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edenmartine
24/04/2014, 08h32
Shila Begum, survivante de l'effondrement du Rana Plaza

LE MONDE | 21.04.2014 à 10h19 • Mis à jour le 24.04.2014 à 07h23 |
http://s1.lemde.fr/image/2014/04/21/534x267/4404630_3_2c56_shila-begum-une-ouvriere-du-textile_a6a0e082898d19c006167ba891a719db.jpg
Shila Begum, une ouvrière du textile bangladaise de 25 ans, rescapée de la catastrophe du Rana Plaza du 24 avril 2013 qui a couté la vie à 1138 personnes et fait près de 2 000 blessés.

|Une vie brisée. Shila Begum fait partie des rescapés du drame du Rana Plaza (http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/05/10/au-bangladesh-le-bilan-de-l-immeuble-effondre-depasse-les-1000-morts_3174835_3216.html). L'effondrement d'un immeuble dans la banlieue de Dacca, la capitale duBangladesh (http://www.lemonde.fr/bangladesh/), voici un an, le 24 avril 2013, avait causé la mort de 1 135 salariés – essentiellement des jeunes femmes – et fait plus de 2 000 blessés.

La pire tragédie de l'industrie (http://www.lemonde.fr/industrie/) textile avait illustré avec horreur le mépris à l'égard de ces salariées du low cost, des propriétaires d'usines de ce pays et de leurs donneurs d'ordres, les marques de mode (http://www.lemonde.fr/mode/) occidentales – Zara, Primark, Benetton, Camaïeu, Mango, C& A, El Corte Ingles – ou les filiales de la grande distribution, comme Auchan. A ce jour, aucune de ces victimes n'a été correctement indemnisée.
A l'initiative du syndicat national Garment Workers Federation (NGWF), Shila Begum, 25 ans, est venue témoigner (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/t%C3%A9moigner) sur le Vieux Continent – aux Pays-Bas (http://www.lemonde.fr/pays-bas/), enItalie (http://www.lemonde.fr/italie/), en France (http://www.lemonde.fr/europeennes-france/) et en Allemagne (http://www.lemonde.fr/allemagne/) – et rencontrer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/rencontrer), début avril, des membres des Parlements de ces différents pays. Depuis le drame, elle s'est impliquée au sein de ce syndicat.
Elle raconte inlassablement l'effroi et l'horreur provoqués par l'effondrement de l'immeuble. « Je travaillais au sixième étage, dans l'atelier Ether Tex. La veille, des fissures étaient apparues sur les murs, mais les employeurs avaient obligé tous les salariés à venir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/venir) travailler », explique-t-elle. Sous peine de ne pas leurpayer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/payer) le mois qui leur était dû. L'enquête (http://www.lemonde.fr/enquetes/) a montré par la suite que trois étages avaient été ajoutés illégalement au bâtiment.
« Tout s'est passé très vite, dit-elle. Je suis restée seize heures avant d'être (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/auxiliaire/%C3%AAtre)secourue. J'avais une énorme pierre sur le bras et le bas-ventre bloqué sous les décombres. »
Aujourd'hui Shila Begum ne peut plus se servir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/servir) de ce bras et elle a subi une hystérectomie. La plupart de ses (http://www.lemonde.fr/bourse/nyse-euronext-paris-equities/ses/) amies ont péri. « Quelle est la valeur de nos vies pour les marques pour qui nous travaillions ? demande-t-elle. Nous sommes incapables de gagner (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/gagner) notre vie ; nous sommes devenues des assistées. Ce n'est pas ce que nous voulions », lance-t-elle.

Lire le reportage : Bangladesh : les fantômes du Rana Plaza (http://prive.abonnes.lemonde.fr/economie/article/2013/06/25/les-fantomes-du-rana-plaza_3435941_3234.html)
« JAMAIS, PLUS JAMAIS TRAVAILLER (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/travailler) DANS LE TEXTILE »

Née le 1er janvier 1988 à Barisal, un village situé très au sud de Dacca, Shila Begum, troisième d'une famille (http://www.lemonde.fr/famille/) de huit enfants, était venue s'installer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/installer) dans la capitale il y a quatre ans. Sa vie avait déjà été déchirée une première fois quand son époux – elle a été mariée à 13 ans – est mort dans un accident de la route voici huit ans. Il était transporteur de bois.
« C'était un mariage arrangé mais heureux », glisse la jeune femme. Elle ne travaillait pas ; son mari subvenait à leurs besoins. Shila regrette que sa belle-famille lui ait interdit de poursuivre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/poursuivre) ses études à quinze ans. Elle a élevé leur fille, Nipamoni, née quand Shila avait quinze ans.
Veuve avant d'avoir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/auxiliaire/avoir) vingt ans, elle a finalement dû travailler (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/travailler), d'abord comme femme de ménage dans un hôtel puis chez des particuliers, avant de se résoudre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/r%C3%A9soudre)à aller (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/aller) à l'usine. Comme 3,2 millions de femmes au Bangladesh.
« Aujourd'hui, je survis, c'est un drame », lâche Shila. Elle ne peut pas cacher (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/cacher) ses larmes en expliquant que sa jeune soeur, Marie, 15 ans, a dû aussi arrêter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/arr%C3%AAter) ses études pour coudre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/coudre) dans une usine et s'occuper (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/occuper) d'elle. Shila ne peut plus subvenir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/subvenir)aux besoins de sa fille et a dû la confier (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/confier) à la garde de sa soeur aînée, restée dans le village de leurs parents. Tous deux sont malades.
Elle explique avoir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/auxiliaire/avoir) touché jusqu'à présent 700 euros d'aides, données conjointement par le gouvernement du Bangladesh, le syndicat national des ouvriers et la marque de vêtements Primark. Si un jour son bras fonctionne à nouveau, elle aimerait ouvrir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/ouvrir) une petite boutique. « Mais jamais, plus jamaistravailler (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/travailler) dans le textile », dit-elle.
Shila Begum incarne à elle seule le gouffre béant qui sépare la misère de son pays de l'opulence des géants occidentaux de l'habillement. Au Bangladesh, le salaire mensuel de ces ouvrières reste l'un des plus bas de la planète (http://www.lemonde.fr/planete/) – même s'il a été augmenté cette année de 76 % – ; il n'atteint que 68 dollars (50 euros).

Lire le décryptage : Au Bangladesh, plus de 1 700 morts depuis 1990 dans des ateliers textile (http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/05/14/bangladesh-plus-de-1-700-morts-depuis-1990_3176155_3216.html)

Les deux géants mondiaux du textile, qui sous-traitent massivement dans ce pays – le suédois H & M et l'espagnol Inditex (maison mère de Zara) – ont affiché respectivement 1,95 milliard et 2,38 milliards d'euros de bénéfice net au cours de leur exercice fiscal 2013. En moins de dix ans, le Bengladesh est devenu le deuxième exportateur de vêtements après la Chine (http://www.lemonde.fr/chine/). Depuis que Shila Begum est enfant, des milliers d'ateliers ont été bâtis, la plupart du temps au mépris des conditions de sécurité les plus élémentaires.
Shahidul Islam (http://www.lemonde.fr/islam/) Shahid, vice-président de la National Workers Federation, qui accompagne Shila Begum dans son périple, est formel : « Pour une chemise vendue 25 euros en boutique, les marques paient 53 centimes de fabrication au Bangladesh et, en comptant le transport, ce vêtement leur revient à 2 euros. Si le prix payé pour chaque chemise était augmenté de 3 centimes, cela nous permettrait de vivre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/vivre) », dit-il.

UNE PROPOSITION DE LOI DÉPOSÉE EN FRANCE

La députée écologiste française Danielle Auroi (EELV (http://www.lemonde.fr/eelv/), Puy-de-Dôme), qui a reçu la victime du Rana Plaza le 8 avril à la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, en appelle à la conscience des consommateurs : « S'ils achètent un jean à 10 ou 20 euros, ils doivent savoir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/savoir) dans quelles conditions il est fait. » Elle s'insurge contre les grandes marques « qui demandent de fabriquer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/fabriquer)toujours plus vite, toujours moins cher ».
Cette pression sur les prix et les délais génère une sous-traitance informelle. « Ces marques ont l'outrecuidance de rejeter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/rejeter) leur responsabilité », de laisser (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/laisser) ces femmes « vivre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/vivre) l'enfer d'un travail sous-payé », dit Mme Auroi. Avec ses collègues socialistes Dominique Potier (Meurthe-et-Moselle) et Philippe Noguès (Morbihan), elle a signé une proposition de loi pour imposer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/imposer) un devoir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/devoir) de vigilance des société (http://www.lemonde.fr/societe/)s mères et des entreprises (http://www.lemonde.fr/entreprises/) donneuses d'ordres à l'égard de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Une façon imparable d'éviter (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/%C3%A9viter) une cascade de sous-traitance qui permet d'imposer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/imposer) des salaires de misère en bout de chaîne.

Lire le point de vue : Le drame du Rana Plaza doit ouvrir la voie à la généralisation de "bonnes pratiques" déjà présentes dans l'industrie textile (http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/06/20/le-drame-du-rana-plaza-doit-ouvrir-la-voie-a-la-generalisation-de-bonnes-pratiques-deja-presentes-dans-l-industrie-textile_3433928_3232.html)

Avocate à la Cour suprême du Bangladesh, Sara Hossain, invitée à l'Assemblée nationale le 16 avril, se bat pour obtenir (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/obtenir) réparation pour toutes les victimes du Rana Plaza. Elle multiplie les procédures et travaille avec une armada de 2 500 juristes bénévoles de l'ONG Blast (Bangladesh Legal Aid and Services (http://www.lemonde.fr/services/) Trust). Ils instruisent des centaines de cas pour demander (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/demander) une compensation aux familles des victimes et une aide (http://www.lemonde.fr/services-aux-internautes/) pour celles qui sont restées handicapées. L'avocate se réjouit que le propriétaire – dont les comptes ont été gelés – ait été arrêté et inculpé pour meurtre le 15 avril. Quarante autres personnes sont poursuivies.
Shahidul Islam Shahid redoute le pire : « Si l'Union européenne (http://www.lemonde.fr/union-europeenne/) mettait à exécution sa menace de suspendre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/suspendre) le système préférentiel des taxes douanières accordé au Bangladesh, ce serait une catastrophe. Les femmes de ce pays qui ont acquis une liberté et une autonomie en travaillant seraient condamnées à se prostituer (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/prostituer) », assure-t-il.
Pour les neuf millions de personnes directement et indirectement impliquées dans la production textile, ajoute-t-il, « cela créerait aussi un grave problème de démocratie : une résurgence des forces fondamentalistes, comme en Afghanistan (http://www.lemonde.fr/afghanistan/)et au Pakistan (http://www.lemonde.fr/pakistan/), serait à craindre (http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/craindre) ».




Nicole Vulser (http://www.lemonde.fr/journaliste/nicole-vulser/)
Journaliste au Monde