, dans un article, « The Frlendly Relations of Islam with Christianity, and how they deteriorated ? », dans : « Journal of Pakistan Historical Society », Karachi, vol. 1, 1953, p. 41-45. Reproduit dans « Islamic Review », Woking, t. 42. juillet 1954, p. 12-14.
* Dans la mythologie égyptienne, la théogamie est le principe qui permet au dieu de prendre la place physique du pharaon afin de pouvoir s’unir avec la reine et concevoir ainsi le futur héritier du trône. Cette rencontre entre le monde des dieux et celui des hommes exprime la double nature de pharaon : dieu vivant sur terre. Ce principe fut utilisé à l'origine pour justifier ou légitimer une accession au trône (voir Papyrus Westcar).La théogamie devint ensuite une formule polico-religieuse que certains souverains des XVIIIe et XIXe dynasties adoptèrent pour leur propre légitimité, par l'intermédiaire de la filiation divine, pour affermir leur pouvoir. (Wikipedia)
(2) Ndlr : « Le Fanâ, c’est l’extinction de la volonté pour ce qui est autre qu’Allâh, de sorte qu’on n’aime qu’Allâh et qu’on n’adore que Lui, qu’on ne se confie qu’à Lui et qu’on ne recherche rien d’autre que Lui… » (Extrait de l'article « L’Authentique compréhension d’Al-Fanâ », traduit des travaux du théologien Ibn Taymiyyah).
(3) Ndlr : C'est-à-dire qu'il faut suivre la législation du dernier Prophète en cours. Rester accroché aux enseignements (législatifs) d'Abraham du temps de Moïse, alors que ce dernier apporta une « mise à jour » des enseignements de Dieu, aurait été perçu comme une désobéissance à Dieu, si la personne en avait eu connaissance.
Ceci est valable pour les Musulmans vis-à-vis de Jésus et de Mohammed. Dans les grandes lignes, le fond moral et spirituel est le même entre les deux messages célestes, mais rester accroché et se référer à la législation temporaire de Jésus, malgré le grand amour qu'on porte à ce dernier, est une marque d'infidélité et d'hérésie car il faut suivre le Dernier Messager. C'est ce qui est exprimé par « ce ne serait pas obéissance à Dieu ; au contraire ». Et Dieu est plus savant.
Publié dans Face aux sources bibliques
Au nom d’Allah, l’Infiniment Miséricordieux, le Très-Miséricordieux
Un docteur en théologie islamique, M. Hamidullah, qui m'honore de son amitié, m'a envoyé l'article suivant. Il me parait très significatif de la manière dont un spirituel musulman comprend la théologie chrétienne même s'il déconcerte parfois un chrétien du XXe siècle, familier des actuels courants théologiques, et fort utile à méditer dans la perspective du dialogue entre Chrétiens et Musulmans.
[Ci-avant, l'introduction de l'article par le journaliste protestant : A. F.]
[Texte de Muhammad Hamidullah] :
De toutes les religions sur la terre, l'Islam est la seule à donner raison aux Chrétiens dans leur « impossible » affirmation concernant la naissance immaculée et sans père de Jésus. L'Islam s'est porté garant et défenseur de l'honneur de la Vierge Marie, devant le monde incrédule.
C'est une ironie du destin qu'au lieu de prendre l'Islam pour ami et allié, les Chrétiens l'aient pris depuis 1400 ans pour ennemi (1). El cela malgré l'enseignement, « aimez vos ennemis » (Matth. 5/44, Luc 6/29), dont ils sont justement fiers. Il est peut-être temps qu'on s'arrête pour méditer un moment.
Les rapports de l'Islam avec le Protestantisme sont aussi très anciens, remontant aux antécédents mêmes de ce dernier. Martin Luther est considéré comme un bon arabisant et islamologue de son époque. Pourquoi ne pas reprendre les contacts rompus, pour un mutuel avantage ? Le dialogue avec l'Islam a repris chez les Chrétiens, depuis peu. Rappelons qu'il y a déjà quatorze siècles que le Coran (3/64) y a lancé le premier appel, et proclamé quelque chose d'inouï (2/52, 5/69), une coexistence pacifique.
L'Islam ne rejette pas tout
Il est faux de penser que l'Islam rejette tout du Christianisme. Au contraire, il en reconnaît quasiment tout. S'il y a des divergences, c'est sur l'interprétation ou la portée de certaines doctrines. Voici quelques points qui me viennent à l'esprit pour illustrer ce point dans un bref article :
1. L'Islam classe les Chrétiens parmi les Ahl al-kitâb, Gens d'un livre révélé, qui se fondent sur un enseignement révélé par Dieu. Dans au moins une demi-douzaine de passages, le Coran se dit « “confirmateur” (musaddiq) de ce qu'il y avait avant lui », c'est-à-dire le « Livre » et la « religion du Prophète », précédent Muhammad et le Coran.
2. Chez les Chrétiens, Jésus est appelé Christ, mot grec qui signifie l'Oint. Le Coran le reconnaît une douzaine de fois et le rend par le mot arabe Masîh, qui a le même sens.
Jésus est également appelé le Prophète (voir Matth. 21/11, Luc 7/16, etc.). Le Coran le reconnaît de nombreuses fois, l'appelant par l'équivalent arabe Nabî.
Jésus est désigné le Verbe, la Parole de Dieu. Le Coran (3/39, 3/45, 4/171) le reconnaît : Jésus est Kalimat-Allâh, pour les Musulmans aussi. Le Coran (4/171) le nomme également Rouh-Allâh (Esprit de Dieu). Je ne sais pas si cette désignation est reconnue chez les Chrétiens. Il convient peut-être de relever que l'« Esprit », selon le Coran (15/85), signifie « Commandement de Dieu » ; le mot « Parole » doit également impliquer le même sens, il évoque donc le Fiat créateur. Le Coran (3/59) souligne : l'image de Jésus est auprès de Dieu comme l'image d'Adam (ce dernier n'ayant même pas une mère). Pour le Musulman, dans ces manifestations de la toute-puissance divine, il faut plus penser à l'auteur qu'à l'ouvrage.
Jésus : le « Fils de Dieu »
Jésus se dit « Fils de Dieu » à plusieurs reprises. Je cite un seul passage : « Alors le souverain sacrificateur, se levant au milieu de l'assemblée, interrogea Jésus… “Es-tu fils de Dieu béni ?” Jésus répondit : “Je le suis, et vous verrez le fils de l'honune assis à la droite de la puissance de Dieu...” » (Marc 14/60-2)
La conjugaison des deux termes, fils de l'homme et fils de Dieu, manque de netteté, et l'on est porté à conjecturer le sens voulu. Dans maints passages des Évangiles, Jésus est désigné par le terme : « fils unique de Dieu » ; mais en même temps Adam est « fils de Dieu » (Luc 3/38) ; David dit : « L'Eternel m'a dit : Tu es Mon fils » (Psaume 2/7) ; Jésus est fils de Joseph, fils de Héli, etc., fils d'Adam, fils de Dieu (Luc 3/23-38) ; Jésus est fils de David (Matth. 1/1). Il y a aussi de nombreux passages qui parlent « des enfants de Dieu ». Il va de soit qu'il ne doit pas s'agir de théogamie*, mais d'un sens mystique : quelque chose comme le bien-aimé de Dieu, et non comme un prince-héritier pour un Dieu éternel et immortel. Je ne connais du grec que l'alphabet, donc je fais confiance à ce qu'on m'a dit, à savoir que le mot grec pour le « fils » ne signifie pas « fils » dans le sens animal, mais plutôt un garçon, un page bien-aimé (de Dieu). Si c'est ainsi, on lira avec intérêt le passage coranique (19/30), où ce même sens, par te terme ‘abd, est mis dans la bouche même de Jésus, qui est fier d'être le ‘abd de Dieu, et d'avoir reçu de Lui le Livre et la qualité de Prophète.
L'anéantissement en Dieu
3. Jésus n'a jamais dit lui-même : « Je suis Dieu. » C'est une déduction faite par les docteurs Chrétiens. Dieu est éternel ; naître, mourir, être réssuscité ne Lui conviennent point. De là, les catholiques ont été amenés à croire que Jésus avait deux natures, humaine et divine à la fois ; la mort, etc., concernent uniquement sa nature humaine.
Je ne sais pas comment ils expliquent que, monté au Ciel, Jésus s'assied à la droite de Dieu ; on ne peut pas s'asseoir à la droite de soi-même. Donc même au Ciel, il est homme et différent de Dieu. Les mystères peuvent subsister dans les paroles révélées de Dieu, mais non dans les déductions et élaborations humaines des théologiens.
Malgré ces difficultés, l'Islam ne rejette pas totalement la doctrine chrétienne et la comprend dans le sens de l'anéantissement en Dieu (fana fi Allah) (2), En effet, dans un célèbre et sanctissime hadith [qudsi], Muhammad déclare : « Dieu dit : “l'homme continue à chercher de se rapprocher de Moi au moyen de la piété surérogatoire jusqu'à ce que Je l'aime, puis quand Je l'aime, c'est par sa bouche que Je parle, par sa main que Je saisis, par son pied que Je marche.” », etc.
Appelez-le incarnation ou anéantissement en Dieu, ce que préfère l'Islam, ce sens est connu de l'Islam. Il faut toutefois signaler que cet état de fana fi Allah est, selon l'Islam, accessible à tout saint [c.-à-d. toute personne vertueuse] ; la dignité de messager de Dieu est de loin plus élevée que celle de l'anéanti en Dieu.
La Trinité et le Salut
La Trinité était inconnue au début du Christianisme. Elle date, dit-on, du IIIe siècle. Elle se fonde sur le fameux verset de Matthieu (28/19), où Jésus, après sa résurrection et lors de son apparition à une poignée de ses fidèles, dit : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Sans discuter ici, ses autres directives données lors de la vie terrestre comme celles citées dans (Matt. 10/5-6, 15/24), je pense qu'un Musulman, dans de pareilles circonstances, interprétera ce passage par : « Prêchez la religion révélée par Dieu, à Son bien-aimé Prophète, et ta grâce divine vous comblera toujours. » On n'aura pas besoin de croire en trois personnes pour le Dieu Unique, ni d'aller à rencontre des données de l'Ancien Testament. Tous seront d'accord.
On attribue à Jésus la parole : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. » (Jean 14/6). Le Musulman ne la refuse pas, et dit que tout Prophète doit la dire durant son ministère. Si au temps de Moïse on voulait rester accroché aux enseignements d'Abraham, par exemple, ce ne serait pas obéissance à Dieu ; au contraire (3).
Le Musulman croit (cf Coran 2/285) en tous les Prophètes depuis Adam jusqu'à Muhammad, y compris Jésus [Paix à eux], ainsi que dans tous les Livres révélés, y compris l'Évangile. Quand le même Législateur promulgue successivement plusieurs lois sur le même sujet, c'est la toute dernière qui reste en vigueur, et le Musulman applique cette dernière, tout en reconnaissant les anciennes lois.
La croix et les icônes
Ces symboles concrets comme objet du culte de Dieu n'ont existé chez les Chrétiens, ni du temps du fondateur de la religion, Jésus, ni du temps de ses apôtres. Les Chrétiens reconnaissent le Décalogue (Exode 20/4, Lévit. 26/1. Deut. 4/15-8, 5/8, etc.), et cette loi interdit précisément et formellement les images comme objet d'adoration.
Il est vrai que les images ne sont pas obligatoires, même si elles sont toujours employées, même au Vatican ; plus élevé un homme est, disent les Chrétiens, moins il a besoin des symboles concrets. Comme aucun Musulman, même le plus inculte, n'a jamais senti le besoin de tels objets, on dirait que, dans la longue marche vers le Seigneur, on n'a pas besoin de passer par les images et autres symboles matériels. Je peux me tromper.
Muhammad Hamidullah
Tiré du journal Réformé du samedi 17 janvier 1970
(1) Note de M. Hamidullah : J'ai parlé ailleurs de ses causes historiques, dans un article, « The Frlendly Relations of Islam with Christianity, and how they deteriorated ? », dans : « Journal of Pakistan Historical Society », Karachi, vol. 1, 1953, p. 41-45. Reproduit dans « Islamic Review », Woking, t. 42. juillet 1954, p. 12-14.
* Dans la mythologie égyptienne, la théogamie est le principe qui permet au dieu de prendre la place physique du pharaon afin de pouvoir s’unir avec la reine et concevoir ainsi le futur héritier du trône. Cette rencontre entre le monde des dieux et celui des hommes exprime la double nature de pharaon : dieu vivant sur terre. Ce principe fut utilisé à l'origine pour justifier ou légitimer une accession au trône (voir Papyrus Westcar).La théogamie devint ensuite une formule polico-religieuse que certains souverains des XVIIIe et XIXe dynasties adoptèrent pour leur propre légitimité, par l'intermédiaire de la filiation divine, pour affermir leur pouvoir. (Wikipedia)
(2) Ndlr : « Le Fanâ, c’est l’extinction de la volonté pour ce qui est autre qu’Allâh, de sorte qu’on n’aime qu’Allâh et qu’on n’adore que Lui, qu’on ne se confie qu’à Lui et qu’on ne recherche rien d’autre que Lui… » (Extrait de l'article « L’Authentique compréhension d’Al-Fanâ », traduit des travaux du théologien Ibn Taymiyyah).
(3) Ndlr : C'est-à-dire qu'il faut suivre la législation du dernier Prophète en cours. Rester accroché aux enseignements (législatifs) d'Abraham du temps de Moïse, alors que ce dernier apporta une « mise à jour » des enseignements de Dieu, aurait été perçu comme une désobéissance à Dieu, si la personne en avait eu connaissance.
Ceci est valable pour les Musulmans vis-à-vis de Jésus et de Mohammed. Dans les grandes lignes, le fond moral et spirituel est le même entre les deux messages célestes, mais rester accroché et se référer à la législation temporaire de Jésus, malgré le grand amour qu'on porte à ce dernier, est une marque d'infidélité et d'hérésie car il faut suivre le Dernier Messager. C'est ce qui est exprimé par « ce ne serait pas obéissance à Dieu ; au contraire ». Et Dieu est plus savant.