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edenmartine
18/03/2014, 07h09
La crise en Ukraine place la Serbie face à ses contradictions


http://www.lefigaro.fr/medias/2014/03/17/PHO8d5add90-ae07-11e3-8c99-c46d1ed78053-805x453.jpg

La plupart des leaders serbes ont choisi de ne pas choisir leur camp. La Serbie doit «s'occuper de ses affaires» a expliqué Igor Mirovic, vice-président du SNS, appelé à diriger le pays.










À Belgrade,
Seul pays d'Europe à avoir signé un traité de libre-échange avec la Russie (http://plus.lefigaro.fr/tag/russie), mais engagée sur le chemin de l'adhésion à l'Union européenne, la Serbie (http://plus.lefigaro.fr/tag/serbie) sait que la crise ukrainienne la place en porte-à-faux. Ses dirigeants ne se sont pas épargnés durant la campagne législa*tive qui s'est conclue dimanche (http://www.lefigaro.fr/international/2014/03/14/01003-20140314ARTFIG00315-en-serbie-l-ombre-du-passe-plane-sur-les-urnes.php), mais ont, d'un commun accord, écarté ce dossier brûlant. Igor *Mirović, vice-président du SNS, appelé à diriger le pays, a ainsi expliqué que la Serbie devait «s'occuper de ses affaires». Comme lui, la plupart des leaders serbes ont, sur l'Ukraine, choisi de ne pas choisir leur camp.
À Belgrade, la rhétorique du Kremlin, imposant un parallèle entre Crimée et Kosovo, en a pourtant gêné plus d'un. Ont crissé des dents les plus âpres défenseurs de l'appartenance du Kosovo (http://plus.lefigaro.fr/tag/kosovo) à la mère patrie serbe, qui sont les *défenseurs les plus acharnés de Moscou. Ce sont les mêmes qui chantent l'histoire, en partie fictionnelle, de l'amour éternel entre les deux pays slaves, et qui rappellent que seule leur relation privilégiée a conduit la Russie à ne pas *accepter que l'ex-province du Kosovo, dont l'Occident a reconnu l'indépendance en 2008, puisse obtenir sa place à l'ONU.

Derrière les beaux atours de cette amitié, le Kremlin veille à maintenir la Serbie sous son emprise
Obligé du Kremlin, Dušan Bajatović, vice-président du SPS, l'ex-Parti communiste devenu socialiste, affirme que le président de la Russie a comparé ce qui ne peut l'être. «Je ne pense pas que le Kosovo a eu le droit à l'autodétermination, puisqu'il est historiquement serbe, mais, de l'autre côté, la Crimée est historiquement un territoire russe.» Bajatović n'est pas un simple homme politique: il dirige Srbijagas, la compagnie énergétique serbe contrôlée par le russe Gazprom, et partie prenante du gazoduc South Stream destiné à acheminer du gaz russe en Europe de l'Ouest en contournant l'Ukraine.
Derrière les beaux atours de cette amitié, le Kremlin veille à maintenir la Serbie sous son emprise. «Le Kosovo n'est pas important pour la Russie, souligne l'analyste belgradois Dejan Vuk Stanković. C'est un alibi pour préserver ses intérêts, hier quand elle a attaqué la Géorgie, aujourd'hui pour prendre la Crimée. La Russie utilise cette rhétorique pour entretenir des sentiments anti-occidentaux dans l'opinion serbe et surtout pour écarter la Serbie le plus loin possible de l'Otan.» À Belgrade, bombardée par l'Otan en 1999, aucun politique n'évoque en public une adhésion de la Serbie à l'Alliance atlantique. Mais en privé, nombreux sont ceux à penser que l'adhésion à l'UE, qui prendra du temps, porte en germe une entrée dans l'Otan.
http://www.lefigaro.fr/medias/2014/03/17/PHO41a8b644-adab-11e3-b601-d8522e57f5f4-805x453.jpg

VOX-HUMEUR- L'écrivain et journaliste au Figaro Magazine Jean-Christophe Buisson compare les réactions des pays occidentaux aux deux référendums qui ont eu lieu en 2008 au Kosovo et dimanche en Crimée. Il pointe quelques pertes de mémoire médiatique.






C'était hier mais tout le monde semble l'avoir oublié. Le 17 février 2008, les parlementaires kosovars albanais votent par proclamation une déclaration d'indépendance du Kosovo (http://plus.lefigaro.fr/tag/kosovo), province méridionale d'un État souverain reconnu par l'ONU: la Serbie. Une décision unilatérale approuvée par certains membres de l'Union européenne, rejetée par d'autres comme l'Espagne, la Slovaquie, la Grèce, la Roumanie et Chypre - c'est encore le cas en 2014. Sur place, ce jour-là, des journalistes du monde entier multiplient les reportages sur une population qui «pleure d'émotion dans la liesse de l'indépendance proclamée». Partout, ce sont des visages d'hommes, de femmes et d'enfants heureux, soulagés, bonhommes, affables: la liberté en marche. Qui, alors, songe à interroger les quelques milliers de Serbes retranchés depuis 1999 dans des villages entourés de barbelés et de véhicules blindés de la force de protection internationale, la KFOR (http://plus.lefigaro.fr/tag/kfor)? Personne ou presque. Qui donne la parole aux moines et aux moniales des églises et des monastères orthodoxes locaux qui n'ont pas encore été attaqués ou brûlés par les extrémistes albanais rêvant de purification ethnique et religieuse? Personne ou presque. Qui s'intéresse à cette population minoritaire du Kosovo albanais? Personne ou presque.

Cette fois, il est décrété que le droit du peuple de Crimée à disposer de lui-même (en l'espèce : de demander son rattachement à la Russie) est « illégal » (Laurent Fabius) et qu'il ne saurait être identique à celui du peuple kosovar
Six ans plus tard, la Crimée, province méridionale de l'Ukraine, proclame, à l'issue d'un référendum populaire, son vœu de se détacher de la mère patrie, comme le Kosovo d'avec la Serbie. Va-t-on, dans les Chancelleries occidentales, saluer cette sympathique démarche démocratique approuvée par 96,6 % des électeurs? Va-t-on, sur les chaînes de télévision, montrer les mêmes images d'effusion de joie à Sébastopol et Simferopol (http://plus.lefigaro.fr/tag/simferopol) comme naguère à Pristina et Prizren? Pas exactement. Cette fois, il est décrété que le droit du peuple de Crimée à disposer de lui-même (en l'espèce: de demander son rattachement à la Russie) est «illégal» (Laurent Fabius) et qu'il ne saurait être identique à celui du peuple kosovar (pas plus qu'à celui des peuples slovène et croate en 1991, bosniaque en 1992 et écossais, sans doute, en septembre prochain). Jamais évoqué en 2008, rejaillit même dans la bouche de certains commentateurs le principe d'intangibilité des frontières héritées de 1945 - comme si, depuis 1989, ce principe n'avait pas perdu toute pertinence avec la désintégration de l'empire soviétique et la naissance de dizaines de nouvelles nations sur ses décombres! Quant aux reporters dépêchés en Crimée ce funeste 16 mars 2014, entre deux interviews de babouchkas caricaturales se réjouissant de voir leur région revenir sous la protection de «saint Poutine», ils n'ont de cesse d'interroger ceux qu'ils considèrent comme les plus purs des Criméens: les Tatars. Ah, les opportuns Tatars! Si présentables, si attachants, si éloignés des horribles Serbes du Kosovo! Ils sont minoritaires dans la péninsule depuis son repeuplement russe au XIXe siècle puis leur déportation massive en Asie centrale sur ordre de Staline en 1944 ; on les plaint d'avance, on leur prédit un destin à l'abkhaze, on les suppose destinés demain aux pires pogroms. Et si on rappelle à l'envi qu'ils furent les premiers à habiter la Crimée (ce qu'on se gardait de souligner à propos des Serbes, qui avaient pourtant fait du Kosovo le cœur de leur empire médiéval dès le XIIIe siècle quand aucun chroniqueur byzantin ne mentionne la présence d'Albanais dans la région à cette époque), on oublie volontiers de noter combien ces musulmans sunnites aux mœurs aussi sauvages que violentes étaient considérés, jusqu'au XVIIIe siècle, comme des monstres absolus: pillards de villages chrétiens, marchands d'esclaves, ils avaient même brûlé Moscou en 1571. Seuls les Cosaques parvenaient alors à leur tenir tête - et encore.
Ainsi va la mémoire médiatique occidentale: à circulation alternée.
Dernier détail: l'Ukraine (http://plus.lefigaro.fr/tag/ukraine) n'a jamais reconnu l'indépendance du Kosovo, donnant à son hostilité de principe à l'initiative unilatérale du Parlement de Crimée une certaine cohérence. Ce n'est pas le cas de la France et des États-Unis, qui, eux, furent les premiers pays à reconnaître le Kosovo comme un nouvel État dès février 2008. En même temps que l'Albanie, la Turquie et l'Afghanistan… (http://plus.lefigaro.fr/tag/afghanistan)