sindbad001
18/02/2014, 09h47
Pour valoriser sa marque, Chipotle, le géant américain du fast-food spécialisé dans la restauration mexicaine, a produit “Farmed and dangerous”, une minisérie sur le business agroalimentaire, disponible en vidéo à la demande.
http://images.telerama.fr/medias/2014/02/media_108745/farmed-and-dangerous-la-serie-tele-du-roi-du-burrito,M141001.jpgMick Mitherson (Eric Pierpoint), Buck Marshall (Ray Wise), Sophia Marshall (Karynn Moore), and Doug (Jeffrey Doornbos) dans le laboratoire Animoil de Farmed and Dangerous. © Chipotle/Piro
Quel est le meilleur support pour une (bonne) publicité ? Jusqu’ici, ça pouvait être un spot télé, une campagne d’affichage, un imprimé dans votre boîte aux lettres. Ou, plus nouveau, du placement de produits dans un film cinéma, ou encore de la communication « conviviale » et virale type web 2.0, Twitter, Facebook et compagnie. Depuis le 17 février, ça peut aussi être une (bonne) série télé. Diffusée par Hulu, la plateforme de video à la demande, Farmed and dangerous est une nouvelle minisérie en quatre épisodes, avec sa star (Ray Wise (http://www.telerama.fr/personnalite/ray-wise,503.php), l’inquiétant papa de Laura Palmer dans Twin Peaks), sa « patte » (un style satirique, dans une veineDocteur Folamour), son univers (le business impitoyable de l’agroalimentaire) et son équipe de concepteurs-scénaristes de Hollywood. Mais la vraie surprise deFarmed and dangerous vient d’ailleurs : son producteur, Chipotle, est une chaine américaine de fastfoods.
Encore peu connu en France (où il commence tout juste à s’installer), Chipotle a inventé aux Etats-Unis le burrito éthico-gastronomique, avec 1500 restaurants et un message très atypique au pays du fastfood : « food with integrity » (autrement dit « nourriture intègre »). Sa promesse ? Promouvoir une agriculture durable, en proposant de la nourriture sans OGM, des viandes issues d’animaux élevés dans des conditions « humaines » et sans traitements antibiotiques. Ce positionnement à part lui réussit. Non seulement Chipotle est en train de sérieusement ébranler McDonalds en son royaume (http://blogs.wsj.com/corporate-intelligence/2013/10/15/losing-the-taste-for-mcdonalds/?mod=WSJ_hp_Europe_EditorsPicks), mais il a – presque – fait oublier que ce dernier fut son investisseur principal de 2000 à 2006...
Une publicité moraliséeHormis la qualité de ses burritos et tacos « éthiques » (qu’on n’a personnellement pas goûtés, pas plus que vérifié leur caractère « organique », sachant que les réglementations américaines sur le bio sont très approximatives), Chipotle doit son succès à un autre facteur : une approche de la communication « décalée », qui fusionne pub et entertainment et propose une esthétique autant qu’une vision du monde. On peut la découvrir dans deux clips au graphisme impeccable, diffusés sur Youtube. The Scarecrow et Back to the start (http://www.youtube.com/watch?v=aMfSGt6rHos) dénoncent les ravages de l’agriculture industrielle, le premier sur une chanson de Fiona Apple, le second sur une reprise de Coldplay par le géant de la country Willie Nelson. Résultat : 20 millions de vues à eux deux, une nouvelle façon de « moraliser » l’héritage publicitaire et un débat sur le système alimentaire pile en phase avec l’époque (http://www.newyorker.com/online/blogs/currency/2013/09/chipotle-mexican-restaurants-animated-film-sustainable-food-marketing.html), dans une Amérique de plus en plus sensibilisée aux méfaits de la nourriture industrielle.
Avec Farmed and dangerous, Chipotle fait un pas de plus dans la com-fiction. Un activiste idéaliste et écolo y tombe amoureux de la fille de Ray Wise, stratège cynique travaillant pour des fermiers prêts à tout pour augmenter leur production et diminuer les coûts, y compris à nourrir des vaches à coups de boulettes de pétrole et à les faire exploser. Les codes des séries télé sont là, comme l’ébranlement sensoriel né de la réthorique publicitaire. Sans compter cette proposition : passer par la comédie déjantée et non plus par le documentaire engagé (type Le marché de la faim (http://www.telerama.fr/cinema/films/we-feed-the-world-le-marche-de-la-faim,295109.php), Supersize me ou Notre poison quotidien (http://television.telerama.fr/television/marie-monique-robin-il-y-a-du-poison-partout-dans-la-nourriture,65112.php)...) pour dénoncer les techniques génétiques et les manipulations politiques, le transport des animaux et l’élevage en batterie, la malbouffe et les lobbies. Et accessoirement, pour toucher et élargir son public pour 250 000 dollars par épisode (de 30 minutes)...
Annonceur et producteurCe n’est rien d’autre qu’un retour aux fondamentaux des techniques de persuasion des grands maîtres américains. Dans les années 30, un géant de l’hygiène et des produits de beauté nommé Procter and Gamble avait inventé une nouvelle manière de séduire les ménagères américaines : le bien nommé « soap opera » (soit « saga savon »). Parce qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, et qu’il en avait les moyens, Procter and Gamble n’était pas seulement annonceur, maisproducteur (http://www.proctergambleproductions.com/). Et Search for tomorrow a fait pleurer dans les chaumières (de 1951 à 1986 !) sur CBS puis NBC, tout en permettant aux ventes de Dash et Pampers d’exploser.
Chipotle revisite la technique soap des multinationales et la recycle version business « alternatif ». Quasiment pas de trace de tacos dans Farmed and dangerous (le nom de la marque est mentionné une fois et le héros de la série s’appelle Chip...). Mais le message est clair, la série reflète la position de Chipotle sur l’agriculture industrielle. Conclusion (subliminale) : mangez chez Chipotle, le fast-food qui dit non à la malbouffe.
Reste une question : Farmed and Dangerous va-t-il contribuer à mobiliser plus largement les consommateurs contre l’agro-industrie ? Le roi du tacos « éthique » est-il en train de redéfinir les codes du militantisme ? Ou ne s’agit-il que d’une énième et très maligne stratégie de marketing, une preuve de plus que la publicité l’a définitivement emporté ? En tout cas, Chipotle ouvre une voie. Whole Foods, le géant de l’épicerie bio aux Etats-Unis, vient d’annoncer qu’il se lançait à son tour dans les séries télé. En attendant Mad men version L’Oréal, House of cardsversion Total, Six feet under version Areva, ou Desperate housewives version Bouygues...
http://images.telerama.fr/medias/2014/02/media_108745/farmed-and-dangerous-la-serie-tele-du-roi-du-burrito,M141001.jpgMick Mitherson (Eric Pierpoint), Buck Marshall (Ray Wise), Sophia Marshall (Karynn Moore), and Doug (Jeffrey Doornbos) dans le laboratoire Animoil de Farmed and Dangerous. © Chipotle/Piro
Quel est le meilleur support pour une (bonne) publicité ? Jusqu’ici, ça pouvait être un spot télé, une campagne d’affichage, un imprimé dans votre boîte aux lettres. Ou, plus nouveau, du placement de produits dans un film cinéma, ou encore de la communication « conviviale » et virale type web 2.0, Twitter, Facebook et compagnie. Depuis le 17 février, ça peut aussi être une (bonne) série télé. Diffusée par Hulu, la plateforme de video à la demande, Farmed and dangerous est une nouvelle minisérie en quatre épisodes, avec sa star (Ray Wise (http://www.telerama.fr/personnalite/ray-wise,503.php), l’inquiétant papa de Laura Palmer dans Twin Peaks), sa « patte » (un style satirique, dans une veineDocteur Folamour), son univers (le business impitoyable de l’agroalimentaire) et son équipe de concepteurs-scénaristes de Hollywood. Mais la vraie surprise deFarmed and dangerous vient d’ailleurs : son producteur, Chipotle, est une chaine américaine de fastfoods.
Encore peu connu en France (où il commence tout juste à s’installer), Chipotle a inventé aux Etats-Unis le burrito éthico-gastronomique, avec 1500 restaurants et un message très atypique au pays du fastfood : « food with integrity » (autrement dit « nourriture intègre »). Sa promesse ? Promouvoir une agriculture durable, en proposant de la nourriture sans OGM, des viandes issues d’animaux élevés dans des conditions « humaines » et sans traitements antibiotiques. Ce positionnement à part lui réussit. Non seulement Chipotle est en train de sérieusement ébranler McDonalds en son royaume (http://blogs.wsj.com/corporate-intelligence/2013/10/15/losing-the-taste-for-mcdonalds/?mod=WSJ_hp_Europe_EditorsPicks), mais il a – presque – fait oublier que ce dernier fut son investisseur principal de 2000 à 2006...
Une publicité moraliséeHormis la qualité de ses burritos et tacos « éthiques » (qu’on n’a personnellement pas goûtés, pas plus que vérifié leur caractère « organique », sachant que les réglementations américaines sur le bio sont très approximatives), Chipotle doit son succès à un autre facteur : une approche de la communication « décalée », qui fusionne pub et entertainment et propose une esthétique autant qu’une vision du monde. On peut la découvrir dans deux clips au graphisme impeccable, diffusés sur Youtube. The Scarecrow et Back to the start (http://www.youtube.com/watch?v=aMfSGt6rHos) dénoncent les ravages de l’agriculture industrielle, le premier sur une chanson de Fiona Apple, le second sur une reprise de Coldplay par le géant de la country Willie Nelson. Résultat : 20 millions de vues à eux deux, une nouvelle façon de « moraliser » l’héritage publicitaire et un débat sur le système alimentaire pile en phase avec l’époque (http://www.newyorker.com/online/blogs/currency/2013/09/chipotle-mexican-restaurants-animated-film-sustainable-food-marketing.html), dans une Amérique de plus en plus sensibilisée aux méfaits de la nourriture industrielle.
Avec Farmed and dangerous, Chipotle fait un pas de plus dans la com-fiction. Un activiste idéaliste et écolo y tombe amoureux de la fille de Ray Wise, stratège cynique travaillant pour des fermiers prêts à tout pour augmenter leur production et diminuer les coûts, y compris à nourrir des vaches à coups de boulettes de pétrole et à les faire exploser. Les codes des séries télé sont là, comme l’ébranlement sensoriel né de la réthorique publicitaire. Sans compter cette proposition : passer par la comédie déjantée et non plus par le documentaire engagé (type Le marché de la faim (http://www.telerama.fr/cinema/films/we-feed-the-world-le-marche-de-la-faim,295109.php), Supersize me ou Notre poison quotidien (http://television.telerama.fr/television/marie-monique-robin-il-y-a-du-poison-partout-dans-la-nourriture,65112.php)...) pour dénoncer les techniques génétiques et les manipulations politiques, le transport des animaux et l’élevage en batterie, la malbouffe et les lobbies. Et accessoirement, pour toucher et élargir son public pour 250 000 dollars par épisode (de 30 minutes)...
Annonceur et producteurCe n’est rien d’autre qu’un retour aux fondamentaux des techniques de persuasion des grands maîtres américains. Dans les années 30, un géant de l’hygiène et des produits de beauté nommé Procter and Gamble avait inventé une nouvelle manière de séduire les ménagères américaines : le bien nommé « soap opera » (soit « saga savon »). Parce qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, et qu’il en avait les moyens, Procter and Gamble n’était pas seulement annonceur, maisproducteur (http://www.proctergambleproductions.com/). Et Search for tomorrow a fait pleurer dans les chaumières (de 1951 à 1986 !) sur CBS puis NBC, tout en permettant aux ventes de Dash et Pampers d’exploser.
Chipotle revisite la technique soap des multinationales et la recycle version business « alternatif ». Quasiment pas de trace de tacos dans Farmed and dangerous (le nom de la marque est mentionné une fois et le héros de la série s’appelle Chip...). Mais le message est clair, la série reflète la position de Chipotle sur l’agriculture industrielle. Conclusion (subliminale) : mangez chez Chipotle, le fast-food qui dit non à la malbouffe.
Reste une question : Farmed and Dangerous va-t-il contribuer à mobiliser plus largement les consommateurs contre l’agro-industrie ? Le roi du tacos « éthique » est-il en train de redéfinir les codes du militantisme ? Ou ne s’agit-il que d’une énième et très maligne stratégie de marketing, une preuve de plus que la publicité l’a définitivement emporté ? En tout cas, Chipotle ouvre une voie. Whole Foods, le géant de l’épicerie bio aux Etats-Unis, vient d’annoncer qu’il se lançait à son tour dans les séries télé. En attendant Mad men version L’Oréal, House of cardsversion Total, Six feet under version Areva, ou Desperate housewives version Bouygues...