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Voir la version complète : La Marseillaise n’est PAS un chant révolutionnaire



sindbad001
06/02/2014, 16h08
On reproche souvent aux sportifs – footballeurs en tête – de ne pas chanter avec conviction la Marseillaise lors des cérémonies médiatisées. Quelle piètre image de la France, en effet, que ces millionnaires alignés en rang d’oignon et gardant obstinément la bouche fermée tandis que leur hymne national est diffusé à tue-tête.
Mais ceux qui condamnent sans appel ces footballeurs capricieux n’ont bien souvent eux-mêmes qu’une connaissance superficielle de l’hymne national…
Nous avons déjà eu l’occasion de décortiquer les paroles de la Marseillaise (http://www.etaletaculture.fr/culture-generale/les-paroles-de-la-marseillaise-a-la-loupe/). Réjouissez-vous, aujourd’hui, nous allons découvrir dans quel contexte elle a été composée. Et vous aurez enfin un peu de culture à étaler lorsque vous regarderez le prochain match de foot à la télé avec vos amis!
C’est un certain Rouget de Lisle qui a composé les paroles et l’air de la Marseillaise. Nous sommes le 25 avril 1792, à Strasbourg, et Rouget de Lisle apprend que Louis XVI vient de déclarer la guerre à l’Autriche.
– Louis XVI? En 1792? Vous vous moquez de moi… Il a été décapité en 1789!
– Mais pas du tout, Kevin! Il ne sera décapité qu’en janvier 1793. Pour le moment, il est sous le contrôle de l’Assemblée dans ce que l’on pourrait qualifier abusivement de monarchie parlementaire.
Louis XVI, disais-je, vient de déclarer la guerre à l’Autriche. Les Strasbourgeois sont ravis! Ils pavoisent, ils font la fête et Rouget de Lisle se retrouve le soir-même dans un dîner mondain organisé par son ami le baron Dietrich.
À table, le vin coule à flot. Dietrich s’offusque que l’armée française ne possède pas encore d’hymne digne de ce nom. Diantre! Il nous faudrait tout de même un chant qui en jette pour marcher sur l’ennemi et donner aux troupes du cœur à l’ouvrage. Connaissant sa passion pour la musique et l’écriture, il se tourne alors vers Rouget de Lisle et lui propose de composer lui-même ce chant. Ce dernier, peu à l’aise pour prendre la parole en société, bredouille qu’il tâchera de faire de son mieux… Et la conversation reprend de plus belle sur d’autres sujets.
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Partition originale du Chant de Guerre pour l’armée du Rhin, rebaptisée plus tard en MarseillaiseLorsqu’il prend congé de son hôte, Rouget est bien embêté. Il ne se sent pas de taille à accomplir la mission qu’on lui a donné. Les chants guerriers, franchement, ce n’est pas trop son domaine, lui qui est plutôt spécialisé dans la romance et les chants bucoliques… Alors qu’l marche dans les rues strasbourgeoises pour rentrer chez lui, il tombe sur des affiches de propagande placardés un peu partout dans la ville:

Aux armes,citoyens! L’étendard de la guerre est déployé! Le signal est sonné! Aux armes! Il faut combattre, vaincre, ou mourir.Aux armes, citoyens! Si nous persistons à être libres, toutes les puissances de l’Europe verront échouer leurs sinistres complots. Qu’ils tremblent donc, ces despotes couronnés! L’éclat de la Liberté luira pour tous les hommes. Vous vous montrerez dignes enfants de la Liberté, courez à la Victoire, dissipez les armées des despotes!Marchons! Soyons libres jusqu’au dernier soupir et que nos vœux soient constamment pour la félicité de la patrie et le bonheur de tout le genre humain!Rouget de Lisle y voit là une source d’inspiration formidable pour le chant qu’il s’apprête à composer. Et il ne se prive pas de piquer allègrement des phrases entières de l’affiche et les mettre en musique.
Pour diversifier ses sources, il ouvre également un recueil de poésies de Boileau et y recopient sans vergogne certains vers de l’illustre poète…
Quant à la phrase d’ouverture de sa chanson, « Allons, enfants de la patrie », il ne va pas la chercher bien loin non plus… lui-même appartenant au bataillon surnommé « les Enfants de la patrie »!
– Donc, en gros, la Marseillaise est un énorme plagiat…
– Oui, c’est cela, Kevin. Mais j’emploierais plutôt le terme de patchwork…
– Au moins Rouget de Lisle a-t-il composé la musique. Ça, on ne peut pas lui retirer.
– Détrompe-toi! En réalité, c’est un ami à lui également présent lors du fameux dîner chez Dietrich, un certain Ignace Pleyel, qui lui aurait donné la main et aurait mis en musique les paroles de Rouget!
– Dans ce cas, c’est cet Ignace pleyel qu’il faudrait féliciter, non?
– Non, tu n’y es pas du tout! Car cet air est en réalité directement inspiré de La Marche d’Assuérus, un morceau composé par Lucien Grisons plusieurs années auparavant!
– Si tout le monde se met à copier sur tout le monde, aussi… c’est du joli! Mais que fait la HADOPI? Ah ah ah!
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Rouget de Lisle chantant la Marseillaise (ou plutôt le Chant de guerre pour l’armée du Rhin…) pour la première fois à Strasbourg chez son ami Dietrich en 1792.Le lendemain matin, Rouget de Lisle retourne immédiatement chez Dietrich pour lui faire écouter son « œuvre » qu’il a intitulé Chant de guerre pour l’armée du Rhin.
– Ben, je croyais qu’elle s’appelait La Marseillaise!
– Pas encore, sois un peu patient! Et puis, n’oublie pas que Rouget de Lisle est actuellement à Strasbourg… la Strasbourgeoise serait un nom plus avisé, tu ne trouves pas?
– J’y comprends plus rien, moi…
– Patience, tout va bientôt s’éclairer!
Le succès du chant composé par Rouget de Lisle est immédiat. Sans tarder, les paroles et partitions sont imprimées et distribuées aux militaires qui entonnent cet air joyeusement et avec conviction. Mais quelques exemplaires de ce tirage papier se baladent un peu partout en France et atterrissent par hasard à Marseille… le chant plaît immédiatement aux Révolutionnaires marseillais qui s’apprêtent à marcher sur Paris. Et voilà une bande énorme de paysans qui chantent à tue-tête l’hymne de Rouget de Lisle dans les rues parisiennes, alors même que celui-ci était destiné à être chanté sur les champs de bataille autrichiens! En toute logique, le Chant de guerre pour l’armée du Rhin est rebaptisé en Marseillaise…
Lorsqu’il apprend cette nouvelle, Rouget de Lisle est sous le choc. Lui, monarchiste convaincu et amoureux secret de Marie-Antoinette (qu’il a rencontré quelques années plus tôt et dont il est tombé sous le charme), est associé au chant anti-royaliste! Car c’est bien son nom qui est resté en signature!
Comble de l’ironie: le pauvre Rouget est considéré comme un ennemi de la République et fait un tour dans les geôles parisiennes sur ordre du Comité de Salut Public. Il échappe heureusement de justesse à la guillotine et est relâché après le 9 Thermidor (c’est à dire la chute de Robespierre)…