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morocco
16/10/2014, 16h23
15 octobre 2014 (http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2014/10/15/il-y-a-aussi-des-sages-femmes-chez-les-singes/), par Pierre Barthélémy (http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/author/pierrebarthelemy/)Il y a aussi des « sages-femmes » chez les singes
http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/files/2014/10/01b5d8f022d23be4968c49922ae4357a.jpg (http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/files/2014/10/01b5d8f022d23be4968c49922ae4357a.jpg)Il est parfois, dans la vie des zoologistes, des moments où la surprise le dispute à la grâce. On peut résumer ainsi la scène à laquelle ont assisté des chercheurs chinois, qu'ils rapportent dans le numéro d'octobre de la revue Primates (http://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10329-014-0427-1). Cette équipe de l'université de Pékin travaille sur la biodiversité dans les collines du Nongguan, à l'extrême sud du pays, et notamment sur une troupe de semnopithèques de Cat Ba, des singes dont l'habitat recouvre la frontière entre la Chine et le Vietnam. L'espèce est en danger critique d'extinction, selon la classification de l'Union internationale pour la conservation de la nature, car moins de 800 individus vivent encore en liberté. Il s'agit d'une des espèces de primates les plus menacées de disparition.
La scène en question se déroule en mars 2013. Ce soir-là, les singes reviennent à la falaise où ils passent la nuit à l'abri sur d'étroits surplombs rocheux. Sur l'un de ces « balcons », une des guenons attire l'attention des zoologistes à la présence desquels les primates sont habitués puisqu'ils se côtoient depuis 1997. Cette jeune femelle de cinq ans, dont c'est la première grossesse, est prise de contractions et adopte une posture indiquant qu'elle est sur le point d'accoucher.
Après presque deux heures de travail et plus de 70 contractions, la tête du petit apparaît suivie des épaules. Comme c'est le cas normalement chez ces singes, la guenon se débrouille seule et commence à attraper son rejeton à une main pour faciliter et terminer l'expulsion. C'est alors que l'inattendu survient, observé par les chercheurs chinois qui filment la scène au caméscope. Soudain arrive une autre femelle de la troupe, plus âgée – 14 ans – et aussi plus expérimentée puisque, quelques heures auparavant, elle a donné la vie pour la cinquième fois. Elle surveillait visiblement le travail depuis le début et a décidé d'intervenir en voyant le petit émerger.
Tout se déroule très vite. Comme on peut le voir sur les photographies ci-dessous, elle se place derrière sa congénère et saisit le bébé singe à deux mains. La parturiente ne montre aucun signe de surprise ou de rejet. Au contraire, comme si elle comprenait l'intention, elle lâche aussitôt son petit pour se cramponner à des saillies rocheuses. L'autre guenon se met alors à tirer et, en seulement 18 secondes, extrait complètement le petit. Plus tard, accomplissant son travail de « sage-femme » jusqu'au bout, elle va même lécher le bébé pendant que sa mère ingère le placenta.

http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/files/2014/10/S1.jpg (http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/files/2014/10/S1.jpg)Alors que la tête et les épaules de son petit sont sorties, la jeune femelle tente de terminer l'expulsion en s'aidant d'une main. © Wenshi Pan et al./Primates.

http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/files/2014/10/S2.jpg (http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/files/2014/10/S2.jpg)La femelle plus âgée décide d'intervenir. Pendant que la parturiente se cramponne aux rochers, elle tire sur le petit. © Wenshi Pan et al./Primates.

http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/files/2014/10/S3.jpg (http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/files/2014/10/S3.jpg)En moins de 20 secondes d'assistance, le bébé singe est expulsé. © Wenshi Pan et al./Primates.

Pour les chercheurs qui racontent l'histoire, c'est une immense surprise. Normalement, chez les primates, les femelles donnent la vie en solo à l'exception notable de celles qui appartiennent à l'espèce Homo sapiens. Il faut dire que, chez les humains, l'évolution a singulièrement compliqué les choses, pour deux raisons anatomiques. D'une part, la bipédie a modifié la structure du bassin, rétrécissant le passage pour les bébés. D'autre part, notre lignée a connu une « encéphalisation » impressionnante, avec un cerveau qui n'a cessé de grossir. Comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous, qui compare, chez différents singes, la tête des bébés à la voie de sortie qu'ils doivent emprunter pour voir le jour, la naissance chez les humains se joue à très peu.

http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/files/2014/10/Tete.jpg (http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/files/2014/10/Tete.jpg)Surtout, nous sommes la seule espèce chez qui le petit, pour sortir, doit se tourner afin de faire correspondre l'ovale de sa tête avec celui du passage. A l'arrivée, 95 % des petits humains se présentent avec le haut du crâne en premier et la tête vers le bas. A cause de ces deux particularités, il est très difficile, voire impossible, à la parturiente, de dégager son enfant en cas de blocage (tandis que chez les autres primates, le petit sort visage en premier et orienté vers sa mère). D'où l'idée, émise par de nombreux anthropologues, que l'espèce humaine était la seule à avoir développé (très tôt) une coopération entre individus pour les accouchements (http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1046/j.1471-0528.2002.00010.x/abstract). On mesure mieux à cette aune la surprise qui a été celle de ces chercheurs chinois en assistant à cette scène. Tout comme le rire, observé chez des chimpanzés, l'obstétrique n'est pas le propre de l'homme...

Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter (https://twitter.com/PasseurSciences) ou bien là sur Facebook (http://www.facebook.com/passeur.desciences))