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sindbad001
15/02/2014, 17h15
Tandis qu’il se balade avec un ami, Voltaire se découvre promptement le chef pour saluer un prêtre qu’ils croisent dans la rue. Connaissant l’aversion de l’écrivain pour l’Église, son ami lui fait part de son étonnement. « Tiens, tu t’es réconcilié avec Dieu? », lui demande-t-il.« Oh, non! lui répond Voltaire. Nous nous saluons, mais nous ne nous parlons pas! »
Cette anecdote est révélatrice de la relation ambiguë entre le célèbre écrivain et la religion… ses nombreux écrits anti-cléricaux en témoignent!
Ainsi, lorsque Voltaire meurt le 30 mai 1778 chez son ami parisien le marquis de Villette, celui-ci se demande bien quelle est la meilleure attitude à adopter… Il appelle alors l’abbé Mignot, le neveu de Voltaire, et lui demande conseil. Ce dernier lui confirme ses doutes: le curé du quartier va très certainement refuser d’enterrer dignement la dépouille de l’illustre philosophe et le laisser pourrir dans la fosse commune. Point question de prendre un tel risque!
L’abbé Mignot ne voit donc qu’une solution: amener clandestinement le corps à l’abbaye de Scellières, dans les environs de Troyes, là où il est certain que les moines accepteront de lui donner une cérémonie religieuse (c’est le souhait qu’avait formulé Voltaire quelques jours avant sa mort ).
Par chance, personne ne sait encore l’écrivain mort. Le marquis de Villette et l’abbé Mignot prennent donc la décision assez osée d’installer le corps de Voltaire dans un carrosse et de faire croire à son entourage qu’il part pour un voyage imprévu… Avant cela, et étant donné la durée du trajet jusqu’à l’abbaye, l’embaumement de sa dépouille est nécessaire. Et voilà Mitouart, un pharmacien faisant parti des proches de l’abbé Mignot, appelé en urgence pour procéder à l’opération. Il en profite pour demander une faveur: lui serait-il possible de récupérer le cerveau du philosophe?
Loin de s’offusquer, l’abbé Mignot trouve cette demande on ne peut plus normale… la cervelle de Voltaire est donc extraite, bouillie dans l’alcool et enfermée dans un bocal à confiture… Pourquoi s’arrêter en si bon chemin, je vous le demande? Ni une, ni deux, le cœur de l’écrivain est ôté et placé à son tour dans un bocal!
Cette extraction macabre terminée, on s’affaire à momifier le corps en l’entourant de bandelettes, et, la besogne terminée, on le place comme prévu en position assise dans un carrosse pour ne pas éveiller les soupçons… Et fouette cocher!
http://www.etaletaculture.fr/wp-content/uploads/2013/06/tombeau-de-voltaire-au-pantheon.jpg

Tombeau de Voltaire au PanthéonLe voyage jusqu’à l’abbaye de Scellières se déroulera sans encombres et Voltaire pourra bénéficier d’une sépulture digne de son rang… Du moins jusqu’en 1791 – soit 13 ans après sa mort – où son corps sera une nouvelle fois trimbalé jusqu’au Panthéon. Des petits malins profiteront d’ailleurs de ce transfert pour chiper un pied et deux dents à la dépouille! La « carrière » de Voltaire ne s’arrête néanmoins pas là: en 1814, son tombeau est violé et son corps dérobé par un commando de fanatiques royalistes. On apprendra qu’une cinquantaine d’années plus tard, grâce aux aveux d’un des malfaiteurs sur son lit de mort, que le corps fut finalement enterré dans de la chaux vive au niveau des anciennes Halles aux vins de Bercy.
C’est bien des années plus tard que la Bibliothèque Nationale de France héritera du cœur de l’auteur de Zadig. Quant au cerveau, il est transmis de génération en génération dans la famille de Mitouart, mais il est vendu aux enchères à la salle des ventes en 1875… et on perd ensuite sa trace (une info difficile à vérifier cependant: selon d’autres sources, il est légué à la Comédie Française en 1924. Si un lecteur pouvait démêler ce point de l’histoire, je lui en serais éternellement reconnaissant).
Récapitulons: tour à tour momifié, décervelé, privé de son cœur (donc écœuré, si j’ose dire),d’un pied et de deux dents, le corps de Voltaire passe de Paris à Troyes, de Troyes au Panthéon et du Panthéon à Bercy! De là à dire que Voltaire eut une mort au moins aussi trépidante que sa vie, il n’y a qu’un pas que je n’oserai franchir…