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Voir la version complète : Sur diagnostic et dépistage des cancers : le cas du poumon



harroudiroi
18/12/2013, 21h00
Le dépistage des cancers du poumon (KBP) repose sur le principe fondamental qu’une tumeur détectée précocement, de taille encore réduite, bénéficiera d’un traitement plus efficace et donc amènera à une diminution de la mortalité spécifique. Un programme idéal de dépistage devrait pouvoir sélectionner les sujets à plus haut risque, avoir un bon rapport coût/efficacité dans le diagnostic précoce des cancers et exclure les anomalies mineures non significatives. Un tel programme n’existe malheureusement pas en matière de KBP.


Dans le National Lung Screening Trial (NLST), dont les résultats ont été publiés en 2011 dans le New England Journal of Medicine, le dépistage par tomodensitométrie à faible dose (LDCT) a conduit à une réduction de 20 % de la mortalité spécifique comparativement au dépistage par radiographie de thorax simple (CXR). Mais un nombre nettement plus conséquent de tumeurs ont été diagnostiquées, dont certaines potentiellement indolentes, constituant autant de cas de « sur diagnostics ». Il s’agit là d’une des limites majeures de tout dépistage, facteur de traitements inutiles, d’une augmentation de la morbidité, voire, dans de rares cas , de la mortalité, de coûts financiers indus, source d’anxiété pour le sujet dépisté et, in fine, transformant en malade un individu qui n’aurait jamais dû l’être.


Un impact bénéfique sur la mortalité spécifique


Dans la dernière livraison du JAMA Internal Medicine, E D Patz et collaborateurs ont tenté de quantifier les taux de sur diagnostics des KBP lors d’un dépistage par LDCT itératifs, comparativement à celui par CXR. Ils ont pris pour base les données du NLST qui, entre Août 2002 et Avril 2004, avait inclus de façon prospective, 53 452 individus à haut risque de KBP, tabagiques actifs à plus de 30 paquets-années, âgés de 55 à 74 ans et enrôlés dans 33 centres médicaux distincts, repartis sur tout le territoire des USA. Les participants avaient été randomisés en 2 bras: l’un (n= 26 722) avec pratique de 3 LDCT par an, l’autre (n= 26 730) de 3 CXR postéro-antérieures annuelles. Le suivi s’était étalé sur 4 à 5 ans, avec arrêt définitif le 31 Décembre 2009 et cet essai avait pour objectif primaire de quantifier l’impact d’un dépistage par LDCT vs CXR sur la mortalité spécifique des KBP.


Dans l’essai NLST, un cancer dépisté était défini comme un cancer diagnostiqué dans l’année suivant un dépistage positif ou à plus long terme grâce aux explorations entreprises à la suite du dépistage. Pour estimer le taux de sur diagnostics, E D Patz et collaborateurs ont calculé le rapport (Ps) entre la différence du nombre de cancers détectés par LDCT et par CXR (au numérateur) et le nombre total de cancers dépistés par LDCT (au dénominateur), ce qui reflète la probabilité qu’une lésion dépistée soit en fait un sur diagnostic. Ils ont également calculé le rapport (Pa) entre la différence du nombre de cancers détectés par LDCT et par CXR (au numérateur) et le nombre total de cancers réellement diagnostiqués après LDCT (au dénominateur). Le nombre de sur diagnostics inévitables dans une population donnée pour prévenir un décès par KBP a également été estimé. Ces estimations ont été effectuées pour l’ensemble des cancers, puis, de façon plus détaillée, pour les cancers non à petites cellules (NSCLC) et les carcinomes bronchiolo- alvéolaires (BAC).


Globalement, le suivi moyen a été de 6,41 ans dans le bras LDCT et de 6,37 dans le bras CXR. Au terme de l’étude, 1 089 KBP avaient été découverts par LDCT vs 969 dans l’autre bras. Le taux de sur diagnostics estimé par le rapport Ps atteignait 18,5 % (intervalle de confiance, IC, à 95 %: 5,4 % - 30,6 %) et par le rapport Pa 11 % (IC : 3,2 %- 18,2 %). Pour les seuls NSCLC (926 dans le bras LDCT et 793 dans le bras CXR), les taux de sur diagnostic ont été respectivement estimés à 22,5 % (IC : 9,7 %- 64,3 %) avec le Ps et de14,4 % (IC : 6,4 %- 21,8 %) avec le Pa. Ils étaient notablement plus élevés s’agissant des seuls BAC (120 dans le bras LDCT et 36 dans le bras CXR) avec un Ps à 78,9 % (IC : 62,2 %- 93,5 %) et un Pa à 67,6 % (IC : 53,5- 78,5 %). Le nombre de cas de sur diagnostics rapportés à 320 participants pour prévenir un décès par KBP a été de 1,38.


Dans ce travail, la durée moyenne d’évolution pré-clinique retenue était de 3,6 ans (IC : 3,0- 4,3) pour les NSLC non BAC : la sensibilité du dépistage par scanner était ainsi de 83 % (IC : 72 %- 94 %) comparativement à seulement 33 % (IC : 26 %- 42 %) avec les CRX répétées. Pour les seuls BAC, le délai moyen pré clinique estimé était beaucoup plus long, de l’ordre de 32,1 ans (IC : 17,3 ans- 270,0) avec alors une sensibilité faible du dépistage par LDCT, de 38 % (IC : 7 %-62 %) vs 4 % (IC : 1 %- 9 %) pour la CRX. Avec un suivi prolongé à 7 ans, le taux de cancers dépisté en excès par la LDCT était de 31 % (vs absence de dépistage) et de 19 % vs CRX. Il culminait, pour les seuls BAC, respectivement à 85 % et 71 %. Il passait de 31 % à 21 % quand seuls étaient pris en compte les NSCLC non BAC.


Mais 18 % des tumeurs dépistées seraient des sur diagnostics


Ainsi donc l’essai NLST démontre qu’un dépistage par LDCI amène à une réduction de 20 % de la mortalité spécifique des KBP. Corolaire de ce dépistage, il est à déplorer un nombre notable de sur diagnostics. Quantifier précisément leur taux reste un exercice difficile car amènerait à biopsier de façon systématique tous les nodules pulmonaires ou à pouvoir suivre l’évolution spontanée d’un groupe randomisé de KBP maintenus volontairement sans traitement. Il existe, fort heureusement, des techniques indirectes permettant de l’appréhender.


Dans ce travail, il est aussi possible que le temps de suivi ait été trop court pour les NSCLC, 25 % environ de ces tumeurs pouvant avoir un délai d’évolution pré clinique de plus de 5 ans.


En résumé, 18 % de l’ensemble des tumeurs diagnostiquées, dont 22 % des NSCLC de l’essai NLSC seraient des sur diagnostics. Ce pourcentage est nettement plus élevé en cas de BAC, cancers souvent dénommés adéno-carcinomes invasifs a minima car de comportement indolent et d’évolution longue. En complément des données fournies par l’essai NLST, un modèle de convolution a permis d’appréhender la fréquence des sur diagnostics en fonction de diverses modalités de dépistage. Le nombre de cancers diagnostiqués en excès par LDCT itératifs tend à baisser quand le suivi augmente au-delà de 5 ans pour atteindre, en théorie, la vie entière. Dans cette dernière hypothèse, le taux de sur diagnostic ne serait plus que de 3 % pour les NSCLC non BAC et de 50 % pour les BAC.


Ainsi donc, un dépistage des KBP par LDCT conduit-il à un risque potentiel de sur diagnostics. Avant la mise en place d’un dépistage de masse, cette notion doit être mise en balance avec la réduction espérée de la mortalité. Dans l’avenir, des bio marqueurs plus performants et/ou une amélioration des techniques d’imagerie permettront peut-être un meilleur diagnostic des KBP à un stade précoce et donc la mise en route d’un dépistage de masse plus efficient.